C’est une petite question posée par mail qui m’y a fait penser : cela fait une éternité qu’il n’y a plus eu de chronique de manuels d’écriture par ici. Réparons donc ce manquement de ce pas.

Scene & Structure, publié en 1993 (non traduit à ce jour), fait partie de ces ouvrages dont le titre revient fréquemment dans les cercles d’écriture anglophones ; pas autant que The Art of Fiction, mais quand même. Scènes et structures, un titre qui va droit au but et qui promet des heures de plaisir aux auteurs qui aiment planifier leur scénario, comme ton humble serviteur, auguste lectorat.

Sauf que cet ouvrage représente un excellent exemple de la dérive ultra-mécaniste de la narration à l’américaine : il expose un modèle assez rigide, une formule à tout faire. De telles prémisses doivent déjà susciter la méfiance – aucune formule n’est universelle en art, c’est pour ça que c’est de l’art et pas des maths –, mais, avec un regard critique, peut-être y a-t-il des éléments à en glaner ?

Eh bien, non seulement la formule exposée dans ces pages est rigide, mais, à mon humble avis, elle n’a pas de sens. Ou, du moins, elle est suffisamment mal exposée pour complètement égarer un auteur peu expérimenté et le faire aller contre son instinct.

Le cœur du propos de Bickham est le suivant : un récit suit un mouvement de balancier entre scene (scène) et sequel (conséquences). Au-delà du bon sens dictant qu’évidemment, toute action narrative est suivie d’effet, il soutient que ces deux temps doivent figurer explicitement dans le récit. La scene est le moment d’action, de conflit, où les protagonistes s’efforcent d’agir pour résoudre le problème que le récit leur pose ; dans la sequel, ils prennent le temps d’assimiler ces bousculements et d’évaluer leurs options pour leur prochain mouvement, ce qui conduit à la nouvelle scene.

En traçant une démarcation aussi tranchée entre les deux temps d’un récit (accélération, respiration), il laisse entendre à la lecture qu’ils sont de nature fondamentalement différente.

Or, je ne crois pas. Du tout.

Le rythme s’accélère ou ralentit, un mystère s’épaissit ou s’éclaire, on respire après qu’on échappe à une tentative d’assassinat ; mais le trajet des personnages reste constamment dicté par leurs impératifs, et leurs décisions varient de manière bien plus organique qu’un rythme binaire tel que Bickham le dépeint. Il faut, en somme, trop de concessions au modèle pour le calquer sur la pratique réelle de l’écriture ; dès lors, il n’apporte pas grand-chose.

Pire encore, Bickham met bien en garde son lecteur contre les sequels vides ou lentes, arguant qu’il faut maintenir la tension narrative, que les sequels ne doivent pas se réduire à un résumé de ce que le lecteur sait déjà, qu’elles doivent inclure une composante d’action afin que les personnages avancent à l’étape suivante – certes. Mais j’affirmerais que, d’une, on se trouve quand même là dans le domaine de l’évidence, de deux, l’expérience montre que les jeunes auteurs ont déjà tendance à récapituler un peu trop souvent les événements passés de leur récit. (C’est normal, surtout au premier jet ; on peine soi-même à trier où l’on en est, et il arrive qu’on répète un peu trop souvent les mêmes choses – éléments qui doivent sauter, avec le recul, aux corrections.) Ce n’est vraiment pas la peine d’encourager ce qui se présente clairement comme un défaut dû au manque d’expérience.

Même pour un structurel, j’avance que le rythme est aussi une affaire d’intuition, de la vie qui naît des personnages quand on parcourt leur trajet à leurs côtés. En présentant ce processus de manière si rigide, Scene & Structure menace de corseter un jeune auteur dans un modèle inopérant et qu’il n’a pas encore l’expérience pour critiquer. Peut-être fonctionne-t-il pour un type très particulier de thriller ou de polar “à l’américaine” ; et encore.

À éviter, donc. À part une discussion vraiment intéressante en tête d’ouvrage sur les causes et les conséquences en narration, les jeunes auteurs risquent d’être déboussolés, et les plus expérimentés, il me semble, ne pourront que désapprouver le propos.