Aaaah, France, je t’aime, mais parfois, qu’est-ce que tu restes bloquée dans les années 60. L’association 3Hit Combo est porteuse du Stunfest, un festival de jeux vidéo centré sur la compétition mais qui propose aussi quantité de moments dédiés au jeu vidéo comme outil de narration – conférences, débats, promotion de studios indépendants et de leurs jeux parfois expérimentaux, sans parler de la portée professionnelle d’un tel événement (comme l’est tout rassemblement d’un domaine). Le Stunfest a rassemblé 12 000 visiteurs cette année.

Or, le Stunfest se trouve à présent avec un trou dans les caisses de 70 000 euros en partie parce que les pouvoirs publics n’ont pas accompagné la croissance du Stunfest ni ne lui ont accordé les facilités financières liées à la tenue d’un événement culturel. La raison ? Tenez-vous bien :

« Le caractère culturel ne peut être reconnu à l’association 3 Hit combo puisque son activité n’est pas consacrée à la création, à la diffusion, ou à la protection d’œuvres de l’art et de l’esprit tel que défini par la doctrine administrative, qui exclut les activités ludiques et de loisir. » – Réponse de la Direction Régionale des Finances Publiques faite à 3 Hit Combo quant à une demande pour percevoir des dons et faire bénéficier de rescrits fiscaux ; 15 mars 2016.

Id est : un jeu vidéo n’est pas une œuvre d’art et de l’esprit.

Il faut être complètement ignare pour ne pas reconnaître au jeu vidéo la valeur d’une œuvre de l’esprit au sens initialement voulu par le droit d’auteur. Et il faut être aveugle pour ne pas constater le poids immense du jeu vidéo comme composante culturelle majeure au XXIe siècle. Alors certes, le jeu est une industrie (probablement la plus grosse à l’heure actuelle) et il comporte sa part de “produits” formatés ; mais c’est le cas de tout domaine de création. On ne met pas sur le même pied d’égalité Éric Rohmer et Avengers, au même titre qu’on ne mettra pas Life is Strange et Call of Duty Trente-Douze dans le même sac.

Le jeu vidéo est porteur d’un discours, d’une dialectique, d’une narration. Il est d’une immense diversité, et le réduire uniquement à un tournoi de belote montre à quel point il est mal connu – le jeu n’est pas un média, c’est un ensemble de grammaires nouvelles et différentes avec lesquelles on peut assurément créer de l’art. Au même titre qu’avec des mots, on peut rédiger une petite annonce ou bien écrire À la recherche du temps perdu. On ne soutient pas le premier, le second oui.

Je n’ai pas spécialement de fibre patriotique mais je trouve que c’est rageant et inquiétant pour la place de la France sur le plan mondial. On se gargarise d’innovation et de découpages de rubans rouges dans des incubateurs de start-ups mais il y a tout une frange des hautes instances de ce pays qui me semble ignorer totalement ce qui s’est passé depuis grosso modo vingt ans sur le terrain technologique (lequel représente l’outil prépondérant de notre époque) et qui est totalement larguée (témoin par exemple l’absurdité Hadopi). Ici, comme dans des tas de petites choses, il y a des virages à prendre, dans lesquels on pourrait s’engager avec nos spécificités et notre dynamisme, mais j’ai l’impression croissante qu’on reste sur le bord de la route figés comme des lapins dans des phares, étouffés par l’inertie administrative. Je discutais l’autre jour avec un copain de l’Arche de la Défense ; qu’on la trouve moche ou impressionnante, ça reste un projet d’envergure, et je me disais : quand avons-nous lancé pour la dernière fois une entreprise symbolique de cette importance ? Comme le TGV ? Le Concorde ? La fusée Ariane ? Même le Minitel, bon sang, qui a été dépassé rapidement mais qui restait assez singulier ? L’Éducation Nationale continue à former aveuglément des chauffeurs routiers sans réfléchir un seul instant à l’arrivée des véhicules autonomes…

Je dérive sauvage, mais tout ça me semble symptomatique de problèmes plus vastes à l’heure actuelle. Et, pour être juste, il faudrait aussi dire que le jeu a besoin de s’organiser encore comme secteur, de se définir lui-même pour savoir comprendre et, le cas échéant, mettre en avant sa propre grammaire artistique et les œuvres qui la portent afin de mieux se défendre – mais l’industrie est tellement jeune ! Disons cinquante ans – ce qui pose des difficultés encore accrues par le fait que c’est un mode d’expression terriblement inféodé à la technologie (à mettre en regard avec le cinéma dont la dernière innovation réellement majeure était la couleur, lui donnant l’intégralité de ses outils modernes – on pourrait ajouter, admettons, la généralisation des images de synthèse à prix abordable1).

J’arrête de divaguer, le communiqué de 3Hit Combo est là, détaille la situation et les moyens de soutien.

  1. Je sais qu’il a existé d’autres innovations technologiques dans l’intervalle, mais aucune n’a eu l’envergure des révolutions successives que le jeu vidéo traverse à l’échelle d’une décennie.