Après un premier article général sur les règles et les outils qui nous permettront de rendre de jolis manuscrits respectant les règles typographiques, entrons dans le vif du sujet. Et le vif, comme dans la méditation, c’est la respiration. Le blanc. Le vide. Le silence qui donne son sens au contenu.
Les espaces, quoi.
Ouvrons un livre. (Vous avez bien un livre ? Ou mille.) On sait bien (ou constate) que des espaces se baladent un peu partout dans le texte. Ça aère, ça fait respirer, ça rend la lecture jolie et reposante. Il se trouve que les règles d’utilisation des espaces découlent de siècles de pratique et d’habitude des compositeurs ; elles évolueront probablement encore, mais ce qui nous intéresse, ce sont les règles aujourd’hui.
Elles sont finalement assez simples.
(Rappelons-nous cependant que celui qui a raison, c’est celui qui paye : si un éditeur veut bafouer tout ou partie de ce qui suit, c’est sa responsabilité, et c’est lui qui a raison – tant qu’il vous paye et vous traite bien, on peut bien lui passer une ou douze outrecuidances spatiales. D’espaces, quoi. Bref, n’allez pas me brandir virtuellement en disant que Davoust il l’a dit. Je donne l’usage général, après, à vous de voir.)
Une espace vous manque et tout est trop peuplé
Il existe deux espaces différentes1 2. L’espace normale sert à séparer les mots, et l’espace insécable aussi, mais avec un truc en plus : le logiciel n’a pas le droit de couper la ligne à cet endroit. (Insécable : qu’on ne peut couper.) Quel intérêt ? Eh bien, d’éviter de séparer deux choses qui doivent rester ensemble, par exemple un mot et son signe de ponctuation (« Fichtre ! » rend un peu tarte si le point d’exclamation se balade tout seul au début de la ligne suivante, « 100 km/h » rend bizarre si on coupe entre le nombre et l’unité).
Sous Mac, encore une fois, tout est plus simple : une espace insécable s’insère avec option – espace. Sur Windows… ça dépend du logiciel. Souvent, c’est contrôle – espace. Mais pas forcément. Jetez un œil à votre traitement de texte.
Notons que sur le web, insérer une espace insécable est toujours hasardeux – cela ne fait pas réellement partie du standard (ou bien c’est tellement galère à insérer que le moindre article un peu long comme celui-ci prend trois jours à rédiger). Dans ce qui suit, pour éviter de péter la démonstration, convenons tout de suite que le caractère de soulignement, l’underscore, _ quoi, représente une espace insécable.
Règles générales d’utilisation des espaces
Celles-ci s’appliquent en général – et c’est assez logique – à la ponctuation. Comment cela fonctionne-t-il ? Voyons cela, et parcourons de la sagesse que tout le monde (sauf ta grand-mère) connaît, jusqu’à la finesse subtile qui montrera ton raffinement certain et te permettra enfin de discerner cette nuance de framboise dans le Bordeaux – car tel est le pouvoir d’élégance de la typographie.
Tout signe de ponctuation est suivi d’une espace normale. Soit rouge, bleu et non rouge,bleu.
Un signe de ponctuation double est précédé d’une espace insécable. C’est-à-dire : deux points, point-virgule, etc. Soit rouge_; bleu et non rouge; bleu. (Attention, ce n’est pas le cas en anglais.) La plupart des traitements de textes récents (Word et OpenOffice) les insèrent d’eux-mêmes en détectant le caractère en question.
Le cas des guillemets. Les guillemets français sont les guillemets à chevrons, eux, là : « ». (Pour les entrer, voir l’article précédent.) Les ouvrants sont suivis, et les fermants précédés, d’une espace insécable pour éviter la chasse du contenu qu’ils encadrent, ex. : «_Coucou_!_» et non «Coucou!». Sauf que : on peut avoir besoin d’imbriquer des guillemets dans des guillemets, pour une citation contenue dans un dialogue, par exemple. On fait alors appel aux guillemets anglais, qui sont de doubles apostrophes à l’exposant, et qui ne sont pas suivis ou précédés d’espaces, car on suit alors la règle anglaise (ça va ? Ne meurs pas.). On les imbrique selon la règle suivante – et je dois mettre une image car le web est notoirement brouillon en termes d’espacement et de caractères spéciaux (qui a dit « spécieux » ?) :
Notons aussi que la ponctuation des dialogues vaudrait à elle seule trois articles dédiés. Et devinez quoi ? Ils existent, rhooo c’est quand même bien fait : 1) les bases, 2) le formatage classique, 3) le formatage moderne.
Les incises. Des espaces normales (comme ceci) encadrent une proposition entre parenthèses. Des espaces normales – comme ceci – encadrent les tirets semi-cadratins des deux côtés.
Et c’est à peu près tout. C’est quand même pas dur, non ?
Respecter la typographie française dans les studios d’écriture
Je recommande, je prosélytise, je scande le nom de Scrivener la bave aux lèvres et les yeux fous dès qu’il s’agit d’écrire, et j’ai bien raison (forcément), mais y a un truc : Scrivener ne sait pas gérer la typographie française, de base. Heureusement, il existe des contournements et des solutions très simples pour mimer le fonctionnement de Word dans ce domaine pour éviter d’interrompre son flow.
- La méthode pour Windows fait appel à la correction automatique intégrée au logiciel lui-même ;
- La méthode pour Mac et iOS fonctionne au niveau du système grâce à l’expansion de texte disponible dans les préférences clavier. (Ça a le bon goût de marcher partout, du Mac à l’iPhone, et c’est assez chouette.)
Et voilà. Avec tout ça, on a couvert probablement 90% du sujet, et un éditeur normalement constitué ne vous en demandera en principe pas plus.
Sauf si vous faites vos alinéas avec des tabulations.
Vous faites pas ça, hein ?
(le truc qui m’insupporte : un journal que je corrige a décidé, comme ça pouf pouf, de pas mettre d’espace avant les points-virgules. Raaah. Ça me fait mal à chaque fois.)(Ils ont aussi décidé de pas mettre de majuscules accentuées, mais par contre les C cédilles majuscules ça va. Va comprendre.)
Un autre truc qui m’énerve : libreoffice qui, dans une phraseinterrogative entre parenthèses, me vire l’espace avant le point d’exclamation. J’AI MIS UNE ESPACE JE LA VEUX BON SANG.
Je pensais que LO les insérait maintenant ? Sinon pour ton journal va falloir leur expliquer qu’ils se plantent 🙂
Il les insère, mais pas dans les parenthèses. Dans les parenthèses, il me les enlève. Va comprendre. (Et le journal le sait sans doute, mais s’en fout, c’est leur norme)
Il existe en fait plus de deux espaces en français, je dirai au moins quatre : fine, avant-fine, moyenne et forte (forte ou grosse c’est l’espace théorique entre deux mots). Toutes ces règles font partie de ce que l’on appelle l’orthotypographie, un domaine passionnant. Si je puis conseiller deux livres concernant les règles orthotypographiques mais aussi pourquoi on fait les choses comme ça, ce sont ces derniers :
* Lexique des règles typographiques en usage à l’Imprimerie Nationale : https://livre.fnac.com/a1329944/Collectif-Lexique-des-regles-typographiques (ma bible)
* Manuel de typographie française élémentaire de Yves Perrousseaux : https://livre.fnac.com/a13100/Yves-Perrousseaux-Manuel-de-typographie-francaise-elementaire (et tous les livres du sieur Perrousseaux, un vrai puits de science 🙂
En ligne, on peut aussi compter sur le dictionnaire Lacroux, une vraie mine d’information : http://www.orthotypographie.fr/intros/index.html
Super références Sylvadoc. Probablement plus qu’on ne peut faire avec un TTX classique, mais c’est très intéressant d’avoir ces infos. Merci ! ????
Effectivement, il me semble que Word ou Scrivener ne permettent pas de gérer une telle granularité, c’est souvent l’apanage de logiciel de PAO comme InDesign/Xpress/Publisher. D’ailleurs je serai curieux de savoir quels logiciels les éditeurs utilisent-t-ils pour concevoir le livre ? InDesign ? Ou quelque chose de plus spécifique encore ?
En général c’est plutôt InDesign (mais XPress fait de la résistance). Ces espaces fines ne sont effectivement pas du ressort de l’auteur, on n’a pas vraiment les outils pour ça. 🙂
Oui oui oui mille fois oui. Et si j’en chope un qui se sert de la tabulation… il ira rejoindre les morceaux de celui qui fait ses alinéas à la barre espace 😀
Mon obsession pour les espaces insécables est très heureuse de l’existence de cet article !
Fun fact : je ressens une irritation démesurée lorsque mon clavier de téléphone décide de m’enlever une espace insécable sous prétexte que le dernier mot de la phrase – et seulement lui – est un mot anglais.