Elisa Thévenet, journaliste pour le magazine littéraire en ligne Ernest, a conduit une enquête sur les couvertures de livres, leur évolution à l’heure des réseaux sociaux (notamment Instagram), leur situation un peu étrange en France (avec les illustrations de l’imaginaire Vs. la générale blanche). L’article est lisible ici pour les abonnés et résulte d’un certain nombre d’entretiens à tous les échelons de l’édition, dont avec ton humble serviteur, auguste lectorat. Entretien que, pour ma part, voici dans son intégralité, avec mes remerciements à Elisa Thévenet :
La tradition française défend depuis plus d’un siècle une ligne graphique très épurée (la blanche de Gallimard, la bleue de Stock), en tant qu’écrivain, quelle importance accordez-vous à la couverture (celle de vos livres, comme celle de ceux que vous lisez) ?
Je trouve la tradition française des couvertures épurées résolument déprimante, et je crois que cela contribue beaucoup à donner au livre une image rébarbative (que l’on a bien moins dans les autres pays du monde). Le livre est un objet autant que d’être du récit ; par conséquent, on préfère forcément, que ce soit comme lecteur ou auteur, de beaux objets en plus de beaux récits. On lit pour se faire plaisir ; pourquoi le livre ne refléterait-il pas cette invitation au voyage ? Mais en plus de la dimension esthétique, il y a aussi une dimension commerciale à la couverture : une belle édition attire le regard et peut-être l’intérêt et l’envie du lecteur, ce qui est évidemment primordial pour la viabilité d’un livre.
Forcément, pour mes propres romans, je suis donc ravi d’avoir de belles couvertures qui donnent envie ! Et j’ai toujours été magnifiquement servi par mes illustrateurs et illustratrices (que je remercie).
C’est généralement l’éditeur qui propose et choisit la couverture d’un livre, est-ce qu’il est difficile de déléguer un choix aussi important ?
Pas du tout, c’est même un soulagement. Je ne suis pas illustrateur, et je n’ai pas le pouls sur les goûts du public comme mon éditeur ; je laisse donc volontiers la main à ceux qui ont ces compétences que je n’ai pas. Je considère la couverture comme la première « adaptation » de l’univers romanesque à exister, avec ce que cela peut entraîner comme compromis nécessaires : le rôle de la couverture est d’inviter, d’évoquer et de magnifier, pas de représenter fidèlement. Donc, tant qu’il n’y a pas d’erreur factuelle flagrante contredisant le récit ou vendant la mèche, je suis ravi ; je donne bien sûr mon avis à mon éditeur quand il m’y invite, mais je lui reconnais toujours le dernier mot et je lui fais plus confiance qu’à moi-même dans ce domaine.
Dans la littérature (et surtout dans celle de l’imaginaire), les couvertures ont gagné en qualité et en élégance au cours de la dernière décennie. Les éditeurs font désormais appel à des illustrateurs renommés et proposent de plus en plus des objets-livres à leurs lecteurs. Comment expliquez-vous cette tendance ?
Il me semble que les éditeurs d’imaginaire font appel à des illustrateurs de renom depuis bien plus longtemps que cela, et même que l’édition d’imaginaire est presque indissociable de la notion d’image. Cependant, il est tout à fait juste que les belles éditions ont fleuri ces derniers temps d’une manière assez nouvelle.
Ce que j’expliquerais par deux aspects, le premier très prosaïque étant la baisse des coûts de fabrication du livre : il est désormais possible de réaliser de plus beaux tirages tout en conservant une marge de rentabilité raisonnable. L’avénement du financement participatif, également, permet de trouver les fonds pour des éditions très ambitieuses sans mettre une structure en danger.
L’autre point est le développement de la dématérialisation, le livre électronique bien sûr, mais le phénomène, global depuis des années, fait nécessairement évoluer le rapport du public à la culture dans son ensemble. Si le texte, l’œuvre en elle-même peut être consommée à un prix modique de manière « virtuelle » (voire pillée par le piratage…), alors il semble opportun de recapturer une part de la magie du support par de belles éditions et/ou du contenu additionnel.
Le beau livre fait partie intégrante de l’édition depuis des siècles ; ces deux composantes ensemble permettent donc de sauvegarder un peu la santé financière d’une entreprise, tout en se faisant plaisir et en faisant plaisir au public – ce qui est le meilleur modèle qui soit !
Propos recueillis par Elisa Thévenet