Je retombe là-dessus dans mes archives, une réponse à une stagiaire faite en atelier d’écriture, et je me dis, ben, autant l’archiver dans l’éther du vaste monde, en mode noté sur un coin de table, histoire que ça profite si ça peut. Quelles bases recommander pour l’écriture de romans choraux (= à points de vue multiples ?)
On pourrait écrire des manuels entiers sur la question (et nous avons un double épisode de Procrastination sur le sujet dans la saison 4 : part 1 / part 2) mais à mon sens, les premiers éléments auxquels penser sont :
- Faire en sorte que chaque ligne soit « saine » narrativement (chaque personnage doit avoir une raison d’être là, avoir des conflits et des volontés qui lui sont propres, des actions à réaliser), du début à la fin, avec des promesses narratives « payées » convenablement…
- … tout en s’assurant de son interdépendance avec les autres ou, a minima, le monde (sinon, pourquoi avoir ce point de vue-là, ou pourquoi avoir les autres si un seul suffirait ?)
- S’assurer autant que possible que chaque scène « fonctionne » à part entière en faisant à chaque fois avancer l’histoire (voir le jeu des conjonctions de coordination entre scènes)
- Panacher subtilement les ambiances pour conserver de la variété (par exemple, utiliser les alternances de points de vue pour varier le rythme entre fils narratifs promet de maintenir davantage l’attention à long terme, au lieu, mettons, de mettre toutes les scènes de combat de tous les fils narratifs au même endroit. L’histoire ne le permet pas toujours, mais quand on peut moduler un peu, c’est une bonne chose à réfléchir. Par exemple, si A se bat à la scène n, je peux avoir une scène plus calme avec B en emplacement n+1 pour marquer le contraste… ou bien, résolument, mettre toute la tension au même endroit – ce qui compte, c’est que ce soit des choix conscients)
- Utiliser un studio d’écriture qui permette une vision globale de son récit me paraît indispensable pour y voir clair (Word en mode plan, ou bien mieux, une application type Scrivener ou Ulysses, mais plutôt Scrivener pour ces raisons)
Un point d’importance à noter sur le roman choral (j’en sais, ahem, quelque chose) : c’est mécaniquement plus long qu’un récit avec un seul personnage (car on multiplie les interactions et les expositions). Et il faut prendre garde à avoir autant de points de vue que nécessaire pour servir l’histoire, mais pas davantage : car à chacun, on augmente mécaniquement le nombre d’interactions, de fils narratifs à maintenir tant pour soi que pour le lecteur, et le risque est de voir l’histoire s’effondrer sous le poids d’une complexité qui ne la sert pas. Mais on peut quand même monter pas mal en nombre (j’en ai entre 6 et 8 par volume de « Les Dieux sauvages », et ce n’est rien à côté du célébrissime extrême de La Horde du Contrevent, où Alain Damasio en fait intervenir une vingtaine).