Il y a treize ans, avec la naïveté qu’on peut avoir à treize ans (attendez, je vérifie mes notes) – non, qu’on pouvait avoir il y a treize ans, je m’offusquais ! Avec des mèmes ! De l’idée grotesque, grotesque comprenez-vous, que Facebook allait planquer le contenu de vos amis derrière un algorithme et que vous ne verriez plus le contenu auquel vous vous étiez abonné·e. Heureux que nous étions ! Candides et gambadant joyeusement dans les prairies numériques, pensant encore que nous vivions sur les forums de l’an 2000.
En 2025, Hank Green a réalisé une expérience édifiante, résumée par cet article (emphase de mon fait) :
Il a gentiment tenté d’attirer l’attention de ses abonnés sur sa boutique caritative pendant le Black Friday, tentative que Threads n’a montré à quasiment personne. […] Il a alors essayé autre chose : envoyer des réponses cyniques à d’autres posts visant à susciter la polémique, incluant un lien vers sa boutique. Ça s’est avéré une stratégie bien meilleure […] Voilà le business façon 2025, babyyyy.
Plus bas, un commentaire résume malheureusement bien la situation :
L’une des principales raisons de construire une communauté en ligne, c’est de pouvoir organiser des choses autour. Hank Green propose du contenu qui plait aux gens, ils s’abonnent, et il peut alors informer ce public d’éventuelles soldes sur sa boutique ou d’opérations caritatives à venir. C’est bon pour le public qui reçoit un contenu qui le divertit, c’est bon pour la plate-forme qui touche une commission sur les pubs montrées dans la conversation, et c’est bon pour Hank qui fait usage de son influence. […] Tout ce qui va de Threads à X en passant par TikTok combat activement ce modèle.
Voilà donc où nous en sommes en 2025, babyyyy. Après des atermoiements, une pause, un retour, puis le comportement de Meta sous l’administration Trump, j’ai clairement décidé que je refuserais dorénavant ces plate-formes, donc le fonctionnement n’est pas même pas activement toxique à nos institutions politiques, mais à toute forme de communauté humaine. Je me suis promis de ne plus jamais m’engager sur aucune plate-forme qui ne propose pas un fonctionnement non-algorithmique (d’où ma présence sur Bluesky uniquement, et évidemment ici, pour l’éternité + 1).
Je ne regrette pas un instant mon choix. Je suis bien plus serein dans ma tête, je suis heureux de vivre conformément avec mes valeurs, la qualité de mes conversations est bien supérieure. Plus le temps passe, et plus je me trouve dans ce que j’imagine être l’état du fumeur sevré : tout aperçu de ce monde sculpté par Meta, X et TikTok (la trinité de l’enfer) me semble de plus en plus invraisemblable, absurde et surtout tragiquement malade.

Cependant, soyons honnêtes : depuis cette étape, la fréquentation de ce blog s’est nettement mais sûrement érodée. Le fait que je n’aie pas publié de gros roman depuis L’Héritage de l’Empire n’aide pas non plus, bien sûr, donc ça n’est certainement pas la seule cause, mais quand même. L’impact existe. Quitter ces plate-formes et laisser à mes maisons d’édition bien-aimées la charge d’occuper le terrain pour ma promotion est aussi un cache-misère dont j’ai pleinement conscience : je confie à d’autres la charge de me vendre, ce qui est une position dont la dissonance ne m’échappe absolument pas et ne change rien au problème de fond.
La dure et terrible réalité, en 2025, est que, dans une activité de création, la visibilité reste importante, et le business façon 2025 nous laisse le choix, en très gros résumé, de nous comporter comme des chiens enragés pour gagner notre vie, ou bien de prendre le risque de ne pas la gagner et de cachetonner ailleurs pour couvrir les frais (ce qui me concerne de plus en plus). L’algorithme déclasse la bienveillance et la diplomatie. Voilà la dure réalité.
J’ai fondé Procrastination (et nous sommes vaillamment diffusés par Elbakin.net) dans l’espoir de contribuer avec mes camarades à tenir, vent debout, cet esprit des années 2000-2010 où l’on s’abonnait et suivait les gens simplement parce qu’ils proposaient des choses d’intérêt au lieu de créer du drama pour surfer sur le réflexe émotionnel qui consiste à cliquer sur le lien du message rageux. Ça aide, mais ça nécessite autrement plus de taf que de sortir une punchline rageuse à un tweet de merde.
Aujourd’hui, j’ai quand même un peu l’impression de jouer dans l’orchestre du Titanic. Je continuerai à jouer du violon parce que l’alternative – alimenter la roue à hamster – m’est devenu fondamentalement intolérable et même violent. Mais clairement, ça n’est pas le plus facile. Et c’est tout notre navire collectif qui est en train de sombrer avec.
Sur ce, BONNE JOURNÉE HEIN
Bonjour Lionel,
J’ai le sentiment qu’il y a « renouveau » de la newsletter ces derniers temps via des services dédiés, comme substack, Kessel, button down, etc.
Je vois que tu utilises un système de newsletter intégré à ton site. As-tu envisagé de publier aussi tes newsletters sur un de ces services ?
Certains ont des dirigeants discutables, et ils ont une part d’algorithmique aussi. Mais ça permet aussi de la découvrabilité, ils ont aussi des applis mobiles pour les consulter. Le SEO des sites étant devenu très compliqué depuis l’arrivée des recherches par IA, cela pourrait être un moyen faire découvrir ton travail d’une manière qui te correspond mieux.
Substack, jamais (je n’ai pas quitté Meta pour accepter leurs accointances nazies…)
Merci pour la suggestion. Mais je trouve que ces plateformes sont un énorme piège, qui est en train de refaire avec les NL ce que Meta nous a fait avec le lien social. L’intérêt d’une NL, c’est justement d’avoir le contact et le lien direct avec son public. La déporter sur une plate-forme supprime cet intérêt fondamental du contact direct… Et sinon, ce sont comme des blogs, et là aussi, pourquoi remettre encore son destin à un algorithme qu’on ne possède pas ? J’ai tout à fait conscience de l’importance de ces plate-formes dans le paysage, mais franchement, j’ai du mal à ne pas les voir comme des parasites cherchant à capter, emprisonner puis monétiser l’ouverture originelle d’Internet. Pour moi, une plate-forme est avant tout une tête de pont, et ne peut en aucun être un investissement complet (on a vu dix fois combien c’est risqué ces dernières années)…
Hello Lionel,
Je me reconnais complètement dans ton raisonnement (à la différence qu’en tant que créatrice d’entreprise, je ne me sens pas de quitter les réseaux sociaux malheureusement, qui m’amènent régulièrement depuis septembre des opportunités).
En revanche, j’en fais une utilisation fidèle à moi-même et à mes valeurs (de vieille visiblement). Je délaisse les contenus polémiques pour leur préférer la qualité, à la fois dans ce que je consomme et ce que je poste. Et je croise les doigts, très fort, pour ne pas être la seule à me retrouver dans cette manière d’être.
J’avais trouvé l’an dernier un peu d’air dans la plateforme Substack, mais qui malheureusement est de plus en plus contrôlée par l’algo, en plus d’avoir une politique douteuse ouvrant la voix , entre autres, aux nazis et autres suprémacistes blancs.
Bref, on a pas le cul sorti des ronces.
Des tendances disent que les jeunes délaissent de plus en plus les réseaux, mais est-ce un vrai mouvement ou juste un symptôme de surface ? Je voudrais croire qu’en restant des îlots de bonne volonté, on peut faire tache d’huile. Et que, petit à petit, on montre collectivement le désir d’un modèle plus sain. Hélas, tant que les plate-formes nous tiennent, nous sommes bien vulnérables…
Merci à toi de ton commentaire et d’être ce genre d’îlot de valeur 🙏
Bonjour Lionel.
Pour ma part, je fait un usage absolument immodéré des flux RSS. Et j’ai régulièrement des mails venant de ton majordome numérique, me demandant si je veux continuer à recevoir ta niouzletter. A chaque fois, je le congédie, non sans le remercier de ses services.
Ouiiii les RSS c’est la vie ! Je dois refaire un petit brief là-dessus pour 2025. J’y ai transféré aussi pas mal de newsletters pour alléger ma boîte mail.
Mes excuses pour Lucien, il n’est qu’un esprit numérique désincarné lié à moi par un rituel innommable et terrifiant. Forcément, ça le fait débloquer un peu. Je m’en vais de ce pas augmenter sa dose de terreur quotidienne en guise de châtiment.
Oui ce sont des choix pas évidents. D’un autre côté si tu tiens ta ligne, les algorithmes vont visiblement te tasser de côté. J’ai triché en postant depuis le blog sur Substack, mais c’est pas considéré de la même manière. Je fonctionne aussi avec Bluesky et les fils RSS. Et j’ai encore Linkedin, mais professionnellement je ne suis pas dans le même bateau que toi. Tous mes voeux de diffusion saine et retours positifs. Pas toujours évident de devoir faire la part des choses.
Merci beaucoup à toi. Reposter le blog sur une plateforme de newsletter pourrait être un moindre mal, mais comme toujours, on remet son destin à une plate-forme, alors que la promesse originelle du Net (et, par l’usage de cette expression, je montre mon âge extrême) était l’accès ouvert. C’est très certainement insoluble, j’en ai conscience.