La méthode Pomodoro m’a littéralement sauvé la vie (et la carrière) pendant des années en découpant l’angoisse d’écrire les monstres que j’écris en sessions de travail digestibles ; avec quelques raffinements développés à l’usage pour le travail de création. Au lieu d’écrire 15000 signes (ce qui est vaste), on travaille 25 minutes (ce qui est simple). Refaites suffisamment de tranches de 25 minutes et vous avez 25 ans (je dois à peu près en être à ce stade pour La Succession des Âges).

Un truc m’a cependant toujours gêné, c’est la nécessité pour moi de devoir travailler ainsi depuis plusieurs années de manière à conserver un rythme de production correct. Certes, j’ai plus d’ambition et d’expérience ce qui, dans mon cas, est paralysant (je vois beaucoup trop vite les défauts du premier jet) ; je construis aussi des histoires beaucoup plus complexes qu’à mes débuts. Cependant : si je crois en mon travail, si j’aime mes projets, pourquoi sont-ils si difficiles à exécuter, au point que j’en doive me tromper l’esprit en découpant la journée en tronçons brefs ? Pourquoi parvins-je à rentrer tous les jours 1000 signes chaque matin en déplacement en 10-15 minutes quasiment sans difficulté, mais qu’une journée de travail libre n’en fournit parfois que 3000 ?

Pendant longtemps, je l’ai expliqué en me disant qu’avec des Pomodoros, je ne découpais pas l’effort (qui ne m’a jamais fait peur) mais l’angoisse (qui fait peur. C’est, heu, son job). Mais la méthode Pomodoro n’est pas sans défaut – toutes les journées ne sont pas égales, tous les efforts non plus. On peut ramer sur un détail pendant quinze minutes, comme tracer 2000 signes en une demi-heure. Un tronçon de 25 minutes est un tronçon facile à concevoir, mais il ne reflète pas vraiment, à mon goût, la nature de l’effort dans le cadre de la rédaction soutenue (le plus difficile dans mon cas). Parfois, ça roule. Parois, c’est la misère. C’est ainsi.

Et si, tout simplement, on changeait la métrique ? D’intervalles de temps, arbitraires et inégaux, on passait à une tranche de signes écrits, indiscutable et tangible ? Je travaille ainsi depuis quelque temps et les résultats sont comparables avec la méthode Pomodoro – ce qui est bien – mais sans la légère culpabilité de ne pas arriver à me botter les fesses temporellement – ce qui est bien, bien mieux. I give you, donc, la méthode Pomodosignes, extrêmement simple pour l’écriture et, pour ma part, bien plus gratifiante. Tout simplement, une pause de 5 minutes est permise tous les 2000 signes écrits (ajustez l’intervalle selon vos besoins ; par exemple, j’ai essayé 2500, c’est trop pour mon mental de poisson rouge).

Plus spécifiquement, la journée prend en compte les spécificités de l’effort bien particulier que représente la rédaction au long cours.

  • Le premier créneau est consacré à la reprise de contact avec le projet. On reprend ses notes, on relit, on se remet dedans, et on n’a qu’à écrire 1000 signes pour se permettre une pause. En déplacement, en période difficile ou d’urgence autre que l’écriture, on peut s’arrêter là ! On a déjà avancé.
  • Ensuite, on procède par tranches de 2000 signes. Chaque tranche octroie 5 minutes de pause. La beauté de la chose, c’est que cela prend en compte les sessions où l’on ne veut pas s’arrêter parce qu’on est possédé par l’écriture. J’ai fait 5000 signes au lieu de 2000 avant de m’essouffler ? J’ai droit à deux pauses, et la prochaine tranche ne requiert que 1000 signes avant de m’octroyer un nouveau bout de saucisson. C’est incitatif, directement corrélé à la quantité de mots produits dans le document, ramène l’attention à la production de matériel tangible, au lieu de l’aspect parfois flou de sessions de travail fondées sur le temps. Mais cela accepte aussi que, parfois, une phrase coûte plus cher que trois paragraphes entiers.

Tous les studios d’écriture (Scrivener, Ulysses) permettent en outre de calibrer sa session de travail en signes et de conserver un indicateur graphique de son progrès sous les yeux. Je recommande de commencer donc par calibrer la journée à 1000 signes, puis d’aller de 2000 en 2000 : c’est idiot, mais c’est une motivation colossale de voir enfin une barre de progrès de rédaction que l’on remplit régulièrement au lieu de cet énorme objectif idéal que, soyons honnêtes, on n’atteint jamais.

Scrivener permet d’éditer ses objectifs du jour, et notifie même quand on les atteint.

Évidemment, ça ne fonctionne que pour la rédaction, mais je trouve la planification et la réflexion bien moins difficiles à encadrer. Quand on rêve, tout est idéal, complet, juste ; les mots sont parfaits, le message est d’autant plus idéal qu’il peut demeurer inconsciemment vague à l’esprit et donc porteur des contradictions révélant l’absence de tout choix. La véritable épreuve du feu, c’est faire descendre cet idéal dans l’incarnation du langage ; c’est là, donc, que l’on peut bénéficier d’un coup de pouce comme ce genre de méthode.