Procrastination podcast s05e11 – Les règles magiques de Brandon Sanderson part. 1

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Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : “s05e11 – Les règles magiques de Brandon Sanderson part. 1“.

Brandon Sanderson est un des auteurs américains d’imaginaire contemporains de premier plan, célèbre pour ses sagas ambitieuses et ses mondes complexes, œuvrant dans le domaine de la science-fiction et surtout de la fantasy. Pour s’aider dans sa propre création de systèmes magiques, il a formulé trois « lois » ou « règles » qu’il va être question de formuler, décortiquer, questionner et commenter, à la lumière toute particulière de Mélanie, traductrice officielle de Sanderson en français.
La première loi dit « la capacité d’un auteur à résoudre un problème par la magie est proportionnelle à la compréhension que le lecteur a de ladite magie ». Que signifie et comment s’applique cette formulation digne de l’énoncé de la gravitation universelle ?

Références citées
– Brandon Sanderson, « Fils-des-Brumes »
– J. R. R. Tolkien, Le Seigneurs des Anneaux
– Georges Lucas, « Star Wars »
– Hayao Miyazaki, Princesse Mononoké
– Ellen Kushner, À la pointe de l’épée
– Hayao Miyazaki, Le Voyage de Chihiro
– Mathieu Gaborit, « Les Chroniques des Crépusculaires »
– Brandon Sanderson, « Les Archives de Roshar »

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

Bonne écoute !

2021-03-01T18:27:32+01:00lundi 15 février 2021|Procrastination podcast|Commentaires fermés sur Procrastination podcast s05e11 – Les règles magiques de Brandon Sanderson part. 1

Une facilité courante : la construction en analepse

Bon alors, “facilité”, on s’entend, hein :

  • Il n’y a pas de “fautes” en art ; il s’agit ici de questionner son travail, et de se dire : “ai-je bien servi mon projet de la manière la plus efficace pour un public ?”
  • Quand je dis que cette construction est une facilité courante, ce n’est pas qu’elle à bannir, mais que son usage, surtout répété, mérite d’être interrogé dans le but de → rendez-vous au point précédent.

Mais si j’en parle, c’est que je suis frappé par sa fréquence dans les textes de jeunes auteurs (et des moins jeunes, y compris publiés). Et que j’en abusais aussi, moi-même, dans mes premiers jets. Et que, si c’est évidemment une construction tout à fait valide, puisqu’elle existe, elle est drôlement pratique, peut-être un peu trop, et que cela pousse donc à s’en servir avec parcimonie pour éviter ses défauts, car elle en a, et un peu trop aussi.

Mais mettons donc la charrue, puis les bœufs.

Qu’est-ce qu’une analepse ?

C’est un mot savant pour dire, en gros, “flashback. Tout ce qui se passe antérieurement à l’action du récit est une analepse :

Bob partit à la plage, car il avait vu la veille qu’on avait prédit une accalmie dans les invasions de méduses tueuses. Il était content d’avoir son maillot de bain en kevlar.

Où est l’analepse ? Tout à fait, c’est la cause dans ce récit passionnant et d’une grande qualité stylistique : “il avait vu la veille”, toussa.

L’analepse, c’est donc très pratique – ça permet de saupoudrer des explications au passage sans briser le rythme d’un récit, au moment où on en a besoin. Si, la veille, Bob a serré sur Tinder, on s’en tape un peu qu’au passage l’auteur nous raconte qu’il s’est intéressé à la météo. On veut voir le début d’une grande histoire d’amour, et si l’auteur a un cœur, c’est ce qu’il nous racontera, car on a tous besoin d’amour dans un univers envahi par des méduses tueuses.

Qu’est-ce que la construction en analepse ?

C’est un terme à moi, donc n’allez pas me citer en composition de khâgne, sauf si vous voulez me donner l’air malin et à vous pas du tout. Mais : la construction en analepse fonctionne de façon très simple :

  • Je débute ma scène : il se passe une action de ouf, je démarre dans le feu de l’action, yeaaaah
  • … mais il faut expliquer comment on est arrivé là, sinon on va rien piger, donc j’insère une analepse (souvent longue – c’est là que ça commence à coincer)
  • … et je reprends le feu de mon action style on a rien vu

Sauf que si. Par exemple :

Bob partit à la plage armé de son maillot de bain en kevlar, le cœur débordant de tension amoureuse. La veille, il avait matché avec Plectrude sur Tinder, une Franque qui aimait les fruits de mer. La vaillante Teutonne lui avait avoué qu’elle ne craignait aucunement les méduses tueuses, puis, à titre de démonstration et de préliminaires, avait procédé à un gobage de cnidaires urticants pêchés dans l’aquarium de l’appartement de Bob quand il l’avait ramenée chez lui, prélude à davantage de délices culinaires. Il devait la retrouver ce jour-là non loin de la piscine de gélatine… 

… Je résume l’analepse, hein, parce que là ça irait encore, elle est courte (et encore, vu que j’ai presque deux niveaux d’analepse, c’est encore moins digeste, comme vous pouvez le voir) mais, en général, l’analepse en question prend quelques épais paragraphes. Voire pages. Et là le collant blesse. Ou le b(ât)as.

Quel est le problème ?

Encore une fois, ce n’est pas forcément un problème, mais cela peut en poser.

Une analepse vient s’insérer antérieurement à l’action qui vient d’être établie (c’est tout le principe, hein) mais cela entraîne une difficulté : elle donne l’impression d’un coup de frein, on « halte » l’action principale pour raconter autre chose. Regardez la construction plus haut : je démarre sur une action fascinante (ou pas) mais dégringolade, on me suspend pour me donner de l’exposition (car à ce stade, l’analepse est une exposition) et… ben, ça coupe l’élan.

Or, si l’on a posé des questions narratives intéressantes avant le flashback, le lecteur veut que l’action principale continue ; cela peut être une technique pour jouer sur son impatience, mais… il faut être prudent quand on joue avec l’impatience du lecteur. À noter que cela part souvent d’une excellente intention : partir dans l’action, le plaisir, direct, pour faire avancer l’histoire ; mais s’il faut une page d’exposition pour qu’on comprenne, cela entraîne l’effet inverse, genre coup de rênes dans la tronche d’un cheval lancé à fond.

Est-ce à dire que c’est à proscrire à jamais ? Évidemment que non, mais il est bon d’avoir conscience des limites de la construction (de son effet “frein”) et donc de savoir ce qu’on fait – plus l’action principale est effrénée, plus un coup d’arrêt donné tôt sera frustrant. (Plus tard… il peut être “gagné”, au contraire – le lecteur est suffisamment pris pour tolérer un peu d’exposition et de ralentissement et vouloir avoir le fin mot de l’histoire… à vous de juger / doser. Mais c’est presque un autre sujet.) Cela peut aussi trahir dans un premier jet la situation d’un auteur qui part à fond dans son action avant de se rendre compte qu’il ne sait pas comment il en est arrivé là et a besoin de se l’expliquer à lui-même. Aucun problème au premier jet ; mais à la correction, on s’interrogera sur la pertinence de cet “échafaudage”.

Des manières avantageuses de remplacer la construction en analepse

La plus simple à mon goût est tout simplement… de ne pas faire d’analepse. C’est-à-dire d’antéposer tout simplement la narration, soit sous forme de résumé rapide, soit, encore mieux, si c’est intéressant, de donner corps à cette fameuse scène. Dans l’exemple avec Bob et Plectrude, cette soirée romantique a l’air passionnante et j’aimerais la voir détaillée par le menu (fruits de mer), que l’auteur fasse battre mon cœur de fleur bleue en développant le début de cette romance invertébrée. Mais au pire, placer l’exposition avant le début de l’action en échangeant le plus-que-parfait pour les temps de narration classiques fonctionne déjà pas mal pour vraiment pas cher… Essayons :

Le soir même, Bob matcha avec Plectrude sur Tinder, une Franque qui aimait les fruits de mer. La vaillante Teutonne lui avoua qu’elle ne craignait aucunement les méduses tueuses, puis, à titre de démonstration et de préliminaires, procéda à un gobage de cnidaires pêchés dans l’aquarium de l’appartement Bob quand il la ramena chez lui, prélude à davantage de délices culinaires. Le lendemain, Bob partit à la plage armé de son maillot de bain en kevlar, le cœur débordant de tension amoureuse. Il devait la retrouver non loin de la piscine de gélatine… 

Il faudrait polir un peu tout ça parce que c’est pas terrible quand même, mais vous avez compris l’idée : l’exposition / résumé passe finalement mieux ; trois phrases et nous sommes dans le cœur de l’action, à nous demander s’il y aura à un moment un requin pèlerin dans toute cette histoire (plot twist).

Soit dit en passant, c’est une situation à laquelle on est spécialement confronté dans le roman choral (points de vue multiples, comme « Les Dieux sauvages »), parce que l’on est bien obligé de résumer ce qui s’est passé pendant qu’on était concentré sur les autres personnages… c’est là que les techniques d’exposition par le conflit livrent toute leur utilité (pour mémoire, je repropose un atelier à distance sur le conflit en août), et que gérer la transmission de son information en la faisant passer de manière “transparente” à travers l’action, dans les interstices subtils où elle ralentit, par la simple caractérisation des personnages peut être extrêmement efficace. Pas facile, ça non, mais efficace parce que : invisible.

Mais déjà, on peut régler à mon sens deux cas sur trois d’analepses malvenues avec les simples techniques proposées plus haut, et si on en laisse une sur quatre dans le premier jet, c’est convenable (statistiques purement personnelles, ne les appliquez pas sans réfléchir) – comme je dis, ce n’est pas à bannir. Il reste donc… heu… 8% d’analepses à faire passer autrement. Ça n’est pas insurmontable.

2020-05-29T20:45:02+02:00mardi 9 juin 2020|Best Of, Technique d'écriture|1 Commentaire

Compassion, mais prison

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Bon, auguste lectorat, c’est un article sérieux, voire important pour moi. Sachant que tout cela n’est que vision de l’esprit, proposition, attitude personnelle. Combat continuel, d’ailleurs, sur lequel je n’oserais prétendre à l’impeccabilité. Mais, par les temps qui courent, c’est un truc qu’il me semble important de partager.

Je cite souvent ce philosophe de l’extrême qu’est Ken le Survivant en version française : “les temps comme les œufs sont durs”. Lapalissade, l’état du monde, la dérive sécuritaire, que ce soit envers la délinquance ou le terrorisme, etc. Encore une fois, avec les événements de Nice la semaine dernière, les réactions s’enflamment, les politiques s’en emparent, etc. Les commentaires tendent à aller dans deux directions :

  • Répression, davantage de mesures sécuritaires, voire restrictives des libertés ;
  • Tentative de compréhension plus vaste de l’événement par la géopolitique, l’économie, la sociologie.

Le débat se prend un mur quand les deux points de vue se rencontrent. Les premiers (traditionnellement de droite) reprochent aux seconds leur angélisme, leur laxisme, leur vision peu réaliste du monde ; les seconds (traditionnellement de gauche) reprochent aux premiers leur autoritarisme, leur réponse à la violence par d’autres violences et l’entretien d’un cycle sans fin.

Parfois (et même souvent), ces deux visions luttent dans la même personne. La réaction aux attentats, par exemple, peut mêler la peur, la colère (et donc des envies se rapprochant de la première réponse) à l’inquiétude de l’avenir, un ferme attachement à des valeurs républicaines (encourageant la seconde réponse). À force de peur, de colère, la seconde réponse cède parfois la place à la première (comme le chantent les Fatals Picards) – c’est exactement, soit dit en passant, faire le jeu des terrorismes qui cherchent à construire une rhétorique manichéenne.

J’aimerais humblement soumettre à l’Internet multimédia que l’erreur fondamentale consiste à considérer – selon la rhétorique exposée plus haut – que ces deux visions du monde sont fondamentalement irréconciliables. Que quelqu’un qui souhaite de la sécurité ne cherche nécessairement pas à expliquer ni améliorer la situation, ou que quelqu’un qui cherche à comprendre entraîne obligatoirement le chaos. Je soumets donc au vaste monde un principe développé avec un ami proche lors d’une soirée de refaisage de monde (y avait effectivement du rhum arrangé, merci), que nous avons baptisé : “compassion, mais prison“.

Voici le cas général dont il a fini par dériver. Un fait divers comme il y en a hélas tant met en scène le crime tragique d’une mère de famille seule, submergée par sa charge et le désespoir, qui assassine ses trois enfants.

La première réponse condamne, conspue, hue et s’émeut d’un tel “monstre”, “ne comprend pas comment c’est possible”, voire appelle au bûcher. La seconde (qui ici incarnerait probablement l’avocat de la défense) place le cas de cette femme dans le désespoir qui est le sien, la maladie mentale qui l’atteint peut-être, etc.

Nous posons (avec mon camarade, car il détient autant la paternité de cette discussion que moi) que l’on peut parfaitement nourrir de la compassion pour cette pauvre femme, qui a été poussée à un acte inimaginable, et qui, surtout, va devoir vivre avec pour le restant de ces jours – je ne sais pas si vous imaginez ; si le crime choque les consciences, que dire que la personne qui l’a commis ? Mais que, dans le même temps, cela n’empêche nullement de la juger coupable ; d’appliquer la loi avec toute la fermeté requise ; et de s’assurer que la peine soit purgée. (Rappelons que dans une société civilisée – à vous de juger si nous en sommes une – la prison n’a théoriquement pas pour but de châtier mais de protéger la civilisation de ses éléments dangereux qui sont mis à l’écart.)

Id est : Compassion, mais prison. 

Il n’est pas honteux de désirer la sécurité, la paix, le calme, pour soi et ses proches. Il est nécessaire de comprendre le contexte plus vaste d’un crime, quelle que soit sa nature, de manière à faire progresser la société, voire le monde. On peut simultanément désirer plus de sécurité dans un quartier difficile, que les responsables soient identifiés et arrêtés, maintenant, tout en comprenant que la délinquance est due à un déficit d’éducation et qu’on ne relèvera jamais la situation sans un projet ambitieux de société, demain. On peut exiger la sécurité sur son sol, dans les transports, refuser les discours intégristes, maintenant, tout en mesurant qu’il existe des pans de société livrés à eux-mêmes et que bombarder des positions civiles à l’étranger risque d’alimenter davantage le terrorisme, demain.

See what I did there? 

La première réponse concerne le présent. La seconde concerne l’avenir. La première traite de la situation dont on a hérité et des façons de la cadrer, la seconde de projets pour construire un meilleur héritage. Il n’est pas étonnant que les deux dimensions se heurtent parce qu’elles ne parlent pas de la même échelle ni du même problème, et, pour cette raison, justement, elles ne devraient pas s’opposer mais se compléter. J’avance aussi que, dans le cœur et la conscience de chacun, il n’est nullement impossible de nourrir de la compassion pour un criminel, que son chemin / sa souffrance / sa maladie mentale aura amené sur un chemin terrible et sanglant, tout en s’assurant avec la dernière des énergies qu’il se retrouve bien sous les barreaux et qu’il y reste. Compassion (je suis désolé au sens du regret sincère), mais prison (je suis désolé au sens de la fermeté indiscutable).

Nous protestons beaucoup sur la classe politique et son ineptie, ces temps-ci. Pour certains, la solution est d’abandonner les urnes – comme si la classe politique était une fatalité imposée d’en-haut. Je ne nie pas leur aspect élitiste, leur structure de “classe”, relativement étanche – mais une des paroles sur la démocratie, la société, le monde les plus importantes à mon sens a été prononcée par Gandhi : “Sois le changement que tu veux voir dans le monde”. Personne ne change le monde tout seul ; personne ne peut l’endosser tout entier ; mais personne, également, n’est exempt de toute empreinte. Les actes, les paroles, aussi faibles soient-ils, comptent. C’est l’histoire d’une petite fille excédée qui hurle sur sa maman, alors sa maman excédée hurle son papa, alors son papa excédé hurle sur un conducteur dans la circulation, alors le conducteur excédé qui dirige une entreprise hurle sur ses employés, alors un des employés, excédé, hurle sur son épouse, laquelle est institutrice de maternelle et qui, excédée, hurle sur ses élèves, dont la petite fille du début.

Si la classe politique est une fatalité et qu’on a raison de mettre le suffrage universel en faillite (ce dont je disconviens – merci de ne pas détourner les commentaires vers le sujet de l’abstention, la modération sera sans pitié), alors la parole de Gandhi est fondamentale. Si la classe politique n’est pas une fatalité et que le suffrage universel a sa place, alors la parole de Gandhi est fondamentale aussi, car c’est par le travail de chacun qu’on pourra peut-être arriver à mériter une classe politique de meilleure tenue.

Compassion, mais prison, c’est dire qu’il n’est absolument pas impossible de se soucier d’avenir en s’inquiétant du présent, mais aussi, et c’est fondamental, que, quelle que soit l’action proposée ou entreprise, il ne faut jamais hypothéquer l’un au profit de l’autre.

Maintenant, c’est dit, faites-en ce que vous voulez.

2016-07-18T11:36:54+02:00jeudi 21 juillet 2016|Humeurs aqueuses|8 Commentaires

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