À Étonnants Voyageurs, Sylvie Miller et moi-même avions repéré une superbe frégate de l’âge d’or de la marine en bois à quai juste devant le festival ; passionnés par la question tous les deux et découvrant qu’on pouvait visiter le bâtiment, nous avons décidé de nous octroyer une grosse heure pour monter à bord – et prendre toute une bordée de photos. Se documenter, c’est bien, mais sentir les espaces, les odeurs, se tenir dans l’entrepont et s’imaginer à la place d’un marin ou d’un capitaine au long cours en pleine tempête ou sous le feu de la bataille, voilà qui est bien plus drôle – et écrire, c’est surtout ce plaisir-là, en tout cas pour moi.

On m’a parfois dit que le vocabulaire de marine présent dans La Volonté du Dragon était complexe ; aussi, au-delà des définitions parfois laconiques d’un dictionnaire, je vous invite à une petite visite guidée en situation. Le navire amiral de La Volonté est certes un cuirassé à vapeur dranique sans équivalent dans notre monde, mais les termes restent globalement les mêmes entre une barque à rames et un porte-avions. 

L’Etoile du Roy (mon coeur amoureux), puisque c’est son nom, est une réplique d’une frégate corsaire à trois mâts du XVIIIe siècle, équipée de douze petits canons épais comme un gros bras – rien à voir avec les bouches à feu monstrueuses des vaisseaux plus lourds – mais capables de causer de réels dégâts à l’équipage adverse, au gréément et même à la coque si l’ennemi est assez proche. Pour la petite histoire, les canons de marine avaient une portée efficace de plusieurs centaines de mètres, jusqu’à un kilomètre pour certains, ce qui fait des affrontements rapprochés entre navires, où les marins peuvent se regarder dans le blanc des yeux, une image épique et très cinématographique mais relativement peu réaliste. (C’est la raison pour laquelle les marins de « L’Impassible armada » s’affrontent aux caronades, qui sont les canons de courte portée, après avoir épuisé les boulets des pièces plus imposantes : je voulais retrouver cette image en restant fidèle à la réalité historique. Même si la réalité se barre en sucette dans ce texte…)

Même si le gréément de l’Etoile du Roy est pleinement fonctionnel et nécessite tout un équipage pour la manoeuvre, il est difficile de se passer de certains conforts modernes, ce qui donne lieu à des anachronismes rigolos :

La hune est la plate-forme située au premier tiers de la hauteur des mâts ; elle peut servir de point d’observation mais permet surtout de manipuler les voiles supérieures.

Il faut quand même avouer que le réseau de cordages d’un vrai trois-mâts est un monstrueux sac de noeuds. Ici, l’entre-deux des gaillards, la zone située entre les deux parties relevées du navire, à la proue (l’avant, cf le terme « figure de proue ») et à la poupe (l’arrière), nommées gaillards, châteaux (ou dunette pour l’arrière). Un navire s’étage en ponts, sachant que le pont supérieur s’appelle le tillac.

C’est sur la dunette qu’on trouve la barre (qui peut être ronde…), laquelle commande au gouvernail. Ici, le commandant Sylvie Miller, prête à aller couler de l’Anglais.

Le capitaine prenait ses quartiers dans le château arrière, lequel offre une vue panoramique sur la mer. Il y a une très belle scène dans Master and Commander où Aubrey et Maturin discutent autour d’un dîner dans cet espace.

L’espace sous le tillac s’appelle l’entrepont, réservé à des fins diverses en fonction du rôle du bâtiment. Le plafond de cet espace est très bas et on imagine sans mal qu’il peut devenir oppressant et étouffant dans le coeur d’une tourmente.

Les marins dormaient dans des hamacs pour des raisons de place (cela se replie et se range très facilement) mais aussi de confort. Un hamac suspendu a tendance à contrebalancer roulis et tangage, ce qui évite de se cogner partout. J’ai testé pour vous : il y a quelques années, j’ai dormi sur une couchette classique, à l’avant d’un chalutier pris dans des creux de plus de cinq mètres. À chaque fois que le navire fendait une lame et s’abîmait dans un creux, je décollais littéralement de la couchette. À chaque vague. Je vous laisse imaginer le confort. (Quoiqu’au bout d’un moment, être assommé contre la coque aide à dormir.)

Monter dans un hamac nécessite un peu d’habileté et de confiance : il faut se jeter dedans aveuglément, ou bien il se dérobe et vous fiche par terre.

(Je ne suis pas certain du tout que ce hamac-là soit conforme à l’époque, par contre.)

Et c’est ainsi que, gagnés par l’époque, nous avons tout naturellement terminé la visite par une mutinerie afin de nous approprier ce superbe bâtiment que nous refusions de quitter.

Yarrrh !