« Tu vois, Canard PC, il se vendent 4,30 € et c’est en couleurs, alors qu’un livre c’est 20 € et y a même pas d’images dedans. C’est bien la preuve que les éditeurs se foutent de nous. »
Ne hurlez pas, ce sont des paroles vraiment entendues à la queue du supermarché. (Et si vous trouvez cette phrase frappée au coin du bon sens, vous avez besoin de lire ce qui suit.)
Alors qu’on réfléchit beaucoup à l’avenir, à la stabilité du marché du livre, que les questions du coût public et de la rémunération des auteurs se posent de plus en plus, et qu’on constate, globalement, une méconnaissance des mécanismes économiques du marché, je pensais qu’il pourrait être utile d’exposer très rapidement comment, au juste, fonctionne l’économie du livre, de l’auteur au point de vente (et donc au lecteur). Dans l’espoir de répondre à la question : pourquoi un grand format coûte-t-il 20 € (en moyenne) ?
La réponse est assez simple : la présence d’un livre sur le marché (donc accessible à toi, auguste lectorat) n’est pas le fruit du travail d’une seule personne, l’auteur. Note bien la formulation : « la présence d’un livre sur le marché » et « le fruit du travail ». Le livre, en soi, résulte principalement du travail d’une seule personne, son auteur (avec le concours de l’éditeur et de ses correcteurs, qui, par leur regard extérieur, amènent l’auteur à retravailler son manuscrit afin qu’il soit le meilleur possible, et dont le regard, à mon sens, est indispensable.)
Mais un livre achevé existe-t-il pour autant sur le marché ? Non, absolument pas.
Il manque plusieurs choses à cela :
- Il faut, évidemment, fabriquer le livre (le mettre en page, puis l’imprimer) ;
- Il faut transporter le livre jusqu’au point de vente, et pour cela, il faut convaincre le point de vente de le prendre ; ce rôle, souvent mal connu, revient à la diffusion / distribution, au cours d’une opération dite de mise en place1. Si personne ne propose le livre, qui le verra, et si personne ne le voit, qui l’achètera ? Car la place sur les étals est limitée ; et la vie d’un livre sur une étagère est de plus en plus courte.
- Il faut vendre le livre au lecteur susceptible de l’acheter ; c’est évidemment le rôle du libraire, qu’il soit indépendant ou appartienne à une chaîne ;
- Il faut promouvoir le livre ; en parler, en faire parler, c’est le rôle de l’attaché de presse, qui travaille en interne chez l’éditeur ou bien en consultant. Si personne ne donne envie de l’acheter, personne (ou presque) ne l’achètera.
Tous ces maillons de la chaîne (d’où le fait qu’on parle de chaîne du livre) ont évidemment besoin d’être rémunérés ; il y a des salaires, des charges, des loyers, etc.
Alors, qui gagne quoi ? La réponse en images, sur le prix de vente public du livre :
On constate aussitôt que l’auteur gagne le moins, alors que sans lui, le livre n’existe pas. C’est un état des choses regrettable, mais c’est le reflet de la complexité de la vente du livre aujourd’hui : notamment le porter à la connaissance du public, en une ère de production et d’information pléthoriques. (Sur ce danger potentiel pour la survie de la création de qualité que fait peser la généralisation de la distribution, en distordant le marché du côté de la commercialisation pure, je te renvoie à cet article de 2010, auguste lectorat : « Comment la libération de la diffusion fait le lit des publicitaires » ) Un suivi commercial de qualité se paie – et l’on espère tous se rattraper sur les chiffres de vente. Pour ma part, je n’émets aucune opinion sur l’état des choses. Bien sûr, j’aimerais gagner davantage, mais si j’ai le choix, je préfère gagner davantage parce que mon livre se sera mieux vendu, et pour cela, je suis prêt à gagner moins, en proportion, tant que je gagne ma vie au bout du compte.
En particulier, on entend souvent s’interroger, notamment, sur la part prise par le détaillant. Mais il faut savoir que le détaillant, le libraire, est celui qui paie le plus de charges fixes, en proportion (locaux, salaires), plus une gestion très lourde d’un inventaire, en particulier pour un petite structure.
Voilà pourquoi un livre en grand format coûte une vingtaine d’euros. Il faut rémunérer tous ces acteurs (plus le traducteur, le cas échéant, et un bon traducteur coûte cher) ; or, l’on connaît à peu près les chiffres de vente sur lesquels on peut tabler en moyenne, ou que l’on espère. Les grands groupes d’édition disposent de logiciels de planification très savants intégrant toutes ces charges (les plus petits le font à la main) de manière à cerner le point d’équilibre ou point mort, là où le livre se soldera par une opération blanche (tout le monde est payé, mais le livre ne réalise pas de bénéfices). Il réalise ainsi son budget, sur le livre, en prenant en compte aussi l’intégralité de ses activités (il peut accepter de perdre de l’argent sur un livre qu’il estime important s’il a de bons vendeurs par ailleurs ; ne cognez donc pas l’éditeur qui sort du gros succès qui fait grimacer l’esthète que vous êtes, regardez l’intégralité de son catalogue ; s’il publie par ailleurs des livres exigeants, ce n’est pas un putassier, c’est, tout au contraire, un bon gestionnaire).
Voilà qui est déjà bel et bien pour aujourd’hui ; mercredi, suite et fin du sujet, où nous parlerons plus spécifiquement du poche et du numérique.
- Camarades du milieu, je simplifie un peu, je sais, mais c’est un article à vocation didactique. ↩
Bonjour,
En fait en lisant cela je ne suis pas convaincu du bien fondé de la politique des prix pour 2 raisons :
– la part prise par le diffuseur ne l’est pas toujours. De souvenir le diffuseur est soit un syndicat qui va prendre en charge la vente dans son réseau de partenaire soit la maison d’édition et à ce moment là c’est ça en plus pour la maison d’édition
– la part prise par le détaillant est assez monumentale. 1/3 du prix du livre va chez le détaillant donc la FNAC ou le libraire. Par rapport à l’auteur c’est 3 fois plus … Pour un travail moindre ( au mieux un peu de conseil mais plus souvent une simple exposition en rayon ).
Au delà de cet aspect j’achète toujours mes livres en grand format quand c’est possible ( donc quand ils sont accessibles ).
Il y a aussi le travail fait autour de certaines éditions qui commence à être intéressant en France. Par exemple chez Bragelonne ils travaillent vraiment tout le livre sur certaines éditions pour avoir non seulement une belle histoire mais aussi un beau livre. C’est un plus je trouve.
La diffusion ne fonctionne pas comme ça. Le diffuseur se charge d’aller mettre les livres en place, ce qui nécessite des commerciaux et du talent pour pousser un livre. C’est loin d’être acquis.
Pour le libraire, un vrai libraire fait un travail qui va bien au-delà de la mise en rayon (qui elle aussi est un travail). Voir l’article: un libraire a des charges et des impôts très élevés par rapport au reste de la chaîne.
Je ne suis pas contre gagner davantage, personne n’est contre gagner davantage, mais il me semble que le faire au détriment de la librairie, c’est scier la branche sur laquelle on est assis.
Oui…. Enfin juste un bemol….comment expliquez-vous que certaines series de fantasy, bien que publiees il y a plusieurs annees ne sortent pas en format poche? N y aurait il pas un lien avec le fait que les lecteurs de ce type d ouvrage ont des ames de collectionneurs….et par voie de consequence de vaches à traire????
Peut-être que les éditeurs poche n’y croient pas ?
Peut-être que les sorties poche n’ont pas marché ? (Il y a une demi-douzaine de cas de fantasy sur des séries dont la sortie poche s’est mal passée et qui, re-réédités en grand format, ont cartonné.)
Quasiment tous les éditeurs rêvent d’arriver en poche, car c’est l’assurance d’entrer dans le fonds du catalogue et d’obtenir une visbilité nouvelle. En général, on VEUT être en poche. Il n’y a pas des conspirations partout…
Et sinon, comme énoncé dans l’article, la sortie poche n’est pas automatique, bien au contraire.
je ne suis pas d’accord avec toi au sujet des formats. tout d’abord, il faut savoir que même dans une grande maison d’édition, le directeur de collection du format poche section sfff (pffffffffffffffffff) n’a rien à voir avec le directeur de la collection sfff (pfffffffff)))))))))) grand Format. Tout directeur de collection a des choix à faire. Des choix par rapport à ses goûts, certes, mais aussi à la rentabilité de sa collection ( et en général, pour les romans traduits, ils se basent sur l’expérience de l’éditeur du pays d’origine.) Et puis tu as les maisons d’éditions qui n’ont PAS de format poche. et donc là, c’est aux éditeurs publiant ce genre de format d’acheter les droits. encore faut-il que le premier veuille bien les vendre, et dans ce cas, à un prix qui ne soit pas prohibitif pour l’éditeur de poche. Maintenant, il existe en France une maison d’édition qui, oui, certainement, prend les lecteurs pour des vaches à lait, et il ne s’agir pas de Bragelonne mais d’une maison dont le nom commence par un P, parce qu’alors là, en effet vendre des « grands formats » qui font 300 pages dont seulement 250 pages d’histoire « réelle », c’est à dire une fois otés le résumés, les descriptifs des différents protagonistes, races, familles etc… à 21.50 euros, oui, ça fait mal aux fesses ^^, d’autant qu’en général, ils commencent à sortir les poches aux tiers d’une saga, pour « appâter le chaland » et après soit t’attends plus d’un an pour avoir la suite en poche, soit tu te rabats sur le GF. ça, oui, c’est prendre les lecteurs pour des vaches à lait.Maintenant, Ce n’est, et de loin, pas le cas de tous les éditeurs français^^.
[…] tête. Avouez, vous avez tous entendu/lu/pensé ça un jour. Lionel Davoust explique sur son site pourquoi un livre coûte aussi cher. C’est bien fait, et on apprend des trucs […]