C’est une question qui tourne de temps à autre sur les réseaux sociaux : la difficulté de se motiver pour se mettre au travail, les pièges de la procrastination, du glandage sur Internet (qui prenait en l’an 2000 la forme de clics sur des liens sans intérêt, et qui en 2015 s’appelle Facebook). Et comme une de mes étudiantes me l’a directement posée, et qu’elle est excellente, cela vaut peut-être le coup d’essayer de contribuer à l’intelligence collective. Je succombe moi aussi à la glande, mais, depuis quinze ans de travail indépendant (que le temps passe), d’étude des méthodes de productivité, de développement plus ou moins réussi de méthodes maison, je me suis bien trouvé obligé de développer quelques techniques pour rester assidu, quand bien même ma PS4, mon frigo, mon lit, le soleil m’appellent.
Alors, comment on fait ?
Rien n’est magique
Au bout du compte, le travail ne se réalise pas tout seul. Il y aura toujours des efforts à investir, une volonté à appliquer, des difficultés à surmonter. Aussi loin qu’on les repousse, il faudra forcément s’y frotter un jour, ou bien rien ne se fera. Dans un entretien à Locus il y a des années, Brian Stableford disait qu’un livre s’écrit « un mot après l’autre ». Ces centaines de pages se composent peu à peu, pas à pas. Il faut se retrousser les manches et se plonger dans l’arène.
Cependant, des techniques de concentration et de productivité existent ; nous en avons longuement discuté lors de l’été 2013 avec le tour d’horizon intitulé « Productivété », toujours disponible en archives. L’idée fondatrice est double :
- Réduire la friction. Si vos dossiers sont désordonnés, que votre PC rame, que vous n’avez pas la place de travailler, tout cela entraîne un coût, un poids mental qui élève toujours davantage la barrière à franchir pour se mettre à l’ouvrage. Votre mère (et la mienne) avait raison : rangez votre bureau. Entretenez vos outils, stylos, PC, tablette. Ayez un système efficace en place qui vous libère l’esprit et la mémoire. Comme le dit David Allen, « l’esprit n’est pas fait pour se rappeler les choses, mais pour avoir des idées ». Externalisez tout ce qui n’est pas vital grâce à la technologie. C’est l’an 2015, bon sang.
- Le plus barbant d’abord. Faites toujours (à urgence égale) le plus barbant en premier. Une tâche pesante à l’esprit ronge l’énergie et la motivation. C’est une discipline difficile à acquérir, mais elle récompense grandement celui qui l’applique. La libération est proportionnelle à l’ennui ; et l’énergie ainsi récupérée sera investie à profit dans les projets motivants. Faites votre déclaration d’impôts avant d’aller écrire votre scène de bataille rangée. (Sauf si faire votre déclaration d’impôts vous éclate. Chacun son truc.)
Évacuer les distractions
Les distractions sont l’ennemi numéro 1 du travailleur indépendant. Tout d’abord parce que le cerveau n’est pas multi-tâches, c’est un mythe ; chaque changement de tâche entraîne le paiement d’une « taxe » mentale fixe. Vérifiez votre courriel dix fois par heure, vous payez dix fois cette taxe. (Question déjà discutée en ces lieux ici.) En revanche, la concentration augmente avec le temps investi (jusqu’à une limite, évidemment) ; on retire donc davantage de bénéfice à rester focalisé un long moment.
Mais comment faire ?
Au-delà du bon sens – s’isoler loin de tout dérangement, par exemple -, on peine parfois à respecter la discipline de cette concentration. Depuis quelque temps, j’applique avec grand succès la technique des trombones : je m’autorise trois vérifications des réseaux sociaux, par exemple, chaque jour. J’ai trois trombones dans une boîte, à chaque vérification, je retire un trombone. Quand les trombones sont épuisés, je n’ai plus de crédit. Utiliser un objet donne une matérialité bienvenue à l’engagement qu’on prend avec soi, et le renforce. Si je veux aller sur Facebook alors que j’ai vidé mes trombones, je ressens un élan de culpabilité plus net que si j’avais bêtement compté mentalement. Cela donne une réalité à la chose.
Maîtriser le temps
Un autre méthode pour allonger la concentration est la méthode Pomodoro, à la fois simple et efficace (présentée ici) : il s’agit de travailler à fond pour une brève période fixée par avance avec la promesse d’une pause par la suite. De mon expérience, le Pomodoro de vingt-cinq minutes est trop court pour un travail littéraire ; quand j’ai besoin d’un coup de pied aux fesses, je pars sur des périodes d’une heure et demie suivies de quinze minutes de pause. Et en plus, il existe même des applications de chronométrage gratuites, par exemple ces cinq-là. (J’ai longtemps utilisé FocusBooster mais ma préférence va maintenant à SnapTimer, léger et portable – il se trouve bien au chaud dans ma Dropbox et donc présent sur toutes mes machines).
Je crois que les travailleurs indépendants ont grand intérêt à s’imposer des horaires de travail fixes, comme n’importe quel employé, calquées sur les horaires de bureau. Au tout début de ma carrière, je vivais et travaillais la nuit, puis dormais le matin, sachant que cela correspond mieux à mon rythme, mais j’ai fini par abandonner. L’intérêt de suivre les horaires habituels et de s’y tenir est multiple :
- Vous vivez au même rythme que le monde entier : socialement, c’est quand même plus facile, surtout en couple
- Les distractions sont réduites (puisque vous vivez au même rythme que le monde entier)
- Adopter un rythme régulier rend globalement la mise au travail plus facile (par exemple : travailler de 9h à 12h30, prendre une heure de pause, finir à 19h)
- Savoir quand l’on travaille et quand l’on se repose me paraît nécessaire pour un indépendant, qui vit dans son bureau / travaille dans sa maison ; l’esprit a besoin de savoir quand il doit être actif et quand il peut se mettre en veille. Avoir des horaires mal définis m’a toujours conduit à la déprime, puisque j’avais l’impression (fausse) de travailler en permanence.
Pour mesurer réellement mon temps de travail et éviter le glandage, j’ai adopté voilà des années une habitude connue de bien des prestataires de services : le CRAH (compte-rendu d’activité hebdomadaires). Je me fixe 40 heures de travail actif par semaine (je ne suis pas passé aux 35) et tout volume non effectué est à rattraper la semaine suivante. Si je fais moins, c’est que j’ai glandé. Si j’ai fait plus, j’ai le droit de me la couler un peu plus douce la semaine suivante (si les circonstances le permettent).
Enfin, je me suis acheté un chronomètre de bureau (ci-contre) que j’appelle affectueusement le « taximètre« . Chaque fois que je m’assieds pour travailler, je le lance ; chaque fois que je m’arrête, par exemple pour une pause longue, je le coupe. Cela me permet de mesurer mon temps réel d’activité au cours de la journée, mais surtout, comme avec les trombones, chaque pression sur le bouton « matérialise » l’engagement que je prends avec moi-même d’être actif à partir de ce moment. Je prends mieux conscience de ma dérive si la procrastination m’appelle, car je dois couper le taximètre. À ce moment-là, mieux vaut prendre une vraie pause de 10-15 minutes sans culpabilité (le taximètre est coupé) pour s’y remettre ensuite à fond. Le moral est meilleur.
L’arme secrète
L’arme secrète que j’ai découvert en début d’année est Focus@Will. Le service existe depuis très longtemps et je ne m’y étais jamais vraiment attardé – comment ça, une entreprise qui prétend me diffuser de la musique qui m’aide à me concentrer ? Ça semble un peu trop new-age à mon goût. Mais finalement, après avoir lu des critiques dithyrambiques (promettant que ça « change la vie » – rien que ça), j’ai tenté le mois d’essai gratuit.
Devinez quoi ? Oui, ça change la vie.
L’idée – très résumée (voir les articles directement sur le site) – est que l’évolution a forgé nos cerveaux pour qu’ils restent toujours attentifs à d’éventuelles agressions (genre un lion dans la savane, une occurrence relativement rare en open space). Pire, les interruptions tendent à stimuler le système limbique, donc à récompenser le cerveau ; tout cela rend la concentration difficile. Focus@Will choisit des ambiances, des morceaux musicaux, spécialement mixés pour « divertir » le système limbique et donc débarrasser l’esprit de cette tension. Et ça fonctionne tellement bien qu’on approche de la magie vaudou. Le service propose en plus divers canaux avec différents niveaux « d’énergie », ce qui permet de suivre l’évolution de l’humeur. Il m’arrive souvent de commencer sur « Alpha Chill » en medium le matin, pour passer sur « Up Tempo » ou « Ambient » en fonction de ma satisfaction quant à la matinée.
Focus@Will est une arme secrète et je ne peux que t’encourager, auguste lectorat, à ouvrir un compte d’essai de 30 jours pour tester le service. Pour cela, n’hésite pas à passer par ce lien. (Si tu décides de t’inscrire sur la durée, je ne te cache pas que je toucherai une commission, mais je recommande sans hésiter le service – j’ai pris un abonnement à vie au bout de deux semaines -, et tu ne risques rien de toute manière ; de plus, je ne recommanderais jamais un outil que je n’utilise pas moi-même. Pour plus d’infos sur les liens affiliés, voir l’article sur la question.)
Pour conclure
La productivité en solitaire – comme toute initiative – est une affaire d’équilibre entre efficacité et efficience (ou rendement).
- L’efficacité vise à produire un résultat de meilleure façon, plus vite ; il existe quantité de systèmes d’organisation personnels pour mettre de l’huile dans les rouages, allant de la bureautique à certains enseignements des neurosciences, ce qui a été abordé en détail ici à l’été 2013. L’efficacité, c’est faire les choses comme il faut.
- Plus complexe et pourtant plus vital, il y a l’efficience, que les Américains définissent, par contraste, comme le fait de faire les choses qu’il faut. C’est-à-dire, choisir ses batailles, consacrer son temps à ce qui compte réellement au lieu de se donner l’illusion d’être productif en refaisant quinze fois son site web, par exemple. (Ahem.)
L’efficience, hélas, relève d’une discipline mentale plus difficile à acquérir (du moins, de mon expérience) parce qu’on entre dans des domaines inconscients de peur, de résistance, mais elle est pourtant indispensable. Seul une introspection profonde, visant à définir ses propres priorités mais aussi ses propres manies et manquements habituels, permet de s’en rapprocher. Car, malheureusement, comme dit en préambule, il vient un moment où il faut comprendre que tous les systèmes du monde ne résoudront pas le point-clé de la réalisation de tout projet : au bout du compte, il faut se retrousser les manches et se jeter dans l’arène. Mais si des systèmes efficaces abaissent les barrières, facilitent le jeu de la mécanique, donnent du recul et montrent clairement que le temps investi n’est pas en vain, je pense que cela cajôle l’efficience et aide à la réaliser. Comme la technique pure n’a jamais fait un artiste, mais accélère toutefois grandement l’expression de son potentiel.
Oh merci. O va essayer d’appliquer tout ça pendant les vacances 🙂
Y en a marre que tu postes des articles intéressant, du coup je viens encore de cramer un trombone…
http://anne.fakhouri.over-blog.com/2015/02/travailler-a-la-maison-riche-idee-inside.html
Pourquoi vouloir être productif ?
couper FB, couper FB, couper FB…
Intéressant ! Je n’applique pas forcément tout : j’ai un horaire fixe en début de journée, mais je travaille plus par quotat de choses à faire dans la journée que par horaire fixe en fin de journée, ce qui me permet de donner une carotte et de tenir mes délais. Si je suis efficace et que je termine tôt, j’arrête de bosser et je me fais plaisir !
Pour que mon cerveau sache qu’il doit se reposer, c’est simple : je ferme l’ordinateur (littéralement) et je me déconnecte d’Internet autant que possible (et je change de place, même si c’est juste un mètre plus loin). Quelques petits gestes qui annoncent à mon cerveau qu’il est temps de se reposer 🙂
Je vais essayer le timer et la musique, ça me semble d’excellents outils !
Je pratique le contraire, plutôt qu’une boite avec des trombones, j’ai un bureau avec des enfants. ça devient « quand tu as sorti les trois enfants du bureau, tu peux commencer à travailler ». Grosse différence : contrairement aux enfants, les trombones ne reviennent pas spontanément…
nooon j’ai craquééé! au lieu de me mettre à corriger mon roman, j’ai cliqué sur ton lien!!! :p Lionel, tu es le mal ^^
L’astuce pour être productif, c’est de ne pas chercher d’articles t’expliquant comment être productif. 😉
Voilà, ça, c’est bien résumé!! 😉
1° pas avoir d’enfants.
2° voir 1°.
Je me permets d’ajouter une petite combine, Lionel : avoir besoin d’argent.
On parle d’indépendants, c’est la base, non? 😉
Sinon, pour bloquer les sites web perturbants, il y a StayFocused sur Chrome. Tu détermine tes horaires de travail, et sur ces horaires, un temps maximum (par exemple, 10 min par jour) sur une liste de sites que tu choisis (Facebook, etc). Et quand ton temps est dépassé, tu ne peux plus y accéder.
Mais ça ne marche que pour Chrome, alors pour éviter de siouter et d’utiliser un autre explorateur (ou pour bloquer les jeux vidéos, ou autres) il y a HorairesPC.
Ah oui, merci Soe ; je voulais toucher un mot de cet aspect-là, et puis j’ai zappé 🙂
Je note l’adresse du site, ça a l’air pas mal. De mon côté, je peux combattre ma flemme de me mettre au boulot si je le veux, mais si je veux être productive, il faut que je m’éparpille. Logique =’)
Pareil. J’ai besoin de sautiller d’une activité à une autre.
Merci !!!
Excellent article ;]
Merci!
focus@will m’intrigue beaucoup. Vraiment beaucoup. Vais tester ça ce wk, tiens. Mais sinon je rejoins le choeur de louanges, super article !
Merci beaucoup! 🙂
Voilà un article on ne peut plus intéressant (en tant que nouveau travailleur indépendant, j’ai tendance à tomber dans tous les pièges nommés).
Maintenant le tout, c’est de se tenir à ces résolutions…
Cela dit justement : à partir du moment où on accepte de se plier à tous ces petits trucs, est-ce que ça n’est pas déjà 90% du travail qui est fait ?
Là, je dis merci, Lionel. Et je vais de ce pas commencer par ranger mon bureau.
Et sérieux de chez sérieux : le truc de la musique, ça marche vraiment de vraiment ?
Oui de oui. (Plusieurs ont déjà testé et m’ont envoyé des PM aussi hallucinés que moi quand j’ai essayé la première fois.)
Diantre, je vais tester cela ce WE et investir alors.
Tu as un mois d’essai gratuit pour te faire une idée.
Même si je ne travaille de chez moi que quand je suis en vacances, j’ai trouvé que je travaillais bien mieux si j’étais bien habillée (lire : pas en pyjama) et « comme au bureau » (la tasse de thé à côté et pas le droit de se lever à tout bout de champ pour aller au frigo ou chercher un truc à grignoter)
Et question musique, je ne supporte plus ni les OST ou les chansons, mais alors le piano marche nickel.
Merci pour ce chouette post (et j’ai été voir les précédents, j’en avais lu certains). Et je découvre que j’applique la méthode pomodoro sans le savoir. J’essaie la musique et Sandglaz, qui a l’air super chouette !
Je teste focus@will (sympa, le mois d’essai), que je ne connaissais pas. Mais j’ai régulièrement des coupures, ce qui n’aide pas à s’immerger dans quelque chose 😉
Tu n’as pas de coupure de ton côté (je suis à Paris) ?
Hm, bizarre, non, aucune à Rennes. Même avec une 3G stable ça streame tranquillement sur un téléphone. Souci de plug-in ou de navigateur ?
Je ne pense pas : j’ai essayé aussi bien sur un Mac/Safari que sur un PC Windows/IE, avec le même étonnant résultat. Je verrai si ça persiste, je les contacterai pour essayer d’y voir clair.