Rappel : cet article fait partie d’une série programmée sur les règles de l’écriture de Robert Heinlein. Introduction générale et sommaire.
« Tu dois écrire »
Celle-là semble évidente, genre, pour avoir fini un roman, tu dois l’avoir écrit, nan ? 100% des gagnants ont tenté leur chance, lawle ? C’est le prolégomène et l’introduction ?
Alors, oui, bien sûr, mais cela ne s’arrête pas là. L’écriture (et toute pratique artistique) n’est pas qu’une activité vague qu’il faut effectuer pour produire un résultat. C’est un muscle – tous les auteurs vous le diront. Et un muscle, tout comme l’exercice physique, nécessite deux choses :
- Du temps,
- De la régularité.
De la même façon qu’on ne court pas un marathon sans préparation, et qu’on ne se prépare pas sans y consacrer un minimum de sérieux, on n’écrit pas sans engagement ferme. Cela veut dire réserver du temps pour écrire. Et si le temps n’est pas disponible, cela veut dire tirer avantage de chaque fenêtre qui se présente pour noter une phrase, une idée, une réplique. Entre la personne qui n’écrit rien « parce qu’elle n’a pas le temps » et celle qui note cinq phrases tous les matins dans le bus, au bout d’un mois, la première n’aura toujours rien fait, quand la deuxième aura une courte nouvelle et, mieux encore, elle aura acquis de la discipline.
Car écrire, comme l’exercice physique, est aussi une habitude, qu’il est facile de lâcher et difficile de reprendre. Vouloir se « réserver » de longues plages horaires confortables est un objectif noble, mais n’écrire qu’avec ces plages à disposition est une pente glissante qui peut conduire à l’irrégularité, laquelle rend encore plus ardue la pratique. Il vaut mieux écrire une page par jour que sept pages sur un seul jour. L’écriture profite de la respiration, de l’inactivité, de la réflexion inconsciente, et donc du repos autant que de la production – tant que les deux sont équilibrés. Sans compter que forcer l’esprit à produire un important volume de pages sur une seule session engendre une pression plus ou moins consciente qui nuit à l’état d’esprit ludique qui préside le mieux à la création. Des objectifs plus raisonnables, mais réguliers, sont plus réalisables et donc plus agréables.
Beaucoup de jeunes auteurs (et de moins jeunes) désirent écrire mais ne le font pas, arguant de cent bonnes excuses comme la fatigue, le temps, la préparation. Mais, au bout d’un moment, il est toujours possible d’écrire une ligne. Une seule. Même si l’on ne peut rien faire d’autre lors d’une journée absolument pourrie, une ligne reste toujours accessible. Si vous ne faites rien d’autre, écrivez au moins une ligne. Il en restera toujours quelque chose. Même si c’est une ligne mauvaise au bout du compte – vous n’aurez plus à l’écrire, et cela vous libère pour la prochaine, qui sera peut-être bonne, elle.
Mais comment écrire de bonnes lignes sans la liberté et la régularité d’en écrire de mauvaises ?
Acquérez la discipline et l’habitude de produire. C’est la base avant de se soucier de savoir si la production est bonne.
Et certains arguent même que c’est la seule façon d’apprendre à produire de bonnes choses.
Ouioui, de la mesure, de la régularité, de la discipline, du travail, que diable ! (ce post est garanti sans premier degré)
Du plaisir aussi. Mais Heinlein ne le dit pas.
Etonnant 🙂
Je suis toujours surprise quand je lis ce genre de règles, n’y adhérant que très peu (non par choix, hein)
et le talent aussi, le talent.
L’intérêt de toute technique / règle littéraire, c’est de les commenter pour décider si on adhère ou pas. C’est de réfléchir sur sa propre pratique. Tu ne peux pas demander à Heinlein de mettre un bouquin profond sur l’écriture dans une règle de trois mots. :p
si. 🙂
« Sans travail, le talent n’est qu’une sale manie » – Brassens
(c’était une blague… 🙂 )
Ce que vous appelez talent, c’est le processus intellectuel, non?
Non parce que j’ai bien compris que ça heurtait la modestie profonde de certains, mais nier l’idée de processus intellectuel particulier (et ça marche pour bien d’autres domaines)…
popcorn. 🙂
C’est « modestie », l’erreur rhétorique? :d
ça me rappelle quelque chose…
Comme j’ai entendu dire : « La différence entre ceux qui écrivent et ceux qui veulent écrire, c’est le temps qu’ils y passent ».
Quant au talent, ce n’est pas un gros mot ni un tabou. J’ai entendu Yal en dédicace dire qu’il mettait un ingrédient secret dans ses livres : du talent. Celui qui décide de s’en passer (ou de le nier) oublie ce qui est au fond de lui, non ?
Le côté inné de cette notion m’a toujours posé un problème. Celui qui n’en a pas peut se gratter et celui qui en a n’a rien à faire. Pour ma part, je ne m’intéresse qu’à une seule chose : ce que l’on peut travailler, développer, apprendre. Ce sur quoi l’on peut agir. Le reste est, ou n’est pas ; cela ne veut pas dire que la discussion n’a pas d’intérêt, en revanche, elle n’est d’aucun secours quand vient le temps de produire.
Attends, celui qui n’a pas le bon processus intellectuel pour écrire, excuse-moi, mais pourquoi écrit-il exactement? C’est moche, les erreurs d’orientation…
Ce que vous appelez « talent », c’est le don, en fait, c’est une utilisation courante du mot. Le « talent », c’est une capacité, surtout.
Mais on a tellement fait la chasse à la facilité, l’aptitude, la qualité pour mettre en avant le dur labeur, voire la besogne du fonctionnaire. Demandez-vous juste qui ça sert et on pourra élargir le débat.
Donne-nous donc la réponse, on élargira le débat plus vite. Tu as peut-être la chance d’éprouver de la facilité, mais tout le monde ne l’a pas forcément, certains doivent lutter pour crever les murs, « besogner » pour produire quelques bonnes pages et apprendre « à la dure ». Et cette cette lutte fait partie du processus, d’écriture mais aussi – gros mot – de quête de soi. C’est mon cas, je l’assume et, en l’occurence, cette persévérance est peut-être aussi mon « talent », si tu veux – ma méthode qui me conduit à la seule chose qu’on vise : avoir un bouquin fini, présentable et potentiellement appréciable sur la table. Du coup, je ne vais pas décourager des jeunes auteurs qui ont peut-être un truc intéressant à dire, difficilement, avec un apprentissage, sur la base d’une notion aussi évanescente qu’une capacité. Le cas échéant, c’est à eux de la chercher, de la trouver, de la développer. Et ça se fait aussi par la discipline, valeur à laquelle on fait la chasse aussi. On a beau avoir des prédispositions de marathonien, si on ne va jamais courir, on ne cultivera pas le « talent » et on n’en fera jamais rien.
De façon plus vaste, je préfère qu’on parle de sens. J’ai fait des études scientifiques de haut niveau parce que j’ai réussi à travailler assez fort pour atteindre les capacités mathématiques requises, mais ça n’est pas mon « langage », mon plaisir de prédilection. Compétence n’est pas sens. Avant toute chose, c’est l’envie qui doit prédominer. Il n’y a pas de corrélation entre la quantité de travail investie et la qualité du résultat, de toute façon. Mais il y en a une avec la quantité de choses qu’on apprend.
Je crois que ce qui te rebute, c’est la tendance à dire que le travail mène à tout. Il ne s’agit pas de dire ça, effectivement, certes ; ou alors l’investissement est si vaste qu’une vie risquerait de ne pas suffire. Mais cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas essayer, ni trouver du sens dans ce parcours, un sens qui nourrit la personne. Et la vie est si longue, et le cerveau si plastique ; si quelqu’un veut tenter quelque chose, je crois qu’on ne peut lui dire que deux trucs : « lance-toi » et « bosse ». Tout le reste est entre les mains de la providence.
Non, ce qui me rebute, c’est qu’on ramène tout au travail. C’est un discours que j’entends beaucoup depuis quelques années. L’écriture ne se résume pas au travail. Ca se nourrit également. Je ne lis pas, par exemple, qu’il faut lire pour être écrivain, qu’il faut vivre aussi (yep, même si c’est un cliché), ni même ce qu’on doit travailler: la stylistique, la linguistique, la grammaire. Ni le fait qu’on doit explorer en permanence d’autres domaines. Je ne lis que le simpliste « il faut travailler. » Oui, c’est la base, il faut travailler pour tout. Mais ce n’est pas le plus intéressant. On dirait souvent un discours scolaire un peu facile…
Bref, on est loin de Rilke… 🙂
(et la providence, c’est comme le « don », j’y crois moyen.) (après, si le but, c’est de nier aussi le déterminisme… On peut lutter contre mais dans ce cas, il faudrait dire aux jeunes écrivains, s’ils n’ont pas été élevés à la langue et à la littérature, ce qu’ils doivent travailler… La démarche me paraitrait plus complète) (et non, ça ne se trouve pas que dans Truby qui ne fait que broder sur ce qu’on appelle « le schéma narratif » (conte – niveau 6eme) en vendant son livre comme une recette – pour des scénarios btw)
Donc non, il ne suffit pas de travailler. Ca fait bien plaisir de le dire, ça montre qu’on est sérieux mais ce n’est pas ce qui fait l’écriture. Sur le sujet, Rilke, Pennac, Perec, Sarraute, Camus à revoir d’urgence, entre autres (programme de 3eme, je pense qu’en tant qu’écrivains, on peut aller un peu au-delà).
La providence est mon terme générique pour tout ce qui recouvre ce qui échappe à la volonté consciente 😉
On pourrait arguer que se nourrir est aussi une attitude, et une attitude, ça se travaille aussi. Mais pinaillage à part, je suis tout à fait d’accord avec toi sur ta dernière réplique : et point taken. En fait, pour moi ça fait partie de l’ensemble – ou alors ça mérite un article à part entière. Tu en as fait sur le sujet ? Je serais ravi de compléter celui-ci avec un lien.
Nope, moi, je ne fais que ce qu’on me demande 🙂
(je suis déjà assez dans la théorie avec mes propres cours et je ne me targue pas de filer des conseils généralistes, je fais plutôt au cas par cas, peut-être parce que je sais que, s’il y a une base commune – assez restreinte – il y a autant de méthodes que de personnalités d’écrivain. Ca évite le formatage et c’est une théorie que je défends)
Et je suis d’accord, ça fait partie de l’ensemble: dommage qu’on n’ait que des articles sur ce point précis depuis des années, ce qui du coup donne l’impression qu’il n’y a que ce point de réflexion. Je serais ravie de lire d’autres choses.
(bien tenté, le « tu n’as pas fait, tu ne peux rien dire », Choupinet. Mais je suis conscience-free sur le sujet ^^)
Faut pas prendre mes articles isolément : je l’ai dit ailleurs et je le répète, le truc que je martèle en atelier et ailleurs, c’est : « apprendre à écrire, c’est apprendre à se connaître ». Mais la nécessité de cerner ce que la technique peut, et ne peut pas faire, commence à se faire pressante, et je vais probablement faire ça sous peu. Cette discussion contribuera à l’alimenter et je t’en remercie 🙂
(Si à l’occasion tu veux passer chez moi un article « démenti » ou une autre vision des choses, la porte t’est grande ouverte, soit dit en passant)
Non justement, je ne démens rien. Dis donc, t’es gonflé, vu le nombre d’articles de ton blog que j’ai applaudis, VOIRE likés. 🙂
(mais quand j’aurai fini d’aménager l’appartement provisoire, d’être en vacances, d’écrire les cinq derniers chapitres de mon roman, de préparer mes cours et de découvrir Rennes, oui, c’est une bonne idée, je te remercie de me le proposer)
Ann Je ne dis pas que tu démens, c’est une observation générale pour le lecteur des commentaires 🙂 Cool que ça t’intéresse, et c’est quand tu veux – profites-en pour contredire à l’envi ce que tu souhaites 😉
J’oublie toujours qu’on est sur un support où on doit préciser à son interlocuteur qu’il a le droit de contredire… Lionel, tu es un saint. 🙂
Je trouve drôle (je m’amuse d’un rien) que l’on évoque sans problème le talent d’un peintre, d’un musicien ou d’un acteur, mais dès qu’il s’agit d’écriture la notion même de talent fait tout de suite débat, déclenche des positions idéologiques, il faut contrebalancer avec le travail, lui donner d’autres noms, justifier… Drôle, non ?
Après, on me dira sans doute que le talent fait débat aussi dans la sphère d’activité du peintre, du musicien ou de l’acteur, mais on parlera plus du talent d’une personne plutôt que de la proportion de talent versus autre chose, voire de son existence même. Mais bon, continuons… 🙂
S’il y a plaisir, ou au moins attirance, c’est qu’il y a aussi, au moins un minimum, une capacité à agir, faire, utiliser ses aptitudes. Que cela soit facile ou non. Les aptitudes augmentent le niveau d’exigence. Si réel talent il y a, il ne se situe pas forcément dans l’écriture elle-même. Comme pour la musique (je suis musicien très pratiquant 😉 ) l’expression, la technique se travaillent, et dur selon le niveau d’exigence que l’on a. Les facilités se trouvent dans les capacités d’abstraction, de jouer avec des concepts éloignés, à faire des liens où bien nombreux seraient ceux qui n’en voient pas. Mais la mise en mots, la communication n’est pas simple, manipuler le langage pour mettre en forme les idées, là est le défi. Bien jouer d’un instrument demande pour tout le monde un travail quotidien, régulier. Mais comprendre intuitivement la structure d’une pièce aide à la mémoriser. L’intuition joue avec cette mémoire, combinée avec la mémoire d’une expérience dépassant amplement le cadre artistique, elle est un des moteurs de la créations. Je pense que pour l’écriture c’est la même chose. Avoir des capacités cognitives, donc, est certainement un atout.
Cependant si on n’en faire rien, cela ne sert pas à grand chose.
En même temps je pense que ce n’est pas parce qu’on n’a pas de grandes capacités d’abstraction qu’on n’est pas capable d’écrire des livres qui en valent la peine. Je ne serais étonné qu’un écrivain que j’admire vienne me dire. « J’ai un QI de 90 et alors ? ». Travail, patience, persévérance, passion pour mettre en forme des idées simples, mais belles, justes, qui parlent.
De plus je ne suis pas certain que les facilités permettent vraiment de se dorer la pilule, elles augmentent surtout le niveau d’exigence (et je pense qu’il doit être difficile de s’en rendre vraiment compte puisque ça doit être en grande partie intégré dans le fonctionnement de la personne.) Bref, on est tous plus ou moins différents, plus ou moins intelligents, plus ou moins rapides. Mais à condition de bien se connaître et de savoir ce que l’on veut, je ne crois pas que cela ait une réelle incidence sur la qualité de l’œuvre que l’on produit.
Et apprendre à se connaître est parfois le plus difficile. On essaye des tas de méthodes, de techniques, on invente. Il faut du temps et beaucoup de patience. À condition de l’accepter, ça paye.
Bref, je suis impatient de lire la suite de cette série d’articles 😉
Merci Stewen pour cette belle intervention. Tout à fait d’accord ! 🙂
100% d’accord
J’ai beaucoup lu, ici et là, qu’il fallait de la discipline, de la régularité pour écrire, et je ne nie absolument pas que ça marche pour certains, au contraire. Mais la prédominance de ce genre de conseils m’a pas mal fait culpabiliser, à une époque. Parce que j’écris par rushes, à coups de café, de nuits blanches, de semaines entières, de mois entiers consacrés à ne faire que ça, et puis plus rien pendant des semaines. Par ailleurs, en France, on s’est pas mal complu dans le mythe de l’auteur/Phénix touché par la grâce divine (et je ne suis vraiment par pour), mais j’ai l’impression que ces derniers temps, dans nos littératures, le retour de balancier est un peu violent. On parle trop de travail au détriment du reste. Et « le reste » , ce n’est pas que le talent (une notion sur laquelle on pourrait développer pendant des heures…^^), c’est surtout, aussi, le vécu. Ann le rappelait plus haut, c’est un cliché sans doute, mais un cliché qu’on ne sort plus si souvent que ça : pour écrire, il faut vivre. Et j’ajouterais Jack London à la liste des écrivains à lire et relire, pour creuser ce dernier point. « Martin Eden » nous apprend à écrire au moins autant que Truby (et le style est plus vivant 😉 ).
Le vécu et le regard, je suis entièrement d’accord. (Mais j’argue que ça aussi, ça s’affine en travaillant l’attention.)
Le regard, ça s’entraîne en effet (un de mes proches qui fait de la photo m’a appris à mieux « voir » le monde autour de moi, à prêter plus d’attention aux détails, et au final ça me sert aussi pour l’écriture).
(désolée pour le long post, sujet qui me fait cogiter…)
Ne t’excuse pas, c’est bienvenu ici 🙂 Merci d’avoir partagé ton avis.
C’est marrant de découvrir ce genre de conseil sous la plume de Robert Heinlein (auteur que j’adore et qui m’énerve à la fois…). C’est à peu près comme ça que je fais. Sauf qu’au lieu de « tu dois écrire », je me dis plutôt, « tu dois avancer ». Au moins 5000 signes par jour. Je ne vais pas me coucher avant. Sauf en cas de grande fatigue ou de passage particulièrement délicat (auquel cas, je me contente d’un 3000 signe). Le plaisir? Est-ce que franchement, je passerais une heure et demi par jour sur mon clavier à une heure tardive sachant que je bosse aussi la journée (8 heures par jour devant mon ordi à étudier des dossiers) si je n’en sentais pas une sorte de nécessité intime! Quant au talent… Pfff, ce n’est sûrement pas à moi de le dire! Je laisse ça à l’éditeur et aux lecteurs qui me font l’amitié de me lire.
L’imagination aussi est un muscle: comme un puits qui se remplit au fur et à mesure que tu tires de l’eau.
Enfin moi c’est comme ça que ça fonctionne…
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