C’était à propos de tout autre chose, mais Lelf a eu sur Facebook un cri du coeur qui résume très bien la situation :
Putain, j’en peux plus de toute cette connerie.
C’est moi ou ça s’accélère ce genre de connerie ?
Est-ce que j’ai dit que je trouvais que c’était une connerie ?
Le mot-clé étant ici “accélérer”. Les esprit tranquilles affirment que la multiplication des ratés, des scandales, des déclarations patentes d’imbécilité ne sont que la marque de la circulation accrue de l’information, et l’appréhensif souhaite y croire – dormez, braves gens, tout va bien.
Sauf que. Sauf que se produisent la même semaine deux bévues d’une bêtise tellement crasse, d’une ignorance tellement invraisemblable venant d’instances dirigeantes, supposément responsables, éclairées et réfléchies, qu’on ne peut s’empêcher d’y voir, au minimum, un signe des temps. Et de nourrir, à tout le moins, des pensées incendiaires.
1. Le devoir de réserve des écrivains
L’affaire a déjà pas mal fait le tour du Net, donc je vais surtout me contenter de répercuter le communiqué commun de la Société des gens de lettres et de l’Association des traducteurs littéraires de France. En résumé : Eric Raoult, député UMP de Seine-Saint-Denis, rappelle Marie NDiaye à son “devoir de réserve” en tant que lauréate du Goncourt (article du Nouvel Obs ici). Intéressante invention. L’artiste n’a d’autre devoir de réserve que sa conscience et d’autre barrière que la loi. C’est justement, bien au contraire, son devoir que d’exprimer son opinion en des propos qu’il assume. C’est le fondement même de la liberté d’expression. Qu’un élu de cette République l’ignore est éminemment instructif.
Maître Eolas lui décerne un prix Busiris. Pour ma part, je pense qu’il faudrait inventer un prix /facepalm, pour l’idiotie caractérisée. Le /facepalm ayant cette caractéristique importante que la main claquant sur le front évoque le son jouissif de la gifle. Libérateur et cathartique, le /facepalm transmet pleinement à l’interlocuteur le mépris ainsi que la consternation devant l’abyssale stupidité des propos tenus, tout en évitant parfaitement de franchir la limite prohibée et répréhensible du passage à l’acte. Une baffe à l’âme, en somme, infiniment plus satisfaisante.
Communiqué commun SGDL-ATLF
“Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.”
– Déclaration universelle des Droits de l’homme, 1948 (article 19).
Dans une lettre adressée à M. le Ministre de la Culture, un député inscrit au groupe UMP de l’Assemblée Nationale, Éric Raoult, a affirmé qu’un “devoir de réserve” s’imposait aux écrivains ayant reçu des prix importants en France, au motif que “le message délivré par les lauréats se doit de respecter la cohésion nationale et l’image de notre pays”.
Au-delà de l’absurdité de cette exigence et de l’ignorance dont elle témoigne, c’est, à notre connaissance, la première fois depuis des décennies, qu’un homme politique élu réclame publiquement la restriction de la liberté d’expression des créateurs.
D’après la loi dite Le Pors de 1983, portant droit et obligation des fonctionnaires il est stipulé que “la liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires”, (article 6). Est-ce à dire qu’un simple citoyen écrivain se verrait refuser un droit fondamental que l’on a pourtant jugé nécessaire d’octroyer aux agents de l’état ?
L’idée même de subordonner l’expression d’un écrivain à la défense de “l’image” de son pays renvoie aux heures les plus noires de notre histoire. Elle fait de l’écrivain un simple agent destiné à servir un pouvoir. Va-t-on introduire en France la notion d’écrivain “national” ?
Les associations d’auteurs et de traducteurs littéraires tiennent à exprimer la très vive inquiétude que leur inspirent ces propos. Elles considèrent pour leur part que leur “devoir” est de protéger et d’entretenir la liberté d’expression en France, mission qu’elles ont remplie et rempliront encore à l’avenir.
Alain Absire, SGDL
Olivier Mannoni, ATLF
2. Censure du prix des Ados de la ville de Rennes
Du côté des littératures de l’imaginaire, deux ouvrages jeunesse, Les Orphelins de Naja de Nathalie Le Gendre (Mango) et Je suis ta nuit de Loïc Le Borgne (Intervista) se sont retrouvés finalistes du prix des ados de la ville de Rennes, une distinction dont la particularité est que ce sont les jeunes lecteurs qui choisissent leurs ouvrages préférés. Or, du jour au lendemain, les deux romans se sont retrouvés purement et simplement retirés de la liste par la commission organisatrice où siègent la ville et le conseil général. La raison ? Ces livres traient de sujets durs : le premier aborde la pédophilie dans l’Église, le second le suicide. La commission a estimé que ces ouvrages “pouvaient heurter la sensibilité et les convictions des jeunes lecteurs”.
Sauf que ce sont justement eux qui les ont choisis.
Peut-être parce que, justement, les deux écrivains traitent de problématiques qui les intéressent et le font avec tact et sensibilité ? En vertu de quoi ne parlerait-on pas aux jeunes des sujets graves qui, qu’on le veuille ou non, font partie du monde, et sur lesquels ils s’interrogent ?
Et surtout, en vertu de quoi se permet-on de revenir sur leurs propres choix, par tous les diables ?
Devant la levée de boucliers, les livres ont promptement réintégré la liste (article de Ouest France ici, article de blog plus long là). Mais l’affaire ne doit pas s’étouffer aussi facilement (groupe de soutien Facebook ici).
Bref, il faut rester plus que jamais vigilants devant les prescripteurs de pensée de tous bords, qu’ils portent une soutane ou une cravate, en particulier quand ils ne savent en réalité prescrire que leur propre idiotie.
3. Maintenant, on se détend
Tant de bêtise nuit à la pression artérielle des cinq fruits et légumes par jour sans sel. Alors, avant de nous quitter, fantasmons donc un peu ensemble avec le légendaire Permis de Gifler (et une pensée pour le regretté Sebansky dont l’humour ravageur a bercé mon adolescence).
Plus effectivement, ce que tu relayais… Oui, moi aussi j’ai l’impression que ça s’accélère, ces conneries !
[…] vous invite à lire le billet de Lionel Davoust sur deux affaires récentes, mais non également médiatisées, mêlant littérature et politique. […]
Moi je dis : quelle magnifique introduction, pleine de sagesse et de subtilité. O:))
Bon résumé de ces situations.
J’avais prévu d’en parler un de ces quatre sur mon blog, je crois que je vais mettre le lien vers ton article plutôt, si ça te dérange pas 🙂
(J’ai de toute façon déjà des comptes à régler sur le bien fondé de la surprotection (débile et mal orientée) infantile)
C’est tellement affligeant – et inquiétant – que je vais, pour ma part, mettre de ce pas de la musique extrêmement bruyante aux paroles tout à fait subversives.
…’tain, j’espère que moi aussi un jour j’aurai le Goncourt, qu’est-ce que je leur ferais peur, aux politiciens véreux…
@Lucie : Moi aussi hélas.
@Lelf : Aucun problème pour le lien, même pas besoin de demander, c’est Internet et c’est fait pour ! 🙂
@Kalys : Tu as bien raison. Du Dimmu ? 🙂
Sinon, le Goncourt vient de prouver irréfutablement sa neutralité, ce qui est vraiment bon à savoir.
Pourquoi pas du Dimmu – mais je suis plus électro en ce moment, et surtout depuis que Dimmu nous a fait l’effroyable affront de virer Mustis. Bon, je sors, je suis pas un troll 🙂
J’aime bien l’électro aussi (aaaah FSOL et Orbital…).
Pour Mustis, ça m’a frappé aussi, mais bon, apparemment, il avait bien, bien déconné…
Qu’est-ce qu’il avait fait?
(tu peux me raconter ça par e-mail 🙂
D’après la réponse des membres restants, Vortex et Mustis se bourraient la gueule plus que de raison au point de se blesser bêtement et de mettre en danger les tournées, et je crois me rappeler qu’ils oubliaient même leurs instruments avant de partir (!). La réponse est lisible ici.