Écrire. […] J’ai peur. […] J’ai tellement de travail. Je suis angoissée. J’ai l’impression de ne pas maîtriser correctement l’histoire. […] C’est la vérité : je ne la maîtrise pas. Mais voici ce que je vais faire : je vais avancer le roman de cinq pages par jour. Je vais croire que je fais ce que je suis censée faire […] : écrire. Je vais croire que les mots sont là, en moi, que les idées sont là, en moi. Je vais croire que je suis pleinement capable de conduire ce projet à son terme. Je vais me rappeler que j’ai toujours eu peur, et que je me suis toujours frayé un chemin à travers la peur, dépassant la peur, pour la transformer en foi.
Elizabeth George, Journal of a Novel, 4 nov. 2001
Cette citation, tirée de Write Away (Mes Secrets d’écrivain en français), figure dans mon bureau depuis des années, quasiment sous mes yeux (photo ci-contre). Et si c’est bon pour Elizabeth George, ma foi, ça l’est pour moi aussi, ça l’est pour nous tous – en tout cas nous qui sommes frappés par cette angoisse et par son symptôme le plus courant, la procrastination. Camarades, nous sommes en bonne compagnie : George, William Gibson (« Je préfère largement le fait d’avoir écrit à celui d’écrire », confiait-il), Fredric Brown aussi, me semble-t-il, et j’en passe.
J’ignore si cette peur disparaît jamais vraiment avec le temps ; à en croire George, il n’en est rien et, selon ma modeste expérience, elle aurait plutôt tendance à empirer. La question n’est donc pas tant de chercher à l’annihiler, ce qui semblerait un combat perdu d’avance, et encore moins d’en concevoir de la culpabilité. Il s’agit de faire la même chose que George : la reconnaître, puis travailler autour, avec, au travers. Et, pour cela, il n’y a qu’une seule chose à faire : sauter dans l’arène, et agir maintenant. C’est une tautologie, mais, pour avoir conscience qu’on a déjà su transcender la peur pour la « transformer en foi », pour se fonder sur cette expérience afin d’alimenter les suivantes au moment où les craintes montrent les crocs, il faut l’avoir déjà fait. Et cela n’arrivera pas demain, mais aujourd’hui, maintenant, à votre prochaine plage de temps libre, qu’elle dure deux heures ou bien cinq minutes. Si vous n’en profitez pas, demain, vous serez toujours au même point – et peut-être en pire condition, car vous éprouverez la culpabilité de ne pas avoir agi hier au moment où vous l’auriez pu. Robin Hobb affirme, et elle a raison, que « vous n’aurez jamais plus de temps libre qu’aujourd’hui ».
C’est tout simplement la première règle de Robert Heinlein, et le conseil en apparence tout simple que bien des écrivains chevronnés donnent aux plus jeunes (j’ai par exemple entendu Terry Brooks le répéter des dizaines de fois aux Imaginales l’année de sa venue) :
Règle n°1 : Tu dois écrire.
[…] This post was mentioned on Twitter by Lionel Davoust, Keff. Keff said: RT @lioneldavoust: Sur le blog: Procrastination de l'écrivain, la litanie contre la peur http://ow.ly/2lS9a […]
Amen.
C’est pile-poil ce dont j’avais besoin depuis quelques jours, merci Lionel ! Oui, je sais, on a eu accès à ces bribes de sagesse des centaines et des centaines de fois (expérience personnelle au quotidien, livres sur l’écriture, ateliers, groupes de bêtalecteurs, podcasts, blogs, articles, témoignages d’auteurs, etc.), mais à chaque fois on oublie, à chaque fois on doit réapprendre. Tous les matins, en fait.
Tu te réveilles, tu te dis que rien de bon ne sortira de ton clavier, que l’univers est en train de s’effondrer et que, décidément, la fin du monde est arrivée beaucoup plus vite que tu ne le pensais. Tu ne PEUX pas te mettre devant ton ordi, c’est au-dessus de tes forces. Ton histoire est lamentable, tu es dépassé, tu ne maîtrises rien et il y a la déclaration d’impôts à remplir. Mais tu te bottes le train, tu te fais du café et tu te forces littéralement à lancer Word et à taper quelques mots, mécaniquement, sans entrain. Tu te fais l’effet d’un automate, d’un zombi. Dix minutes plus tard, tes doigts frétillent et il y a de la magie sur la page… C. Q. F. D.
Je vais m’imprimer la citation que tu donnes et me la mettre en fond d’écran, tiens.
Lucas
Avec plaisir, Lucas ! Je suis ravi que ce petit article soit tombé à point nommé pour toi. Je suis tout à fait d’accord, il faut dépasser la sensation qu’on ne fait rien de bon et avancer quand même… Fréquemment, quand on y revient, on se dit que, finalement, ce n’était pas si mal !
Tiens, je croyais que j’étais le seul à procrastiner régulièrement et de façon intensive… Merci Lionel, pour ce rappel des conseils d’Elisabeth George, dont j’avais lu l’ouvrage en son temps. En effet, ça tombe à point nommé, si je veux emporter le pari que j’ai fait avec Lucas !
Amitiés
Jean-François
Merci beaucoup pour cette article ! Je pense ça va m’aider à m’y mettre, tout comme cette réflexion que je me suis faite : écrire, c’est simplement raconter une histoire, comme un barde ou un conteur. C’est la seule ambition à avoir. Pour le reste (le talent, le génie),
ça vient avec la pratique.
« Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas,
mais parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles ». (Sénèque)
Merci Jean-François et Ansset, ravi que l’article vous ait plu 🙂
@Ansset : Je suis tout à fait d’accord, et c’est une ambition déjà bien vaste que d’arriver à raconter une bonne histoire. Le talent et le génie ne sont en rien des buts – ils sont déjà à peine définissables ! Je trouve même qu’il vaut mieux évacuer ces notions aussi vite que possible. Faire de son mieux ce qu’on a véritablement envie de faire, voilà peut-être le seul objectif qu’on puisse raisonnablement se fixer.
Oui, ça fait du bien de savoir que tous les autres ont la même angoisse, même les plus aguerris !
C’est clair ! Et ils se sont aguerris en ne baissant pas les bras, ce qui est probablement la plus importante des leçons 🙂
Moi j’avais eu un déblocage en lisant le Sandman Companion où Gaiman expliquait que parfois il avait des blocages/pannes, mais que, avec le temps, il s’était rendu compte que si sa partie « inspiration », « écrivain » était fluctuante il pouvait toujours compter sur la partie « rédacteur », « critique ». En gros je peux écrire un truc en me disant que c’est vraiment sans aucun intérêt mais le lendemain à la relecture en général je me rends compte qu’il y a des points intéressants et j’ai toujours le correcteur en moi qui va dire ok, ce passage là est pas si mal mais il doit être avant etc.
Je ne sais pas ce que je vaux comme auteur mais je sais que mon côté critique est bon, que je sais repérer les failles et les problèmes de stuctures, narrations etc., ca me va et ca me suffit.
Et apres effectivement je suis toujours content d’avoir écrit, après.
Merci de ton témoignage Nico 🙂 Je trouve aussi qu’il faut s’efforcer de se faire violence, même si l’on se dit en cours de route que la production de la journée est à jeter. On a fréquemment de bonnes surprises en réalité.
À point nommé ???? ! Merci pour l’article ????
« Je ne connaîtrai pas la peur car la peur tue l’esprit.
La peur est la petite mort qui conduit à l’oblitération totale.
J’affronterai ma peur.
Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi.
Et lorsqu’elle sera passée, je tournerai mon oeil intérieur sur son chemin.
Et là où elle sera passée, il n’y aura plus rien.
Rien que moi. »
(Dune, Herbert ????)
Un grand classique! ????