FLASH INFO SPÉCIAL BREAKING NEWS ULTIMATE : Petit rappel pour dire que je serai en dédicace ce dimanche à Elven au Salon du Roman Populaire, avec Thomas Geha et David S. Khara. Venez nombreux me coller un bourre-pif pour l’article d’hier, youkaïdi youkaïda.
Diane laissait ce commentaire à propos de l’article d’hier :
Est-ce que tu pourrais développer un peu plus le dernier paragraphe s’il te plaît ? Notamment les propos sur les conventions, les catégorisations, la maîtrise du lien causal et de la cohérence.
Wow.
Bon, impossible de répondre correctement à ça sans y consacrer en article entier. Je vais m’efforcer de faire au mieux sans – caveat – m’emmêler les pinceaux dans la fatigue du vendredi, et en prenant soin de préciser que je ne suis ni sociologue ni psychologue, mais c’est mon avis et je le partage avec moi-même.
La narration chez les petits
J’ai eu des discussions passionnantes avec des instit’ qui proposaient à leurs élèves de travailler l’imagination par l’invention d’histoires. Il ressort que les enfants n’ont que rarement le souci de la mesure ou de la plausibilité : par exemple, dans une situation désespérée, tout se résoud d’un coup de baguette magique par l’arrivée de la police qui débarque comme par magie (soit, techniquement, un deus ex machina). Cela ne leur pose aucun problème, comme de faire des sauts abracadabrants (la princesse devient un papillon puis un Canadair pour éteindre l’incendie de forêt). Encore une fois, écouter des enfants jouer à construire des histoires le prouve amplement.
Le lien cause à conséquence est ipso facto plus difficile à faire comprendre – je me rappelle au collège de certains rudiments de logique que mes profs ont dû rattraper chez certains élèves, la chaîne de causalité n’étant pas inuititivement saisie par tous (A implique B ne veut pas dire que B implique A). La distinction réel / virtuel est donc très claire, mais les structures logiques purement formelles sont plus difficiles à maîtriser.
Parce que c’est comme ça
Les parents opérant un véritable travail critique sur les a priori (j’ai placé quatre locutions latines, c’est bon, je me la pète officiellement) sociaux sont extrêmement rares et, pourvu qu’on y fasse attention, on le repère partout : il y a une ligne très fine entre propogation du savoir culturel et endoctrinement dû à une absence totale de remise en cause du savoir établi. Trois exemples (pas très subtils, j’avoue, mais indiscutables) au pif.
- Les tabous culturels et notamment la religion : combien d’enfants baptisés, par exemple, sans réflexion qui sorte du référentiel de la tradition ? Combien élevés dans la stricte observance des traditions religieuses, dont une infime partie (comme ne pas mentir, ne pas piquer le pain du voisin, ne pas le tuer à coups de pelle et abandonner son cadavre dans un fossé) sert réellement la vie en communauté ?
- L’orientation sexuelle et, plus largement, le rapport à l’autre : la cellule familiale hétérosexuelle et monopartenaire reste la norme, non pas parce qu’il a été prouvé rationnellement que c’est « mieux », mais parce que, pour beaucoup de gens, c’est comme ça et ta gueule. De même, le rôle fondamental du couple reste la procréation pour une quantité écrasante de monde et vivre kid free n’est pas quelque chose d’aisément concevable.
- Les rôles des genres. Feuilleter les catalogues de jouets pour Noël est une expérience qu’on peut qualifier soit d’instructive, soit de terrifiante : les petites filles ont des fers à repasser en plastique rose, les garçons des jeux de guerre (ou pire : des jeux de réflexion, parce qu’ils sont assez intelligents pour, eux). Là encore, c’est « comme ça ». On peut éventuellement concevoir qu’au Moyen-Âge, il y avait une raison sous-jacente à cette ségrégation, mais aujourd’hui ? Pour un bon coup de déprime ou de révolte, jeter un oeil au blog Vie de Meuf.
Évidemment, on est forcé, dans nos rapports à l’autre et plus particulièrement dans l’éducation, de transmettre ce qu’on est, ce qu’on pense, et c’est une richesse dès lors que c’est réfléchi et raisonné. Mais une quantité invraisemblable de présupposés foncièrement inutiles à la vie en groupe et à l’épanouissement de soi enrobent les identités et ne font que ligoter l’enfant et le jeune dans des attitudes considérée comme évidentes, alors qu’elles sont, à mon humble mais ferme avis, sclérosantes pour lui comme pour la société toute entière. Rares sont ceux qui y ont réfléchi deux secondes.
Quand les parents n’ont pas résolu tout le sédiment qu’il charrient dans les profondeurs de leur éducation, cela ne peut que se reporter sur la génération suivante ; plus grave, ces sédiments sont souvent confondus avec une forme de clairvoyance, et leur confusion vient brouiller les cartes de leur progéniture. Sérieusement, comment un enfant peut-il bien réagir quand il découvre que le père Noël n’existe pas et que ses parents lui mentent depuis des années comme un arracheur de dents (et dieu sait qu’on flippe du dentiste à cet âge-là) ? Réflexion en amont sur les conséquences : nada. C’est « ce qui se fait », ça doit donc être bien.
Nietzsche
Mais bon, c’est quand même le vieux fou qui en parle le mieux dans Ainsi parlait Zarathoustra, « De l’enfant et du mariage », et je vais me faire plaisir en le citant :
J’ai une question pour toi seul, mon frère. Je jette cette question comme une sonde dans ton âme, afin de connaître sa profondeur.
Tu es jeune et tu désires femme et enfant. Mais je te demande : es-tu un homme qui ait le droit de désirer un enfant ?
Es-tu le victorieux, vainqueur de lui-même, souverain des sens, maître de ses vertus ? C’est ce que je te demande.
Ou bien ton vœu est-il le cri de la bête et de l’indigence ? Ou la peur de la solitude ? Ou la discorde avec toi-même ?
Je veux que ta victoire et ta liberté aspirent à se perpétuer par l’enfant. Tu dois construire des monuments vivants à ta victoire et à ta délivrance.
Tu dois construire plus haut que toi-même. Mais il faut d’abord que tu sois construit toi-même, carré de la tête à la base. Tu ne dois pas seulement propager ta race plus loin, mais aussi plus haut. Que le jardin du mariage te serve à cela.
Tu dois créer un corps d’essence supérieure, un premier mouvement, une roue qui roule sur elle-même, – tu dois créer un créateur.
La suite (et tout le texte) ici.
Photo : Jouet Smoby Baby pécho sur Pixmania.
Merci !
« l’enfant n’est pas un vase que l’on remplit, mais une source qu’on laisse jaillir »
Maria Montessori
A l’âge où j’attendais avec impatience les catalogues de Noël, j’étais déjà écœurée par cette avalanche de rose bonbon, de machines à laver et de poupées à coiffer dans les pages « pour filles »… j’ai revérifié cette année, et rien n’a changé, évidemment. C’est triste. heureusement que mes parents n’ont jamais refusé de m’offrir plutôt des Lego, des jeux de société, des ballons et des livres d’aventure avec des pirates et des chevaliers dedans !
Quant au Père Noël, je crois qu’on peut quand même lui laisser une place, dans l’imaginaire – comme une belle histoire plutôt qu’un mensonge. Mon Père Noël à moi, il habitait dans les étoiles – parce que c’est à ça que je voulais croire – et il cohabitait très bien avec la réalité, en existant sans exister – enfin il me semble. Et vu comme ça, moi je l’aime toujours bien, le Père Noël…
Je pense qu’il n’y a pas de problème à vouloir croire, ni à entretenir cette schizophrénie typique de la fiction entre l’existence et l’inexistence. Mais pour y arriver, il faut savoir que ce n’est pas une vérité « factuelle » – et donc que ce ne soit pas présenté comme un mensonge. J’ai de la place dans la tête pour tout un tas de trucs qui n’existent pas… ou plutôt si, qui existent vigoureusement, mais pour moi seul, et que je m’efforce de faire toucher du doigt 🙂
A propos du père Noël et autres « mensonges »… considérer que ces histoires ne sont que des tromperies reviendrait à croire que les enfants ne jouent pas, ne manient pas l’imaginaire et se sentent floués si on le manie !!!
Il y a des âges, des passages (tiens, ça me rappelle quelque chose ^^). Je me souviens de mon fils, à six ans, que je ramenais en voiture de l’école et qui me dit d’un ton très sérieux (c’était toujours quand j’étais au volant concentrée sur la route qu’il me parlait de choses très importantes) :
— Maman, ne me ment pas !
— D’accord, mon fils (d’une voix hésitante et inquiète…)
— La Petite Souris, elle existe vraiment ?
— Heu… tu serais très déçu si je te disais qu’en fait, c’est les parents qui…
— Ah non, c’est super ! Parce que tu pourras m’acheter le robot que j’ai vu chez le marchand de journaux pour ma dent qui vient de tomber !
Voilà, il y a un âge où c’est bien d’avoir une surprise amenée par la petite souris, un autre où c’est bien de passer commande du jouet qu’on rêve d’avoir…
+1 pour tout le reste de ta démonstration.
Je ne dis rien d’autre. C’est pour moi un mensonge à partir du moment où l’on maintient mordicus que si, si, fermement, absolument, c’est la Petite Souris qui laisse des sous et pas les parents. Je dis au contraire que les enfants savent très bien manier l’imaginaire et qu’imposer un mensonge avec le prétexte de la magie, c’est gravement sous-estimer leur capacité d’émerveillement et révélateur de la perte de celle de l’adulte.
Alors on est d’accord ! De toute façon, à partir du moment où il m’avait dit « maman, ne me mens pas » (oui, il avait dit « mens » et non pas « ment ») j’étais coincée 😉
Au Moyen Age, y’avait pas de catalogues de Noël, d’abord (je me tue à le répéter, pourquoi personne n’écoute?). Les bouquins c’était pour les nanas (qui avaient bien le temps, ces feignasses de merde, entre deux grossesses), et les épées c’était pour les mâles qui sinon se seraient fait bien chier vu qu’on avait pas encore inventé la PS3 ou les films de charme.
Et si tu présentes encore le Moyen Age comme un exemple-type de période ségrégationniste et obscurantiste, je cloue des chatons morts sur ton interphone \o/
« Bah, laisse-les en vie, les clous s’en chargeront. » (SIgné un ébéniste anonyme au mont des Oliviers)
Très bref message parce que je devrais être en train de bosser (procrastination, ilu).
« Mais une quantité invraisemblable de présupposés foncièrement inutiles à la vie en groupe et à l’épanouissement de soi enrobent les identités et ne font que ligoter l’enfant et le jeune dans des attitudes considérée comme évidentes, alors qu’elles sont, à mon humble mais ferme avis, sclérosantes pour lui comme pour la société toute entière. »
Je ne suis pas bien d’accord. Les préjugés, et autres présupposés foncièrement inutiles, font partie de ces choses qui permettent précisément la vie en communauté et l’existence de la société.
Qu’on ne se trompe pas, je suis moi-même une grande militante de la pansexualité, et combat à fond l’hétéronormatisme. J’ai toujours farouchement demandé des voitures et des garages quand j’étais petite, pleuré comme une damnée les fois où des amis de la famille l’ont joué « réglementaire » et m’ont offert des poupées alors que je détestais ça, et quand je vois qu’on propose des vêtements roses à mes nièces et des vêtements bleus à mon neveu, ça me défrise au plus au point !
Mais avoir l’esprit critique, être capable d’avoir une réflexion sur des sujets banals, affirmer ses choix singuliers, non, ce n’est pas à la portée de tout le monde, et heureusement. C’est malheureux à dire (selon le point de vue !), mais la société s’est formée en fonction de ses capacités, et les préjugés sont d’une aide précieuse pour tout ceux qui n’ont pas les ressources cognitives pour analyser constamment ce qu’il se passe autour d’eux. N’importe quel livre de psychologie sociale te le dira : les préjugés sont non seulement utiles, mais ce sont eux qui font le lien, en créant un sentiment d’unité et d’appartenance à un groupe. Et ils sont une économie de charge cognitive, parce que la société fournit un prêt-à-penser rassurant et directement applicable.
A mon avis, la société est comme un rocher qui s’est façonné lui-même au grès des vagues : elle a certaines facettes contrastées, mais tout ce qui est lisse a été façonné avec le temps, par nécessité. Je pense que la plupart des gens ne sont tout simplement pas capables de réfléchir en permanence et de remettre en question leur quotidien. Ce n’est pas un mal, mais un fait : tu peux sensibiliser Mr et Mme Tout-le-Monde de temps en temps, sur un sujet précis, mais tu ne peux pas les pousser à être intensément réflexifs. Ils ne sont pas comme ça, ils n’en ont pas les capacités cognitives, ils n’en ont pas le désir. Et en plus, une société où tout le monde serait capable de remettre en question le système ne serait pas une société viable, à moins que chacun de ses citoyens soit profondément attaché à un sentiment d’unité : et ça, à part chez les Jedis, quand tu es fort critique, c’est plutôt source de discordance que de désir d’avancer ensemble.
En tout cas, sans être ni optimiste, ni pessimiste, je dirais que si l’humanité est comme ça, c’est que c’est ce qui est le plus organiquement viable pour elle. Sans entrer dans les détails de tel comportement aberrant ou de tel autre, je pense qu’un ethnologue nous confirmerait que dans toutes les sociétés, aussi différentes soient-elles, il existe un système que 95% des parties constituantes ne questionnent pas, et que seulement une faible poignée combat et tente de faire évoluer.
Il faut se rendre à l’évidence : l’humanité, tout en n’étant ni foncièrement bonne ni foncièrement mauvaise (mais en étant, dans tous les cas, surprenante et capable de nous émerveiller), n’est pas intelligente dans le sens logique du terme. Finalement, à l’échelle macroscopique, c’est une intelligence collective similaire à celle des animaux et des insectes qui nous permet de nous organiser à l’échelle de millions de personnes. Seuls les individus qui sortent de la masse sont capables d’avoir une réflexion de profondeur dessus – mais alors qu’ils sont capables de critiquer l’ensemble de la masse, j’ai l’impression qu’ils perdent leur capacité à se mettre à la place d’un individu singulier au sein de cette masse pour comprendre pourquoi cela fonctionne de l’intérieur.
ps. J’ai dit que je ferai court, apparemment j’ai menti. \o/
pps. Sinon, plus généralement, ce genre de débat me rappelle une remarque d’Einstein dans son petit traité de philosophie – « Comment je vois le monde », il me semble que ça s’appelle – qui ne pouvait tout simplement pas comprendre la dynamique de guerre et le comportement des soldats. Il est là : BRAIN CANNOT COMPUTE WAR, ZOMG !!! Et je m’étais faite la réflexion, à l’époque, qu’il était trop en position d’observateur analyste de la masse pour être capable de se mettre à la place des sujets qu’il était en train de juger.
Remarque, forcément, un type qui remet en question les sciences de son époque avec un aplomb et un culot fous, ne va pas trop comprendre pourquoi personne n’est capable de remettre en question des règles aussi bêtement présentes et quotidiennement éprouvées que les règles sociales. Mais, Einstein, mon ami, tout le monde n’a pas tes c***lles !
Wow, merci pour ton commentaire, Laurie, manifestement on est un peu pareil, on veut partir sur un message court et ça part en vrille ! 😉
Mais en fait, je suis tout à fait d’accord avec toi sur l’état que tu décris de la société et l’impossibilité qu’ont beaucoup de gens à interroger les modèles – pour mille raisons. Ainsi qu’avec le danger que cela présenterait si tout le monde se mettait à le faire d’un seul coup.
Seulement, si je puis me permettre, il me semble que c’est une analyse actuelle (qui risque de tenir encore au moins quelques décennies, voire siècles)… Je me place en revanche résolument dans le cas de l’idéalisme et de la prospective (parce que c’est mon amusement de réfléchir à des « autres » possibles). Certes, nous sommes dans cet état aujourd’hui, mais je pense pour ma part que nos sociétés évoluent, à très longue échelle, elles l’ont toujours fait, et je réfléchis plus dans une optique nietzschéenne de post- ou sur- humanité, et des ponts qui pouraient nous y conduire – même si l’on ne saurait encore entrevoir à quoi ça ressemblera. Je suis parfaitement conscient que c’est utopique à l’heure actuelle, mais il faut bien démarrer quelque part, et ce quelque part, pour moi, c’est le soi.
Cette mutation, si elle se fait, ne se fera pas en deux jours ou même un siècle mais, peut-on espérer, à mesure que de plus en plus de gens conduiront cette attitude de doute raisonné sur les menottes qui les emprisonnent, elle aménera plus de liberté pour tous, à mesure qu’elle gagnera les consciences. Cela s’accélère ; les démarcations bougent tous les mois à notre époque, et c’est heureux.
Alors oui, je suis totalement utopique, je le répète, et j’assume 😉 Je pense en terme de projet, et le projet doit bien démarrer aujourd’hui, par soi. J’ai longtemps hésité avant de proclamer mon antinomisme sur la page d’accueil – c’est un mot chargé de connotations diverses – mais il me semblait valide. L’antinomisme est un outil d’interrogation et de décision, pas une attitude gravée dans le marbre. 🙂
Des utopistes : il en faut ! Ce sont eux qui font avancer les choses, et c’est un but tout à fait louable. Après, c’est une disposition particulière de l’esprit : personnellement j’ai foi en l’humanité (= je crois qu’il y a du beau en chacun, du beau à trouver dans l’ordinaire) mais au niveau microscopique je suis assez cynique sur la réalité sociale. Précisément parce que la plupart des gens sont si peu réflexifs qu’ils ne révèleront jamais la beauté de l’ordinaire. Du coup, j’avoue que je ne me projette pas trop, et que s’il y aura effectivement une évolution positive qu’on ne peut décrire précisément, je ne pense pas qu’une telle société réflexive et responsable sera possible. Mais c’est mon cynisme qui parle, j’espère avoir tout faux !
En tout cas, je pense qu’il y aura toujours des visionnaires et des antinomistes qui voudront toujours plus, donc en ce sens le décalage ne changera pas vraiment. Je suis sure que même dans ta société utopique, tu trouveras des individus nés trois siècles plus tôt qui n’auront de cesse de croire en un monde encore meilleur. 😉
(merci à eux de faire avancer les choses !)
« tu trouveras des individus nés trois siècles plus tôt » -> argh, je voulais dire TROP tôt !