Comme promis, je me relance à écrire davantage sur l’écriture (j’aime ces tautologies), mais aussi l’édition au sens large et le monde du livre. “No fish is an island », dit-on en écologie marine, et le métier d’écrivain ne se conçoit pas sans son écosystème. Au-delà des aspects purement créatifs, je vais donc m’efforcer de parler aussi de ce qui va autour : soit la facette “métier” de l’expression, très mal connue en général. Et puisque j’ai une brouette de questions auxquelles j’ai promis de répondre, je vais commencer par celle qui revient le plus souvent…
Pourquoi n’es-tu pas traduit en anglais ?
C’est pour quand la traduction ?
Tu peux t’en charger toi-même, non ?
Aaaah, la traduction en langue anglaise. Le Graal de tout auteur étranger, les portes perlées du Paradis et de la reconnaissance internationale, celles qui ouvrent les deals à 25 millions de dollars avec Pixar, les adaptations à Bollywood avec Ashwarya Rai, en théâtre Nô à Tokyo et en comédie musicale muette pour les bénédictins ayant fait voeu de silence. Être traduit en anglais, c’est franchir le seuil de la lingua franca, c’est l’assurance statistiques d’être lu, et donc repéré, par un public bien plus vaste, parce que tout le monde parle anglais, et pas le français. Alors, il faut se faire traduire, hein ? Et tu l’es ?
Non ?
(À ce stade de la discussion, en général, l’interlocuteur adopte une moue dubitative. La traduction décuple le lectorat ; c’est tellement évident que, si tu n’en as pas, quelque chose cloche forcément chez toi. Genre tu souffres d’odeurs corporelles chroniques qui empêchent ton éditeur de rester suffisamment longtemps dans la même pièce pour te faire signer le contrat, ou alors tu es secrètement insupportable – comme tous les créateurs, on le sait bien – je le savais ! je le savais ! -, ou alors tu es chroniquement malchanceux et c’est contagieux alors reste loin de moi je te prie, ou pire. Tes livres. Sont. Mauvais. Et tu vas vouloir me les vendre. Mon dieu, comment me tirer de ce mauvais pas ? Vite, parlons-lui de mes enfants.)
Non, parce que ce n’est pas si simple.
J’ai trois nouvelles traduites, “Devant” et “L’Île close » en anglais, dont seule la deuxième a donné lieu à une véritable diffusion aux États-Unis, ainsi que “Bataille pour un souvenir” en Pologne. Et cette chance est déjà extrêmement rare pour un auteur français.
Les obstacles
Alors, pourquoi cela n’arrive-t-il pas souvent ?
- La difficulté de lire la langue. Comme dit plus haut, presque tout le monde parle anglais, et beaucoup d’acteurs de l’édition le lisent. Une langue plus exotique, comme le français ou le moldovalaque, est bien plus rare. Il y a bien entendu des exceptions, mais on ne peut compter dessus. Pour se faire repérer ou publier, il faut envoyer un texte dans un idiome intelligible. En-dehors de la France, celui-ci est la plupart du temps l’anglais. Donc il faut être traduit d’abord. Ce qui résoud un peu la question, hein.
- Le prix d’une traduction. Une traduction de qualité, ça se paie. Tout le monde ne peut pas s’improviser traducteur littéraire, c’est un métier, et un professionnel a un coût. Ce coût est souvent supérieur à l’à-valoir de l’auteur. Et c’est à l’éditeur importateur de payer ce chantier (en principe). Ce qui augmente drastiquement le risque financier, et donc, la prudence est de mise ; on tentera plus facilement de publier un auteur obscur dans sa propre langue, bien sûr.
- L’envergure de l’offre anglaise. On raconte qu’autrefois, quand on demandait aux éditeurs américains pourquoi ils n’importaient pas davantage d’étrangers, ils répondaient : “Pourquoi traduire ce que nous avons déjà ?” En 2004, sur le sol américain, on estime que sur 185 000 titres de littérature adulte publiés, seuls… 874 étaient des traductions, soit 0,005% (hou yeah). C’est un effet mécanique : tout le monde parle anglais ; beaucoup le lisent ; la taille du marché rend viable des niches économiques restreintes partout ailleurs. Donc, pensent les Américains, il n’y a pas d’intérêt à payer davantage pour ce qu’ils croient avoir déjà. (Même si l’idée est fausse, sinon ils ne traduiraient rien, et ils le savent.)
Ce n’est évidemment pas pour prétendre que c’est infaisable, loin de là : plusieurs auteurs français, David Khara, Pierre Pevel, Jean-Claude Dunyach, Mélanie Fazi, Jess Kaan, Léa Silhol, votre serviteur et encore d’autres ont déjà franchi le seuil, une diffusion plus ou moins vaste. Les lamentations qu’on entend parfois sur la prétendue impossibilité de la chose sont fausses. OK, c’est dur, mais pas infaisable.
Pour que cela se produise, autant que j’en sache, il convient de résoudre les problèmes principaux exposés ci-dessus.
- Trouver quelqu’un qui lise et apprécie le français (c’est surtout ce qui m’est arrivé). C’est aussi le rôle du département droits étrangers d’un éditeur : cela réclame de connaître les bonnes personnes, et beaucoup de patience…
- Faire le pari de payer la traduction soi-même en espérant se rembourser sur la vente à l’étranger. Ça marche assez bien, mais ça risque de donner de mauvaises habitudes aux angolphones qui risquent d’oublier, à la longue, que la traduction est à la charge de l’importateur.
- Connaître une notoriété suffisante pour être repéré par les éditeurs (devenir un best-seller, quoi).
- Mettre en valeur la littérature étrangère auprès des pays anglophones. Impossible de ne pas mentionner le travail de fourmi et constant réalisé par la critique et éditrice Cheryl Morgan, qui siège au jury des SF&F Translation Awards, chargés de récompenser la qualité de traductions étrangères en imaginaire.
- Se traduire soi-même.
Se traduire soi-même ?
Ce dernier point mérite un peu de développement, car c’est souvent ce qui ressort quand je discute de la chose. Si l’on sait traduire vers le français, pourquoi ne pas se traduire soi-même dans l’autre sens ? (La même moue dubitative que précédemment accompagne généralement cette question : si ce n’est pas fait, c’est qu’il y a forcément quelque chose qui cloche.)
Eh bien, ça non plus, ce n’est pas aussi simple.
- On ne connaît aucune langue aussi bien que sa langue maternelle. Même un bilingue a plus d’assurance dans l’une ou l’autre. il y a une pratique, un bain culturel, dont il est quasiment impossible de bénéficier dans plus d’une langue. Même si l’on connaît extrêmement bien une culture étrangère, créer dans celle-ci nécessite une intimité avec le langage bien supérieure à la compréhension profonde. Traduire vers une autre langue que la sienne est un défi extrêmement périlleux que les traducteurs refusent très généralement.
- Mais c’est possible quand même. On peut avoir un niveau de maîtrise qui permet l’exercice, cela arrive, et, de toute façon, l’auteur ne viendra pas râler s’il se trahit tout seul. Certains créent aussi directement en anglais : Aliette de Bodard par exemple. Pour ma part, je me suis chargé de traduire “Devant” tout seul, et j’ai terminé avec une mention honorable à l’Eurocon 2009 : je n’ai donc probablement pas trop raté mon coup. Hélas, pour la plupart des auteurs, ce n’est pas envisageable. Mais j’aimerais retenter l’expérience, sauf que…
- … Traduire prend du temps et de l’argent. Je ne peux parler que de mon cas, car c’est ce que je connais le mieux, et ce point constitue mon principal obstacle. Une traduction d’un solide pavé, de l’anglais vers le français, me prend environ six mois. Six mois pendant lesquels on me paie… Si je devais traduire un Léviathan, par exemple, il faudrait que je bloque six mois, six mois pendant lesquels je n’écrirais rien de nouveau – ce qui est un peu déprimant – et pour travailler sans certitude de publication ni rémunération. J’ai plus urgent et plus sûr à faire, tout simplement.
En conclusion
Voilà pourquoi ce n’est pas évident : cela n’a rien à voir avec une maladie honteuse ou un trait de caractère fondamentalement tordu. Cependant, les réussites sont présentes, existent, et montrent que la barrière n’est pas infranchissable. Mais elle existe quand même ; avec des journées de 72h, ce serait déjà réglé.
C’est peut-être ça, la maladie honteuse : ne pas avoir de journées de 72h.
Auguste lectorat, amis de l’édition, n’hésitez pas à partager votre expérience en commentaires, vos idées, vos remarques.
Ah la question QUI TUE. (J’ai pas encore lu ton article mais déjà c’est une bonne idée.)
En anglais, je signe sous un pseudo. T’as entendu parler de King, Stephen King ?
Mais, si je te comprends bien, Lionel, le lecteur qui te demande ça (et dont la langue maternelle doit être le français) a l’air de penser qu’être traduit en anglais ajoute une plus-value qualitative à ton roman… Euh, quel rapport ? Il y a une mode dans l’édition actuellement qui est de faire la publicité des livres en mettant en avant les chiffres de vente et le nombre de langues dans lequel il a été traduit. On ne sait pas de quoi parle le livre, mais, s’il se vend et qu’on le lit ailleurs, alors, ça doit être trop génial… Bizarre façon de faire…
Pas bizarre, juste commerciale la facon de faire. Meme si je pense que certains auteurs francais ne perdraient rien a se faire traduire.
Deux remarques :
– Le rêve américain, quelque part qui traîne derrière cette question de traduction,
– Le nombre de lecteur : la population anglophone est quand même achement plus importante que la francophone.
Ca n’améliore pas la qualité mais la visibilité, ou du moins le nombre de lecteur potentiel.
Mais les Anglo-saxons, en particulier les Américains, lisent-ils tant que ça ?
Je crois avoir vu des chiffres montrant que, proportionnellement, ils lisaient moins, mais la taille du marché compense largement.
(On est d’accord qu’il ne s’agit là que de questions économiques, et non de qualité, même si certains lecteurs, oui, considèrent que anglophone = gage de qualité.)
Joyeux Drille : C’est la loi du grand nombre, comme “vu à la télé”. Si on en parle, c’est forcément bien, car “2 millions de lecteurs ne peuvent se tromper”. Ca peut se discuter.
Pourtant, dans le domaine du thriller, la France a une génération d’auteurs qui valent bien des écrivains anglo-saxons. Abattons les préjugés ! On se croirait à la télé où on préfère une mauvaise série US à une bonne série française (aussi bien dans les chaînes que chez les téléspectateurs…)…
Un grand nombre de gens bouffent chez McDo, ça n’en fait pas la Tour d’Argent !
Joyeux Drille: pour ma part, je préfère les bonnes séries UK de la BBC aux mauvaises séries FR de France Télévision. :p
Et quelle que soit le pays d’origine, le culturel comporte autant de déchet: environ 90%(*). Donc sur 50(*) séries US par an, on a quand même plus de bonnes choses que sur 10(*) séries FR. (* chiffres subjectifs)
quel*
Bon, ne dévions pas trop sur les séries, ce n’est pas le sujet principal. Mais ce n’est pas qu’une question de savoir-faire, c’est une question de volonté. F2 produit de bonnes choses du côté policier, sans doute trop formaté, c’est possible, mais en net progrès, idem pour les productions Canal… La frilosité des chaînes françaises est incroyable : pourquoi acheter “Six feet under” pour la diffuser au milieu de la nuit ? Je suis d’accord sur les séries britanniques qui osent, mais c’est aussi une question d’us et coutumes. Pour prendre un exemple différent, quand en France, la sécurité routière montre des accidents dans ses messages de prévention, en Angleterre, c’est normal, en France, ça fait tout un cirque et on arrête la diffusion (sans oublier que le message n’a aucune efficacité…)…
Pour en revenir aux livres, il était une époque où le label anglo-saxon pouvait représenter un label de qualité. Mais ce temps est, je pense, révolu. D’abord, parce qu’il y a à boire et à manger, ensuite, parce que la production française a changé.
Reste une question, Lionel, que tu n’abordes qu’indirectement, je trouve : la qualité des traductions.
Joyeux Drille: Effectivement, la qualité des traductions… Il y a certains vieux livres, comme les vieux J’ai Lu SF que j’ai du mal à relire. J’ai ouvert Les Rois des Étoiles, de Hamilton, tout-à-l’heure. Une ville du futur s’appelle Nouillor… CQFD. Mais aujourd’hui, on commence à voir une nette amélioration.
Tout arrive, Raphaêl, même qu’on soit d’accord sur quelque chose 😉 J’en suis ravi…
Un auteur qui se traduirait lui même ne serait-il pas tenté de réécrire en partie son livre (“ce chapitre ne me convenait pas totalement, je profite de la traduction pour le remodeler”) ?
C’est tout à fait possible. Mais certains auteurs se “remixent” déjà eux-mêmes, réadaptent, refaçonnent leurs récits au fil des publications dans la même langue, au point que cela devient également un jeu pour les lecteurs. Rien ne l’empêche, en tout cas.
La BBC exporte Doctor Who, nous on exporte Sous le Soleil. Voilà voilà.
La qualité des trads est un autre problème (une trad de qualité se paie, or tout le monde n’est pas prêt à payer…).
*Ne dit rien, trouve Dr Who sans intérêt*
D’apres wikipedia, il y a environ 1.8 milliards d’anglophones dans le monde. Ce qui ouvre un marche potentiel non negligeable. Desole, mais ecrire c’est bien, vendre ce que l’on ecrit c’est mieux… Ne me voyez pas comme un affreux mercantile. Ce que je veux dire c’est qu’il n’y a pas de complexe d’inferiorite a avoir, de nombreux auteurs francais meritent autant d’etre traduits en anglais que Stephen King d’etre traduit en francais. Quant’a la qualite de traduction, le changement de langue induit forcement une distorsion du sens. Une bonne traduction aide a garder ce sens.
La qualité des traductions. Sujet intéressant… Ayant fait plusieurs expériences dans le domaine (écrit en français et en anglais, traduit anglais->français et français->anglais, etc.), j’ai quelques idées sur le sujet que je ne développerai pas trop. Primo, ce qui motive parfois les auteurs, les traducteurs (semi-)bénévoles et les dirlitts, c’est la qualité des textes, mais ce qui motive les éditeurs, c’est leur potentiel commercial, d’où un malentendu persistant. Secundo, il ne faut pas se faire trop de complexes au sujet de la qualité de l’anglais d’une traduction; même si j’aimerais améliorer a posteriori certaines de mes traductions, le fait est que la barre n’est pas si haute dans le domaine de la science-fiction commerciale; les dirlitts laisseront passer un style un peu bancal ou encombré de gallicismes si l’action, les personnages et les idées sont au rendez-vous — mais il faut quand même savoir rendre ceux-ci dans la langue d’arrivée (et j’ai vu des traducteurs aguerris de langue maternelle anglaise qui ne savaient pas comment faire parce qu’ils ne maîtrisaient pas les codes de la prose narrative). Tertio, le reste relève du réseautage, du marketing, des considérations commerciales déjà abordées et, en définitive, des atouts propres au texte.
Pour revenir aux traductions de romans francophones, je pense que plus qu’une reconnaissance de l’écrivain traduit qui lui serait “dûe”, ce sont les lecteurs anglophones qui méritent de découvrir des textes d’autres contrées linguistiques. Oui, ils ont de la production littéraire disponible à foison mais je trouve qu’ils auraient le droit de lire des choses qui sortent de leur environnement culturel direct.
Je suis d’accord : moi qui lis énormément de polars, j’apprécie justement cette diversité culturelle, sociale, historique, géographique qui s’en dégage. Je pense que si je restais “ancré” au thriller US, avec ses codes, ses formats, ou français, ou toute forme de littérature enfermée dans son pré carré, j’en aurais vite soupé…
Hmmm ? Je parlais, entre autres, de traductions de romans francophones, comme _La Taupe et le Dragon_ de Joël Champetier ou _Les Voyageurs malgré eux_ d’Élisabeth Vonarburg. Dans la pratique, les lecteurs anglophones ne méritent de découvrir des textes différents que s’ils achètent quand même un peu ceux qui sont bel et bien traduits…
Jean-Louis Trudel, je suis d’accord. Mais au même titre que Trône de Fer prend une gondole de 6 mètres à la Fnac en bouffant de l’espace de visibilité aux autres ouvrages tout aussi intéressants (sinon plus), le faible nombre de traductions vers l’anglais fait que ces titres sont noyés entre les 2578 Stephen King et les 3452 Danielle Steel… DOnc difficile de vendre.
D’où mon « tertio » ci-dessus.
@ Raphael : la différence, aujourd’hui, c’est que les gondoles, ont les retrouve aussi sur internet. Lorsque je vais en librairie, je sais déjà ce que je veux, parce que je suis allé faire ma liste de courses sur la FNAC ou Amazon… On parle beaucoup de questions commerciales depuis le début de cette conversation, mais la curiosité du public, l’éducation qu’on lui donne pour qu’il soit curieux, on n’en dit rien… Or, les ventes engendrent les ventes, dans les salons, les lecteurs vont plus voir un auteur qu’ils connaissent qu’un autre dont ils n’ont jamais entendu parler… Aurais-je lu les livres de Lionel si je ne le connaissais pas grâce aux Imaginales ? Hum, pardon Lionel, mais ce n’est pas sûr… Son nom me serait apparu parmi une multitude d’autres et bon, il faut faire des choix… Nous, lecteurs, sommes aussi responsables de ce qu’on nous propose…
Pas le temps de développer pour l’instant, mais l’intérêt d’être traduit en anglais, c’est que ça permet d’être lu par des anglophones non-anglais et non-étatsuniens qui ne lisent pas le français (Amérique latine, pays de l’Est, Asie…) et qui ont moins de préjugés (et de paresse intellectuelle) que les éditeurs étatsuniens.
Et avec un éditeur canadien ou australien ?
Ils ne lisent pas forcément le français.
Nous pourrions aussi nous intéresser au rôle des instituts culturels français à l’étranger, qui pourraient être une belle vitrine pour la diffusion des écrits de langue française à l’étranger. Il y a quelques mois, alors que je préparais le colloque Antiquité-SFFF, la responsable du département livres de l’institut français de Londres (une dame, ancienne éditrice, absolument charmante toutefois et qui a d’excellentes idées le reste du temps) m’a gentiment expliqué que la Fantasy et la SF françaises étaient inexportables ici car les auteurs anglo-saxons “trustent” le marché… et qu’il était donc inutile d’inviter ces auteurs à Londres car personne ne serait intéressé (hum!)… Devant cet état de fait, la France s’incline donc (selon des principes là encore commerciaux et de taux d’audience pour les événements qu’ils organisent)… c’est sûr qu’ainsi on n’améliorera pas les choses!
Parlez-en à l’Ambassade de France au Canada, que j’avais sollicité pour faire venir Roland Wagner et Sylvie Denis à Québec en mai dernier. Refus… Cela dit, la France a un programme de soutien à la traduction aux États-Unis et dont pourrait profiter un éditeur new yorkais désirant publier un roman français afin de financer la traduction.
Un autre aspect de la question, aussi, même si c’est secondaire : de mon expérience sur cinq textes traduits et publiés en anglais, j’ai retiré l’impression que les textes n’avaient pas le même impact en anglais et en français. Certains textes sur lesquels j’ai eu beaucoup de retours en français donnaient l’impression de ne pas fonctionner sur des lecteurs anglophones. Je n’ai jamais su si ça tenait à la traduction ou à des questions d’ordre culturel.
Jean-Daniel : Dans l’expérience que j’en ai eue, je n’ai ressenti aucun préjugé de la part des éditeurs ou des lecteurs. La principale barrière, c’était la traduction. Mais ensuite, ils traitaient les textes exactement comme ceux des auteurs anglophones (la plupart du temps sans insister outre mesure sur le fait que les textes étaient étrangers). J’ai même l’impression qu’on fait beaucoup plus la différence qu’eux entre les textes traduits et non traduits, à ce niveau.
Il y a aussi certains textes qui sont bonnement intraduisibles ou tellement difficiles à traduire que l’éditeur ne prendra pas le risque… Je pense, par exemple, à la Horde du Contrevent de Damasio, qui a intéressé un grand groupe d’édition britannique : or, mal traduire le roman était un trop grand risque pour qu’ils tentent l’expérience (pourtant avec le film d’animation qui va sortir dans quelques mois/années, le risque financier leur apparaissait déjà moindre!).
Par ailleurs, je crois qu’il ne faut pas sous-estimer les différences culturelles, comme le remarque Mélanie, qui ne sont peut-être pas si mineures que ça dans le problème qui nous occupe aujourd’hui. Le lectorat anglo-saxon n’est pas encore totalement habitué à notre manière de concevoir la littérature (qui parfois/souvent s’éloigne du pur story-telling).
David : Dans les exemples auxquels je pensais, ce n’étaient pas les textes les plus orientés “story-telling” qui marchaient le mieux. Pour moi, ce n’est pas là que se situent les différences (et puis des auteurs qui s’en éloignent, ils en ont une floppée aussi).
En effet, c’est intéressant. Du coup, peut-être cherchent-ils quand un texte est traduit une saveur différente qu’ils ne retrouvent pas vraiment chez eux? (hypothèse bien hasardeuse, n’ayant que peu vu d’ouvrages traduits du français vers l’anglais et donc n’ayant pas eu l’occasion d’en discuter avec des British)
Je n’ai pas l’impression que ce soit ça non plus (je repense à des discussions sur le Net avec des anglophones fans de genre qui citaient Süskind ou Houellebecq tout comme ils citaient King ou d’autres, sans faire de distinction – j’ai l’intuition que cette manie de classer les textes par nationalité est très européenne ou française). Je pensais plutôt à quelque chose de “souterrain”, une manière de construire les textes, un type de point de vue, allez savoir… Un peu comme pour certains textes japonais par exemple dans lesquels on voit transparaître une approche vraiment différente de la nôtre sans qu’on puisse nécessairement mettre le doigt dessus.
Et chaque fois qu’on parle d’une distinction reposant soi-disant sur un côté plus littéraire chez nous et plus narratif chez eux, j’ai envie de citer des auteurs comme Kelly Link, ou Terry Windling, ou plein d’autres qui sont à des lieues de l’image qu’on a d’une littérature anglophone “carrée et formatée”.
Le domaine de la nouvelle est assez différent. Plusieurs des nouvelles de Jean-Claude Dunyach qui sont parues en anglais n’étaient pas candidates à une publication dans _Analog_, disons, mais il existe de nos jours un grand nombre d’autres revues et anthologies qui n’ont pas peur de la différence. Quand on parle de nouvelles, la principale difficulté n’est plus les considérations commerciales, puisque les revues s’adressent à un public assez choisi, mais les considérations matérielles : comment (i) faire traduire une nouvelle et (ii) payer l’auteur. Pour les plus petites structures anglo-américaines, les deux peuvent représenter un défi tout simplement parce qu’elles n’ont jamais envisagé ces questions.