De retour du colloque de Lyon « Prothèse, modularité, hybridité : entre réalité et fiction ». Un atelier dont le plus grande force a probablement résidé dans sa pluridisciplinarité, puisque des médecins, des sociologues prenaient la parole autour de l’image des personnes accidentées, de leur aide et de leur accompagnement, aux côtés des philosophes parlant de transhumanisme… et de Sylvie Lainé et moi-même, qui intervenions pour l’aspect prospectif et science-fiction du thème de la prothèse.
Deux présentations furent tout particulièrement marquantes pour moi : d’une part celle de Stéphane Mor, qui anime un FabLab – un atelier associatif de fabrication d’objets grâce aux nouvelles technologies, comme les imprimantes 3D. Il nous a ainsi été montré des prothèses rudimentaires, des objets d’assistance aux personnes comme un respirateur pour nouveau-né, chacun d’entre eux coûtant à fabriquer… une poignée d’euros. Après le film, la musique, la littérature, les objets physiques vont eux aussi se numériser, paradoxalement se dématérialiser ; cette révolution attendue depuis longtemps ne se trouve qu’à quelques années dans l’avenir à présent, et je suis profondément curieux de voir la société que cela donnera.
En espérant que l’espèce soit assez intelligente pour en tirer profit.
L’autre présentation, c’était celle de Selim Eskiizmirliler, sur les interfaces cerveau – machine. Le travail sur ce plan avance à pas de géant. On a notamment pu voir un singe contrôler un bras mécanique dans l’espace pour ramener une friandise à sa bouche avec une précision et une vivacité étonnantes. Bien sûr, on n’en est qu’aux balbutiements de cette technologie, mais l’on peut imaginer sans mal ce qu’elle donnera dans seulement vingt ans, et les transformations qu’elle entraînera dans l’aide aux personnes… et leur amélioration.
À ce titre, je voudrais répéter ce que j’ai essayé de dire pendant ces journées : l’arrivée, bien réelle, du transhumanisme pose quantité de questions philosophiques, sociales, technologiques. L’humanité semble dépassée, désarmée face à ces problématiques. Mais la science-fiction les étudie, les traite depuis 30, 40, 50 ans. Quelques dates ? Allez, quelques dates. Neuromancien – sur les interfaces homme-machine, par exemple – a été publié il y a tout juste 30 ans : en 1984. Le meilleur des mondes, sur l’eugénisme et l’amélioration génétique ? À votre avis ? Paru en 1950, 1960 ?
Non.
1932.
La science-fiction ne propose généralement pas de réponses, pas de discours. Elle interroge, sans cesse, le monde et ses avenirs possibles. À travers le jeu de la fiction, de la narration, elle propose un chemin possible, celui de l’histoire qu’elle raconte ; il n’est pas forcément (il est d’ailleurs rarement) le bon, il n’a pas non plus vertu futurologique. Il est, au plus, une étude de cas. Mais la lecture d’études de cas, la confrontation à des points de vue divergents, à des approches multiples, forment l’esprit à la réflexion prospective, aux risques possibles, aux bénéfices potentiels. La science-fiction ne fournit pas de réponses, mais elle construit chez son lecteur une grille d’analyse, un esprit critique. Elle est, je n’hésite pas, plus efficace à ce titre que la lecture d’essais sur le présent, qui deviennent, forcément, datés dès leur parution.
Il faut lire de la SF. Les questions qu’on se pose y sont déjà. Et elle forme l’esprit à trouver les réponses que l’on souhaite.
(Et je remercie donc d’autant plus Jérôme Goffette, organisateur de ces journées, pour avoir résolument inclus l’aspect SF dans ces journées et proposé une bibliographie sur le thème de la prothèse ainsi que pour son invitation à venir parler de « Tuning Jack » et de modifications corporelles.)
Excellent compte-rendu Lionel que j’approuve de toutes mes mains et même de la prothèse en forme d’accent circonflexe que tu viens de m’offrir, a des fins purement esthétiques je suppose 😉
Nyah ! Excuse-moi Sylvie, je corrige ; mon réseau neuronal intégré aura dérivé vers un pattern sémantique préalablement connu et ripé au moment de l’implémentation linguistique 😉
« Lisez de la SF » <3
Lu avec grand intérêt 🙂
Sylvie, juré j’ai eu la même idée hier avec l’accent circonflexe comme prothèse 😉 puis je suis allé sur le site en lien et je me suis fait la remarque que le chapeau constituait une jolie prothèse pour toi! puis je suis allé me coucher…
Jolie description de la réalité de la SF 🙂
Le transhumanisme est déjà parmi nous : « »Ils respirent avec un seul coeur ces deux là » (commentaire pendant les JO)
Ouais et puis je viens de m’acheter le dernier Science & Vie qui titre « 9 milliards de planètes habitables » (c’est une estimation), et je me dis wow, y a quelques années on en cherchait déjà une seule, et je me dis encore : putain mais Star Trek est peu à peu en train de devenir réel… Pour ce genre de choses, vivement le futur 🙂
C’est clair, et il est plus que probable que nous voyions la posthumanité de notre vivant 🙂
Mouais c’est sans compter sur la critique kantienne des paralogismes de la psychologie rationnelle.
(j’aimais bien Sylvoe, t’aurais pas dû corriger le post précédent 🙂 )
F*ck, j’ai vraiment pas pu venir. Ca fait « légèrement » partie de mon sujet de recherche de cette année.
Et on la constatera encore plus depuis l’au-delà, post-humains en linceuls agitant nos chaînes en criant HOUUUUUUUU dans les couloirs pleins de courants d’air des HLM que nous hanterons.