Couv. Alain Brion

Hey ! Il y a quelques semaines (je suis en retard, un peu comme toujours, pardon…) j’ai reçu un message très sympa autour de La Messagère du Ciel (me faisant part de son plaisir de lecture : merci !) avec quelques questions attenantes. Suivant toujours l’adage, quel que soit le domaine – si une personne ose poser une question, trois de plus se les posent peut-être en silence – et puis pour discuter davantage publiquement autour de la série, parce que c’est sympa, quoi, je pensais y répondre publiquement. Si d’aventure vous en avez d’autres, des questions, et si ce format d’échange vous plaît, n’hésitez pas à les poser en commentaires, c’est tout à fait une formule que je pourrais revisiter, et sinon, j’ai plein d’articles sur l’écriture et la productivité en stock, donc pas de problème.

Une lecture bien agréable ! Aux personnages bien posés. J’ai surtout apprécié le “duo” Mériane/Dieu, le caractère bouillant de celle-ci et la patience parfois exaspérée de Wer, ainsi que ses nombreux moments de sagesse (mais c’est Dieu, après tout !). Je lirai la suite avec plaisir. Si tu permets, j’ai quelques questions :

1) Concernant les Enfants d’Aska, je ne serais pas particulièrement surpris si tu me disais que ton inspiration est à chercher du côté de Warhammer ? ???? En lisant certains passages, j’avais l’impression de revivre quelques moments sur Warhammer online avec mon gros Élu de Tzeentch.

Alors, je suis content que cette question revienne, parce qu’elle fait surface de loin en loin, souvent en salon autour de la couverture de La Route de la Conquête. Du coup, cela me permet de pouvoir dire qu’il n’en est rien. Je connais extrêmement mal l’univers de Warhammer Fantasy (même si j’ai eu une boîte quand j’étais ado, mais j’ai dû faire trois parties à tout casser – je n’avais pas la patience pour peindre les figurines) et j’ai encore plus longtemps tout ignoré de 40k. (À force qu’on m’en parle, je m’y suis intéressé, et j’avoue que le douzième degré bourrin m’amuse bien.) J’ignore précisément qui est Tzeentch, par exemple, à part que c’est un des dieux du chaos. Pour les enfants d’Aska, l’inspiration se trouve avant toute chose dans l’esthétique biomécanique (employée dans le tatouage, par exemple) mais en version cauchemardesque. Je me suis aussi énormément nourri de Lovecraft à un âge probablement trop tendre (je considère qu’il a capturé l’essence de la terreur existentielle de l’homme, teintée de sublime, d’une manière peut-être indépassable) et cela irrigue pas mal mon approche de la fascination et de l’inhumain, à travers « Les Dieux sauvages » mais aussi “Léviathan” (Andrew León le cite, d’ailleurs, à la fin de Léviathan : la Nuit). Je pense que beaucoup de visions de l’horreur modernes remontent à lui : du coup, j’ai peut-être cette inspiration là en commun avec d’autres.

2) Est-ce que tu prévois d’en dire plus au sujet du Vagabond ? À moins que ce ne soit un personnage qui se retrouve dans La Volonté du Dragon (que je n’ai pas encore lu) ? Voire dans La Route de la Conquête (que j’aurais oublié) ?

Je crois qu’on a à peu près tous les éléments dans La Messagère du Ciel pour suivre les enjeux du passage en question (en tout cas c’était l’intention), mais si l’on veut en savoir plus, l’histoire de Mandre et de la cause de la chute des Mortes-couronnes est traitée dans « Quelques grammes d’oubli sur la neige », le dernier texte de La Route de la Conquête. Mettre en rapport cette histoire et La Messagère du Ciel les éclaire en principe tous les deux d’une façon nouvelle (même si ça n’est pas nécessaire pour suivre l’un et l’autre !).

3) On te l’a sûrement déjà demandé, mais peut-on s’attendre à un bouquin qui concernera la chute de l’Empire ? J’imagine déjà connaître la réponse (un truc pareil doit être tellement fun à raconter !), mais je n’ai rien contre une confirmation, huhu.

Ouiiiiiiii ! (voix emplie de frustration et d’envie à parts égales) Mais c’est probablement le projet le plus ambitieux d’Évanégyre. Genre encore plus que « Les Dieux sauvages ». Il y a donc deux aspects à prendre en compte avant de se lancer là-dedans : d’une part, une question de compétence personnelle (que je dois encore développer, à mon sens, avant d’avoir la hauteur de vision pour aborder un truc aussi vaste), de l’autre, une question toute bête de viabilité économique. Si je me lance dans, mettons (ce n’est pas une promesse, c’est un chiffre en l’air) une série de 10 bouquins d’un million de signes pièce, il faut que l’éditeur comme moi nous assurions de pouvoir la conduire à son terme, et cela implique notamment d’avoir assez de lecteurs pour. Donc, il faut que l’univers continue à s’implanter, à fédérer l’intérêt, et cela se joue à la fois à mon niveau (en proposant les meilleurs récits possibles) et à celui du temps (avec un effort pour faire connaître l’univers et, espérons-le, susciter l’envie auprès de plus de monde, en montrant – c’est important – qu’on peut faire confiance : l’auteur ne va pas s’évaporer en laissant la série en plan). En tout cas ta question est un encouragement très net et très agréable à faire ce projet un jour : merci !

4) Concernant Chunsène, est-ce que ça t’a ennuyé de la désigner comme l'”adolescente” pour être à même de la distinguer de Nehyr aux yeux du lecteur ? Sachant que ton histoire est d’inspiration médiévale et qu’au Moyen Âge, on passait plus ou moins de l’enfance à l’âge adulte ? Ou bien t’en avais rien à cirer et cette question est débile ? ???? (Je la pose parce que je sais que, moi, ça m’aurait ennuyé).

Bonne question. Alors, déjà, je triche un peu : « Les Dieux sauvages » est certes d’inspiration médiévale, mais pas entièrement. L’Empire d’Asreth/ia était bien plus proche de nos sociétés, il y a donc un passé moderne à ce monde médiéval, comme on a pu le voir dans La Volonté du Dragon et La Route de la Conquête. Certains termes employés le trahissent : on parle par exemple de “citoyens” des royaumes, ce qui est anachronique, en fait (mais volontaire de ma part). Mais ça, c’est la réponse facile : de manière plus intéressante, ta question pose le rapport dialectique de la fantasy avec la contemporanéité du lecteur. Même si l’on admettait que « Les Dieux sauvages » se déroulaient dans un monde purement médiéval, la fantasy dépeint rarement un Moyen-âge entièrement authentique, et fait toujours quelques petites entorses de bon aloi pour rendre l’histoire plus intéressante et/ou digeste (c’est aussi pour cela qu’on écrit de la fantasy et pas du roman historique – lequel, d’ailleurs, triche aussi : c’est du roman). Quand je parle d’adolescente dans le cas de Chunsène, clairement, je me place dans le référentiel du lecteur au XXIe siècle ; c’est à lui/elle que ma narration s’adresse. Mon devoir d’auteur (et le devoir de la littérature en général) consiste à créer une illusion de réalité, quelque chose auquel on puisse croire et qu’on vive avec plaisir, d’accès aussi aisé que possible. Parler de Chunsène comme d’une adolescente est une entorse en toute rigueur, mais elle rend la narration suffisamment efficace à mon sens pour valoir le coup, et de toute façon, son comportement rend tout ambiguïté impossible : elle est clairement plus adulte que quelques adultes de l’histoire. Et on pourrait même dire que même aujourd’hui, y a plus de jeunesse, mon bon monsieur, alors…

5) Que penses-tu de l’Église de Wer ? (dans sa forme actuelle en tout cas, quelque chose me dit qu’elle est appelée à évoluer) Est-ce que tout est à jeter selon toi, ou est-ce qu’il y a des éléments que tu apprécies ?

Je pourrais te dire que ma voix n’a aucun intérêt, que ce qui compte, c’est ce que l’histoire raconte (et je le pense), mais je ne vais pas esquiver ta question : dans la réalité, je ne pourrais absolument pas cautionner quoi que ce soit dedans à cause de son traitement des femmes. Mais c’est aussi pour ça que je l’explore : pour chercher et essayer de comprendre où peut bien se trouver l’humanité, malgré l’hostilité viscérale que me cause ce genre d’intégrisme, lequel existe et a existé hélas (dans la fiction comme dans le réel ; mes années de catéchisme m’ont bien servi pour « Les Dieux sauvages »…). Et ce qu’on peut “sauver” de cette humanité au-delà des ravages du patriarcat. Les morales dogmatiques et leur rôle social sont des questions d’une immense complexité qu’il est impossible de dissocier du contexte qui leur a donné naissance. J’espère m’approcher un peu de ces questions à travers « Les Dieux sauvages », et ce que je peux dire, c’est que je vais m’attacher à refléter cette complexité, justement, à travers les différents points de vue (ne serait-ce qu’entre Leopol et Maragal, on a deux conceptions assez différentes du werisme). Pour partager avec le lecteur toutes les questions que ces sujets m’évoquent, et non des réponses (ce qui n’est pas le rôle de la fiction). Bref, j’espère donc que les facettes du récit traiteront de la complexité du sujet mieux que moi en tant qu’individu limité.

6) Au sujet de la ponctuation des dialogues. L’utilisation des guillemets est plus avantageuse selon toi (et pourquoi), ou c’est uniquement par goût esthétique ?

Je crois résolument que les guillemets offrent infiniment plus de flexibilité dans la gestion du rythme, oui, au point que j’aurais du mal à travailler avec un éditeur qui m’impose les tirets seuls. Tu peux faire des incises claires dans ta narration sans introduire de confusion, par exemple :

« Vous êtes très belle ce soir, Anita », dit Bob. Il s’accouda au piano. « Martini ? »

Avec des tirets, tu es obligé de rajouter une précision, sinon on ne sait plus qui cause, ça casse le flux, et sinon tu colles tes didascalies entre parenthèses, bref, c’est super moche à mon goût et vachement plus contraignant alors que les guillemets résolvent tous ces problèmes avec élégance. J’en ai parlé en détail ici.

7) est-ce qu’on peut considérer que les Enfants d’Aska sont les vrais metalleux d’Evanégyre ?

Nan. Bien des métalleux sont en réalité de vrais gentils. :p