(Rappel : je suis hors ligne cette semaine en train de batifoler avec les dingos et les wallabys.)
Un des grands honneurs de ce métier et que des gens semblent se soucier des raisons pour lesquelles vous faites et écrivez des trucs, et vont jusqu’à vous demander votre avis là-dessus. Là, vous priez pour en avoir un, d’avis, et qu’il ne soit pas trop bête, parce que c’est dans ces moments-là que vous levez la tête du guidon et que vous vous dites : fichtre, je participe à ma modeste échelle à une culture, et cette culture m’accueille avec amitié. Alors déjà : merci. C’est une sensation assez vertigineuse et, ben, on espère y contribuer, au final, des choses positives, malgré toute sa terrible imperfection humaine.
Angélique Salaun est actuellement en deuxième année de thèse. Elle dit :
Je travaille sur la figure de la femme guerrière/femme en guerre dans la fantasy épique francophone et anglophone. Afin de nourrir mon étude je souhaite recueillir les témoignages des auteurs et autrices composant mon corpus d’étude.
Avec sa permission, je retranscris ici ses questions et mes réponses sur le thème de la femme guerrière en fantasy, notamment dans le contexte de la série « Les Dieux sauvages ». Je l’en remercie grandement, tout comme je la remercie d’avoir voulu se pencher sur mon travail (et sur ce que je pouvais avoir à raconter dessus).
Dans au moins un de vos romans de fantasy vous avez choisi de mettre en scène comme personnage principal une femme guerrière. Pouvez-vous m’en dire davantage sur ce choix ?
En fait, en toute honnêteté… Difficilement. Je sais bien que c’est une figure assez rare ou inhabituelle dans la fiction, mais, pour ma part, ce choix ne s’est pas fait avec cette notion présente à l’esprit. Il s’est simplement présenté naturellement. La série « Les Dieux sauvages » s’inspire en filigrane de l’épopée de Jeanne d’Arc donc j’étais forcémentobligé d’avoir au moins une femme guerrière, mais au-delà de cela, la présence de Nehyr ou même de Chunsène, que l’on peut également considérer comme des femmes guerrières, n’est pas spécialement née de considérations sur leur genre. Ce sont des personnes avec des objectifs, des buts, un passé plus ou moins trouble ou difficile, des méthodes particulières pour parvenir à leurs fins, et il se trouve, simplement, que ce sont des femmes. Certes, cela va informer leur vision du monde et parfois leurs méthodes d’action dans la société patriarcale où elles évoluent, mais c’est une facette de leur humanité – qu’elles vivent, en plus, toutes différemment.
Votre personnage de femme guerrière est-elle inspirée d’autres figures de combattantes ?
L’épopée de Mériane dans « Les Dieux sauvages » reprend certains grands motifs de celle de Jeanne d’Arc, et surtout des mythes auxquels elle a donné naissance, en effet. Pour Nehyr et Chunsène, il n’en est rien (en tout cas, rien de conscient).
Dans le cas d’une réécriture de l’histoire d’une guerrière préexistante, pouvez-vous expliquer le choix de cette figure plutôt qu’une autre ?
Jeanne d’Arc représente un paradoxe qui m’a toujours semblé ironiquement savoureux. Nous avons là une jeune femme qui se présente comme envoyée de Dieu, sauveuse de son monde ; ce à quoi elle parvient. En conséquence de quoi, elle finit brûlée sur le bûcher par l’Église représentant ce même Dieu. (Oui, elle est rapidement réhabilitée, mais post-mortem.) Il me semblait là y avoir un terreau extrêmement riche à explorer sur la place des femmes dans les sociétés médiévales, sur le trajet d’une figure qui devient une légende plus ou moins malgré elle, ainsi que sur le traitement réservé aux femmes par les religions dogmatiques.
On dit souvent que la fantasy est affaire de garçons. Qu’en pensez-vous ?
Les expressions à l’emporte-pièce disant que x ou y est affaire de garçons / filles tombent directement dans mon filtre anti-spam mental. Les généralisations de ce genre n’expriment pour moi qu’une chose : l’insécurité de celui / celle qui les prononce, et qui cherche désespérément à catégoriser un monde dont l’infinie et splendide subtilité lui échappe.
Le lectorat est aujourd’hui majoritairement féminin, et la fantasy ne s’est jamais aussi bien portée. Il suffit de se rendre dans n’importe quel festival ou événement relatif à l’imaginaire pour constater que les femmes aiment et s’investissent dans la fantasy comme les hommes.
Il me faut cependant être juste et mentionner que le genre n’a pas toujours convenablement traité les femmes – on pourra se souvenir de couvertures dénudées qui n’avaient rien à voir avec le contenu des livres, ou de certaines « œuvres » qui ne voyaient les femmes que comme des faire-valoir ou des récompenses dans la chambre pour de preux tueurs de dragon. La fantasy n’est néanmoins pas la seule coupable, tous les genres ont été plus ou moins touchés par ces stéréotypes – et les mœurs progressent avec les années, bien heureusement.
Comment envisagez-vous la création d’une femme guerrière comme personnage principal ?
Une femme guerrière est un être humain qui se trouve être une femme et un guerrier. Je n’envisage absolument pas ce genre de personnage différemment des hommes ou de tout autre archétype. Ce personnage a des caractéristiques et des origines qui vont influencer ses modes d’action et son rapport aux autres notamment à travers la société qui l’a formé, mais le fait d’être une femme n’est pas obligatoirement plus déterminant que d’être guerrier, ou religieux, ou grand, ou timide, ou séduisant, ou révolté, etc. Tout le monde vit ses convictions, ses origines, son apparence, son genre, son passé, ses aspirations différemment et, en outre, avec plus ou moins d’intensité. Tout cela forme un tout unique qui compose l’alchimie d’un être humain donné avec ce qu’il ou elle est, ses relations, sa sensibilité, ses aspirations, ses révoltes, ce qui tracera son voyage, son histoire, ses rêves, ses réussites et ses tragédies.
Pour vous quelle est la représentation la plus juste d’une guerrière en fantasy ?
Les seuls personnages qui m’intéressent sont les êtres humains et, pour moi, la représentation juste d’un être humain est simplement celle qui s’efforcera de le montrer dans toute l’envergure de ce qu’il ou elle est. Encore une fois, que ce soit une femme guerrière n’est qu’un épiphénomène. On parle d’un être humain dans toute sa complexité et le traitement du personnage doit simplement bénéficier du même soin que tous les autres (modulo leur importance narrative).
En créant votre femme guerrière vous êtes-vous posé la question de la vraisemblance ?
Par rapport à quoi ? Écrivant de la fantasy, je conçois en grande partie mon monde, mon univers, pour servir de décor aux histoires que je désire raconter. C’est cela qui dicte la vraisemblance : la cohérence narrative interne. La seule loi de vraisemblance en fiction consiste à maintenir son lecteur dans le flux du récit. Dans « Les Dieux sauvages », j’ai des femmes guerrières dans une société patriarcale, et cette société considère qu’une femme guerrière, ce n’est pas très vraisemblable. C’est un jeu avec le lecteur, un questionnement sur nos a priori. Pendant ce temps, mes personnages de femmes guerrières s’en tapent royalement que la société ne soit pas d’accord avec elles. Elles sont là. Ce monde va devoir faire avec.
Si oui sur quels types de documents avez-vous pu vous appuyer pour vos recherches ?
Je ne me documente pas tant sur le fond historique que sur les légendes et les mythes qu’il engendre – c’est le terreau qui m’intéresse principalement. Me documentant sur Jeanne d’Arc (articles en ligne, quelques livres), je n’ai pas tant cherché le détail historique et sa vraisemblance dans l’épopée que j’allais raconter, mais ce qui a enflammé l’histoire et les imaginations, à commencer par la mienne. J’écris de la fantasy et je considère qu’à ce titre, mon substrat n’est pas l’histoire, mais l’imagination enflammée par l’histoire. Bien sûr, quand je décris un siège dans un contexte médiéval, par exemple, je dois m’assurer que les techniques présentées soient cohérentes et logiques ; mais le déroulé des événements plus vaste sera dicté par le monde que j’ai mis en place et par les trajectoires que mes personnages désirent, plutôt que par mes recherches. Tant que mon histoire conserve une cohérence interne, et que je m’efforce à mon tour de m’adresser aux imaginations des lecteurs et lectrices, ma mission est accomplie. Le reste ne m’appartient pas.
Avez-vous noté des réactions de vos lecteurs par rapport à vos personnages de femmes guerrières ? Si oui, lesquelles ?
Elles ont été bien reçues, ce qui me fait très plaisir et m’honore énormément, car je suis un homme dépeignant certains personnages d’un point de vue que je ne peux connaître intimement, et si je m’efforce de le faire avec toute l’empathie dont je suis capable, les intentions ne garantissent pas la réussite !
Propos recueillis par Angélique Salaun.
Sans arc mais avec deux mitrailleurs !
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