Or doncques, auguste lectorat, je suis en Australie en ce moment, et je me promène l’autre jour dans une libraire d’un joli petit village des collines situées dans la grande, grande périphérie de Melbourne (45′ de voiture au bas mot). Une chouette boutique, pas petite mais pas immense non plus, et pas non plus dans un centre urbain regorgeant de geeks au mètre carré – bref, le rayon imaginaire était tout au plus deux fois plus large que la photo ne le montre. Or, quel ne fut pas mon ébahissement en tombant sur :
« Les Rois maudits », de notre grand et national Maurice Druon, au rayon FANTASY, bon dieu, entre Sara Douglass et David Eddings. Et avec un blurb de George R. R. Martin : « Le ‘Game of Thrones’ original ».
Alors, deux réactions sanguines, sur le moment, quand même.
Déjà : a) wouaaah, c’est quand même génial que ces livres soient disponibles là, dans ce rayon (alors que c’est du roman historique), vive la France, et vive Maurice Druon, qui a dépassé les frontières, dont les livres ont été repris avec des couvertures tout à fait raccord avec le genre, accrocheuses, susceptibles d’intéresser de nouveaux lecteurs. Vraiment, génial, et intelligent d’un point de vue éditorial.
Ensuite, b) MAIS QU’EST-CE QU’ON FICHE EN FRANCE, BON DIEU ?
Bragelonne a ressorti « Les Mémoires de Zeus »1 et c’est une vache de bonne idée ; Martin cite en effet régulièrement Druon en entretien comme inspiration pour « Game of Thrones ». Maurice Druon, de l’Académie Française, c’est un diable de grand monsieur, co-auteur du « Chant des Partisans », et son œuvre forme une passerelle rêvée pour nos genres et l’acceptation qu’elle lutte toujours pour acquérir auprès des élites qui traitent l’imaginaire de sous-littérature par totale ignorance.
J’ignore si l’initiative de Bragelonne a rencontré le succès espéré / qu’elle méritait. En fait, j’ai l’impression qu’on parle assez peu de Druon, de manière générale, et de son influence sur des auteurs centraux de la fantasy. Les barrières des genres sont encore diablement étanches ; Druon étant un auteur « respectable », on rechigne (sauf Bragelonne) à l’associer aux mauvais genres. De façon plus large, combien de classiques de la SF et de la fantasy devenus « respectables » republiés en collections blanches, sans l’étiquette, surtout, parce que ça fait peur à la dame et au monsieur propres sur eux ? 1984, Le Meilleur des mondes, À la croisée des mondes… Si mes droits d’auteur avaient augmenté d’1% chaque fois que quelqu’un me répondait en parlant d’une des œuvres s-citées « ah mais ça c’est pas la science-fiction, c’est de la littérature« 2, je toucherais 1200% à chaque bouquin et on saurait fichtrement pas comment gérer ça, et qui a donné 1% à Davoust à chaque fois, c’est quoi encore cette idée stupide ? Bref.
J’ai quand même parfois l’impression qu’en France, on préfère parfois que les jeunes ne lisent pas plutôt qu’ils risquent de lire des trucs qui les amuseraient, genre de la SF et de la fantasy, et que – horreur ! choc ! – ils puissent, genre, attraper le virus de la lecture. Bon dieu, laissez les gens lire ce qu’ils veulent, tant qu’ils lisent ! Ne venez pas vous plaindre qu’ils « ne lisent pas » si vous froncez le nez dès qu’ils prennent une novelisation de World of Warcraft. Aujourd’hui WoW, demain, quoi ? Tolkien, peut-être. Diantre, Maurice Druon ! Pour ma part, j’ai approché Balzac passé vingt ans, et ça n’est absolument pas les cours de français avec, à de rares exceptions près, leurs analyses stériles, entièrement dénuées de la moindre notion de joie, qui m’en ont donné envie ; c’est mon parcours de rebelle secret à aller chercher du plaisir (ouh le vilain mot) qui l’a remis sur ma route, à une époque où, en plus, j’avais peut-être la maturité pour apprécier.
Les passerelles entre littérature générale et imaginaire sont innombrables, et plus je voyage dans le monde anglophone, plus j’ai l’impression que le monde entier l’a plus ou moins compris, sauf nous.
Les couvs sont plutôt belles !
« qu’en France, on préfère parfois que les jeunes ne lisent pas plutôt qu’ils risquent de lire des t… https://t.co/Q3oLiMDf6d
Amen (même si je trouve qu’on est sorti du ghetto des années 80).
Ça va bien mieux, c’est clair, mais le combat du grand public est loin d’être gagné.
C’est la même chose avec #BernardSimonay La saga « Les enfants de l’Atlantide » est un de mes plus be… https://t.co/gR2XIM3xSD
Druon, mon maître à penser et modèle à suivre… C’est clair qu’en France on cloisonne à tout va, c’est fatiguant et c’est encore plus fatiguant cet élitisme (faux, en plus) consistant à considérer la littérature de l’imaginaire comme de la sous-m… Je suis sûre qu’un tas d’éditeurs et de lecteurs de litté blanche se fadent des kilos de SF et de Fantasy en douce sans jamais l’avouer comme si c’était honteux (comme quand tu dis que tu as lu Gala ou Voici dans la salle d’attente du docteur, parce que tu n’assumes pas de les acheter !).
En fait, dès que l’étiquette saute, on découvre que les bouquins marchent et sont appréciés, mais cela devient « surréaliste », « inventif », « alternatif »… Ce qui est ridicule, et déprimant : les genres ont un nom !
tellement vrai !! j’avais des discussions pas croyables avec ma collègue de bibliothèque quand j’étais en France (la première) sur l’utilité de mettre de la fantasy entre toutes les mains.. l’Atalante et porcket des années 90 ont eu une couverture pourrie quand ca dépasse dix prêts.. mais avoir des gens qui disent je me suis couché à 3h du matin à cause de vous (la suggestion) ca n’a pas de prix 😀
C’est clair… ça fait tellement plaisir aux auteurs aussi d’entendre ça ! 😀
Le soucis vient aussi de la partie éducation national. Je m’explique. Les jeunes aujourd’hui lisent peu. C’est un fait, j’ai 26 piges et on me regardait comme un alien si je sortait un truc avec des pages et pas d’image. Sauf que. En France la littérature enseigné c’est de la littérature soit trop simple soit trop épaisse pour des jeunes lisant peu. Explixation:
En 6eme on ma forcé, et je le dis sans tremblé des genoux, à lire Kirikou et la sorcière. Sauf que moi je voulais lire de la SF à l’époque. Bah non la SF c’était, je cite: Pour les demeuré…
Deux ans plus tard on ma fait lire le horla. 70% de ma classe à pris le résume sur internet.
Encore deux ans après, en seconde donc, on a lu Germinal. 90% on prit le résumé. Et en plus la prof de l’époque à balancé un petit: au pire ya un film si ça vous gave de lire (véridique).
Et c’est la que j’ai eu le droit à un pztit: mais toi tu es un alien.
Alors faite étudié du Jules Verne ou autre Lovecraft. Peut être qu on intéressera plus les jeunes…
Entièrement d’accord ; j’ai eu cependant, par chance, une prof de français en 3e qui m’a collé Boris Vian entre les mains, et ça a été une grosse révélation. Mais sans elle – et avec tous les commentaires arides que je me suis tapé, en lisant les Profil d’une œuvre, j’avoue clairement – je n’aurais peut-être jamais considéré que je pouvais écrire, parce que la vraie littérature, c’était nécessairement chiant.
Drun, c’est aussi les Mémoires de Zeus – indubitablement de la putain de fantasy !
(chaque fois que je lis un commentaire sur les cours de français aux analyses stériles et dépouvues de joie, je pleure — en pensant à la chance que j’ai eue d’avoir des profs motivants au secondaire… C’était dans les années 50. Il y en a encore aujourd’hui, je sais. Mais.) ((Et Druon, quand j’avais 12 ans, le pied ! Comme quoi j’ai toujours lu des trucs un peu aux marges sans le savoir !:-) ))
Je pense résolument que l’enseignement du français, telle que l’EN paraît le désirer, est un obstacle majeur au développement de la lecture ; seuls les profs frondeurs et créateurs (et gloire à eux, il y en a !) arrivent à éveiller l’étincelle et le goût en sortant des sentiers battus. (Il y en a d’ailleurs beaucoup parmi les auteurs et lecteurs d’imaginaire 😉 )
A ma connaissance, @BragelonneFR n’a pas réédité Les rois maudits (toujours chez Plon apparemment),… https://t.co/o7rofXW7eg
Article mis à jour, ainsi qu’on m’a très justement corrigé sur Twitter (merci à Emmanuel Tollé) : je citais « Les Rois maudits », que Bragelonne n’a en réalité jamais repris, ce sont « Les mémoires de Zeus ».
« Les Rois maudits » a longtemps été disponible en poche (au LdP, si je ne m’abuse). C’est une série d'(excellents) romans historiques, qui avaient une bonne réputation et se vendaient correctement en ouvrage de fonds (je suppose, ou ils n’auraient pas été souvent réédités). Quant à ces habiles éditeurs US, GB et australiens qui ont eu l’initiative géniale de republier la série en se parant de la recommandation de GRRM pour booster les ventes? euh, comment dire?
https://www.amazon.fr/Rois-maudits-Maurice-DRUON/dp/2259228135
Plon. Novembre 2014. Y a même le blurb.
Merci Patrick, je sais bien, mais ça n’est pas exactement le sujet : il s’agit surtout du placement en rayon, ici ouvertement en imaginaire (fantasy).
Ben, c’est pareil: ce n’est pas de la fantasy, c’est un logement opportuniste. Ce qui est très bien, mais c’est un cas particulier. Faut-il classer Boris Vian en SF pour en vendre plus (j'(ai l’impression que ça se vend pas mal comme ça)?
Le placement en rayon n’a toujours été qu’un pis-aller, parfois bénéfique et rassembleur, parfois délétère et ostracisant, et parfois les deux, selon le point de vue. La migration, à la fin des années 80, de l’horreur, jusque-là genre prospère, vers les rayons Fantasy urbaine/Fantastique et Polar qui ont pris la relève, est un autre cas d’école de la fluctuation des classifications.
« Les Rois Maudits », c’est presque une uchronie. Par exemple, Guillaume de Nogaret, qui est un des personnages importants de la saga, est mort en 1313, avant l’exécution de Jacques de Molay.
Ma lecture des « Rois maudits » date pas mal (avant mes 15 piges) mais… je ne me souviens pas que la… https://t.co/KBDeimuSC4
Moi, Druon, outre Les rois maudits et les mémoires de Zeus que j’ai adorés, c’est surtout un autre remarquable roman de fantasy (mais certains diront : « un conte philosophico-religieux pour les jeunes »), à savoir Tistou les pouces verts. En fait, je crois bien que c’est le premier livre de « genre » que j’ai lu.
Bon sang, mais oui, c’était lui aussi. Pareil, grande sensation quand j’étais gamin. C’est peut-être un peu de sa faute si on est là tous les deux aujourd’hui :p