Donc. Je suis un peu revenu sur Twitter ces derniers temps, en mode “haha ne faites pas attention à moi, je regarde juste par la fenêtre”, oui je sais après avoir juré mes grands dieux que je toucherais plus à cette came néfaste et diabolique, comme j’avais dit il y a quinze ans que je ne toucherais jamais à World of Warcraft, or j’ai TUÉ RAGNAROS ET ONYXIA À VANILLA MOI MONSIEUR. C’est bien la preuve que je suis FAIBLE.

Suis-je si rapide à oublier l’eau froide tel un chat échaudé sans mémoire ? Eh bien, déjà, les interactions régulières et sympas, le côté spontané me manquaient, tout simplement. J’avais un peu l’impression de m’être mis au piquet tout seul (même si j’avais grand besoin d’une bouffée d’air et de réfléchir).

Mais surtout, j’ai assisté à beaucoup de tables rondes sur le sujet même des réseaux commerciaux à la Worldcon, dans l’espoir de comprendre pourquoi mes fils ne cessaient de m’exploser à la gueule depuis le début de l’année pour des trucs bien moins polémiques que je n’ai pu en écrire autrefois (avec d’ailleurs, a posteriori, quelques regrets).

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C’est chiant les GIF animés quand on lit hein

La leçon que j’en ai retiré, très simplement, est : “you’re doing it wrong“. Je m’y prends mal, au moins sur la forme. Et la raison en est : engoncé dans mon vieux pote, le syndrome de l’imposteur, je n’avais pas vu que mon audience avait lentement mais sûrement dépassé un certain cercle confidentiel.

Or, il y a une différence entre twitter pour son cercle, qui vous connaît, vous suit et vous accorde le bénéfice du doute quand vous n’êtes pas clair, et voir ses mots pas forcément aussi bien léchés qu’on l’aurait voulu s’envoler bien au-delà de ce qu’on imagine et prendre des formes inattendues et monstrueuses. Et c’est là que l’on prête le flanc à ce vers célèbre de Rudyard Kipling, je paraphrase – c’est là que les gueux travestissent vos paroles pour exciter les sots.

Alors, que faire, sur un réseau comme Twitter où, par définition, tout est accessible à tout le monde ? Décider que tous ceux qui ne sont pas d’accord avec vous sont forcément des gueux et ceux qui les suivent forcément des sots ? Les argumentations autocentrées ne sauraient être reçues sans une immense méfiance – celles qui soutiennent que je ne peux pas me tromper car je suis un gentil, et c’est irréfutable, puisque c’est moi. (L’ennemi est idiot, disait Desproges, il croit que l’ennemi c’est nous, alors que nous on sait bien que c’est lui.)

La meilleure image que j’ai entendue à la Worldcon est : il faut considérer Twitter comme un pub. Un pub où, en outre, (pour reprendre une précision qui m’a été apportée depuis) tout le monde est saoul et cherche la castagne. Et, là, à un moment, vous montez sur un fût pour clamer un truc.

Hahaha.

Eh bah, vous avez drôlement intérêt à être clair pour les inconnus qui n’ont pas le contexte et ne vous connaissent pas. Ils n’iront jamais chercher les précisions, car les réseaux sont ainsi faits qu’ils stimulent la rage plutôt que la conciliation, l’outrage plutôt que la modération. C’est structurel, c’est leur modèle économique. Et espérer que les gens le fassent quand même, pour vous accorder, à vous, le bénéfice du doute est certainement une illusion de l’ego. (“Je suis gentil ! Vous devriez me traiter différemment ! Parce que c’est moi !”)

Alors, qu’est-ce qu’on fait ?

Un auteur (ou créatif au sens large) est dans une situation ambiguë. D’un côté, c’est une personne seule, avec ses failles, ses moments de fatigue, ses opinions, ses maladresses aussi. (On ne tweete pas comme on publie un roman, qui relève de toute façon de la fiction, et où l’on s’efforce en plus de soupeser chaque phrase, lesquelles seront relues par toute une équipe éditoriale, pour que ça dise bien ce qu’on veut dire.) Des fois, donc, on se loupe. Mais aussi, c’est un compte “professionnel”. C’est, qu’on le veuille ou non, l’image pro que dégage l’auteur, et malheur à lui ou elle s’il sort un truc mal interprétable.

Donc, il viendrait, logiquement, que :

On ne doit pas sortir sur Twitter un truc mal interprétable.

Ça veut donc dire éviter un certain nombre de sujets et d’idées complexes.

Triste conclusion ? S’il s’agit de déplorer l’état du débat public, où l’on s’empare de la moindre imprécision pour clouer au pilori la moindre parole qui va défriser une personne isolée, alors oui, totalement. S’il s’agit de comprendre dans quoi on met les pieds personnellement et à quoi on s’expose, c’est une bonne leçon à retenir. Pour ma part, je fais ce blog, je suis sur les réseaux commerciaux pour le plaisir, et pour payer ma dette karmique. Donc, pour m’efforcer d’ajouter de la valeur à une conversation. Tout le monde n’a pas la même notion de la valeur, mais la conclusion que je tirais il y a un mois reste la même : si ce que tu voudrais dire ne peut pas passer clairement en 280 caractères, alors ne le dis pas (comme dans l’analogie du bar avec les clients à fleur de peau), ou bien sois prêt à t’accrocher au pinceau quand on t’enlèvera l’échelle et que the floor is lava.

Je n’ai pas envie d’aller à la baston. Je n’ai plus vingt ans et besoin de m’affirmer au monde pour exister : je sais que j’existe, la preuve, je me suis rencontré. Et franchement, ça me fait chier de terminer certains jours avec le cœur à 120 à cause d’une énième prise de bec idiote sur un mot mal compris, mais ça me fait chier aussi de me dire que peut-être, en face, une personne est dans le même état à cause d’un truc que j’ai pu dire de travers. C’est un peu trop facile de se dire que le type en face est un idiot et que j’ai forcément raison ; de toute façon, j’en suis structurellement incapable.

Alors bien sûr, les trolls, les imbéciles et les personnes qui ne vivent que pour susciter du conflit afin qu’on parle d’eux existeront toujours. Une part de l’apprentissage de ces outils, à mesure que l’on s’adresse à une audience plus vaste dans le pub, consiste aussi à savoir appeler les videurs : mute et block sont tes amis1.

Mais Gareth L. Powell affirmait à la Worldcon : “Je pense résolument que l’on retire des réseaux ce que l’on y investit. Les gens et vos interactions reflètent ce que vous y présentez.” Une opinion à laquelle je souscris (car je la trouve valable pour l’existence, de manière générale : be the change you want to see in the world).

Que faire, donc, du contenu plus complexe, plus potentiellement polémique ? On le tait par prudence ? Le monde ne sera-t-il à jamais que photos de chats ? Non, heureusement que non. Pour ma part, l’envie de me recentrer davantage ici, de réserver de toute façon à MA plate-forme, à MA maison et à vous, qui me faites le plaisir de la suivre, le meilleur de ce que je peux raconter (spoiler : et ça n’est pas le contenu facile à résumer en 280 caractères qui finit sur Twitter, justement), reste. Donc : si ça ne tient pas en 280 caractères, ça sera ici (et ça sera vachement plus provocateur de pensée, thought-provoking, et ça va être chouette).

Mais qu’est-ce qu’on peut faire avec Twitter, alors dis-donc Jamy ?

Il y a une responsabilité dans l’usage de la parole publique, j’ai toujours pensé qu’elle s’appliquait à la fiction (on est responsable de ce qu’on véhicule, consciemment en tout cas – restons-en là pour l’instant, car l’inconscient, c’est beaucoup plus complexe). Maintenant, il faut aussi savoir reconnaître quand on en dispose d’une telle tribune sur un réseau – qu’on soit créateur, critique, ou simplement personne un tant soit peu publique –, sans fausse modestie, et se rendre compte qu’on doit faire un peu plus gaffe que quand on fait une blague à ses potes, car on n’est pas avec ses potes. On est dans un pub louche et on monte sur un fût avec la gueule enfarinée et seulement 280 caractères.

Donc : il s’agit de discuter avec des gens en mettant l’accent sur la bienveillance et la gentillesse. De tendre la main, en accordant soi-même le bénéfice du doute, et de refuser tout net, immédiatement, le conflit (à moins d’être prêt à empoigner le lance-flammes quand il y a réel danger – mais les susceptibilités froissées, la mienne ou la tienne, n’en font pas partie). La polémique, la discussion constructive, devraient être réservés aux espaces plus développés comme les blogs, où l’espace pour s’exprimer est illimité, et où la temporalité, détachée de l’instantané, se prête infiniment mieux à des échanges réfléchis2.

Dont acte, ou du moins, on va faire de son mieux pour.

  1. Par comparaison, la fiction, étant ce qu’elle est (fictive, duh) est un laboratoire paradoxalement bien plus sûr, alors qu’elle livre souvent des idées bien plus inconfortables.
  2. Même si les blogs peuvent aussi avoir leur côté impulsif et inachevé – c’était leur principe, à la base, avant les réseaux commerciaux.