De l’ingénierie à l’écriture [entretien pour Planète Agro]
Donc, dans une vie antérieure, comme dirait Obi-Wan Kenobi après cette sombre histoire de Coruscant Papers le forçant à se reconvertir dans la contemplation de l’érosion éolienne, je fus ingénieur agronome (halieute), et quels ne furent pas mon honneur et ma joie d’être contacté par Planète Agro, le magazine du réseau professionnel, pour un portrait sur ma pomme. (Pomme. Agronomie. Humour drôle.)
Sérieusement, c’est une vraie joie de recevoir cet écho de ce milieu et un honneur d’être ainsi présenté dans un futur numéro. Merci à Rayène Fennira pour son intérêt envers mon travail, pour sa synthèse d’un (très) long entretien qui ne pourra être publié dans le magazine faute de place, mais que voici, histoire de, parce que vous comprenez, c’est un peu mon cœur de métier, les histoires de.
Qui êtes-vous et quels sont vos origines géographiques ?
Né à Paris, je quitte la capitale dès que possible… c’est-à-dire quand j’intègre ; j’obtiens Grignon, mais je décide résolument de choisir Rennes, car je cherche à m’approcher de la biologie marine. Viser l’halieutique forme donc le choix logique. Je me suis établi là-bas et j’y suis resté.
Mais j’ai toujours eu des aspirations artistiques, notamment dans le domaine de l’écriture, écrivant sur mon temps libre depuis des années des histoires ou des articles. Une fois le diplôme d’ingénieur agronome en poche, je décide de prendre une année sabbatique pour essayer (avec la merveilleuse inconscience qu’on a à vingt ans) de me lancer dans le milieu littéraire. Je me rends compte que c’est beaucoup, beaucoup plus compliqué que je ne le pensais… mais je sais que c’est ma voie – d’autant plus que le fonctionnement en indépendant me correspond parfaitement.
Aujourd’hui, je suis écrivain professionnel. J’ai publié une quinzaine de traductions, environ trente-cinq nouvelles, une dizaine de romans et recueils dans le domaine du thriller et des littératures de l’imaginaire, c’est-à-dire science-fiction / fantastique / fantasy, avec une prédilection pour cette dernière. J’étudie également beaucoup la productivité dans le domaine créatif, pour ma propre pratique, mais cela se transcrit de plus en plus en conférences, ateliers, perspectives d’ouvrages.
Quel est votre parcours?
Après le diplôme, donc, je me lance la fleur au fusil dans l’écriture. Je m’aperçois qu’il y a là toute une technicité, une maîtrise de la narration que, malgré mon intérêt, je n’ai jamais acquise et qu’il va falloir apprendre. Un monde entier sépare les premières histoires que je griffonnais au fil de la plume des immenses sagas que je rêve d’arriver à créer un jour…
Avec une approche finalement très proche de celle de l’ingénieur, je me mets donc résolument à apprendre : je veux tout faire, tout apprendre de ce qu’on appelle la chaîne du livre. J’entre comme critique littéraire dans une revue de science-fiction, et comme je sais très précisément ce que j’aime et n’aime pas lire, je me retrouve à occuper des postes éditoriaux, notamment à diriger une revue littéraire de fantasy à mon tour. (Pour la petite histoire, j’ai la chance à l’époque d’interviewer au téléphone G. R. R. Martin, l’auteur de « Game of Thrones », qui était à l’époque une série surtout connue des amateurs du genre – nous sommes des années avant la série télé…) Je deviens traducteur littéraire, faisant mes armes chez des éditeurs indépendants, jusqu’à ce que cela devienne mon activité rémunératrice principale.
Mais, en parallèle, j’apprends à raconter des histoires, plus seulement pour mon loisir, mais comme un professionnel. Il y a une foule de choses à découvrir, à conceptualiser et maîtriser pour proposer des récits susceptibles d’intéresser des éditeurs : caractérisation des personnages, dialogues, action, rythme, construction scénaristique, style, cohérence… Je ressemble un peu à un guitariste de plage qui s’est mis en tête de devenir musicien de scène, alors il faut sacrément pratiquer, mais je m’accroche et je me construis peu à peu comme auteur. Je commence à publier des nouvelles professionnellement en 2004 parallèlement à mes autres activités littéraires ; j’ai la chance et le plaisir de voir mes textes de plus en plus appréciés, ce qui me permet de me centrer de plus en plus sur la création ; je publie mon premier roman en 2010 (La Volonté du Dragon, aujourd’hui épuisé) et à présent, grâce à mes lecteurs formidables, j’ai la possibilité de ne plus me consacrer qu’à l’écriture, en proposant quelques ateliers et conférences sur la créativité en parallèle.
Que faites-vous actuellement ?
Actuellement, je travaille sur une vaste saga de fantasy épique, intitulée « Les Dieux sauvages », qui s’inspire fortement des grands épisodes de la Guerre de Cent Ans (notamment Jeanne d’Arc) pour en faire une réécriture mythique, et critique quant au rôle des religions et du sort qu’elles réservent aux femmes. Nous sommes dans un cadre complètement imaginaire, où se dressent quelques spectres de notre modernité, mais où le ou la connaisseur•se d’histoire pourra voir des échos de certains événements familiers ! La série a été comparée à la presse à un « Game of Thrones » français, ce qui est évidemment un honneur immense – et un merveilleux écho par rapport à mes timides débuts mentionnés plus haut !
Je me trouve actuellement dans les dernières étapes du bouclage du quatrième tome sur cinq projetés, intitulé L’Héritage de l’Empire. Le premier tome, La Messagère du Ciel, vient de ressortir en poche chez Folio.
Comment est née cette passion ? et depuis quand vous la pratiquez ?
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu écrire. Je me rappelle nettement, étant vraiment jeune (j’avais deux, trois ans ?), avoir vu ma mère laisser un mot à quelqu’un ; et quand elle m’a expliqué la nature de l’écrit, j’ai trouvé que c’était le pouvoir le plus incroyable du monde. Pouvoir laisser à quelqu’un un message qu’il ou elle peut recevoir en l’absence de l’émetteur, et que celui-ci suscite des idées ou des images… cela m’a semblé incroyable, et j’ai tanné mes parents pour apprendre à écrire bien avant l’âge légal ! J’ai dû apprendre vers six ans, et là, j’ai directement commencé à écrire des histoires.
Comment la pratiquez-vous et l’avez-vous appris ? Tout seul, en groupe ?
Quand j’ai voulu passer du rôle de guitariste de plage à celui de musicien de scène, j’étais convaincu que l’écriture avait sa technicité, comme tous les arts. La musique s’apprend, le dessin s’apprend, pourquoi pas l’écriture ? J’ai donc commencé à dévorer tout ce que je pouvais trouver sur la technique narrative, mais j’ai trouvé étonnamment peu de choses en langue française à l’époque (autour des années 2000 ; la situation a changé depuis). La rigueur narrative, la technicité, c’est chez les Américains que je les ai trouvées et apprises. Et aussi, un auteur apprend avant tout en lisant, en s’immergeant dans des histoires, du cinéma, des séries, même du jeu vidéo – et en écrivant. J’ai donc beaucoup dévoré, et beaucoup écrit…
Je suis extrêmement solitaire dans ma pratique ; je peux passer douze à dix-huit mois à écrire sans jamais rien montrer à personne, jusqu’à ce que je considère que cela peut être lisible, mais pas avant. Quand je fais lire à mes proches et évidemment à mes éditeurs, c’est que je considère être arrivé au bout de ma compétence ; les regards extérieurs peuvent alors m’aider à aller plus loin.
A quelle fréquence ?
C’est mon métier, donc tous les jours, comme n’importe quel professionnel. Je consacre cinq heures par jour à l’écriture minimum, le reste concernant ce qui va autour : échanges avec les lecteurs sur le blog, promotion, administration, médias, etc.
Participez-vous à des événements en relation avec cette passion (plutôt votre métier) ? Annuels, régionales, internationales ?
J’ai tous les ans un planning d’événements littéraires, en effet, où je dédicace et parle de mon métier ou de mes histoires dans le cadre de débats avec d’autres auteurs pour le public. Ce sont des occasions très précieuses pour un métier si isolé que l’écriture et dépourvu de tout aspect de représentation. C’est la possibilité de rencontrer les lecteurs, anciens et nouveaux, de maintenir ainsi des relations parfois sur des années, de développer même des amitiés.
Quelles sont vos ambitions dans ce métier ?
Raconter de bonnes histoires. Arriver à faire vibrer les lecteurs et lectrices avec des récits surprenants, poignants, épiques ou drôles, qui les fassent s’évader, qui partagent parfois de vastes interrogations sur l’humanité. C’est ma seule ambition et mon seul principe. Je n’ai pas un discours, je n’écris pas pour dire quelque chose, pour faire une démonstration, pour propager des opinions, pour flatter mon ego ; je suis un serviteur de la fiction. J’écris parce que j’ai des questions sur le monde et aucune réponse, et que les histoires sont les formes les plus ancestrales de métaphorisation et de compréhension du réel. À travers le voyage des personnages, j’espère que les lecteurs – et moi-même ! – retirerons quelques réflexions, mais avant tout des moments forts.
Comment avez-vous pu maintenir cette passion malgré les contraintes de temps (études d’agro) et d’espace (voyages d’études, césure) ainsi que celles des études et des choix d’orientation ?
C’est très simple : j’ai toujours rendu mes rapports et mes mémoires au tout dernier moment… parce que j’écrivais, oui, mais pas ce que j’étais censé rendre ! J’ai remis mon mémoire d’halieutique sur le fil à l’école en personne, parce qu’au lieu de travailler à l’écrire, je construisais l’univers de fantasy où allait entre autres se dérouler la saga « Les Dieux sauvages » mentionnée plus haut… Comme quoi, même si je ne savais pas que j’en ferais vraiment mon métier à l’époque, mon inconscient, lui, savait peut-être où penchait ma future vie professionnelle…
Meilleur moment vécu grâce à cette passion, devenue votre métier ?
Le meilleur moment est toujours quand un lecteur ou une lectrice vient vous expliquer que votre livre a pu lui faire du bien d’une manière ou d’une autre. Même si c’est juste pour l’évasion, ou parfois, comme cela arrive aussi, quand, par les hasards de l’existence, votre livre tombe au bon moment entre les mains de cette personne pour l’aider peut-être à surmonter un moment difficile de sa vie. Une chose est claire : je n’y suis pour rien, les auteurs sont seulement des montreurs de miroirs ; parfois, quand le moment est juste, quand les astres s’alignent, le miroir correspond à ce dont le lecteur avait besoin, et c’est une merveilleuse convergence de l’existence. Dans ces moments-là, je me dis… eh bien, que ça valait le coup de rendre mes mémoires d’ingénieur sur le fil !
Quel est votre écrivain préféré, représente-il votre idole dans ce domaine ?
J’ai trois maîtres à penser dans le domaine, mais si je ne dois en retenir qu’un seul, ce serait Boris Vian. (Les deux autres étant Roger Zelazny et Joe Michael Straczynski.) Quand j’ai lu L’Écume des Jours en fin de collège, cela a littéralement fait exploser le carcan des classiques dans lequel je me trouvais enfermé (et malheureux) en cours de français depuis des années. Le roman se montrait tellement libre, tellement irrévérencieux, tellement fort dans son intrigue, que je me suis rendu compte que l’écriture, la création, c’était avant tout la liberté. Vian m’a donné l’autorisation de suivre ma voie, et c’est la leçon la plus importante pour un créateur.
Pourquoi avez-vous choisi d’écrire les romans fantastiques et pas un autre type de romans ? Qu’est-ce qui vous a attiré le plus vers ce type de romans ?
Parce que l’imaginaire, justement, offre la plus grande des libertés. C’est par ailleurs la forme la plus ancestrale de narration ; l’imaginaire descend en droite ligne de la mythologie, du conte philosophique ou de fées, du premier récit de l’histoire humaine dont on ait retrouvé une trace écrite (Gilgamesh), d’Homère… L’imaginaire permet de raconter des histoires d’une envergure que notre monde ne permet pas, avec une liberté incomparable d’exploration, tout en s’astreignant évidemment à un soin sans faille quant à la cohérence de l’univers et à la psychologie de la narration. L’imaginaire me permet de parler des grandes mouvances de l’humanité, de la marche des empires et de la dynamique de l’histoire, mais de le faire avec des dragons. Et s’il y a un principe universel en ce monde, c’est tout est mieux avec des dragons, non ?
Ne vous a pas semblé difficile d’apprentissage ?
Si. Et ça l’est toujours. Il ne se passe pas une journée sans que j’aie l’angoisse de me mettre au travail, d’être à la hauteur de ce que j’ai fait la veille, il y a une semaine, il y a un an. Tous les jours, je rencontre une difficulté nouvelle, tous les jours, j’apprends quelque chose de nouveau sur la narration, sur mes personnages, sur moi-même. C’est un processus qui ne se terminera jamais ; après, donc, plus de quinze ans de publication professionnelle, je commence tout juste à avoir très, très vaguement l’impression de commencer à comprendre un peu ce que je fais. Mais cela n’empêche pas de continuer. Après tout, si je savais déjà tout ce que je vais faire avant de m’y mettre, cela ne serait pas de la création.
Quel est votre style ? Pourquoi avez-vous choisi ce style ? Qu’est-ce qui vous a attiré le plus dans ce dernier ?
Je ne sais pas si l’on choisit un style. Je crois que le style, la musique de la plume, de l’enchaînement des mots, s’impose à soi en vertu de principes esthétiques à la fois très forts et très inconscients. Pour moi, d’ailleurs, c’est en effet une musique, un rythme, un équilibre subtil aussi sémantique que visuel. Une phrase raccourcie à un endroit entraînera forcément des rééquilibrages de ponctuation, de vocabulaire, pour maintenir un flux de narration que j’espère transparent pour le lecteur. Pour moi, le bon style est celui qu’on ne voit pas ; celui qui permet d’emmener le lecteur dans une histoire et un monde de la façon la plus efficace possible. C’est ce qui gouverne mes choix ; tout doit servir l’histoire. Je ne suis pas là pour qu’on m’entende écrire, pour me faire mousser avec des tournures alambiquées, mais pour que mes mots s’effacent, au contraire, au profit des événements, des personnages.
Préféreriez-vous évoluer vers un autre type d’écriture ou de romans ? Si oui, pourquoi ?
Certainement pas. Rien n’est plus en lien avec l’inconscient collectif que les littératures de l’imaginaire, rien ne permet davantage de symbolisme, de diversité d’expression, de liberté de création. Dans une même saga comme « Les Dieux sauvages », je peux parler de religion, de place des femmes, de dynamique historique, évoquer la terreur de l’accident nucléaire, traiter les effets dévastateurs de la peur sur la diplomatie, explorer les notions de devoir et de responsabilité liée au pouvoir, représenter de l’intérieur le poids que portent sur les épaules les figures historiques et en quoi l’amitié et l’amour leur sont cruciaux, le tout avec tous les effets spéciaux du monde et un budget sans limites. Aucun autre genre ne permet un tel souffle !
Anecdote concernant votre passion ou quand vous avez pratiqué celle-ci ?
J’ai un critère parfaitement scientifique et rigoureux pour savoir si des personnages sont assez développés dans ma tête pour être écrits :
C’est si je suis au volant en train d’attendre qu’un feu passe au vert, et qu’ils se mettent à s’enguirlander d’eux-mêmes dans ma tête sans que je ne leur aie rien demandé…
Qu’est-ce que votre formation agro vous a elle apporté (sur le plan des compétences) pour que vous deveniez l’auteur qui vous êtes ?
De la puissance de travail, des connaissances pour concevoir des écosystèmes fantastiques à peu près cohérents… mais surtout une approche systémique des problèmes. C’est capital pour aborder un thème en littérature car, tant que c’est possible (et raisonnable), je trouve que l’on devrait éviter de se limiter à une vision unique, mais au contraire s’intéresser à la diversité des vécus pour comprendre leurs conséquences – surtout si celles-ci s’affrontent. Écrire, c’est un peu comme faire de l’analyse de paysage… !
Propos recueillis par Rayène Fennira.