Cela faisait longtemps (si je ne mettais pas 107 ans1 à répondre, aussi) que je n’avais pas reçu de questions en privé sur le boulot, et en voilà une fort importante, qu’il me faut archiver ici en public.

Je me doute que même si je suis publiée, il me faudra du temps avant de pouvoir en vivre. Je cherche donc des plans B pour assurer le côté financier, et j’ai pensé à la traduction. […] Aurais-tu des conseils à me donner si je veux me diriger dans cette branche ? Un niveau d’anglais minimum à présenter, des contacts, des expériences diverses à mener afin d’améliorer mes compétences ? Voir carrément d’autres plans B ?

Alors, c’est une question importante, parce que nous sommes nombreux à le faire ou à l’avoir fait dans la profession, effectivement. Le problème, c’est ce que ça n’est pas aussi simple que ça, et qu’il convient d’en dire un mot, pour bien placer la faisabilité exacte de la chose.

Histoire vraie, pour nous toutes et tous. Par MariNaomi.

C’est-à-dire que, malheureusement et en toute honnêteté, je ne pense pas que ce soit un plan B fonctionnel à court terme (avec une grosse emphase sur le « court terme », more on that later), pour deux raisons :

  • d’abord, les plannings de l’édition sont très longs (donc il peut se passer un ou deux ans avant d’avoir une ouverture dans un planning),
  • mais surtout, obtenir une place en traduction… suit un peu les mêmes mécanismes que pour se faire éditer.

Ce qui defeate un peu le purpose.

C’est-à-dire que là aussi, il faut construire son expérience, commencer par des publications peut-être plus modestes, construire un réseau de partenaires de confiance, etc. pour gravir des échelons. Donc : c’est long, et ce sont la compétence et l’expérience qui priment avant un quelconque diplôme (avec la difficulté qu’on voit évidemment venir, soit arriver à se construire une expérience quand on débute et qu’on galère justement à se construire le CV qui ouvrirait les portes dont on a besoin. Serpent qui se mord la queue). J’en veux pour preuve que j’ai enseigné longtemps comme intervenant professionnel en Master dans le cadre d’un diplôme de traduction littéraire… que je ne possède pas.

La traduction permet certes d’avoir un revenu un peu plus stable tandis qu’on écrit à côté (en plus d’être une super école d’écriture, même si je déconseille de le faire juste pour ça – si c’est le but, il y a des écoles plus rapides, comme, par exemple, écrire directement), mais c’est long aussi d’arriver à en vivre. Donc, s’il s’agit de chercher plan B « alimentaire » pour vivre en parallèle de l’écriture, cela me semble clairement insuffisant à court terme.

Pour ma part, j’ai mis des années avant d’obtenir un afflux stable de contrats à la fois intéressants et bien payés (soit, à peu près, quand je suis entré dans l’écurie des traducteurs réguliers de L’Atalante ; avant, j’avais toujours eu des contrats intéressants, mais soit ils arrivaient de façon sporadique, soit la rémunération était moins bonne), à partir de quoi j’ai pu souffler un peu (et donc explorer mon écriture avec moins d’angoisse). Cela ne veut pas dire que cela ne doit, ni ne peut faire partie d’une stratégie d’auteur ou d’autrice, juste qu’il faut du coup un troisième truc à plus court terme pour manger. (Personnellement, entre autres choses, je donnais des cours d’informatique au troisième âge quand j’avais 20-24 ans.)

Après, distinction importante, je parle de traduction littéraire. Il y a deux (en gros) grands types de traduction : la littéraire (= d’ouvrages littéraires, comme des romans) et la technique (= de documents techniques, manuels, articles scientifiques etc). Je connais trop mal cette dernière, ne l’ayant pas pratiquée professionnellement, cependant j’entends parfois dire qu’il est plus facile d’y construire quelque chose. Caveat, donc et toutefois.

En résumé, même si je n’aime pas me faire le porteur de mauvaises nouvelles, je préfère clarifier la situation : oui, c’est possible de vivre de la traduction, mais ça n’est pas un domaine où on trouve des offres d’emploi, au même titre qu’on n’en trouve pas dans l’écriture romanesque. C’est à force d’être repéré·e pour son travail qu’on peut obtenir des contrats, ce qui inscrit nécessairement une telle démarche dans la durée, et plutôt avec la véritable envie d’y construire une carrière. Il y faut aussi une certaine dose de passion de persistance. Donc, à mon sens, ça n’est pas une super idée de boulot purement « alimentaire » en parallèle de l’écriture, mais plutôt une compétence supplémentaire dans l’arsenal d’un auteur ou autrice construisant une vie autour de sa plume.

  1. Estimation non contractuelle.