Intéressante divergence de perception l’autre jour sur Facebook (où je suis de retour, pour mémoire, parce que mon âme est noire comme la nuit) – je postais cette citation bien connue du célèbre auteur entomologiste :
We need the books that affect us like disaster, that grieve us deeply, like the death of someone we loved more than ourselves, like being banished into forests far from everyone, like a suicide. A book must be the axe for the frozen sea inside us.
Franz Kafka
Des mots que j’ai toujours appréciés pour leur puissance et leur obsession presque létale de l’exaltation ; quelle ne fut pas ma surprise quand les réactions furent au contraire un appel à l’espoir et à l’amour mutuel.
Ahem. OKAY OUI BON je vois bien comment on peut AUSSI prendre la citation dans un sens, euh, torturé. (Kafka n’était-il pas cet homme connu pour son goût du fun ?) Mais cette divergence d’interprétation est instructive : alors que l’on peut retenir l’aspect « like a suicide », je suis par ma part obsédé par la puissance de « the axe for the frozen sea inside us » ; personnellement, je ne veux pas de frozen sea inside me, et je veux lui péter la gueule à la hache, ouais – ce qui implique la totalité de l’existence, le fun et son contraire.
Combattre, le cas échéant, l’inertie rassurante de son existence peut représenter, oui, un désastre et une mort ; c’est une porte terrifiante, puissante et merveilleuse que de constater, éventuellement, l’étroitesse de sa propre conceptions. C’est une expérience terrible, mais qui peut être salutaire. (Si l’on est branché haches et océans. Ça n’est pas le truc de tout le monde.)
Toute réalisation implique la fin de quelque chose, ce qui nécessite un processus de deuil. Et sortir de l’inertie est une expérience violente (sinon, ça ne serait pas de l’inertie).
Hey, tout à fait d’accord avec toi. une fois de plus, je trouve tes remarques stimulantes !
En plein dans les aventures de Mériane, la présence de kafka et son côté ‘monstruosité magique’ du réel dans tes influences ne me surprend pas. (la magie méca un hommage à Kafka ? ;p)
Perso, je rajouterai un auteur que je trouve plus difficile d’accès que Kafka, mais très intéressant aussi dans ce côté hache et océan gelé. C’est Dostoïevski et son « homme du souterrain ». Une belle glace, dans une monstruosité cette fois-ci sociale, ou plutôt dans le lien de l’humain gelé à une société qui utilise cette glace à ses fins propres. Je trouve ces romans visionnaires et encore, malheureusement, trop d’actualité (aussi pertinents que le panopticon de 1984).
Je rêve d’une fantasy qui puisse naviguer entre l’homme du souterrain et le temps retrouvé de Proust…
C’est d’ailleurs peut-être cela qui bloque mon écriture, parce la tâche n’est pas simple et dans un univers littéraire fasciné par des troppes très conservateurs, c’est à la fois passionnant et compliqué d’en dynamiter proprement les fondations…
Merci à toi ! Intéressant que tu y voies une parenté ; je suis flatté 🙂 J’avoue que je me sentais davantage piocher dans l’indicible lovecraftien là-dessus, mais la monstruosité du réel ne peut pas être bien loin. (Kafka sera en revanche une inspiration beaucoup plus consciente dans la première moitié de La Succession des Âges).
Je ne connais pas du tout assez Dostoïevski hélas. En tout cas, je pense que l’imaginaire, en ce moment, est tout à fait prêt à des expériences et des aventures hors de ses canons (voire qu’il en a besoin). Le monde est prêt – vas-y ! Et bon courage.
Je regrette de n’avoir pas participé à cette conversation parce que je suis contre cette phrase de Kafka (je veux être la mer gelée, et qu’un livre m’apporte des fleurs et des nuages — pas de la violence et des haches)
« La vie n’est que peine, Altesse. Ceux qui vous disent le contraire essaient de vous vendre quelque chose. »