Okay, ça fait une éternité absolue (par opposition à l’éternité relative) que je promets de parler d’applications de notes, pour construire sa base de connaissances, son journal, ses illuminations sur la vie, l’univers et le reste, j’ai longtemps été un utilisateur acharné d’Evernote mais l’application s’est perdue (en plus de ne pas offrir de chiffrement de bout en bout, ce qui me semble impensable en 2024), j’ai exploré le sujet de long en large, ouvert des comptes d’essai et de bêta-test chez absolument tout le monde (Notion, Onenote, Roam, Tana, Standard Notes, Craft, The Archive, Capacities, Reflect, Logseq, Anytype, Amplenote et j’en passe, j’ai tout, je dis bien tout essayé) et il est venu, le temps des cathédrales.
Qu’est-ce qu’on utilise comme app pour noter ses idées, les construire et les conserver ?
Avec un pareil sujet, j’ai fini par me faire une raison : il est impossible de recommander une application ultime qui convienne à tout le monde, à la fois en raison des différences de mode de travail et des plate-formes. Il va donc être question de deux, les meilleures dans leurs genres respectifs, couvrant le meilleur des fonctionnalités que l’on recherche.
Les fonctionnalités nécessaires
À mon sens, une application de gestion de la connaissance (PKM, comme on dit dans les cercles initiés, pour Personal Knowledge Management) doit présenter a minima les fonctionnalités suivantes :
Une expérience utilisateur (UX) réfléchie et fluide pour permettre de penser rapidement et efficacement. Cela inclut entre autres : des raccourcis clavier nombreux, une interface minimisant le nombre d’interactions pour arriver à la commande désirée, la possibilité de travailler simplement sur plusieurs documents en parallèle. Pouvoir automatiser des tâches est un bonus.
Une application “local first“. On veut pouvoir travailler dans n’importe quelle condition avec l’Internet qu’on a (ou qu’on n’a pas), que ce soit sur ses notes ou ses attachements. (Cela exclut notoirement Notion et Craft.)
Une application soucieuse de la vie privée. Une solution de synchronisation chiffrée de bout en bout est idéale.
La possibilité de relier ses notes entre elles. Les liens entre fiches et documents sont indispensables pour construire une base de connaissances puissante (voir la série Geekriture) et l’on veut pouvoir inventorier les liens pointant vers un document donné (backlinks).
Des options de formatage avancées, notamment les tableaux.
Un format de document ouvert ou au moins une facilité d’export de ses données, on rédigera idéalement en Markdown, ou au moins, il sera possible d’extraire ses données sous ce format. Les applications vont et viennent ; on parle de gérer une base de savoir censée durer sa vie entière, ce qui dépasse la longévité moyenne des outils informatiques.
Une application fonctionnelle sur mobile. Les idées frappent à tout moment et généralement quand on n’a que son téléphone avec soi : il faut pouvoir au minimum capturer ses idées sur mobile.
Ne pas casser le compte en banque.
Bear et Obsidian
Bear et Obsidian sont les deux applications qui recoupent au maximum ces fonctions de façon la mieux fichue avec le moins de désagréments dans les autres domaines, mais elles s’inscrivent dans deux philosophies relativement opposées, en plus de ne pas forcément être disponible partout.
Bear est l’application des minimalistes (ou des personnes faciles à distraire) dans l’écosystème Apple
Si vous êtes sous Windows et/ou Android, arrêtez-vous là, prenez Obsidian.
Bear est une application puissante mais avec une idée très claire de ce qu’elle est, et n’est pas. Vous obtenez un jeu de fonctionnalités abouti, mais rien de plus. N’espérez pas avoir de dossiers, tout fonctionne par tags ; ne cherchez pas de représentation visible de vos liens ou de géolocalisation de vos notes, ça ne sera jamais dedans. Dans Bear, on note vite (une des meilleurs UX du marché), joliment (l’app est une joie à utiliser) et on se réjouit de la myriade de petits détails bien pensés qui en font un bonheur à l’emploi, mais on accepte que c’est une app volontairement limitée pour réduire l’éventail des fonctionnalités et empêcher le bricolage à l’infini. Dans Bear, on choisit un thème, une poignée d’options typographiques, et puis on bosse. Point.
Ce que Bear fait très bien :
- UX fantastique (c’est beau, rapide, efficace).
- App mobile avancée, réactive et agréable.
- Système de classement par tags ultra rapide pour organiser ses notes.
- Grande simplicité dans la gestion des pièces jointes (images, PDF etc.)
- La recherche fouille aussi dans vos pièces jointes.
Ce que Bear fait moins bien :
- Pas de fonctions avancées (graphe, géolocalisation). Si vous avez tendance à tout paramétrer aux petits oignons pendant des heures, croyez-moi, c’est un atout… vous n’avez pas l’excuse de travailler sur votre outil au lieu de dans votre outil. (Voir les risques d’Obsidian.)
- Pas de lien à des paragraphes ou blocs de texte (seulement à des titres, ce qui peut suffire) ni de transclusion. (Si vous ne savez pas ce que c’est, vous n’en avez pas besoin.)
- La synchro se fait sur votre propre espace iCloud sans être chiffrée de bout en bout, mais pour moi, c’est suffisant.
- Système de multifenêtrage un peu bizarre, nécessitant un petit temps d’apprentissage.
Obsidian est un environnement numérique pour la pensée
Par contraste, Obsidian fait tout, mais alors, absolument tout. Et c’est son plus gros piège : on peut le transformer en quasiment n’importe quoi, ce qui est intimidant, et égare le ou la novice.
À la base, Obsidian est un éditeur de fichiers Markdown gérant des liens et un graphe de connaissances. Point. Mais Obsidian est personnalisable dans ses moindres aspects (jusqu’à la position des commandes de l’interface), et présente un écosystème de près de 2000 plugins allant du petit truc pratique (ajouter un raccourci clavier) à la transformation complète de l’application (intégrer une solution de gestion de projets). Beaucoup imitée, Obsidian bénéficie aujourd’hui d’une communauté ultra dédiée, de développeurs assez géniaux et d’une éthique assez unique à notre époque.
Ce qu’Obsidian fait très bien :
- Obsidian est de loin la meilleure app pour faire incuber ses idées. Tout est reliable, visualisable sous forme de graphe, il est possible d’intégrer des bouts de notes à d’autres (transclusion), ou des requêtes dynamiques, rien que son jeu de fonctionnalités de base est ultra puissant.
- Obsidian est bâti sur des formats entièrement ouverts (un paquet de fichiers sur votre disque) et se synchronise avec chiffrement de bout en bout.
- L’écosystème de plugins permet d’ajouter à peu près n’importe quelle fonction. Si vous vous demandez : “Obsidian peut-il faire ça ?”, la réponse est oui1. La vraie question sera comment (et c’est là que les ennuis peuvent commencer, voir ci-dessous).
Ce qu’Obsidian fait moins bien :
- L’app mobile est utilisable, mais un peu lourdingue. C’est pas idéal pour la capture rapide (même si l’équipe travaille dessus).
- L’app est basée sur le framework Electron : cela signifie que quasiment aucun outil système ne fonctionne dedans (agaçant notamment sous macOS).
- Plus vous personnalisez Obsidian, plus vous courez le risque que vos ajouts ou plugins cassent avec une mise à jour future, ce qui peut vous pousser à une maintenance malvenue et agaçante (et à éplucher les forums / Discord officiels).
Rapides conseils de survie pour vivre Obsidian sainement
- Préférez un thème d’interface extrêmement bien suivi et développé pour éviter les migraines (acceptez d’utiliser le thème de base ou bien Minimal, développé par le CEO de la boîte).
- N’ajoutez un plugin que si vous avez un réel besoin de la fonctionnalité associée, et prenez le temps de le maîtriser avant d’ajouter le suivant. (Limite leur prolifération extrêmement néfaste.)
- Tenez-vous à distance des vidéos YouTube qui vous expliquent comment le transformer en tableau de bord intégré de votre existence. Vous y viendrez plus tard si nécessaire.
Comment choisir ?
Au final, si vous avez suivi ce qui précède, vous verrez clairement deux écoles.
Déjà, de base, si vous êtes sous Windows et/ou Android, c’est Obsidian. On l’a dit.
Ensuite. Si vous avez une forte tendance à la distraction et à l’obsession pour tout paramétrer au poil, préférez Bear. Vraiment. Vous allez passer des heures à bricoler Obsidian pour voir vos modifications casser progressivement au fil des mois. Faites tout de suite le deuil dudit bricolage et prenez l’outil qui vous empêche de faire ça. Oui, c’est absolument du vécu. (Après quatre ans d’oscillations constantes et d’allers-retours entre les deux, j’ai fini par me fixer sur Bear précisément pour cette raison.)
Si vous n’avez pas de tendance obsessionnelle au paramétrage, que vous voulez juste prendre des notes puissantes en Markdown avec peut-être une poignée de fonctionnalités choisies et que vous n’avez pas besoin d’une app mobile parfaite, Obsidian vous réjouira. On ne fait pas mieux dans cette catégorie.
À vous les studios : Bear | Obsidian
- On y trouve entre autres un lecteur de podcasts et un moteur de bases de données. ↩
Utilisateur d’Obsidian je rejoins le constat que l’utilisation sur mobile est assez pénible. Pour contourner cette difficulté j’utilise iAwriter qui permet de choisir le dossier local d’Obsidian et de travailler ces notes avec une ergonomie semblable à Bear (que je vais retester du coup).
J’utilise également une petite app Bebop qui permet de créer une note très rapidement dans son coffre Obsidian. Idéal pour les notes rapides.
En fait, je me suis rendu compte à l’usage que je suis trop visuel, j’ai besoin de mes médias sur toutes les plateformes (iA Writer est super, mais pour gérer du média en mobilité, c’est un peu la misère). J’ai aussi tenté pour la capture rapide un combo de Drafts avec Shortcuts, et toutes les apps intermédiaires qui permettent de créer des “fleeting notes”. Au final, toujours le même problème: pour le texte, c’est excellent, pour le média (image, PDF, son) c’est la misère. C’est aussi ce qui m’a ramené à Bear : l’inbox est multimédia et au final elle est au même endroit que le reste.
Bear est (très) clairement plus limité qu’Obsidian, mais la fluidité qu’on gagne est considérable…
Curieux de savoir ce que vous en penserez, toutes et tous.
Merci pour ce comparatif efficace et informé.
Depuis mon dernier commentaire sur ton article précédent, je tente l’aventure avec un obsidian auto-hébergé : ça demande un soupçon de bricolage, mais le combo logiciel accessible de n’importe où + fichiers chez soi et synchronisés par mes soins est assez puissant.
Après je suis réaliste, le fun de mettre ça en place s’effacera tôt ou tard devant la charge de devoir tout maintenir en marche (mise à jour, backup, domaine, etc.).
Une fois que Panda sera sorti, possible que ça m’intéresse pour un flow similaire à celui de Eiffair (commentaire précédent) afin de cumuler la puissance de l’un et l’aspect simple et efficace en mobile de l’autre. On verra bien.
Je suis curieux aussi de voir ce que ça donnera. Je l’utilise déjà comme mon éditeur de Markdown favori (devant Typora), mais avec le navigateur de fichiers promis, il semble qu’ils promettent l’accès direct aux données qu’on a avec Obsidian, mais avec leur UX.
Sans plugins, par contre.
J’ai utilisé Obsidian sur PC dans le travail du travail mais je suis passée sur Joplin depuis deux ans, qui est une alternative open-source, couplé avec un serveur Nextcloud chiffré (chez un hébergeur indépendant).
Il existe une version iPhone (mais aussi Android) qui permet de prendre des notes à la volée (toujours synchronisées avec mon compte Nextcloud). Il est possible d’ajouter des plugins, dont un qui permet de faire des liens entre les notes et, de façon complètement subjective, je trouve l’application très jolie. Par contre, elle peut être assez (voire très) lente à ouvrir sur PC.
Après, j’en ai une utilisation assez simple, donc je ne sais pas si elle répond à tous les usages que tu cites dans le premier point. De plus, la migration Obsidian->Joplin m’a obligée à reconstruire les liens entre les notes :/
Merci d’en parler, l’app mérite une mention ! J’ai envisagé Joplin, mais la nécessité d’installer des plugins pour avoir les liens wiki et la présence de deux éditeurs texte différents avec des plugins pas toujours compatibles m’a découragé. (Obsidian requiert déjà assez de maintenance comme ça)
Pour info, l’alternative open source d’Obsidian est plutôt Logseq ; Joplin est né suite au premier scandale lié à la vie privée d’Evernote, et à la base se positionne plutôt sur ce créneau. (Même si toutes ces apps évoluent forcément depuis des années)