Organiser ses notes, unique objet de mon ressentiment. Or doncques, auguste lectorat, j’ai découvert l’existence de la méthode Zettelkasten fin 2019, j’ai adopté Obsidian dans la foulée, j’ai suivi des formations, lu des bouquins, et je suis arrivé à la conclusion (adoubé par les papes) que, tel Monsieur Jourdain, qui n’avait pas été baptisé dans le fleuve, j’en faisais sans le savoir, et que c’était surtout infiniment plus simple que ce que te vendent les influenceurs YouTube. On a vu la semaine dernière le premier volet de l’organisation de ses notes : avec des tags (UN), voici donc le volet DEUZE.

Ce qu’est le Zettelkasten à la base (et ce qu’on n’en fait pas pour l’écriture)

Zettelkasten, en gros, ça veut dire boite à fiches. L’approche existe depuis la nuit des temps, mais elle est revenue à la conscience collective en particulier à travers le prisme d’un sociologue appelé Niklas Luhmann, dont la productivité fut phénoménale : 70 ouvrages, 400 articles, le tout en enseignant à côté. Luhmann prétendait « ne jamais avoir l’impression de travailler », allant simplement là où ses intérêts le poussaient. Il attribue sa prolixité à son « Zettelkasten », soit son système de notes. Lequel comporte quatre caractéristiques fondamentales :

  • Une idée par fiche (principe d’atomicité)
  • Écrite avec ses propres mots (pas de recopie bête et méchante, pas de « je capture tout » à la Evernote), ce qui est crucial pour comprendre et développer les notions du monde extérieur comme les siennes
  • Reliée à des idées connexes sans a priori de catégorisation ni de thème. C’est son grand attrait pour l’écriture : pouvoir faire s’entrechoquer des fragments venus de toutes les directions, les développer et découvrir leurs relations à mesure qu’un projet prend forme.
  • Un lien vers les sources si applicable
Un exemple de Zettel de Luhmann

Et c’est tout. Maintenant, ces idées pourtant simples génèrent des exégèses et des conversations de très haut niveau, des pléthores de vidéos YouTube associées à la meilleure manière d’implémenter tout ça sous Obsidian, tout un milieu passionnant qui réfléchit collectivement à recréer le miracle de Luhmann à l’ère moderne en s’appuyant sur les outils numériques.

Pour l’écriture de fiction et la création au sens général, la méthode est surpuissante, car fondamentalement, elle traite de clarification du savoir. Mais :

  • Elle est académique à la base. Elle se préoccupe de sources, de leur confrontation, de pouvoir les citer correctement. La recherche documentaire en écriture est très différente : même s’il s’agit de ne pas raconter n’importe quoi, on s’imprègne et l’on métabolise, on ne cite pas. Ce qui nous intéresse dans la méthode, c’est le développement de ses idées.
  • Les systèmes surpuissants qu’on trouve en ligne sont l’équivalent des bullet journals décorés avec amour : des œuvres d’art qui n’ont guère de lien avec la réalité et dont on s’éloignera très calmement en les regardant dans les yeux.

La méthode Zettelkasten pour l’écriture

En se rappelant donc que le Zettelkasten « canonique » (si tant que ça existe) est une méthode académique qui doit se préoccuper de sources (on pourra toujours l’appliquer à sa recherche documentaire), voici, très simplement, comment l’appliquer à l’écriture.

UN : capturer toutes ses super idées.

DEUX : développer ses super idées en continuant à ajouter de la matière sur la fiche associée à mesure que ça se présente, ou qu’on y travaille de manière concertée.

TROIS : organiser ses super idées petit à petit quand la matière commence à devenir un peu trop fournie.

QUATRE : quand la matière est vraiment trop fournie, éclater la fiche en sous-fiche et tisser des liens :

  • Vers les axes de réflexion qui se sont dégagés
  • Mais aussi vers les autres fiches de son système : recherche documentaire, idées a priori sans lien, techniques littéraires développées, etc.

CINQ : quand c’est suffisamment clair, écrire.

SIX : mettre de côté le matériel réutilisable (réflexions, univers à développer, leçons sur l’art) dans son Zettelkasten pour possible réemploi futur.

Félicitations, vous faites du Zettelkasten. Alors, entendons-nous bien : il existe des tas de subtilités et d’implémentations plus ou moins pointues pour se faciliter la vie avec les outils (incluant des techniques pour construire des chaînes de raisonnement, par exemple). D’autre part, pour la recherche académique, on a besoin de beaucoup plus. Cependant, le cœur est là : écrire, développer, mettre en relation. Fondamentalement, vous n’avez pas besoin d’un joli bullet journal ni de Dataview (même si je ne vous jetterai pas la pierre de jouer avec).