De la technique artistique et des autodidactes prodiges

Autre serpent de mer assez régulier sur la pertinence de la technique artistique et de son apprentissage, quand il existe (c’est vrai) des contre-exemples ponctuels qui ont tout appris tout seuls (l’exemple du guitariste qui apprend tout dans sa chambre et revient avec une approche novatrice). L’existence de prodiges autodidactes prouve-t-elle l’inutilité de la technique, voire, comme on peut le lire, sa nocivité en dévoyant les instincts ?

Ces contre-exemples (évoqués à l’occasion d’une conversation sur Twitter) sont souvent brandis comme la preuve qu’en art, la théorie artistique est inutile, voire contreproductive.

C’est faux (et la conversation est tellement importante que j’en ai dit un mot dans Comment écrire de la fiction).

Tout d’abord, absolument, il existe des autodidactes géniaux en art. Dans la conversation sus-nommée, il était question de Martin Gore, on pourrait mentionner quantité de jazz people. Ce que l’on oublie très fréquemment quand on parle de ces cas particuliers, c’est le boulot qu’il faut pour en arriver là. Si vous pensez qu’il est difficile d’apprendre une langue étrangère, imaginez-vous le faire sans méthode ni prof. Est-ce possible ? Absolument. Est-ce que cela vous donnera une perception unique et personnelle ? Sans doute. Est-ce que c’est difficile sa mère ? Voyons ça comme ça : combien de fois êtes-vous passé.e devant un instrument de musique / un pinceau et n’avez-vous PAS décidé de vous y investir corps et âme au détriment de tout le reste ?

Pour un prodige autodidacte, il existe trois millions (estimation non contractuelle) de personnes qui avaient mieux à faire que prendre la guitare pour en faire leur mission. Je veux dire. Combien de fois n’avez-vous PAS pratiqué l’instrument pour lequel vous preniez pourtant des cours ?

Ensuite, et c’est beaucoup plus important, la technique et la théorie n’ont jamais fait des génies, mais elles expliquent comment les choses fonctionnent. Quand on sait comment elles fonctionnent, on peut y adhérer quand c’est indiqué, les déconstruire et/ou les pousser plus loin. (J’utilise génie comme raccourci, mais – comprenez « personne dont la pratique artistique qualitative entraîne des réalisations couronnées d’un succès marquant son époque ».) Aux prodiges autodidactes, j’oppose Picasso, à qui il a fallu « toute une vie [d’étude] pour apprendre à dessiner comme un enfant ». Ou Pierre Henry, figure de proue de la musique concrète (plus pionnier tu meurs) qui sortait du Conservatoire de Paris.

La bonne voie, c’est celle qui nous permet d’avancer et d’appréhender l’art que l’on veut faire. Ni plus, ni moins. Sauf que c’est un apprentissage bougrement difficile et qu’il est pertinent d’envisager de ne pas réinventer la roue, en profitant de millénaires de théorie.

Théorie qui ne fait pas des génies. Les génies se font autrement, par la passion, le feu et le dévouement. Théorie ou non, ce n’est pas le sujet : en revanche, la théorie peut souvent faciliter le processus et éviter de vraies maladresses dans les premiers temps du parcours.

Unpopular opinion : ce qui me gêne fondamentalement dans l’argument « la technique est facultative », c’est que cela devient souvent une justification pour ne pas bosser. Souvent, il y a de la peur derrière, une peur cent fois compréhensible devant l’envergure de la tâche. Mais on n’y échappe pas, que ce soit en bossant la guitare dans sa chambre ou en allant au Conservatoire. On peut avoir des facilités, mais comme disait Brassens, « sans travail, le talent n’est qu’une sale manie ». Seule la pratique (guidée ou non) améliore ce qu’on fait.

L’argument qu’on voit souvent, c’est : « Moi, je brise les codes, je fais différemment, c’est original, je suis à contre-courant ! » Hélas, 99 fois sur 100, ça ne fonctionne pas… parce que ça n’est pas abouti. Ça me fend le cœur chaque fois que je vois un jeune (ou moins jeune) auteur prometteur se paralyser dans sa fierté (en réalité sa peur) sans faire l’effort d’humilité nécessaire pour admettre que l’on peut, et doit apprendre toujours1.

Bref: il n’existe encore et toujours qu’une seule chose à notre portée en art, c’est notre travail (par des cours, de la recherche, de la pratique, en proportions variables et personnelles). Il existe des génies, comme le talent existe peut-être, mais je pense toujours plus sûr de ne pas considérer qu’on en fait partie ni qu’on en a.

Que nous reste-t-il quoi qu’il arrive ? Faire notre art, le lire / écouter / voir, s’en imprégner, le bosser. Le travail ne vous trahira jamais. C’est même la seule chose sur laquelle on puisse compter.

Je répète : le seul chemin valable, c’est celui qui vous permet de faire ce que vous souhaitez. Que cela passe par la théorie (c’est recommandé) ou pas (OK, si vous avez une volonté en béton armé). Ce dont vous ne ferez pas l’économie, c’est le travail (motivé par la passion).

Comprendre le fonctionnement des choses n’abîme pas une vision. Cela la renforce, la précise. Et j’arguerais qu’un.e artiste solide ne peut être abîmé.e par un peu de théorie. Sa vision est assez forte pour être transmutée et la transmuter.

Sinon, il y a un autre problème.

  1. Le travail devrait d’ailleurs former sa propre récompense. Ce qui compte, c’est le processus avant le résultat, car on ne pratique QUE le processus, et se concentrer sur le résultat, l’accueil, la publication, c’est se tromper fondamentalement de jeu. C’est un autre débat.
2023-01-10T05:33:00+01:00jeudi 12 janvier 2023|Best Of, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur De la technique artistique et des autodidactes prodiges

Au travail ! (Pep talk NaNoWriMo)

Par un étrange concours de circonstances sanitaire, le NaNoWriMo (ou DRoMA en bon français – bravo pour cette initiative, à suivre ici !) se déroule donc en confinement, ce qui s’y prête donc peut-être bien (fonction de votre situation précise). En 2013 (gloups) on m’avait demandé un pep talk – soit un discours de motivation ? De sergent instructeur ? Un massage de dos ? – pour le NaNo, justement, mais le site concerné a depuis disparu. Donc : revoici.

Au travail !

Vous l’avez peut-être déjà entendu : il n’y a pas de vérité absolue en art, il n’y a donc pas de méthode en création. Pas d’autre méthode que la vôtre, qui sera le fruit de vos expérimentations, de vos aventures et surtout de ce que vous goûterez, et de la façon dont cela vous fera mûrir. La seule façon d’apprendre à écrire consiste à vous connaître ; la seule façon d’apprendre à vous connaître consiste à écrire.

Il existe en revanche une vérité cardinale. C’est la persévérance. Bossez comme vous l’entendez. Mais BOSSEZ.

Bossez dans un café bondé ou isolé(e) chez vous dans le silence. Bossez dans la sérénité ou en vous tapant la tête contre les murs. Bossez dans les interstices de votre vie, bossez en vous ménageant de grandes plages de temps, bossez sur un smartphone ou un cahier relié de cuir, avec un synopsis, sans synopsis, en vous octroyant une pause au calme, en écrivant pendant un forcené douze heures d’affilée.

Mais, quoi qu’il arrive : BOSSEZ, sans relâche, de la manière qui vous ressemble aujourd’hui (qui ne sera peut-être pas la même demain).

Réfléchissez à ce dont vous avez besoin, mettez-vous en accord avec vous-même, écrivez, raffinez la formule, recommencez.

Créer, c’est dur. Écrire, c’est de la folie. Mais c’est de la magie, et c’est pour ça que vous êtes là. Pour faire naître votre histoire, pour vous immerger dans la vie de personnages et, peut-être, jouer des émotions de vos futurs lecteurs en virtuose, les faire passer par le rire et l’angoisse, par la peine et le triomphe.

Toutefois, nul autre que vous n’a décidé de se lancer dans cette galère, celle de la littérature en général et celle du NaNo en particulier. Et, plus important, nul autre que vous, si vous êtes honnête avec vous-même, si vous allez chercher au fond de vous la vérité qui n’appartient qu’à vous, ne peut dire ce que vous avez à dire. Si vous laissez vos histoires au fond de vous-même, nul ne les racontera pour vous.

Vous êtes seul(e) redevable de votre engagement envers vous-même. Vous vous êtes fait cette promesse. Et pour y parvenir, au fond, il n’y a pas de recette, pas de miracle : il y a de l’effort, de l’entêtement, du serrage de dents, quelques pétages de plombs, de la déprime et de l’extase.

Mais j’ai une bonne nouvelle : c’est normal. C’est le métier. Rassurez-vous. Est-ce que ça ira mieux avec le temps ? Probablement pas. Mais vous saurez une chose : que vous en êtes passé(e) par là, que vous avez survécu, fini, et continué.

Et c’est pourquoi, ce que vous ne devez pas faire, c’est baisser les bras. Vous dire que vous n’y arriverez jamais. (Ou alors, juste un peu. Mais pas longtemps. Prenez un chocolat chaud. Pleurez sur l’épaule de votre mère. Soufflez un peu. Jouez à Mario Kart. Mais ensuite : retournez dans l’arène, le couteau entre les dents, et faites rendre ses chapitres à votre histoire.) Ce que vous devez faire, c’est toujours remonter en selle. C’est insister. Ne vous arrêtez pas. Parce qu’au cœur de l’écriture, il n’y a jamais que cela : l’acte d’écrire, de rester devant la page, et d’aligner les mots. Derrière toute la théorie littéraire du monde – qui a son utilité et fait gagner des années de réflexion, ne vous y méprenez pas – il n’y a toujours qu’une personne, face à la page, qui écrit, sans s’arrêter, et qui, un jour, finit son livre.

Nul ne vous regarde. Nul ne vous relira si vous ne le souhaitez pas. Vous pourrez toujours retravailler plus tard. Alors, laissez-vous aller. Tentez, osez vous planter. Persévérez, même et surtout si ça vous paraît nul, incohérent, plat, pas crédible. Ne revenez pas en arrière. Ne corrigez pas. Notez peut-être sur une feuille à part ce qu’il faudra rattraper ; mais, pour l’heure, avancez.

Pour corriger, il faut avoir une base de travail, et c’est exactement ce que vous êtes en train de construire : ramer, grogner, défricher dans la sueur et une possible consternation le territoire vierge de votre histoire, pour disposer ensuite de matière. Mais vous ne pourrez rectifier le voyage qu’en l’ayant déjà accompli. Ce premier trajet n’est pas parfait. Mais ce n’est pas le but. Le but, c’est savoir les questions que votre histoire pose pour réfléchir ensuite aux meilleures réponses à leur apporter.

Alors, par tout ce qui est juste et bon, ne visez pas la perfection. Avancez, c’est tout. Insistez, toujours. Terminez ce fichu premier jet. Ne lâchez pas ; soyez celui ou celle qui tient bon quand tous les autres abandonnent. Ayez ce courage. Lâchez Facebook, laissez tomber la vaisselle, cloîtrez-vous et ne répondez plus au téléphone s’il le faut. Mettez des mots sur la page. Au bout du compte, malgré toute la technique narrative amassée – qui a sa valeur –, c’est cette persévérance qui est la seule à pouvoir vous conduire au bout de la route. C’est la règle de l’écriture n°1 de Robert Heinlein :
« Tu dois écrire. »

S’il n’y a vraiment qu’une seule chose à savoir, c’est celle-là.

PS : Si vous ne rencontrez aucune des difficultés susnommées, félicitations ! Bravo, et bon NaNo ! Par ailleurs, sachez que je vous hais. Gros bisous.

2020-11-02T12:41:12+01:00mardi 10 novembre 2020|Best Of, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Au travail ! (Pep talk NaNoWriMo)

Écrire, être publié, ou les deux ?

Repost d’un fil sur Twitter sur un sujet qui me gratte depuis un moment, inspiré par des années (maintenant) d’observation des milieux éditoriaux, de discussions avec les jeunes auteurs, de lectures de messages sur les réseaux. Parce, quand je vois certaines frustrations relatives à la publication, ses règles, ses « contraintes », je ressens une dichotomie dommageable entre écrire et publier.

Écrire est la base. Raffiner sa pratique, de manière à étendre la palette de son expression pour arriver à cerner au plus juste le cœur de ce que l’on a à dire est le processus. Notez bien qu’il n’est nulle part ici question de publication. La publication est un bonheur, l’occasion de partager avec le monde, et peut-être même l’occasion de (wouah) gagner des sous. Mais :

La publication n’est pas la fin en soi ni – et je lis parfois ça dans la frustration de jeunes auteurs – la validation de vos efforts ni de votre personne. La validation de vos efforts, ce sont vos efforts en eux-mêmes. Vous écrivez. Ce « trajet de raffinement », comme le dit Léa Silhol.

Il est évident pour tout le monde que si tu veux faire The Voice ou que tu veux faire du concept art pour Hollywood, ça demande un boulot de malade mental. Ce n’est pas parce que tu chantes sous ta douche ou que tu griffonnes que tu as le niveau. Notez bien : CE N’EST PAS GRAVE. Cela n’invalide en rien votre création. L’acte de créer et l’acte de faire The Voice sont deux choses entièrement différentes.

Le métier du créateur consiste à raffiner sa pratique par amour de celle-ci.

Dis Siri, écris-moi une super histoire

Donc, de grâce, si c’est votre cas, cessez d’équivaloir au plus vite création et validation. Soyez dans l’amour et la disponibilité de ce qui vous a choisi pour exister ; soyez dans le travail pour lui donner la meilleure forme possible. C’est, réellement, tout ce qu’il y a.

Ne prenez donc pas une merveilleuse conséquence pour le but à atteindre. Si vous créez avec sérieux et dévouement, vous faites déjà ce qu’il faut.

Le reste n’est que :

  • travail, qui vous appartient
  • et au-delà, c’est hors de vos mains ; alors arrêtez de vous faire du mal et surtout, ne confondez pas voyage et destination.

2020-05-29T20:37:15+02:00mardi 2 juin 2020|Best Of, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Écrire, être publié, ou les deux ?

Turning Pro, avec Steven Pressfield

J’avais, la bave aux lèvres, hurlé tout l’immense bien que je pensais de La Guerre de l’Art – comment Pressfield, avec un mélange de bienveillance et de secouage de puces, pousse créateurs et créatrices à ne pas céder à la Résistance, cette force nocive qui nous retient d’accomplir le travail (et l’œuvre) de notre vie. Pressfield a décliné ses idées en une série de bouquins après La Guerre de l’Art, qui, me semble-t-il, ne sont pas traduits :

  • Turning Pro
  • Do the Work
  • Nobody wants to read your sh*t

À lire dans cet ordre, d’après Pressfield, sauf le troisième qui peut être lu n’importe quand. Donc, comme j’apprécie qu’on me rappelle qu’un jour je ne serai plus là et qu’il me faut donc accomplir chaque jour mon meilleur travail sans attendre, il fallait forcément embrayer sur Turning Pro à un moment.

Qu’est-ce qu’un ou une pro ?

L’amateur tweete. Le pro travaille.

– Steven Pressfield

Merci, voilà, salut.

Un ou une pro est quelqu’un qui ne cède pas à la Résistance. Quelqu’un qui cesse de se raconter des histoires et de se trouver des excuses ou des raisons extérieures (ce que Pressfield appelle dans ce contexte un amateur) pour affronter l’œuvre de sa vie mais qui l’accomplit, quel qu’en soit le prix, quelle que soit la difficulté. Il ne s’agit pas de nier cette difficulté, ni cette terreur, au contraire ; il s’agit de les reconnaître avec respect – mais quand même de les affronter face à face. Bien sûr, il place « l’œuvre » dans un contexte artistique, mais stipule bien que c’est applicable à n’importe quelle réalisation à laquelle nous nous sentons appelé·es.

Pressfield établit certains parallèles entre la dépendance (quelle que soit la substance ou le dérivatif) et la vie créatrice ; les deux visant à la transcendance et à l’accomplissement, mais la première conduit à la destruction, quand la seconde élève l’être ; il s’agit dans les deux côtés d’un appel puissant de l’inconscient. Je ne connais pas suffisamment les questions de dépendance mais j’imagine que cette vue sera critiquable. En revanche, ce qui est intéressant, c’est quand il débouche sur l’idée plus vaste des shadow lives, des « vies d’illusion » que l’on peut se construire comme dérivatif par terreur d’affronter la réelle création qui nous appelle. Combien la distraction, l’argent, l’échec, les problèmes que l’on se crée tout seul, le sexe, la gratification instantanée, le besoin de validation et j’en passe peuvent accaparer l’attention et former, là encore, de puissants dérivatifs au véritable accomplissement du soi. (*tousse* les réseaux commerciaux *tousse*)

Pressfield ne nie jamais la terreur d’affronter l’abysse, le néant sans forme, et d’en extraire ordre et création. Il met toute la différence sur les raisons de le faire et le processus. Le pro le fait parce que c’est son appel, c’est sa raison, qui se nourrit d’elle-même (je renvoie, ici, à Comment savoir ce pour quoi l’on est fait (comme écrire)). Il ou elle le fait car c’est l’appel supérieur de son être. Le processus du pro ne se relâche jamais et reste un combat constant contre la Résistance, renouvelé chaque jour. Il y a clairement dans cette approche de la philosophie stoïciste voire spartiate, mais moi, j’adhère : le talent est une grandeur inconnue et donc fumeuse ; la seule variable d’ajustement dont nous disposons est notre persistance dans le travail, alors, travaillons (voir aussi Procrastination S02E20 – Talent Vs. Travail).

Ce qui se rattache à cette citation de Frank Conroy :

Commit yourself to the process, NOT the project. Don’t be afraid to write badly, everyone does. Invest yourself in the lifestyle … NOT in the particular piece of work.

Frank Conroy

Soyons clairs : Turning Pro n’est en rien la baffe monumentale et concentrée qu’était La Guerre de l’Art. Si vous n’avez pas adhéré au premier, Turning Pro ne vous convaincra pas davantage (et certainement moins). Turning Pro développe et raffine les idées de La Guerre de l’Art, avec pas mal d’anecdotes tirées de la vie de Pressfield ; il y retrace beaucoup le même chemin, quoique avec des éclairages différents. À moins d’avoir trouvé une révélation dans La Guerre de l’Art, Turning Pro me paraît dispensable. Mais si vous adhérez au discours, vous aurez plaisir à le retrouver sous d’autres angles d’approche. Par contre, si La Guerre de l’Art me semble être un livre de chevet à lire et relire pendant une vie d’artiste entière, je ne crois pas que Turning Pro ait le même impact (mais c’était probablement une attente peu réaliste).

2020-05-17T21:07:00+02:00lundi 27 avril 2020|Best Of, Technique d'écriture|2 Commentaires

Persister, chaque jour (Steven Pressfield)

Je l’avais envoyée aux abonnés de la lettre d’informations, mais je me rappelle si souvent cette citation, alors que ma date de finalisation pour L’Héritage de l’Empire arrive à grands pas, et surtout, j’ai pu tellement en vérifier la vérité :

[W]hen we sit down day after day and keep grinding, something mysterious starts to happen. A process is set into motion by which, inevitably and infallibly, heaven comes to our aid. Unforeseen forces enlist to our cause; serendipity reinforces our purpose. This is the other secret that real artists know and wannabe writers don’t. When we sit down each day and do our work, power concentrates around us. The Muse takes note of our dedication. She approves. We have earned favor in her sight. When we sit down and work, we become like a magnetized rod that attracts iron filings. Ideas come. Insights accrete.

Steven Pressfield, The Art of War

(Livre chroniqué ici.)

Le plus difficile dans l’écriture est souvent de s’y mettre. Mais dès que l’on prend la résolution sincère de le faire, réellement, ou que l’on prend au moins soin de maintenir le projet présent à son esprit, alors les efforts de chaque jour s’accumulent et le total est supérieur à la somme des parties. Combien de sessions ai-je entamé à reculons pour découvrir une super idée une heure plus tard, qui valait à elle seule l’effort ? N’aurait-il pas été dommage de céder à la Résistance, aux bonnes excuses, au fait de me dire que « je ne suis pas dans l’esprit aujourd’hui » ?

Est-ce facile ? Oh diable, non. Mais j’ai décidé que c’était important. Alors, je le fais, quoi qu’il arrive. En ce qui me concerne, c’est ainsi qu’au bout d’un moment, je me retrouve avec une nouvelle, un livre, une saga écrits. (… et j’en suis souvent le premier étonné, pour tout dire.)

(J’avais dit que je partagerais des choses plus brèves et aléatoires ici cette année. Considère, auguste lectorat, que c’est une tentative en ce sens.)

2020-01-22T00:53:24+01:00mercredi 22 janvier 2020|Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Persister, chaque jour (Steven Pressfield)

Procrastination podcast S03E06 : « Malgré toutes ses qualités, votre manuscrit ne nous a pas paru convenir à notre ligne éditoriale »

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Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : « Malgré toutes ses qualités, votre manuscrit ne nous a pas paru convenir à notre ligne éditoriale« .

Cette formule est celle à laquelle se heurtent bien des jeunes auteurs désireux de publier leur premier livre, et dans cet épisode, Mélanie, Laurent et Lionel le décortiquent pour savoir ce qu’elle signifie vraiment. Et à travers elle, explorer cette notion méconnue de « ligne éditoriale » et comment digérer le refus d’une soumission. Mélanie rappelle que derrière cette formule qui braque parfois les jeunes auteurs, il y a une véritable raison d’être, relative au marché du livre et au placement d’un ouvrage, relativement à l’aisance qu’un éditeur peut avoir dans un domaine. Lionel insiste sur le fait que la publication n’est pas une fin en soi ; qu’il est souhaitable de réussir le mariage entre son projet et l’éditeur qui saura le porter. Laurent partage un certain nombre de refus tirés de sa carrière, ce qui montre que, quel que soit le niveau d’expérience, on peut toujours se heurter au problème !

Références citées
– Mark Z. Danielewski, La Maison des feuilles

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

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2020-10-19T11:37:42+02:00lundi 3 décembre 2018|Procrastination podcast, Technique d'écriture|1 Commentaire

Procrastination podcast S02E15 : « Les blocages »

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Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : « Les blocages« .

Mélanie propose de parler pour cet épisode, non pas de l’angoisse de la page blanche, mais du réel blocage : le texte qui ne veut pas s’écrire, la situation qui ne se débloque pas, peut-être en lien avec la personnalité de l’auteur. Laurent est plutôt d’accord, mais Lionel déteste qu’on lui dise qu’il ne peut pas faire quelque chose, même s’il se soigne avec l’âge. Il se dégage au cours de l’épisode la nécessité capitale de l’introspection pour l’auteur, afin de savoir ce qu’il veut ou peut explorer – et comment il peut contourner une contrainte de manière créative, fût-elle personnelle.

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2019-05-04T18:47:07+02:00lundi 16 avril 2018|Procrastination podcast, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Procrastination podcast S02E15 : « Les blocages »

Les cinq règles de l’écriture par Robert Heinlein (5) : Maintiens ton travail en circulation

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Rappel : cet article fait partie d’une série programmée sur les règles de l’écriture de Robert Heinlein. Introduction générale et sommaire

« Maintiens ton travail en circulation jusqu’à réussir à le vendre »

Nous voici au dernier article de cette série, avec la dernière règle de Robert Heinlein qui vise à amener un jeune auteur jusqu’à la publication. Encore une fois, d’apparence faussement simple : est-ce qu’il s’agit simplement d’inonder les boîtes de réception avec les mêmes textes jusqu’à ce que ça marche ?

Pas exactement. Ce sur quoi Heinlein met l’accent est en fait double :

Ne pas écouter le découragement. La majorité des auteurs vous le diront : ils ont tous essuyé des rejets, parfois en quantité, avant d’arriver à placer leur premier texte. Je cite souvent (parce qu’il est franchement renversant) l’exemple de Brandon Sanderson qui a écrit TREIZE ROMANS d’un MILLION de signes PIÈCE avant de vendre son premier. Percer prend du temps, apprendre l’écriture aussi. Recevoir des lettres de rejet est la marque d’un auteur qui se fait les dents. Et, de plus, il faut se rappeler que chaque support, chaque éditeur a son goût, et ce qui n’a pas convaincu l’un peut convaincre un autre. Donc, le lâcher-prise est indispensable.

Petite anecdote personnelle : avant d’être publiée (et de remporter le prix Imaginales, d’être podcastée, republiée, traduite aux États-Unis, même étudiée en essais et à l’université – je ne dis pas ça pour me la raconter mais pour le contraste avec la seconde partie de la phrase, qui arrive là : ), « L’Île close » m’a été refusée par plusieurs supports. « Bataille pour un souvenir » a connu un sort comparable. C’est sûr, ça ne fait jamais plaisir, mais la règle cardinale de l’écrivain doit toujours être : d’écrire, et idéalement de travailler à la chose suivante quand les précédentes circulent. Car :

Garder ton travail en circulation ne signifie pas le même travail. C’est un travers que je vois régulièrement chez des jeunes auteurs : ils ont sué sang et eau sur un travail donné et misent ensuite toutes leurs chances de publication / succès / célébrité / millions de dollars sur cet unique travail (et si ça ne marche pas, ils passent l’éponge). Alors c’est juste : après tant de travail et de temps, cela fait mal au cœur de devoir le remiser, mais il faut avoir conscience que c’est toujours probable (au moins pour un temps, avant d’acquérir la maturité d’identifier ce qui cloche et le corriger). Quand Heinlein dit qu’il faut garder son travail sur le marché, c’est qu’il faut continuer à alimenter le marché, et pour continuer à l’alimenter, il faut continuer à écrire. Les mots qu’on écrit ne sont jamais perdus : soit parce qu’ils sont bons (et finissent publiés ; joie) soit parce qu’ils sont mauvais – auquel cas, ils ont été sortis, écartés, on en a retiré une leçon importante, et la voie est dégagée pour les mots suivants, qu’on peut espérer meilleurs. Un écrivain est quelqu’un qui écrit, qui continue à produire, avant d’être quelqu’un qui publie. Se concentrer à tout prix sur ce dernier aspect, c’est confondre l’arbre et la forêt, c’est s’avancer vers de sévères déconvenues, car l’activité en elle-même ne fournira pas la joie qu’elle est censée donner à celui qui la pratique. Publier est merveilleux ; mais je crois fermement qu’écrire uniquement pour publier produit une distorsion usante dans la pratique artistique.

Quand je faisais mes premières armes, un des plus grands noms de la fantasy contemporaine m’avait confié un petit secret : dans ses débuts, cet auteur s’était fixé pour règle de conserver en permanence deux textes au minimum en soumission quelque part. Eh bien, c’est plus facile à dire qu’à faire, même dans le cas de la nouvelle. Mais j’avais adopté cette règle et, deux à trois ans plus tard, je publiais régulièrement, parce que cela me forçait à produire régulièrement, donc à expérimenter, et cela maintenait mon travail en circulation, ce qui augmentait mécaniquement les chances que je le place. Rétrospectivement, je considère cette période comme celle où je me suis professionnalisé – juste par l’application de cette petite discipline.

Et voilà ! Cet article termine la série des cinq règles sur l’écriture par Robert Heinlein ; la liste est toujours disponible ici. Mais l’été n’est pas terminé ! Si j’ose emboîter le pas du géant, je proposerai la semaine prochaine en bonus ma petite règle additionnelle, non pas parce que j’ose me comparer à Heinlein, mais parce que cela reste dans le thème des petits principes simples à appliquer et que, on ne sait jamais, ce petit addendum pourrait servir à quelqu’un, là, dans le vaste monde.

2019-06-07T22:43:01+02:00lundi 8 août 2016|Best Of, Technique d'écriture|6 Commentaires

Les cinq règles de l’écriture par Robert Heinlein (2) : tu dois finir ce que tu as commencé

Rappel : cet article fait partie d’une série programmée sur les règles de l’écriture de Robert Heinlein. Introduction générale et sommaire

« Tu dois finir ce que tu as commencé »

Fichtre, l’article précédent a généré une longue, longue discussion sur la nature exacte du talent et son rapport au travail. Je t’invite à y passer, auguste lectorat, même si ce n’était pas tellement le sujet (sur lequel il va falloir qu’on revienne ultérieurement).

Pour l’heure, la deuxième règle de Heinlein paraît elle aussi relever de l’évidence – comment soumettre quelque chose d’inachevé ? Mais en pratique, elle ne devient plus aussi évidente, et ce pour deux raisons :

  • Nous avons tous mille choses à faire au quotidien, et
  • L’écriture, j’insiste, c’est LONG (surtout dans le cas du roman).

Un projet est toujours fantastique est beau avant qu’on le commence. Il appartient au territoire du rêve, du possible et, par conséquent, il peut tout être à la fois ; il épouse par essence toute l’envergure des ambitions. L’attaquer n’est pas forcément le plus difficile ; l’enthousiasme est présent, un territoire entier à défricher s’étend devant soi, on se sent prêt à écrire son nom en lettres de feu sur le ciel vierge de nos ambitions, t’vois.

Mais « aucun plan de bataille ne survit à la rencontre avec l’ennemi », et le plus difficile est de poursuivre, quand l’enthousiasme perd son élan, quand on s’aperçoit d’un trou béant dans le scénario, qu’un personnage s’avère inutile ou inintéressant, quand on s’aperçoit, plus prosaïquement, que ce projet va prendre des mois et des mois pour être terminé – bref, quand les difficultés surgissent. Et davantage encore quand aucune solution évidente ne se présente, ou que l’on se rend compte qu’il faudra jeter 200 pages qui ne servent à rien. C’est là que la persistance doit prendre le relais. Écrire est un choix volontaire et l’on ne peut espérer que l’enthousiasme porte seul l’auteur (c’est merveilleux quand cela arrive, mais la majorité des écrivains avouent que cela ne suffit pas à mener à bien la majorité des projets – je sais, pour ma part, que je n’ai rien écrit sans me discipliner sévèrement, parce qu’un énorme fainéant rôde au fond de moi). On retombe sur la première règle, mais si clamer vouloir écrire sans jamais le faire est une maladie commune, commencer dix projets sans jamais en finir aucun en est une autre, plus retorse. 

Dans The Art of Fiction (chroniqué ici), John Gardner décrit le processus de construction d’intrigue comme une « rumination ». L’écriture s’inscrit forcément dans la durée (c’est peut-être l’art le plus « lent » à produire comme à recevoir ; sa réception, d’ailleurs, se déplie forcément de façon séquentielle dans l’esprit du lecteur, un mot à la fois, pour composer une image, une atmosphère, une action). Il faut trouver la façon d’apprivoiser cette temporalité, de l’accepter, de réserver les espaces qui permettent d’avancer sur le projet, page après page, vers la fin.

Est-ce à dire qu’il faut toujours finir un projet ? Même si on se retrouve à le haïr ? Non, bien sûr. Mais il convient d’identifier les causes de cette haine ; est-ce la difficulté qui cause l’écœurement, ou bien une prise de conscience sincère que l’envie a définitivement quitté le navire et ne reviendra pas ? Ce qu’il faut éviter à tout prix, ce sont les projets coincés « dans les limbes » sans décision claire à leur sujet, chercher des dérivatifs dans le démarrage de cent romans qui ne vont jamais nulle part, qui s’évaporent comme une rivière dans le désert. Certains auteurs travaillent sur plusieurs projets en parallèle, mais c’est leur méthode – et c’est assez rare, et il y a là une solide volonté d’achèvement (et la bibliographie pour le prouver).

On peut décider de laisser en plan un projet au profit d’un autre, jugeant qu’il faut davantage de maturation, ou qu’on bute contre un mur infranchissable pour l’heure (Port d’Âmes est resté en plan pendant près de huit ans, le temps que je sache comment retravailler cette histoire, écrite à une époque où je savais bien moins de choses sur le métier ; mais c’était une décision consciente de ma part. Quand le livre est sorti l’année dernière, il a fini réécrit à 75%). On peut décider d’abandonner définitivement un projet qu’on juge avorté. Mais il est capital que la décision soit consciente, et de tenir l’énergie, la discipline, la volonté (rayez la mention inutile) de finir quelque chose, à un moment, si possible avant le siècle prochain.

Hélas, je crois que c’est en se confrontant réellement à cette difficulté qu’on apprend une pierre angulaire du métier d’écrivain : finir.

2019-08-28T21:21:18+02:00lundi 18 juillet 2016|Best Of, Technique d'écriture|5 Commentaires
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