Un des commentaires les plus courants qu’on entend sur l’écriture, c’est : « J’aimerais bien, mais je n’ai pas le temps. »
Cela ne sous-entend pas forcément qu’il faut plus de temps, mais, en général, cela cache le problème suivant : j’aimerais des plages de temps plus longues – pour me plonger dans mon histoire, pour éventuellement me remettre en route après un long arrêt, et, évidemment, pour combattre la procrastination.
L’écriture, probablement plus que toute autre pratique artistique, est un travail de longue haleine, avec une visibilité sur les résultats quasi inexistante. Consommer un texte prend du temps : chaque phrase se lit une à une, chaque paragraphe contribue à former dans l’esprit davantage de sens, de mise en scène, d’action. Par comparaison, la musique est presque immédiate – une phrase musicale, une atmosphère s’assimilent en quelques secondes – et l’image pour ainsi dire instantanée.
Par conséquent, la récompense que l’on peut espérer de la création – c’est-à-dire, voir une partie au moins de son travail accompli – est très faible, là où le musicien entend rapidement si ce qu’il compose sonne, où le peintre voit tout de suite si son œuvre prend un chemin intéressant. On peut écrire un long moment sans tâter de résultat – il manque un retour, ou une boucle de rétrocontrôle positive, si l’on veut lorgner vers les neurosciences. C’est potentiellement décourageant ; c’est pourquoi tant de manuels et d’auteurs (dont ton serviteur, auguste lectorat) insistent sur la notion de discipline.
Je me faisais la réflexion, en composant la bande-originale de Psycho Starship Ramage, que je rencontrais moins de difficultés à me mettre dans l’état d’esprit conduisant à créer, à atteindre l’état mystique de flow. Pourtant, c’est un travail tout aussi complexe, ardu. Pour quelle raison la barrière paraît-elle moins haute ? Parce que la musique envoie un retour bien plus immédiat à son créateur : cela sonne, ou pas. C’est efficace, ou pas. Il faut tel effet en plus. Il faut altérer les basses. Il faut un renversement d’accords à tel endroit. Il faut une nouvelle ligne mélodique. Etc. La liste de choses à faire s’allonge sans cesse, une foule de petits problèmes à fouiller, triturer, que l’esprit a envie de résoudre.
Le lien avec l’écriture ? Hé, on peut hacker la discipline.
On conseille fréquemment, en productivité, de diviser une grande tâche ou un vaste projet en étapes élémentaires de moindre envergure afin de faciliter le progrès. Genre : au lieu de se dire « je dois lire ce livre », faire une liste comme suit : « Lire le chapitre 1. » « Lire le chapitre 2. » « Lire le chapitre 3. » etc.
Ça paraît débile. Ça l’est peut-être, même si l’expérience (et les neurosciences) tend à montrer qu’une tâche qu’on peut finir en un laps de temps modéré rebute moins l’esprit qu’une masse mal définie sur une liste.
Pour quelle raison la majorité des auteurs tendent-ils à se précipiter pour laver la pelouse / étendre le chien / tondre le linge plutôt qu’à faire leurs pages ? Parce que ces tâches sont immédiatement accessibles et clairement délimitées avec un résultat très clair et identifiable : la pelouse brille, le chien est allongé, le linge est imberbe. Alors qu’écrire… Quand des pages sont-elles bonnes ? À quel point un personnage est-il suffisamment défini ? Quand sait-on qu’on est prêt à écrire ?
« Réfléchir à mon super roman » n’est pas une tâche clairement délimitée. « Composer une super ouverture » ne l’est pas non plus, mais le retour, le feedback sonore est immédiat, ce qui identifie mieux le point de départ, et soulève une foule de problèmes à résoudre ; la boucle de rétrocontrôle positif, ce feedback si difficile à obtenir en cours d’écriture, font avancer le projet.
Pour faire avancer un projet d’écriture qui rame, ou tout simplement pour se donner de l’allant, je crois qu’il suffit de se donner des problèmes à résoudre, tout particulièrement en phase de recherche et de construction. Plutôt que « réfléchir à mon intrigue », se prévoir de « réfléchir à mon héros » ; plutôt que « réfléchir à mon héros », se prévoir « décrire mon héros », « prévoir les qualités et défauts de mon héros », « réfléchir au passé de mon héros » ; plutôt que « réfléchir au passé de mon héros », se prévoir « quelle est la famille de mon héros ? », « d’où lui vient sa cicatrice cool au menton ? », « pourquoi a-t-il peur des iguanes ? »
N’importe quoi pour arriver à des tâches clairement définies et immédiatement accessibles, autant que décoller les bibelots et épousseter la moquette. L’esprit est naturellement attiré par des problèmes clairs qu’il peut résoudre. À chaque fin de session d’écriture, on tirera probablement profit de se choisir une nouvelle sélection de petits problèmes à résoudre la fois d’après. Cela réduit grandement la barrière d’entrée au travail d’écriture, et donc, la procrastination.
J’ai remarqué qu’il m’est beaucoup plus facile d’écrire depuis que j’ai mis au point une méthode sommaire pour poser les grandes lignes de mes nouvelles, par exemple déterminer les éléments tangibles (arbres, temps qu’il fait, style architectural…) et intangibles de l’environnement (système économique, social…), puis décrire les personnages et leurs interactions, etc.
Ensuite, je fais une liste des évènements principaux du récit, et je remplis les trous au besoin.
Ton article vient à point, ça fait deux mois que je dois finir mon tome II mais que je repousse en écrivant des nouvelles à la place 😛 En te lisant, je me dis qu’envisager chaque chapitre comme j’envisagerais une nouvelle peut être pas mal ! Merci!
Mon astuce : mon traitement de texte est toujours ouvert. Comme ca je vois ma tâche et meme si au final je n’ajoute qu’une phrase dessus, j’ai avancé. Le plus dur est de s’y mettre parait-il…
Très bon article, qui explique simplement ce qu’on découvre peu à peu avec l’expérience. C’est vrai que les objectifs hebdo clairs et définis sont non seulement plus faciles à aborder mais donnent un sentiment d’accomplissement qui motive à continuer. Merci pour la mise en mots du principe 🙂
:s oui, la discipline. Avec le Camps Nano et des copines, on se donnait un créneau horaire, entre 21h et 22h pour écrire notre nano (perso, je coupais FB et tout et tout). Et bin je continue d’écrire tous les jours dans créneau là, sauf les week-end (je suis à la console…ou je matte des films que je veux voir (pas des films que je connais le script par coeur, même le moment où le héros va faire caca et qu’on ne le voit pas à l’écran)).
Après, écrire me permet aussi de mieux cerné la manière dont j’ai aussi besoin de bosser. Planifier le premier jet, j’y arrive pas. Par contre, une fois que j’ai mon premier jet, aussi mauvais soit-il, je peux le restructurer, revoir les relations entre les personnages, revoir les personnages, ect….Bref, je pense les problèmes quand ils arrivent pas en amont XD
Tous les jours, je m’écris les tâches d’écriture du lendemain : faire la bio d’un personnage, les relations entre untel et untel, ou encore imaginer un lieu, etc. Ça me permet de ne pas réfléchir au moment de m’y mettre et de faire tout simplement ce qui est prévu.
J’ai lu ton article en 5 séances
Moi, je l’ai d’une traite, j’ai appliqué de suite les conseils, merci !
Mais je fais les commentaires en deux fois 😉
C’est vrai, un roman ça grandit tellement doucement… Perso, plutôt que « petite tâche par petite tâche » (qui n’en finissent pas), je m’essaie à la méthode « X mots par jour ». Je varie l’objectif mensuel en fonction des autres trucs IRL du mois en question… Et là j’ai du retard sur mon objectif, mais au moins j’avance !!!
Merci pour l’article, Lionel. Diviser une masse lourde en plusieurs légères t une excellente idée. Y a un épisode de Friends avec un truc du genre je crois. Bref, rendre le tout moins rébarbatif, c’est une chose, mais alors pourquoi ne pas le rendre plus attractif en l’adjoignant de petit plus qui rendent chaque séance plus plaisantes ? ?
Comme Sébastien, le quota de mots « quotidien » (4 fois par semaine en fait dans mon cas) est ce qui me motive le plus.
J’ai trafiqué un tableur du Nano à ma sauce et il est ouvert en permanence. 😉
Combattre et battre à plates coutures la procrastination est la chose la plus difficile qui soit ! Et en plus, internet, les réseaux sociaux se sont ligués contre l’écrivain pour l’empêcher de se concentrer sur ses pages et son histoire. Bon, parfois, c’est aussi le petit zozio qui vient gazouiller sous la fenêtre ou encore le chien qui aboie dans le jardin d’à côté… ou les gamins qui réclament leur goûter…
Pour ma part, j’ai repris un projet depuis quelques mois et j’essaye de m’y tenir en écrivant régulièrement. Comme j’ai tendance à bloquer quand je n’arrive pas à écrire la scène telle que je l’imagine (c’est le problème entre ce qui est dans mon cerveau et ce que mes mains arrivent à écrire, mais vous devez connaître ça), j’essaye de pallier à ça en allant et venant dans mon récit. J’écris des petites scènes qui me trottent dans la tête sans savoir où je vais les placer chronologiquement, ni même si je les intégrerai au final, je reviens sur la scène où je bloquais, j’en repars pour une autre, je reviens… et j’avoue que ça marche plutôt pas mal pour l’instant.