-2 points de vie ?

Une image fréquente mais qui ne marche pas : si on se blesse, on peut pas déduire que la blessure est superficielle si on bouge encore normalement. Si on se blesse, même sans réelle gravité, on a MAL, donc de base, on ne bouge plus normalement. Sinon c’est une égratignure.

2020-07-29T20:48:30+02:00jeudi 6 août 2020|Brèves, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur -2 points de vie ?

Pourquoi je ne me revendique plus du féminisme (mais continue à le défendre)

men_and_feminism_2_400x400Spoiler alert : la clé est dans le mot “revendiquer”, pas dans le mot “féminisme”. 

J’ai écrit pas mal de trucs ici, assez agressifs d’ailleurs, sur le fait que, principalement, le patriarcat n’est qu’un étalage de faiblesse, de peur, de petitesse intellectuelle et émotionnelle, et, probablement, d’une béance psychologique aussi tragique qu’ancienne. Je les écrirais peut-être un peu différemment aujourd’hui pour certains détails mais, globalement, je les assume et, surtout, je suis content qu’ils existent, et soient disponibles d’une manière ou d’une autre dans les archives.

Pourtant, aujourd’hui, je n’écris plus rien sur le sujet, même si cela ne m’empêche pas de continuer à partager un certain nombre d’articles sur les réseaux sociaux concernant les aberrations moralistes de régimes oppressifs venus d’un autre temps (hint : on parle ici de diktats religieux davantage que politiques, les premiers gouvernant les seconds), que mon opinion n’a pas changé sur le sujet, et qu’au contraire, à force d’éducation personnelle, j’ose espérer qu’elle s’est raffinée et renforcée.

Alors, quoi ?

Eh bien, toute la clé est dans cette simple équation. M’entendre dire avec un air méfiant « dis-donc, tu serais pas féministe, toi ? » sera toujours pour moi un grand compliment, que je prendrai comme la preuve que je fais peut-être deux ou trois trucs correctement. Dans l’écriture, j’espère profondément que je traite mes personnages féminins avec la même dose de forces et de faiblesses que mes personnages masculins. (Ce qui veut dire que mes femmes sont potentiellement tout aussi faillibles que mes hommes, pas qu’elles sont parfaites – car c’est une autre forme de sexisme insidieux.) Avoir été l’homme invité sur la table ronde des Utopiales portant sur le féminisme il y a quelques années restera pour moi, sincèrement, un des plus grands honneurs et plaisirs de mon existence.

En revanche, je constate que j’ai arrêté depuis un moment d’affirmer, clairement et fortement « je suis féministe ». Pourquoi ? La réponse en trois points, comme dans toute bonne dissertation.

La main-mise masculine sur l’étiquette

Un article que j’ai en vain cherché à retrouver, d’un autre auteur, présentait plus ou moins la thèse suivante, qui m’a fait beaucoup réfléchir : une certaine frange masculine a plus ou moins fait main basse sur l’appellation pour s’attirer une forme de crédit et de respectabilité. Voire, dans un placement qui s’apparente à une forme retorse de mecsplication (mansplaining), pour tirer à soi la couverture de l’anti-sexisme.

Je me suis toujours qualifié de féministe en toute bonne foi, et je continue à défendre l’appellation au quotidien quand elle est interprétée de travers (comme c’est hélas encore souvent le cas). Mais j’éprouve une fausse note quand je l’endosse moi-même comme une revendication. Même si toute population est infiniment diverse, certain-es ne voient pas d’un œil favorable la revendication d’une mouvance vue comme une lutte par un membre de l’oppresseur.

Ce qui amène au point suivant :

No man’s club ?

L’attitude féministe envers la place et le rôle des hommes dans les luttes varie énormément : l’exclusion radicale (qui tombe heureusement en désuétude), l’exclusion « de survie » (pour éviter à court terme le noyautage par des emmerdeurs, pour résumer rapidement – comme certaines réunions de Nuit Debout), jusqu’au travail en concertation.

Certaines féministes soutiennent qu’un homme ne peut pas, voire ne doit pas, parler de lutte sexiste parce qu’il fait partie de la classe privilégiée. Cette attitude est pour moi aussi absurde que décourageante – mais devinez quoi : je ne me bats pas contre, parce que j’ai mieux à faire.

Elle me semble absurde et décourageante car elle nie l’une des capacités les plus fondamentales de l’être humain, à savoir l’empathie – la capacité de se mettre à la place d’autrui. Tous les jours, j’écris des livres parlant d’autres personnes que moi ; c’est justement pour moi une façon très personnelle d’explorer mon empathie, et si j’ai une telle proportion de personnages « cassés » ou extrêmes (Julius, Masha, Alukar ou Puck dans Léviathan, une grande part des militaires de l’Empire d’Asreth, etc.), c’est parce que je suis obsédé par la quête de la part humaine dans l’inhumain, de ce qui reste de l’identité quand l’humain pousse au dernier degré l’une de ses pulsions les plus fondamentales mais aussi, peut-être, les plus monstrueuses, la quête de la transcendance et la transfiguration qui s’ensuit. Plus prosaïquement, je peux activement clamer le droit républicain au mariage pour tous sans avoir envie d’épouser un homme.

Je comprends pleinement, intellectuellement, qu’exclure les hommes représente fréquemment une réaction de survie ou de ras-le-bol après d’innombrables confrontations avec de sombres individus indignes de confiance, incapables de cette empathie, justement, et qu’éduquer les masses mal dégrossies est un travail profondément usant et dont on peut légitimement souhaiter s’affranchir. De même, à titre purement personnel, je ne suis pas obligé, en tant qu’individu, d’apprécier ni d’approuver, et ce sans donner dans le not all men ; il est bien plus simple, pour tout le monde, de ne pas insister à vouloir à tout prix être admis dans certaines franges d’un club où l’on n’est pas le bienvenu. Car quelle insécurité, malaise ou faille cela cacherait-il ? Une des belles leçons que j’ai apprises en passant trente ans, c’est que chercher à tout prix à affirmer son identité peut (j’insiste : peut et à tout prix) cacher une forme d’insécurité et une quête de validation par l’extérieur – tout particulièrement dans le cas de l’appartenance aux strates privilégiées (d’où l’insistance sur le peut et à tout prix). (Culpabilité, anyone ?) La soif de reconnaissance et de validation par l’autre est, bien sûr, bien plus fondée quand on se trouve du mauvais côté de l’injustice (quelle qu’elle soit – un autre jour, on pourrait parler du diktat de la reproduction).

Pour quelle raison chercherais-je (et cherche-t-on) à tout prix à être admis dans les strates féministes qui me refusent l’entrée ? Pour être rassuré sur un statut de mâle respectable ? Pour être différent, privilégié ? Pour qu’on me confirme que « not all men » ? À quoi cela rime-t-il – et si on passait son chemin, plutôt ?

Faisant partie sur ce point de la classe privilégiée, je n’ai pas à me sentir menacé en aucune manière, je n’ai pas à donner de leçons même si je ne suis pas d’accord ; c’est la beauté de la liberté offerte par la civilisation, et du lâcher-prise qui est toujours accessible à l’individu.

Peter via Flickr CC License by CC

Striving to be a “man of quality”. Peter via Flickr CC License by CC

Plus beau encore : je peux agir en féministe, défendre le féminisme, sans chercher à tout prix à à le revendiquer pour moi, à m’en réclamer, à mendier une admission sans condition dans l’intégralité de cercles qui sont de toute façon vastes et divers ; je pense que c’est une dépense d’énergie totalement vaine et, de plus, psychologiquement suspecte. Les débats sans fin concernant qui peut se réclamer de quoi dans quelles circonstances me, désolé, gonflent prodigieusement. Il me paraît plus intéressant (et important) de réfléchir et surtout d’agir en accord avec cette réflexion, à chaque instant. Pleine conscience, tout ça. C’est aussi là que, quand on appartient à la classe privilégiée, on porte une importante responsabilité quand à l’usage à bon escient de sa parole et au respect d’autrui (en commençant, par exemple, par laisser aux autres la place de parler).

Mais je ne suis pas un homme d’action collective, de toute manière.

Cent féminismes différents

Ce qui enchaîne sur un point encore plus fondamental (et je remercie Anne Larue et d’autres pour les discussions enrichissantes) : il n’y a pas « un » féminisme mais des féminismes (historiques, géographiques, etc.) – une discussion féministe entre deux femmes (pour éviter le biais sus-nommé) conduit de toute façon rarement à un assentiment parfait – et pourquoi cela devrait-il être le cas ? Existe-t-il une Vérité Féministe Ultime à laquelle « la » femme (unique et archétypale, comme on le sait, comme « la » ménagère, « le » lecteur, « le » musulman) accéderait-elle une fois la révélation reçue ?

Lolilol.

C’est, en théorie, la beauté du débat et du pluralisme respectueux d’une civilisation qui aspire à être éclairée : la reconnaissance et le respect de la diversité des opinions, une réflexion de fond subséquente conduisant à une évolution (ou pas), et un peu de cuir tanné chez tout le monde pour qu’on puisse gratter un peu là où ça pique et où, justement, ce serait intéressant de gratter.

Des intellectuels et des bancs

En conclusion, Gandhi disait « sois le changement que tu souhaites voir dans le monde », une phrase que je ressors à toutes les sauces parce qu’elle me paraît le meilleur guide éthique de la personne : elle incite à l’action, à se confronter au monde, à chercher l’inspiration dans cette action pour soi-même et, si l’on y parvient, à la propager peut-être aussi.

C’est dorénavant ma ligne directrice, dans ce domaine mais aussi beaucoup d’autres : je me frotte à la réalité, j’essaie d’agir et de me surveiller plutôt que de parler et de revendiquer. J’ai très envie que « Les Dieux sauvages » porte un fort message féministe (à l’image de « Quelques grammes d’oubli sur la neige », nous sommes à une époque semblable d’Évanégyre), et il y a près d’un an, j’en parlais en ces termes ; mais j’ai arrêté, et c’est la dernière fois que je le mentionnerai ici ou ailleurs de moi-même de cette façon, pour toutes les raisons qui précèdent. Parce que, pour reprendre les trois points précédents : a) je ne veux pas m’arroger l’étiquette. b) Je n’ai pas envie qu’un débat sur l’étiquette et son bien-fondé prenne l’ascendant sur les autres aspects du roman (car ce sont des romans). c) La littérature parle de diversité, elle s’efforce de mimer la vie ; mes personnages féminins sont des gens, ils sont faillibles, agaçants, adorables, courageux, inquiets, balaises, drôles, comme tous les autres, en tout cas j’espère, et vous aurez pleinement le droit de ne pas tous les aimer autant, d’en haïr certains, et c’est justement tout le fond de la question : j’aimerais que vous les aimiez, ou pas, parce que ce sont des êtres humains, et que j’ai des gens sympas, stupides, tragiques, intéressants, amusants, en raison de ce qu’ils sont et d’où ils viennent (leur genre formant un pan de leur identité, certes, mais un pan seulement).

En résumé, un intellectuel assis va toujours moins loin qu’un con qui marche ; approchant de la quarantaine, je me suis dépouillé de l’illusion d’être un jour un véritable intellectuel (… et là encore, nous pourrions parler des insécurités relatives à ce genre d’aspiration). Alors, dans le doute, autant que je marche.

quote-le-feminisme-n-a-jamais-tue-personne-le-machisme-tue-tous-les-jours-benoite-groult-135910

2016-09-24T15:21:34+02:00lundi 26 septembre 2016|Humeurs aqueuses|2 Commentaires

Annonce de service : droits des médias présents sur ce site

pirate_catBien, encore un article type “annonce de service” de manière à conserver une information quelque part pour référence ultérieure.

Je viens de modérer a priori un commentaire du type “l’image utilisée en illustration n’est pas sous licence libre, donc reproduite sans autorisation ».

J’ai une conscience aiguë du droit d’auteur, je le répète fréquemment, je suis photographe amateur par ailleurs, donc je suis très sensible à la question. Hélas, ce qui entoure les droits sur les images en ligne est bancal. Rien n’est plus facile à copier – de toute manière, tout ce qui est présent sur le web est souvent condamné à être repris, remixé, avec citation de la source quand on a de la chance. Ce n’est pas joyeux, mais c’est un fait difficilement contrôlable.

Pour être parfaitement clair, les images et autres médias, qui illustrent abondamment ce site et ce blog, ont toujours été :

  • Soit pris par mes soins
  • Soit achetés par mes fonds (eh ouais)
  • Soit crédités (les images génériques l’étant ici)
  • Soit trouvés ailleurs sur le Web, en illustration d’autre chose, à condition qu’ils soient dépourvus de toute mention de droits. (Les lolcats, par exemple.)

Mon attitude est globalement celle de la presse, comme celle de la rédaction de Canard PC, qui s’en expliquait clairement sur ce post de forum (gras de ma part) :

La question est compliquée. En réalité, absolument toute image ou texte appartient à son auteur. Si l’on applique le droit à la lettre, aucun site au monde n’a le droit de prendre la moindre image.

Et surtout, il ne suffit pas de citer la source pour avoir l’autorisation de l’utiliser, sauf lorsque cela est explicitement précisé comme dans la licence GNU.

Seul problème, c’est impossible. D’ailleurs, citer la source est souvent difficile car il faudrait remonter pour cela à l’auteur ayant pris la photo, et sur internet beaucoup de personnes s’approprient le travail des autres. […]

D’un autre côté, nous utilisons effectivement des banques de photos libres de droits (environ 1 dollars la photo) pour les illustrations du mag et certaines autres du site [NDLD : en ce qui me concerne, je fais appel aux images sous licence libre]. Mais il est impossible de le faire systématiquement. On fait donc comme tout le monde, on utilise ce qui existe sur internet et qui ne comporte pas de mention du genre ‘utilisation interdite’, mais de manière la plus modérée possible.

Oui, cela prête le flanc à une critique : si quelqu’un a piqué l’image d’un autre et l’a placée sur son site sans crédits, et que je reprends ça, je propage une erreur, c’est vrai. C’est justement pour cela que je mets toujours le lien de la page d’origine pour qu’on puisse éventuellement remonter la chaîne et tracer d’où ça vient, s’il y a effectivement réutilisation interdite. Si vous êtes concerné, vous saurez qui vous a blousé en premier. Quant à moi, je suis facile à joindre, et raisonnablement réactif. Je ne suis pas comme ReLIRE, je n’ai pas de nom sur la couverture ou la photo pour savoir que ça appartenait à quelqu’un à la base. Et si c’est marqué dessus que c’est interdit, je laisse gentiment où c’est. Si c’est autorisé, je crédite gentiment comme c’est demandé. Et si rien n’est dit, je précise d’où ça vient.

Donc, dorénavant, les cocos qui se croient malins avec ce genre de commentaire anonyme, faites donc un truc utile : renseignez votre site et/ou votre mail dans les champs idoines, histoire que je puisse vous contacter et tirer ça au clair avec vous. Sinon, abstenez-vous gentiment de troller si vous n’êtes pas concerné.

Encore mieux : si vous êtes effectivement l’auteur d’un contenu employé ici contre votre volonté, envoyez-moi simplement un mail par la page idoine en disant “mec, c’est ma photo que tu as utilisée, regarde ici, tu seras gentil de me l’enlever tout de suite, kthxbai ». Rien ne me fera plus plaisir que de vous envoyer un mail de plates excuses, de retirer aussitôt le document incriminé et même, si j’en ai en stock, de vous envoyer un bouquin en dédommagement, à mes frais. Ou une boîte de caramels au beurre salé. Ou une bouteille de chouchen. Un truc sympa pour dire pardon, quoi.

Par contre, si vous voulez juste faire les malins avec des messages anonymes pour me souffler dans les bronches et jouer au plus finaud sur le droit d’auteur, je rappelle que je suis sans pitié.

Et pour terminer sur une note plus agréable, je rappelle aussi les textes du blog (sauf mention contraire) – et bien les textes seuls, et du blog seul – sont sous licence Creative Commons.

Voilà, nous pouvons reprendre les activités habituelles. Bon week-end !

2013-06-27T18:17:48+02:00vendredi 28 juin 2013|Dernières nouvelles|3 Commentaires

Ebook et phares au Zénon (2) : la fonction et l’organe

J’ai commencé l’écriture de cette note dans le train qui m’emmènait à la fac d’Angers pour donner un cours avec d’authentiques lolcats dans le texte et, suite à une histoire fort classique de retards et de correspondances, je me suis retrouvé à sillonner la rame en quête d’un contrôleur. Et, au fil de mon passage, j’ai vu à peu près deux à trois ordinateurs portables par wagon, cinq ou six paires d’écouteurs trahissant des baladeurs MP3, mais un seul Kindle.

Et encore, c’était la première liseuse que je voyais hors de mon cercle de copains (et c’était en première classe, cela va sans dire).

Pourtant, le livre électronique, c’est demain, c’est l’avenir, il faut s’y mettre tout de suite, sinon on va mourir, c’est le futur et le sauvetage de la littérature.

Zénon strikes back

Les éditeurs exclusivement numériques ont fleuri et défendent souvent un modèle de commercialisation et de rémunération un peu alternatif, pendant que la grande édition classique persiste à vendre des fichiers à peine moins chers que le papier et truffés de DRM, ce qui pour un geek est un tue-l’amour équivalent à la culotte de grand-mère (« même pas la lumière éteinte j’en veux »).

Le livre électronique représente une forme d’avenir, c’est très probable (comment je me mouille avec cette phrase) : consultation rapide, prise de notes, dictionnaires intégrés, légereté et même contenus augmentés (quoique là, je doute que ça dépasse le gadget). D’où le bouillonnement qui l’entoure. Cependant, si c’est le grand sujet qui agite le milieu littéraire parce qu’il est certain de façonner les modèles de demain, le paradoxe de Zénon menace de frapper à nos portes. Et je pense qu’il menace tout particulièrement les éditeurs tout électronique, qui s’efforcent comme ils peuvent de faire progresser l’idée qu’on peut lire en numérique, mais, comme pour Facebook, Twitter, le téléphone portable, je gage que les réactions sont souvent : “OK, mais à quoi bon ?” J’en faisais partie avant d’acheter ma liseuse.

Je passe évidemment sur la difficulté de passer commande sur certains sites, les systèmes et formats propriétaires, etc. Cela n’a pas dérangé l’implantation de l’iPod ni même celle de la vidéo numérique.

Pourquoi ça piétine autant avec les bouquins ?

Le problème à l’envers

Pas sexy.

À mon très humble avis, je crois qu’on prend le problème du livre électronique à l’envers. C’est-à-dire qu’on se focalise sur l’offre (formats libres ? facilité de commande ? regardez, j’ai tout le catalogue classique retraduit ! etc.) alors qu’en vérité, même si c’est contre-intuitif, rares sont les innovations qui se sont implantées par la qualité de leur offre ou même de leur standard. Alors ? C’est parce que la lecture, c’est ringard ? Non.

La vérité, c’est qu’il faut vendre l’appareil avant de vendre le contenu. Et c’est là que ça coince.

Le marketing d’Apple est extrêmement éclairant à ce titre. Regardez : ils sont capables de vous vendre des baladeurs fermés fonctionnant avec une solution propriétaire (l’iPod), des ordinateurs fermés plus chers que tout le monde compatibles avec peu de trucs (le Mac), même une tablette assez inutile mais bon dieu qu’est-ce qu’elle est cool (l’iPad). Qu’est-ce qu’on s’en fout, en vérité, de ce qui marche dessus ? Peu importe. Apple vous donne envie. Apple vous explique qu’avoir un iPod, c’est la liberté, c’est jeune, c’est cool ; Apple vous garantit qu’utiliser un Mac est facile, et en plus ça fait classe dans le salon. Apple vous vend un ordinateur portable pas forcément génial, mais il est plat, putain, tu te rends compte ? Il est plat ! C’est dingue (le MacBook Air).

Qui fait ça avec le livre électronique ? Personne – à part Amazon qui s’est beaucoup concentré sur le Kindle aux USA avec succès (mais qui aurait pu être bien supérieur, je pense, si le Kindle n’avait pas été si… moche), et Apple qui arrive discrètement avec l’iPad et même l’iPhone.

Mais est-ce qu’on achète un iPad pour se dire “je vais lire le New York Times dessus” ? À mon avis, non, pas initialement, en tout cas. On achète un iPad parce que c’est cool. Et beaucoup d’utilisateurs se sont rapidement retrouvés quelques mois après à se dire : “mais pourquoi j’ai acheté ce truc, moi, déjà ?”

Sexy, et pourtant inconfortable.

Si l’on veut vaincre le paradoxe de Zénon appliqué à l’innovation technologique, si l’on veut accompagner le grand public vers le livre électronique, il faut à mon sens déplacer la communication de l’offre de contenu vers l’aspect sexy des choses. Vers le mode de vie que l’on vend avec la machine, qui fera de vous quelqu’un de beau, de branché, de cool, parce que lire, c’est fun, ça s’adresse à tout le monde, toi la lycéenne à couettes roses, toi le Black en costume cravate, toi la senior aux dents blanches qui éclate de rire devant la version numérique de Notre Temps, et en plus, lire, ça vous fait paraître intelligent, yeah ! L’offre ? Mais on s’en fout, de l’offre ! Une fois qu’on leur aura vendu les machines, on trouvera bien à quoi les abonner !

Au lieu de ça, on s’étripe sur des considérations certes fondamentales, mais parfaitement absconses, et dont le grand public se contrefout royalement. Paradoxe de Zénon again, parce que l’édition numérique est soit réalisée par la grande édition qui connaît mal ces nouvelles habitudes de consommation, soit par de micro-structures trop légères pour sortir du Net (et donc d’un public déjà partiellement acquis).

C’est cet aspect qui donne petit à petit des parts de marché à l’iPad, pas parce que c’est une meilleure machine ou que son offre est supérieure, mais parce qu’ils vous vendent un mode de vie qui vous renvoie une image flatteuse de vous-même à travers l’usage que vous faites de l’appareil. C’est ce qui va placer Apple en position dominante de distributeur de contenu parce qu’ensuite, ils contrôlent les canaux et, sans comprendre comment c’est arrivé, vous, éditeur, vous retrouvez à leur mendier une place au catalogue.

Je crois que la littérature pourrait rencontrer là une fantastique occasion de redorer son blason auprès d’un public jeune qui considère un peu ça comme un loisir de vieux chiant. Mais j’avoue que je suis un peu inquiet quant à la faisabilité de la chose. Les acteurs sont trop morcellés. Ou alors, il viendra d’Apple, Amazon et Google.

Parce qu’ils ne vendent pas du contenu, ils ne vendent pas des trucs utiles, ils ne cherchent pas à raisonner avec vous. Ils créent votre envie, et puis ils la satisfont.

Photos : matériel d’impression par Rama, licence CC-BY-SA-2.0-fr ; liseuse par Rico Shen, licence CC-BY-SA-3.0 ; iPad par FHKE, licence CC-BY-SA-2.0.

2018-07-17T14:29:06+02:00mercredi 22 décembre 2010|Le monde du livre|10 Commentaires

Titre

Aller en haut