En avril avec les orques d’Islande

Pour ceux et celles qui ont rejoint le navire il y a moins de six ans (où je parlais un peu plus du truc), dans une vie antérieure, j’étais biologiste marin (ingénieur halieute, pour être exact). En gros, il s’agit de l’agronomie de la mer, sauf que moi, je voulais protéger les baleines et les dauphins, parce que. Et les orques, surtout. En 2011, j’ai été éco-volontaire un mois et demi au Pays de Galles avec Sea Watch Foundation, en 2012 en Écosse avec le Hebridean Whale and Dolphin Trust (les liens vous amèneront sur les carnets de voyage correspondants). Divers raisons (boulot, écriture, vie personnelle un peu dans tous les sens) m’ont empêché de répéter l’expérience chaque année comme j’en avais l’intention, mais certaines choses doivent se prendre à bras le corps et décider d’être faites, et, auguste lectorat, je repars donc à la fin de la semaine, pour un mois de volontariat en Islande, cette fois, auprès des orques et pour le compte de la fondation Orca Guardians. Yeah !

Orca in the fjord

J’avais déjà parlé de loin en loin d’Orca Guardians en ces lieux, la raison étant que j’ai d’abord découvert la fondation comme touriste et que j’avais eu par le passé l’occasion de travailler avec sa présidente, Marie Mrusczok. La méthode de travail d’Orca Guardians m’intéresse particulièrement car il y a une position très forte contre toute forme de recherche pouvant être considérée invasive : il s’agit uniquement d’observer, de photographier et d’apprendre et d’inférer le maximum via des sorties presque quotidiennes. La fondation est en effet soutenue par Láki Tours, entreprise de whale watching éco-responsable, qui donne à Orca Guardians un point de vue assez unique dans le domaine. (Si vous passez dans la région, c’est là qu’il faut aller pour voir des animaux !)

Iceland_location_map.svg: NordNordWest & Виктор В (CC-By SA)

La fondation Orca Guardians est basée à Grundarfjörður, dans la péninsule de la Snæfellsnes (je sais, je sais : j’ai mis une carte). C’est la 36e ville la plus peuplée d’Islande… avec seulement 836 habitants (à titre de comparaison, la capitale Reykjavik en compte 119 000). Veillée par le très photogénique et photographié mont Kirkjufell, située à l’orée d’un fjord où le hareng riche attire les cétacés, Grundarfjörður dégage cette impression à la fois d’âpre sérénité et de chaleur humaine unique à l’Islande. Le volontariat écologique tient toujours pour moi aussi de la retraite monacale.

Mes tâches consisteront principalement à prêter assistance lors des sorties pour la récolte de données (photos et observation), à contribuer à ce que les passagers aient une belle expérience, et à prêter main-forte à l’animation du blog et des réseaux sociaux (je vous recommande vivement la page Facebook d’Orca Guardians, régulièrement mis à jour, avec des photos incroyables). Et d’autres trucs très très cools pourraient se profilent aussi, mais j’attends de voir comment ça s’organise et si je peux en parler pour, euh, en parler.

L’une de mes tâches consistant expressément à écrire pour le compte d’Orca Guardians (yeah !), je vais m’efforcer de bloguer un peu plus que les fois précédentes si j’y arrive. Au moins, pour les anglophones, il devrait y avoir des choses à se mettre sous le croc.

Il va me falloir 48h de voyage pour rallier Grundarfjörður depuis Paris (je décolle dimanche, j’arrive théoriquement lundi). Ça s’annonce comme une équipée bien plus compliquée qu’avec une voiture de location en simple touriste pour un séjour de dix jours, mais ça fait partie de l’aventure. Si je trouve du wifi, je vous parlerai de bus.

 

 

 

 

2018-04-04T10:58:48+02:00mercredi 4 avril 2018|Carnets de voyage|9 Commentaires

De Paris à Grundarfjörður via Reykjavik

Un petit mot pour dire que je suis vivant, et bien en place dans le pays des volcans aux noms imprononçables. Hier, c’était la partie facile : me poser dans l’avion puis à l’hôtel que j’ai pris à deux pas de l’aéroport. Il faut en effet savoir que l’aéroport de Reykjavik ne se situe pas près de la capitale, mais à trois quarts d’heure de route environ, à Keflavik.

https://www.instagram.com/p/BhTrmpvjxGQ/?taken-by=wildphinn

Grundarfjörður, ma destination finale, se situe à quatre cars de Reykjavik (plus la navette qui relie à l’aéroport), et les horaires sont ainsi faits que je ne pouvais accomplir tout le trajet en une fois. C’est aujourd’hui que le voyage va nécessiter une hypnotique quantité de manutention pour entrer, sortir, entrer, sortir ma valise des soutes, surveiller les horaires et ma position GPS par prudence, et je me suis efforcé d’apprendre à prononcer vaguement correctement le nom de mes escales (Mjódd, miaod. Grundarfjörður, greundarfyeurthour).

J’ai grande hâte de poser à nouveau les yeux sur les paysages islandais, où il subsiste un peu de neige malgré la saison, et que j’ai bizarrement retrouvés à travers un épisode de Black Mirror alors que je me trouvais de l’autre côté de la planète. Y a plus de saisons, ma bonne dame, en tout cas pour moi.

Et demain, au boulot sur le bateau, si la météo consent !

https://www.instagram.com/p/BhUI0Btj5s6/?taken-by=wildphinn

2018-04-08T22:44:58+02:00lundi 9 avril 2018|Carnets de voyage|4 Commentaires

La malchance, une forme de chance (… dans l’observation de la nature)

Bien arrivé à Grundarfjörður dans le cadre de mon mois de travail auprès d’Orca Guardians, mais une météo peu coopérative retarde les sorties en mer…

Foraging orcas

… du coup, c’est le temps de réfléchir à ce que les impératifs du climat et du monde sauvage signifient dans notre monde développé de gratification instantanée. C’est en anglais, à lire sur le blog officiel d’Orca Guardians.

2018-04-11T00:08:15+02:00mercredi 11 avril 2018|Carnets de voyage|Commentaires fermés sur La malchance, une forme de chance (… dans l’observation de la nature)

Sur le tournage d’un documentaire à propos des orques

J’avais très rapidement laissé entendre au détour d’une phrase que lors de mon mois à Grundarfjörður à travailler pour Orca Guardians, il se préparait peut-être quelque chose de très chouette, et le communiqué de presse est tombé – je vais donc le traduire rapidement plutôt que broder (l’original est disponible ici)…

Orca Guardians Iceland commence à tourner un documentaire sur la conservation des orques dans la péninsule de Snæfellsnes

Le 15 avril dans la péninsule de Snæfellsnes, Orca Guardians Iceland a commencé à tourner un nouveau documentaire qui a pour titre de travail : “Les orques de l’ouest de l’Islande et leur protection : comment la vision du prédateur marin suprême évolue parmi les communautés islandaises locales.”

Ce récit bilingue (islandais – anglais), qui met en avant une approche non-invasive des orques, se focalise sur les liens entre habitants et animaux, ainsi que sur le développement des mouvements de conservation au sein des communautés islandaises.

Les deux facettes fondamentales du projet, la vie sauvage et les êtres humains, seront mis en avant à travers la question suivante : comment les communautés locales ont-elles évolué depuis 2010, date à laquelle davantage d’orques ont été aperçus autour de la péninsule ?

Le documentaire vise à inciter les spectateurs à agir contre la pollution et les perturbations de la faune, tant à l’échelon local qu’international, en mettant en avant des mesures pratiques de protection. Des gens de tous horizons, liés à l’histoire des orques, ont été conviés à participer à des entretiens.

Le documentaire est produit par Orca Guardians Iceland en coopération avec Xu Media Production et Wild Sky Productions, et rassemble une équipe internationale aux membres originaires d’Islande, de Chine/Canada, de Grande-Bretagne, de France et d’Allemagne. Le tournage se poursuivra jusqu’au 6 mai 2018 et est parrainé par Láki Tours Whale Watching. Ce projet est rendu possible grâce à l’apport d’une subvention de la National Geographic Society.

Me voilà donc, en plus d’assistant de terrain pour la recherche sur les orques, à prêter main-forte à un documentaire sur la conservation et la protection des orques. Il y a en moi un gamin de huit ans avec des étoiles dans les yeux qui n’en revient pas.

2018-04-16T23:11:20+02:00mardi 17 avril 2018|Carnets de voyage|10 Commentaires

Comment étudie-t-on les orques sur le terrain ? (À mi-chemin auprès d’Orca Guardians)

Heeeyyy bien, un peu comme d’habitude, je pensais pouvoir bloguer un peu ici en Islande sur mon volontariat auprès d’Orca Guardians, mais à chaque fois l’action s’emballe et les jours passent. La vie en volontariat est un espace étrange, où une fois le rythme acquis, les jours s’organisent selon des rythmes étrangement semblables, mais avec d’infinies variations dues aux surprises de la nature. (Si vous lisez ceci pas en avril 2018… continuez à lire : c’est un article de fond ! Sans mauvais jeu de mot.)

Ton humble serviteur dans une tenue différente de d’habitude, auguste lectorat. Photo Megan Hockin-Bennett.

Alors, comment étudie-t-on les orques ? Orca Guardians met résolument sur la recherche non-invasive (pas de biopsies ni de balises, par exemple), ce qui est rendu possible par le soutien de Láki Tours, qui permet aux chercheurs de sortir en mer chaque fois que le temps le permet. Des observations quotidiennes, parfois pour la journée entière en fonction de la saison, représentent une véritable manne de données et une chance particulièrement rare – une sortie en mer est coûteuse en personnel et carburant.

Et les chercheurs, en l’occurrence, c’est en ce moment ma chef et son humble assistant (moi), qui restons sur le pont supérieur de l’Iris par tous les temps (et on a beau être en avril, quand le vent souffle en Islande, il faut a) être vêtu chaudement et b) avoir le cœur bien accroché) à la recherche de souffles, de dorsales, de tout indice de la présence d’animaux, pour que les passagers de Láki Tours puissent les admirer tout à leur guise et avec plaisir – et, de notre côté, récolter les données. Soit : prendre des photos. Plein, plein de photos. En notant évidemment la position GPS, la date, la météo, le comportement, d’éventuelles associations avec d’autres animaux : oiseaux, baleines…

Car l’observation se fait principalement par la technique connue et éprouvée de la photo-identification. Bien des espèces de cétacés présentent des zones susceptibles de recevoir des marques et des entailles en milieu naturel qui ne se résorbent pas ; elles forment une sorte d’empreinte digitale unique pour chaque animal. Avec des observations régulières et de bonnes photos, on peut déduire une incroyable quantité d’informations : quel animal a été vu quand et où ; son succès de reproduction dans le cas d’une femelle accompagnée d’un petit ; ses associations sociales…

Chez les orques – sujet d’Orca Guardians, évidemment – on s’intéresse tout spécialement aux entailles sur la dorsale et à la forme de la selle (la zone plus claire en retrait de la dorsale). Plus tout autre signe distinctif, mais bien sûr, mais il s’agit du cas général. Par exemple :

© Lionel Davoust

Tout de suite, en sortant cette photo un peu au pif des dossiers que j’ai accumulés depuis mon séjour ici, trois caractéristiques me sautent aux yeux :

  • La présence de deux entailles visibles sur le fil de la dorsale (en rouge)
  • Un motif pigmentaire ou cicatriciel sur la selle (en vert) qui permettra d’isoler cet individu parmi les plusieurs dizaines (ou centaines) de photos prises dans le feu de l’action
  • La selle présente une forme intéressante, presque sans aucune extension vers l’avant (en jaune). (Il faudrait s’en assurer sur d’autres clichés, toutefois.)

On pourrait repérer encore bien d’autres points, mais c’est juste pour donner une idée générale.

De retour à terre, on épluche toutes les photos qu’on a prises, et qu’on espère aussi bonnes que possibles :

  • On trie les bonnes, on garde la meilleure dans une série de rafales, on jette tout ce qui est flou, inutile, ou qui a été pris selon un mauvais angle ne permettant pas de distinguer les traits qu’on veut mettre en valeur ;
  • On les sépare en côtés gauche et droit. On traite les côtés séparément ; on recoupe les photos pour déterminer lesquelles désignent le même animal pour un côté donné au sein d’une même rencontre – cela revient à un jeu des sept erreurs en mode hardcore ;
  • À partir des observations de terrain (on se rappelle qu’il y avait par exemple trois animaux) et des détails sur les photos, on associe les côtés gauche et droit pour déterminer ce qui relève d’un seul et même animal autant que possible ;
  • Enfin, on cherche dans le catalogue des animaux identifiés par Orca Guardians (plus de 300 à l’heure actuelle) qui l’on a bien pu voir… ou si l’on a affaire à un ou une inconnue !
Extrait du catalogue d’Orca Guardians.

C’est un travail de très, très longue haleine. Plus que n’importe quel autre domaine, les données naturalistes nécessitent une ténacité et une persévérance à toute épreuve pour commencer à dégager des tendances sur une population. Le travail conjoint d’Orca Guardians et Láki Tours est vraiment admirable (et je ne dis pas ça parce que je travaille pour eux en ce moment – je dis ça parce que je le savais et voulais donc travailler pour eux).

2019-06-04T20:23:42+02:00jeudi 26 avril 2018|Best Of, Carnets de voyage|9 Commentaires

Une assemblée de baleines

Les rencontres qu’on fait dans le plus grand fjord d’Islande, Breiðafjörður, sont nombreuses et toutes fascinantes. La seule vision d’un pod d’orques voyageant à vive allure dans une direction donnée, sans ralentir, comme décidés à se rendre à une destination connue d’eux seule pour des raisons insondables, suffit à distraire l’humble volontaire un temps de son appareil photo pour la recherche et à rester un instant hébété, prenant la pleine mesure de l’ignorance de l’espèce humaine.

J’avais espéré pouvoir bloguer davantage sur mon travail pour Orca Guardians, et je me rends compte que le temps file – dans quelques jours, je rentre déjà. Alors aujourd’hui, auguste lectorat, j’aimerais te parler un peu d’une des rencontres les plus bizarres que j’aie faite sur l’eau récemment.

Eux.

Whale assembly

Les cachalots (Physeter macrocephalus) sont d’immenses cétacés à dents solitaires qui peuvent mesurer jusqu’à 20 m. Ils ont été lourdement chassés pour l’huile contenue dans leur crâne, le spermaceti, ainsi que pour leurs concrétions intestinales servant notamment en parfumerie (le fameux ambre gris) ; Melville les a faits entrer dans la légende (Moby Dick est un cachalot). Ils restent très rares, et les voir est un grand privilège. On les rencontre cependant parfois dans Breiðafjörður, en ce qu’on appelle des “bachelor pods” – des troupes de mâles célibataires. Ces animaux assez peu sociaux, champions de la plongée (ils peuvent rester jusqu’à 2 h en apnée) sont pourtant régulièrement vus en groupe toutefois sans interaction visible. Que font-ils là ? On n’en sait rien. Ils se nourrissent probablement, mais de quoi ?

Voir un cachalot pour la première fois est une expérience étrange. Le cachalot a tendance a hyper-ventiler avant ses longues plongées – il se repose en surface, flottant telle une bûche, et souffle à intervalles réguliers un panache de vapeur incliné sur le côté. En voyant pour la première fois ce souffle puis l’immense animal bercé par les vagues en-dessous, on comprend sans mal comment les marins d’autrefois pouvaient les considérer comme des îles vivantes. Puis ils sondent, sans signe avant-coureur à part la caudale dressée dans l’air, et on ne les revoit plus avant un minimum de vingt minutes.

C’est pourquoi la photo ci-dessus est particulièrement insolite, en tout cas à mes yeux, après une poignée de premières rencontres avec eux. Ces huit cachalots flottaient, à peine séparés de quelques mètres, sans qu’aucune interaction ne soit visible, comme de vieux camarades bougons qui s’apprécient sans rien se montrer. Ils soufflaient à tour de rôle, une étrange symphonie visuelle qui donnait à mes yeux de primate avide de motifs l’impression d’un rythme parfait.

Puis ils ont sondé, les uns après les autres, dans l’ordre – les plus proches d’abord. Là aussi, à intervalles parfaitement espacés, suivant le battement d’un métronome imaginaire, ou peut-être imaginé – car rien ne permet de dire que ce ballet était volontaire. Le bon sens, d’ailleurs, et la parcimonie scientifique, obligent à dire qu’il n’en était rien. Ce qui ne rend pas le phénomène moins fascinant, au contraire. Il montre qu’au-delà des esprits, de l’homme ou du cétacé, le monde est d’une étrangeté presque inconcevable, et que ce n’est pas parce que la mélodie échappe à tous ou qu’elle est involontaire qu’elle n’existe pas. 

2019-06-04T20:24:16+02:00jeudi 3 mai 2018|Best Of, Carnets de voyage|3 Commentaires

Peut-on démontrer l’intelligence des baleines et dauphins ?

… est le sujet d’un article que j’ai proposé et écrit pour le blog d’Orca Guardians. La thèse que j’y propose me tient assez à cœur : à travers les différentes natures de l’intelligence, elle creuse en particulier ce que l’être humain désigne dans cette question et ce qu’il y projette.

Elle aurait dû former le centre d’un court essai qui ne se fera finalement pas avec l’éditeur pressenti (la faute, disons, à des méthodes de travail incompatibles). Peut-être l’écrirai-je quand même un jour mais, dans l’intervalle, il commençait à me sembler pressant de contribuer ces idées à la noosphère tandis que nous continuons à fuckupper la planète. Je suis content que ça soit dans l’air, et merci à Orca Guardians de l’avoir hébergé.

C’est ici sur le blog de la fondation : Proving cetacean intelligence.

2018-05-06T19:26:25+02:00mardi 8 mai 2018|Carnets de voyage|Commentaires fermés sur Peut-on démontrer l’intelligence des baleines et dauphins ?

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