(This is the French version of yesterday’s article, here.)
Pour un auteur franchophone, la traduction vers l’anglais représente une sorte de Graal : cela assure l’ouverture non seulement vers un marché national plus vaste que le nôtre, mais potentiellement mondial, puisque tous les éditeurs du monde lisent l’anglais, pas forcément le français ; et que le monde éditorial a évidemment le doigt sur le pouls du marché anglophone, qui représente, qu’on le veuille ou non, une référence. Il ne s’agit pas là de gagner une fortune en châteaux et en argenterie (quoique l’on ne soit jamais contre un bon couteau Guy Degrenne, hein) mais surtout d’ouvrir son travail au plus grand nombre de lecteurs – ce qui est le souhait de la majorité d’auteurs.
C’est évidemment ardu, en raison même de la barrière de la langue, et résulte de la conséquence directe du statut de l’anglais comme lingua franca. On peut apprécier de constater que, dans le monde anglophone, il y a une prise de conscience progressive du déséquilibre de la traduction, et du manque de diversité et d’ouverture que cela entraîne pour ce marché. Quant à savoir si cela va se convertir en actions, impossible de le dire ; autant donc réfléchir, nous-mêmes, à ce que nous pouvons faire, voire nous organiser.
À la Convention Mondiale de SF de Londres de cette année, Loncon3 (comptes-rendus ici et là), nous avons discuté sur une table ronde intitulée “Translation-wish, Translation-obstacles” (voeux de traduction, obstacles de traduction), sous les auspices de l’Interstitial Arts Foundation, afin de réfléchir aux manières de franchir l’obstacle de la langue et d’apporter la littérature étrangère au marché anglophone.
Cet article ne cherche absolument à récapituler ce qui s’y s’est dit mais vise à compiler des pistes possibles sur le sujet. Je vais me limiter aux nouvelles ; leur longueur rend l’investissement en temps et en énergie plus raisonnable afin de franchir la barrière, et parce que cela paraît un bon moyen de se faire lentement remarquer afin de démarrer une carrière à l’étranger. Attention, cet article n’est que la partie émergée du débat : auguste lectorat, n’hésite pas (encore moins que d’habitude) à me contredire, à compléter, etc., afin que nous essayions d’explorer l’éventail des idées et de les rendre disponibles pour la communauté. Il faut aussi savoir que ce qui vend dans un pays ne vendra pas forcément dans un autre ; les cultures, les attentes, les marchés sont différents quant à la forme et aux thèmes. Cela étant dit, considérons que toutes choses sont égales par ailleurs.
Bon, voici donc les stratégies et les idées que j’ai vues, dont j’ai entendu parler ou pu imaginer jusqu’ici.
Stratégies de l’auteur solitaire
(Ce qui est un excellent titre, je pose une option dessus.)
Du moins cher au plus cher :
- Écrire un bestseller. Obtenir l’achat des droits à l’étranger. Devenir riche et célèbre. Bon, ce n’est pas courant, alors nous allons nous concentrer sur la vaste majorité de cas où cela ne se produit pas…
- Écrire en anglais. Avantages évidents : le récit est directement disponible dans la langue visée, mais il faut évidemment de sacrées compétences, et l’on peut éprouver une réticence à laisser sa langue maternelle derrière soi. D’autre part, si l’on a déjà une carrière établie, cela peut impliquer de réapprendre tout ou partie des réflexes, ce qui peut décourager.
- S’autotraduire en anglais. Plus facile à dire qu’à faire. Même si l’on est un traducteur professionnel, on conserve un lien très personnel avec son récit, et il faut s’en affranchir pour réaliser une traduction efficace ; plonger intimement dans son travail, mais comme si c’était celui d’un autre.
- Écrire ou se traduire grossièrement en anglais, puis embaucher un relecteur. On ne bénéfice pas d’un véritable travail éditorial, aussi cela ne concerne-t-il pas les débutants (et, honnêtement, je doute que ces stratégies leur soient vraiment destinées) mais un relecteur aidera à affiner le style, dans l’espoir d’une publication.
- Embaucher un traducteur. Ce qui coûte de l’argent ; les bons traducteurs sont des pros et les pros ne bossent pas gratuitement. Il faut savoir qu’embaucher un traducteur peu compétent risque de faire plus de mal à son travail et à son nom qu’autre chose, alors prudence. D’autre part, pour un roman, ce sera probablement hors de portée de toutes les bourses.
Bien sûr, dans tous les cas, détenir une version anglaise de son travail n’en garantit pas la publication. Il faut toujours franchir les étapes habituelles de l’édition – voir la mise en garde ci-dessus : marchés différents, attentes différentes, circuits différents. Ce n’est pas parce qu’on est accueilli à bras ouverts sur son propre marché que cette habitude se “traduira” (huhu) sur un autre. Il convient d’être patient et humble ; en résumé, à redémarrer sa carrière de zéro, et à se rappeler les luttes de ses débuts, parce que c’est probablement ce à quoi il faut s’attendre.
Et si l’on amendait la clause de droits étrangers ?
Je songeais qu’il était peut-être possible de trouver un accord avec son éditeur régulier pour amender légèrement la clause des droits étrangers dans les contrats habituels. D’ordinaire, l’éditeur récupère les droits étrangers d’exploitation, car il représente les intérêts de l’auteur et son livre et s’efforce d’en obtenir une édition étrangère. Toutefois, la réalité est la suivante : à part la réalisation du bestseller ou avec un éditeur particulièrement motivé, cela se produit rarement, encore une fois à cause de la barrière de la langue. En conséquence, les droits étrangers restent acquis à l’éditeur d’origine, qui a beaucoup à faire, de livres à promouvoir, et une fois que le livre commence à avoir quelques années, qu’il a vécu sa vie en librairie, les chances de voir une traduction étrangère se réduisent quasiment à zéro, avec des droits qui restent verrouillés.
Il me semble que l’on peut trouver un accord très profitable en ajoutant un peu de flexibilité à cette clause, en permettant à l’auteur de lancer des initiatives de son côté si la situation s’enlise :
- Si l’éditeur vend la traduction, c’est la situation habituelle ; rien ne change. C’est aussi la situation idéale, parce que se lancer dans un tel projet seul prend du temps, et franchement, il vaut mieux que l’éditeur s’en charge : c’est son travail, il a les contacts, les habitudes, et il est le mieux armé pour cela. Toutefois, d’autres cas peuvent se présenter :
- … si l’auteur peut se débrouiller pour obtenir une traduction, qu’il la remet à l’éditeur, qui trouve ensuite un éditeur étranger par son propre réseau, alors sa part est réduite, parce que l’auteur a fait (ou payé pour) une part du travail.
- … si l’auteur obtient la traduction ET se débrouille pour la vendre lui-même à l’étranger (via un agent ou un éditeur), se représentant lui-même, alors la part éditeur est réduite encore.
C’est une situation “gagnant-gagnant” : tout le monde est content si l’oeuvre est traduite et publiée, l’éditeur comme l’auteur ; l’éditeur ne perd rien des droits étrangers selon le processus habituel ; mais si la situation s’enlise, l’auteur peut tenter de son côté. Il peut s’enliser lui aussi, bien sûr, mais il peut apporter des initiatives et des compétences différentes. L’idée étant de ne pas laisser les droits étrangers prendre la poussière si les choses ne progressent pas dans le circuit “classique ». (Je remercie les éditeurs avec qui nous avons échangé sur cette idée, lui permettant de prendre cette forme.)
Partenariats
L’idée évidente consiste à mutualiser les talents et à travailler ensemble. Là, on peut imaginer toutes sortes d’associations, et il serait inutile d’en faire une liste, mais citons par exemple:
- Plusieurs auteurs anglophones, parlant plusieurs langues, proposent de traduire les oeuvres étrangères qui leur plaisent afin de rééquilibrer la balance. Cherchez-les, lisez-les.
- Il existe des bourses de traduction et d’échanges culturels. En général difficiles à obtenir quand on travaille dans l’imaginaire puisque, comme nous le savons bien, ce n’est pas une littérature “sérieuse ». Mais cela se tente toujours.
- On peut s’associer à un traducteur étranger et penser à une façon de diviser les bénéfices…
- … ou s’échanger directement des traductions.
L’accord juste sera évidemment celui que les parties trouveront juste…
Mentionnons aussi quelques initiatives comme l’Interstitial Arts Foundation qui désire voir davantage de traductions vers l’anglais, les Science-Fiction & Fantasy Translation Awards et bien d’autres structures qui essaient d’appuyer l’idée de traductions depuis les langues étrangères. Je ne veux pas transformer cet article en inventaire fastidieux mais si vous avez une grande idée à partager, n’hésitez pas à le faire en commentaires !
Stratégies d’édition
(Ce qui n’est pas, en revanche, un bon titre.)
Il faut vraiment que cet article de K. Tempest Bradford (en anglais) circule au maximum. Elle propose une stratégie qui me semble très viable pour obtenir davantage de traductions en anglais. En gros, il s’agirait d’impliquer les étudiants en traduction qui terminent leur cursus et ont besoin d’une expérience professionnelle (stage, mémoire) pour valider leur diplôme. Ils liraient les anthologies et revues étrangères pour produire un résumé à l’attention des éditeurs et rédacteurs en chef qui établiraient un partenariat avec leur université. Ces éditeurs choisiraient les textes qu’ils souhaitent afin de publier une traduction complète du récit, réalisée bien entendu par l’étudiant. L’article de Bradford n’explique pas comment assurer la qualité du travail en question si l’éditeur ne parle pas la langue source, mais, pour avoir été tuteur de travaux similaires à la fac d’Angers, je peux mentionner que ces projets se réalisent toujours sous la supervision des professeurs d’université et de traducteurs professionnels. Ils vérifient le travail, exigent des corrections, et c’est la qualité finale de la traduction qui dicte en grande partie si l’étudiant valide son année ou pas. Donc, c’est implicite, mais pris en compte.
Ainsi, l’éditeur obtient une nouvelle étrangère intéressante avec une traduction de qualité ; l’étudiant a une expérience professionnelle ; l’auteur se fait traduire. Tout le monde y gagne.
Pour conclure
Cela fait beaucoup d’idées et de stratégies, dont la plupart semblent solides, mais cet article ne vise absolument pas à l’exhaustivité ; au contraire, il ne deviendra meilleur qu’avec vos contributions en commentaires, si vous souhaitez corriger, rectifier, ou ajouter vos idées. N’hésitez pas à partager !
Excellente synthèse.
Merci pour ces idées. Ce n’est pas pour traduire un texte littéraire, mais je retiens particulièrement la démarche de contacter des étudiants en traduction.
Je ne suis pas tout à fait d’accord avec ce que tu dis. D’abord parce que ce n’est pas parce que l’éditeur se réserve par contrat l’exploitation des droits étrangers, qu’il t’empêche de rechercher de ton côté la vente de droits.
Ensuite parce que en pratique, ce n’est pas à l’auteur d’initier le “faire” ; ce n’est pas lui le donneur d’ordres d’une traduction, quelle que soit la formule de traduction retenue. C’est même extrêmement crispant pour éditeur de voir son auteur débarquer la fleur au fusil, et lui annoncer que pour la traduction en tamoul, c’est tout bon, il a déjà trouvé quelqu’un, et que la personne a déjà commencé. Ceci pour plusieurs raisons :
– ce n’est pas le pognon de l’auteur qui paiera la traduction
– l’auteur, et a fortiori l’éditeur, ne sont pas forcément experts dans la langue d’arrivée ; ils sont incapables d’évaluer seuls la qualité du travail d’un traducteur.
– c’est l’éditeur dans la langue d’arrivée qui se charge de faire faire la traduction.
– pour le cas des auteurs réputés et installés depuis longtemps, ils ont de toute façon un traducteur attitré (comme les acteurs ont un doubleur attitré qui les suit d’un film à l’autre)
Je développe un peu plus les choses sur mon blog : http://ecriture-livres.fr/publier-livre-1001-conseils/traduction-livre-vente-droits-etranger
By jove.
Je dois dire que je me suis posée la question quand j’ai décidé que j’allais écrire. J’ai demandé à une amie écrivain de me donner son avis et elle m’a dit d’écrire directement en anglais parce que j’en étais capable et que le marché était juste plus grand. Là, je m’auto-traduis en français et se traduire soi-même, c’est juste aussi chiant que de traduire quelqu’un d’autre 😀
Bon au moins, je sais ce que l’auteure a voulu dire 😉
Tout à fait d’accord avec toi Lionel, pour avoir travaillé une quinzaine d’années aux droits étrangers du Seuil, oui, c’est particulièrement irritant qu’un auteur se mêle de ces choses là, c’est en général source d’embrouilles, faut en général faire des avenants au contrat de base, bref c’est le souk garanti ! Pour Estelliane Kermagoret : je me souviens de Julien Green qui disait souvent qu’en se traduisant soi-même, on finissait par écrire un autre livre 😉
Oui, c’est très vrai Librissimots ! Déjà, je relis mon texte et je me dis “wow, c’est moi qui aie écrit ça” 😀
Sauf que le cas de figure du marché anglophone est très particulier, puisqu’il faut soumettre les textes déjà traduits. Après avoir publié quelques nouvelles en anglais, je me suis retrouvée dans le cas de figure frustrant où les rédacteurs en chef des revues m’encourageaient à leur soumettre d’autres textes, sauf que je n’avais pas de traducteur sous la main et que la revue ne prendrait pas l’initiative de la traduction, puisque les supports anglophones ne fonctionnent pas comme ça. Et pourtant, ils étaient ravis de recevoir des textes provenant d’autres pays. C’est rageant de se dire que l’impossibilité de publier en anglais tient parfois à si peu. D’où l’intérêt de ce genre d’initiative pour tenter de résoudre le problème.
Mélanie, on peut faire un deal : je te traduis en anglais et tu me traduis en français ! 😀
Tous les auteurs fantasment sur le fait d’être publiés en langue anglaise. Pour les nouvelles, je ne sais pas, mais pour les livres, on envoyait les textes en français, avec, éventuellement un résumé en anglais.
Je dirai que le problème de la traduction, c’est un peu le même que celui de la voyance (je pratique les deux, donc je parle en connaissance de cause) : les gens estiment que c’est “un don” (non, non c’est de l’entraînement et des heures passées à bosser) et que tu dois le faire gracieusement. On me demande souvent de traduire, par contre on ne me parle que très rarement de rémunération :-/
Pour les nouvelles, je parle d’expérience : il y a de la place, il y a un intérêt de la part des supports concernés, mais il faut traduire d’abord. J’ai fini par renoncer par manque de temps, mais aussi parce que ça demandait finalement un effort trop grand par rapport au résultat.
Et ce n’était pas spécialement un fantasme dans mon cas, juste un concours de circonstances qui a conduit à une première publication, mais j’ai renoncé à poursuivre au bout de deux ans. Il fallait soit faire traduire quelqu’un gracieusement, ce qui me gênait, soit dépenser de l’argent que je n’avais pas.
C’est dommage Mélanie 🙁
On m’a dit que tu étais une excellente auteure de nouvelles.
Il me semble évident que quand on est un pro, on fait les choses en accord avec son éditeur, pas dans son coin en le mettant devant le fait accompli. Je répète que c’est effectivement à l’éditeur de faire ce travail. Mais quand rien n’avance, il est fâcheux que l’auteur ne puisse rien faire, s’il dispose de compétences différentes qui peuvent être mises à profit. Enfin, si nous sommes d’accord que c’est à l’éditeur étranger de payer la traduction, dans les faits, cela arrive rarement sur le marché anglo, hors best-seller, donc il faut trouver d’autres manières d’agir.
Enfin, l’article parle des NOUVELLES. Voir ce que dit Mélanie sur la situation, et qui connaît la situation d’expérience mieux que moi. 🙂
J’ai beaucoup apprécié l’article, clair, concis et complet.
Je retiens surtout l’éventualité de négocier avec son éditeur une clause spéciale sur les droits étrangers. Bien sur cela ne concerne pas les autoéditeurs. Bien que certains se soient vus contacter par Amazon pour être traduits et publiés en anglais.
Une des raisons pour laquelle je privilégierais, si la situation se présentait, cette option, c’est que certaines langues sont totalement délaissées. Je pense à l’espéranto. Bien que ne le parlant pas (encore), j’aimerais que tous mes livres soient disponibles dans cette langue. Je suis convaincu que la communauté espérantiste mondiale approuverait et encouragerait tout auteur ou éditeur qui proposerait des livres traduits en espéranto.
C’est sans doute une de mes lubies velléitaires comme j’en ai tant.
Mes romans ont été traduits dans différentes langues et l’un d’eux, assez ancien, ” Le fantôme de la tour Eiffel ” (Ed. Gallimard, 2002), l’a été en anglais. Plus précisément chez Marion Boyars, petit éditeur londonien qui s’intéresse à la littérature francophone. Une expérience merveilleuse, hélas ponctuelle. Elle ne m’a pas acquis un lectorat beaucoup plus large, et me sert surtout de ” carte de visite ” lorsque j’aborde un pays anglophone — par exemple, le livre m’a accompagné dans une résidence de six mois effectuée en Nouvelle-Zélande.
Cet article résume bien les enjeux de la traduction vers l’anglais, et fraye quelques pistes utiles. En effet, sauf best-seller, nous ne pouvons plus compter sur les éditeurs. Il faut nous remuer et chercher nous-mêmes les opportunités, qu’il s’agisse de nouvelles, de romans ou d’essais.
Bon courage !
http://fr.wikipedia.org/wiki/Olivier_Bleys