Cher Facebook,

L’article que vous censurez est un essai PHILOSOPHIQUE sur une guerre FICTIVE en FANTASY. Il n’a strictement rien de dangereux. C’est comme censurer des articles sur Le Seigneur des Anneaux parce que vous redoutez le terrorisme orc.

Je ne sais pas si je dois me sentir outré ou honoré, ou si même, conformément aux illustres précédents établis par l’Inquisition, c’est le début de la gloire, mais c’est en tout cas une preuve certaine de stupidité : l’édito de la semaine dernière « Pourquoi je vous parle de guerre » – qui parle sous l’angle philosophique et littéraire d’une guerre fictive influencée par l’Antiquité gréco-romaine (une actualité qu’on ne qualifiera pas exactement de brûlante) – a été censuré par Facebook.

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Je vais être honnête : en réalité, je ne me sens ni outré ni honoré, ni insulté ni en colère. Je me sens inquiet, car cela démontre une fois de plus et s’il le fallait encore combien les systèmes automatiques de détection de contenu sont inefficaces et inadaptés. Combien, de plus en plus, nous abandonnons l’usage de notre esprit critique à des robots. Problème qui concerne le web tout entier, avec l’exemple de la Grande-Bretagne et ses filtres nationaux, ce que l’on veut importer chez nous.

Mais, en l’occurrence, il s’agit de voir combien les réseaux sociaux sont maîtres du contenu qu’ils fournissent, combien ils sont capables de modeler ce que vous voyez, contrôlent votre accès à l’information – on parlait du racket de la promotion des messages sur le flux d’informations, il y a maintenant par exemple la capacité de modeler votre humeur, ainsi que l’a révélé cette expérience de Facebook qui a fait scandale. Aujourd’hui, ce sont encore des systèmes automatiques de détection hautement imparfaits. Mais demain ? Et même, à mesure que les algorithmes s’améliorent et aident à filtrer plus efficacement ?

Le dernier épisode de Person of Interest mettait en scène une entreprise leader sur le marché des moteurs de recherche qui avait passé des accords secrets avec des entreprises pharmaceutiques. Certains utilisateurs dépressifs, s’ils cherchaient des informations sur le suicide, se voyaient proposés des pages les poussant subtilement plus loin dans leur trouble, afin de leur vendre par la suite des antidépresseurs. Ce n’est pas de la science-fiction : c’est entièrement du domaine du réalisable aujourd’hui.

Je ne suis qu’un auteur de fantasy et de thriller. Par essence, je parle de fiction sur des lieux, sur des gens qui, dans la plupart des cas, ne pourraient même pas exister dans notre monde. Personnellement, je suis par ailleurs capable d’aller chercher et croiser des informations impartiales, de me documenter. Je ne m’inquiète pas de mon cas. Je m’inquiète, comme tout le monde et ce n’est pas nouveau, pour l’esprit. Si un auteur comme moi, infinitésimal dans le grand ordre des choses et même de la littérature française, inoffensif par essence, peut être ciblé de la sorte, que dire des controverses du monde réel, non symbolisées, non métaphorisées par la fiction ? Que penser des échanges d’idées, de visions politiques, des actualités réelles et brûlantes ?

Il faut tordre le cou à l’idée que les réseaux sociaux commerciaux sont neutres, qu’ils sont des tuyaux « stupides » délivrant le contenu qu’on leur demande. Cela, c’est l’idée de neutralité du Net, un concept essentiel lui-même battu en brèche à l’heure actuelle (voir les censures du web qui s’installent discrètement).

Facebook et les réseaux semblables n’ont même pas eu besoin de nous séduire : poussés par le besoin humain de créer du lien, fascinés par les réelles possibilité de communication qu’ils offrent, nous nous jetons dans leurs bras, leur donnons nos informations, leur faisons confiance, leur tendons les poignets pour leur remettre notre sort, comme on le fait d’une religion, d’un pouvoir, d’une autorité. Parce que nous communiquons de chez nous, de nos terminaux, nous croyons bénéficier de la même impunité et de la même intimité. C’est évidemment faux. Oui, c’est un outil pratique, mais, comme tout outil, il convient de le dominer et d’en contrôler l’usage. Qu’il ne devienne pas essentiel et unique. Que faire ? Peut-être commencer par se réinventer en ligne.

Il n’est de plus insidieuse tyrannie que celle qui prétend agir en votre nom, pour votre bien, et c’est ce qui s’installe. « En échange de la paix intérieure, remettez-nous votre liberté et nous ferons le travail à votre place » – un marché faustien paradoxal, car religieux à l’origine. C’est aussi ce dont je parle avec Évanégyre et l’Empire d’Asreth. J’aimerais pouvoir prétendre que c’est pour cela que l’éditorial a été censuré, mais il ne faut jamais attribuer au conspirationnisme ce que la bêtise pure explique parfaitement bien.

Cela ne veut pas dire que les manipulations ne finiront pas par s’institutionnaliser une fois que les gains envisagés seront supérieurs aux pertes. « Si c’est gratuit, c’est vous le produit. »

asrethouakbar