Il y a des synchronicités curieuses sur les réseaux, et en ce moment, cela tourne beaucoup autour des outils d’aide à la correction (et donc, par rebond, à la rédaction). À savoir : existe-t-il un logiciel qui me permettrait de détecter mes erreurs de frappe ou de conjugaison, qui pourrait m’orienter sur la qualité de mon texte, qui me donnerait un dictionnaire de qualité, le tout sans nécessiter le réseau de neurones d’un Terminator parce que j’ai pas envie qu’on m’abatte à ma première erreur d’accord de participe passé ?
Ou bien – c’est la question inverse : j’ai entendu parler d’Antidote. Est-ce que ça vaut le coup ?
La machine à tout faire
Antidote est probablement le plus connu, mais aussi l’un des plus chers des logiciels de correction : dans les 90 € pour la version de bureau. Nous avons une belle langue, mais complexe, et ses pièges sont multiples ; aussi la promesse d’un logiciel qui pourrait réellement aider à traquer les fautes et les impropriétés est-elle tentante, mais vu le prix (le double d’un Scrivener, par exemple), on peut raisonnablement se demander ce que cache Antidote, et s’il remplit ses promesses.
Le logiciel s’organise principalement selon deux axes : des références et un correcteur.
Les références sont la partie émergée de l’iceberg, la plus simple d’emploi et la plus aisément compréhensible : un ensemble de dictionnaires allant du simple au complexe – définitions, synonymes bien sûr, mais aussi conjugaison, étymologie et même citations. Bien sûr, ces dictionnaires sont extrêmement fournis, et rivalisent sans mal avec les références du domaine, voire dépassent le Petit Larousse ou Robert standards ; on y ajoute l’équivalent d’un Bescherelle, d’un dictionnaire visuel, le tout facile à emporter dans son ordinateur – et l’on pourrait arguer que l’investissement égale sans peine l’équivalent en livres papier.
Bon, OK, mais si j’ai déjà ces bouquins, ça vaut peut-être pas le coup, non ? D’accord, la consultation en dématérialisé, c’est pratique, mais j’ai pas cent balles à coller tous les jours dans du logiciel. Je fais quoi, je rentre chez moi ?
Eh bien, auguste lectorat, tu peux, et à un moment, il faudra, parce qu’il se fait tard à force, mais si tu m’écoutais un peu, tu saurais que j’ai parlé de deux versants, alors tiens, prends donc cette camomille, stay a while and listen.
Antidote intègre une fonctionnalité de tueur, et c’est son moteur de correction. Dans les applications compatibles (et il y en a beaucoup), Antidote peut analyser le texte qu’on lui soumet et fournir davantage d’outils d’analyse et de rectification qu’on pourrait décemment en demander. Repérage des adverbes, des termes sémantiquement faibles, des phrases longues, de verbes faibles, des répétitions, il fait tout et de manière impressionnante. Surtout, Antidote a l’extrême intelligence de ne jamais partir du principe qu’il sait (contrairement au correcteur grammatical grotesque de Word) : à moins d’une erreur flagrante, dans 2/3 des cas, il se contentera de souligner en orange une possible erreur et – c’est là qu’il est extrêmement précieux – d’expliquer le problème qu’il a repéré. À l’utilisateur de décider en son âme et conscience d’une éventuelle correction à apporter à son texte, et surtout, il en ressort en ayant appris quelque chose. Et ça, c’est assez génial.
Rien que le module de détection des répétitions vaut son pesant d’or. Et administre à chaque utilisation un grande leçon de modestie : on est persuadé d’avoir nettoyé son texte… mais Antidote découvre toujours quelque chose de putain de FLAGRANT, et pousse l’auteur à se flageller en psalmodiant « I’m not worthy« . C’est sérieusement renversant.
Faut-il avoir Antidote ?
C’est toute la question, hein ? À lire visiblement le bien que j’en pense, on pourrait parier que la réponse serait oui, grave, casse ta tirelire.
Eh bien, je suis un peu modéré là-dessus. Déjà, Antidote est tellement puissant qu’il est facile de le sous-exploiter, en fait. De plus, même s’il fait très bien son boulot, j’ai tendance à militer pour un apprentissage actif de toute technique artistique, et je pense qu’il est meilleur, à long terme, pour un auteur de se discipliner à corriger lui-même toutes les failles qu’un Antidote repère : répétitions, verbes faibles, etc. Cela aiguise son regard, le pousse à davantage d’exigence et, au bout du compte, à produire plus vite des textes qui sont d’emblée de meilleure qualité. C’est un peu comme la différence entre apprendre les règles de la perspective et décalquer une photo en apprenant à reproduire ; le premier est plus long et laborieux, mais donne, au bout du compte, davantage de liberté créative1.
Après, une fois cette passe personnelle faite, cela n’empêche pas de passer un coup d’Antidote pour enlever les dernières scories, bien évidemment.
Bon, ceci dit, bien évidemment, tous les auteurs pros ou presque ont un Antidote, tous les éditeurs ont un Antidote, j’ai moi-même un Antidote d’où je sors mes captures d’écran, donc on peut arguer que c’est aujourd’hui dans la profession un outil aussi fondamental qu’un dictionnaire, et c’est probablement vrai. Je m’en sers une centaine de fois par jour rien qu’à travers son intégration avec Alfred, qui me permet de chercher des définitions et des synonymes d’une simple combinaison de touches (parmi les innombrables gains de temps formidablement précieux que j’ai découverts en passant sous Mac).
Donc oui, à un moment, faut y passer. Et d’ailleurs, l’on écrit du texte scientifique ou technique où les tournures fleuries n’ont pas leur place, l’achat me semble prodigieusement indiqué pour gagner du temps. En revanche, pour un jeune auteur aspirant à une maîtrise poétique et stylistique, j’aurais curieusement tendance à dire de retarder un peu l’achat pour acquérir de la hauteur sur son art. De toute façon, je crois qu’il y a des outils plus pressants quand on veut se lancer sérieusement dans l’écriture de fiction : un outil d’écriture, un outil de prise de notes, à tout le moins. Antidote est un outil de référence mais aussi de correction et, par définition, avant de corriger, il faut avoir appris à produire un peu.
La page d’Antidote sur le présent site. Le logiciel existe en version de bureau (Mac, Windows et même Linux !) ainsi que mobile (iOS, ce qui s’associe très bien avec – vous l’aurez deviné – la version iOS de Scrivener).
De manière générale, si l’envie d’acheter cet outil (ou l’un des autres présentés sur ce site) vous vient, n’oubliez pas de passer par les liens proposés ici – vous contribuez à financer le temps passé à rédiger ces articles gratuitement. Merci !
- Je dis peut-être n’importe quoi en dessin, je suis une quiche au thon en dessin, mais bon, vous voyez l’idée, nesse-pa ? Antidote has quit: non, là, faut pas abuser non plus. ↩
Il est toujours passionnant de vous lire.J’utilise Antidote. La limite que je vois à sa quasi universalité se trouve chez les éditeurs eux-même. Il me semble que ceux-ci se mettent à sélectionner des textes avec cet outil. J’ai peur d’une uniformisation en cours des styles. Proust ou Céline évidemment font exploser Antidote.
Merci Jean-Pascal ! Je ne connais pas d’éditeur dans notre domaine qui trie les manuscrits avec Antidote ; normalement ils connaissent les limites de l’outil. Une lecture rapide de quelques pages suffit généralement à donner une première opinion bien meilleure d’un style et prend le même temps 🙂
Depuis qu’on m’a offert la version 8 HD. Il s’est rapidement imposé comme outil incontournable. Je l’adore 🙂
Son intégration est par contre parfois aléatoire (je l’ai vu ne plus répondre soudainement avec quelques version de Libre Office par exemple), et il faut reconnaître que Druide traine un peu à mettre à jour les modules d’intégration.
Ça n’est pas très grave puisqu’il intègre un mini traitement de texte dans lequel on peut copicoller son document et l’y corriger.
Seul point noir : la version IOS qui n’intègre pas le correcteur, seulement les guides & dictionnaires. Très déçu de voir que l’aspect qui m’intéressait le plus était absent, je me le suis fait rembourser, et j’ai été bouder.
Il faudrait effectivement qu’ils pensent à l’intégrer à un moment, notamment parce que la concurrence sur le front anglophone est rude : il y a Grammarly qui fonctionne sur iOS, il me semble.
XD je sais pas si c’est l’outil ultime, mais il aide bien
Acheté il y a des années pour moi, on l’utilise aussi au boulot depuis quelques temps (relation clie… https://t.co/bf2I7lmBJ4
Et bien j’aurai appris qu’il existait une intégration avec Alfred en lisant l’article ! Comme quoi,… https://t.co/RgbJcXCKhd
[…] Donc, lundi, on a parlé d’Antidote, et c’était chouette. Une des raisons pour lesquelles il était temps que j’en parle, c’est aussi en rapport à une question auxiliaire que j’ai vu passer très souvent ces derniers temps. Il semble qu’à l’heure où j’écris ces mots, l’intégration entre Scrivener et Antidote soit un peu cassée, et donc, comment faire ? Cela cache une question plus profonde : quand corriger style et orthographe, en fait ? […]
Pendant des années j’avais une très bonne relectrice humaine (ma compagne), mais elle a fini par se lasser et par me laisser me débrouiller. Si j’aime beaucoup écrire, j’ai longtemps eu une très grosse panne de motivation à le faire. Il m’aura fallu publier un premier texte (merci Le Carnoplaste) pour enfin me sortir les doigts et ne plus publier immédiatement après avoir mis le point final.
Mais la découverte d’Antidote aura vraiment été une sorte de deuxième coup de semonce. Comme tu le dis, le soft a le don de trouver des pétouilles là où tu penses déjà avoir fait bien le tour. A titre perso, je n’utilise pas tout, majoritairement la correction orthographique (qui a pour elle de faire réfléchir l’utilisateur plus que de lui faire appliquer bêtement le truc), les répétitions et la longueur des phrases (je m’enflamme souvent). Et majoritairement en mode intégration sur mon navigateur (pour corriger les chroniques depuis l’admin de WP c’est le top).
A quelques semaines de me plonger dans un gros projet éditorial, je pense qu’il ne se passera plus beaucoup de temps avant que je ne fasse l’acquisition d’une licence à jour.
La dépense est effectivement conséquente, mais comme tous les bons logiciels pro, c’est un investissement… et une fois que c’est fait, on est ravi. Bonne écriture / direction d’ouvrage à toi ! ????