Écrire comme on construit un mur (Weinberg on Writing: The Fieldstone Method)

Couv. Fiona Charles

Je ne sais plus où j’avais lu la recommandation de cet ouvrage, mais elle était fort dithyrambique, aussi fallait-il que je me le procurasse, ou autre barbarisme du même genre (proféré par mon nouveau héros en culotte de peau, Conan le barbarisme). Au final, j’ai mis trois ans à le lire – et ce n’est pas le fait de sa qualité, entre temps est intervenu une panne de liseuse non remplacée (mais je ne me suis pas non plus rué sur une nouvelle liseuse en me disant : [voix de Janice] oh ! mon Dieu ! Je dois en racheter une tout de suite pour finir The Fieldstone Method).

Gerald Weinberg, auteur prolifique d’essais, romans, articles, livre dans ce livre (haha) sa méthode d’écriture. Il y file une même métaphore : l’écriture s’apparente à la construction d’un de ces murs qu’on rencontre notamment dans les pâturages du Royaume-Uni, assemblés à partir de field stones, c’est-à-dire des pierres trouvées dans des champs. Ouais, c’est pas clair, bougez pas, je fais un saut sur Wikimédia Commons :

Photo Eric Jones, CC-By-SA

Wala.

Ces murs ont la particularité de ne pas nécessiter de mortier : le maçon erre esseulé dans les champs d’Angleterre, endurant stoïquement le vent nordique, nourri dans sa quête par la perspective d’une tasse de thé bien chaude à cinq heures, à la recherche des pierres qui s’emboîteront naturellement. (Je fais le malin, mais ces ouvrages sont réellement impressionnants. Les murs. Suivez un peu, quoi.) Pour Weinberg, l’auteur suit exactement le même processus : il fait l’expérience du monde et rencontre des éléments qui frappent son imaginaire – ses propres field stones, « pierres de champ » – qui sont là, à la vue de toutes et tous, librement accessibles, mais seul lui construira un mur avec, car lui seul voit l’emboîtement. D’où l’importance de rassembler le plus grand nombre de pierres possibles, de conserver et de faire incuber, mûrir ces idées, car de leur assemblage viendra un jour un article, une nouvelle, un roman.

Je trouve l’idée séduisante et la métaphore particulièrement juste. L’écriture d’un bouquin naît souvent, en tout cas dans mon cas (c’est la journée de la répétition aujourd’hui), d’une idée forte, d’une chute, de scènes qui me font tout spécialement envie : de gros « blocs » autour desquels le reste va venir s’articuler. Même l’écriture d’une scène « s’agrège » autour de répliques, d’un décor, d’une situation qui m’ont été servis par mon inconscient, auquel mon corps répond avec enthousiasme – il me reste ensuite à comprendre comment tout cela s’articule. (Pour une métaphore plus huîtrière, nous pourrions aussi dire que cela fonctionne comme des perles en accrétion autour d’un grain de sable.)

Je n’efface jamais rien à la rédaction ; mes coupes se retrouvent dans un fichier à part nommé « Cutting floor » (« chutes », disons, par référence au sol des anciennes salles de montage de cinéma où les scènes coupées finissaient par terre), soit autant de fragments, de formulations que je peux repêcher si besoin. (Je ne le fais quasiment jamais, mais ça me rassure et me permet de trancher sereinement dans le vif.) La créativité est souvent désignée, non pas comme une invention totalement ex nihilo, mais aussi comme la capacité à repérer et mettre en relation des éléments du monde, en y ajoutant sa propre personnalité, son regard, son originalité. Le promeneur voit un caillou, le maçon / écrivain une brique. (Ce qui est fascinant, c’est que cela reflète à la perfection la première étape de la méthodologie Getting Things Done : capturer.)

Weinberg détaille cette approche en grand détail tout au long de ce livre, allant de la « récolte » des pierres / fragments à leur assemblage et à leur polissage, tirant des exemples de sa propre carrière et des ateliers qu’il dirige. Le ton est léger, joueur (même si Weinberg tend à parler davantage de ses ouvrages de non-fiction et articles, ce qui laissera peut-être le romancier sur sa faim) et, surtout, enthousiaste. S’il y a une qualité majeure dans cet ouvrage (finalement pas si répandue dans les livres portant sur l’écriture), c’est sa joie, son admonition quasi-constante au plaisir, à l’intuition, à l’envie. Rien que pour ça, il pourrait représenter un intéressant électrochoc pour l’auteur qui tombe dans le piège de la routine ou de la quête de la surproduction (qu’il soit pro ou non ; c’est un mal qui peut frapper à tous les niveaux d’expérience).

Hélas, il laisse à désirer sur le versant technique – Weinberg passe du temps sur des détails relativement évidents alors qu’il aurait été intéressant de rentrer davantage dans la pratique pure. Comment organise-t-il ses propres notes, par exemple ? Quel outil, quel classement ? Comment un auteur peut-il s’y retrouver dans la masse d’idées folles que génère un cerveau en état de marche ? Comment catalogue-t-on tout ça, concrètement ? (Je dirais qu’ici Scrivener représente, comme toujours, une aide précieuse, en tout cas tant que l’on reste dans le cadre d’un même projet.) Le livre suit la métaphore avec une telle obsession qu’il donne une impression un peu répétitive à force ; elle est adéquate, certes, mais une fois celle-ci acceptée et validée dans le cadre de l’ouvrage, le texte donne l’impression de ronronner un peu alors qu’il aurait pu aller plus loin encore dans la technicité.

Mais on peut aussi considérer cette répétition comme une force subreptice. À force de marteler ce principe, il est forcé de pénétrer le cerveau du lecteur. Et, encore une fois, il est (ou du moins me paraît) juste. L’auteur – lecteur devient alors, peut-être à son insu, une sorte de chasseur – cueilleur de l’esprit à la fermeture de cet ouvrage. Ce qui ne serait pas une si mauvaise chose, à condition de méditer par la suite le propos du livre pour le mettre en relation avec sa propre approche, ses propres envies créatrices. (Ce qui devrait être obligatoire à la lecture de tout ouvrage de ce genre, de toute façon.)

Pas le classique que l’on m’avait vanté, donc, mais une lecture quand même très recommandée à ceux et celles qui veulent un manuel d’écriture avec une approche résolument différente du tout-venant, qui sont en grand besoin de dire « fuck it » et de se lâcher un peu, de se reconnecter avec le plaisir de l’art en parallèle avec la technique. Car il y a le solfège, il y a les gammes, mais au bout d’un moment, il faut aussi l’indispensable frisson qui fait sourire à la composition d’une bonne mélodie ou d’une scène qui déchire. Et s’il y a un truc que Weinberg fait vraiment bien, c’est vous donner envie de le traquer partout, ce sourire.

2019-06-01T14:35:31+02:00lundi 11 février 2019|Best Of, Technique d'écriture|2 Commentaires

Ten Year Challenge

Le même univers en développement continu, à dix ans d’écart : à gauche, une nouvelle, « Bataille pour un souvenir », à droite, La Fureur de la Terre, l’imposant volume III de la série « Les Dieux sauvages » (capture d’écran prise il y a quelques semaines – le volume final tournera plutôt autour des 1,4 millions de signes). Entre temps, j’ai appris : de la nouvelle à la novella, puis au roman, puis à la série, repoussant de plus en plus mon horizon et apprenant ce qui est, décidément, un métier très différent. (Écrire une nouvelle ou une série revient à savoir jouer du koto ou du violoncelle : d’accord, y a des cordes sur les deux et on fait de la musique avec, mais à part ça…)

Ça fera peut-être glousser ceux qui liront ça vu les pavés-slash-arme d’autodéfense qui me tiennent souvent lieu de bouquins ces temps-ci, mais : figurez-vous que pendant longtemps, je suis resté terrorisé au fond de moi à l’idée de ne pas arriver à trouver assez de matière pour écrire un roman entier.

Je crois qu’il faut que j’affronte les choses en face. Maintenant… ça va.

 

2019-01-30T10:35:43+01:00mercredi 6 février 2019|Juste parce que c'est cool|6 Commentaires

Découvrez les premières pages des Questions dangereuses en audiolivre [+ chronique]

Anouchka dit it again ! Elle propose quantité de lectures de qualité (joignant qualité et quantité, oui oui) sur son profil Soundcloud pour faire découvrir les premières pages des livres qui lui ont plu ; elle m’avait fait le plaisir d’interpréter le début de Port d’Âmes, et prête à nouveau sa voix aux Questions dangereuses.

C’est à découvrir ci-dessous, ou encore mieux, sur sa chronique du livre à lire sur le webzine eMaginarock (un immense merci pour cet enthousiasme !) Voilà enfin une vraie bonne raison d’installer l’appli Soundcloud sur son téléphone pour bénéficier de toutes ces belles lectures hors ligne.

2019-02-07T08:46:18+01:00mardi 5 février 2019|À ne pas manquer|Commentaires fermés sur Découvrez les premières pages des Questions dangereuses en audiolivre [+ chronique]

Découvrez la couverture de La Fureur de la Terre ! (« Les Dieux sauvages » III)

Elle a circulé ! Elle a été postée ! Je peux le faire aussi ! Joie !

Couv. Alain Brion

Oserais-je dire qu’elle dépote sa maman ? Je l’ose. Alain Brion a encore une fois parfaitement su capturer l’essence de Mériane à ce stade de son trajet, et je l’en remercie profondément. Je suis ravi de pouvoir enfin la poster en GRAND.

J’ai tellement hâte que vous découvriez ce bouquin, les amis. Publication prévue au printemps. Les infos vont arriver petit à petit, et je les répercuterai, bien sûr. Dans l’intervalle, il y a à présent sur le site une page pour le livre, qui se remplira petit à petit.

À présent qu’il est dit que la série comptera cinq volumes, mine de rien, cela veut dire que j’ai franchi la moitié. Cela me fait tout drôle : je voyage presque quotidiennement avec ces personnages depuis bientôt trois ans. Je me demande qui je serai quand nos chemins se sépareront à nouveau.

(Note : je suis en vadrouille pour quelques jours, donc ne vous formalisez pas si je mets un peu de temps à répondre aux éventuels commentaires.)

2019-03-12T18:34:22+01:00lundi 4 février 2019|À ne pas manquer|8 Commentaires

Procrastination podcast S03E10 : « Retour des poditeurs 02 (Judgment Day) »

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Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : « Retour des poditeurs 02 (Judgment Day)« .

Deuxième session de questions / réponses pour Procrastination, où Mélanie, Laurent et Lionel épluchent les commentaires et retours des poditeurs sur l’émission. Au programme :
– Une longue discussion sur l’autoédition, à partir d’une opinion différente proposée
– La rémunération des nouvelles, au pourcentage ou au forfait ?
– Comment ça, tous les auteurs ne sont pas des Rowling?
– Des dinosaures

Références citées
– Pour commenter ou poser des questions, le fil de la saison 3 du podcast sur Elbakin.net : http://www.elbakin.net/forum/viewtopic.php?id=9353&p=3
– Créer soi-même ses ebooks, par Jean-Claude Dunyach http://jean-claude.dunyach.pagesperso-orange.fr/Ebooks.html
– Pierre Grimbert
– Claire Brétecher
– Escales sur l’horizon, Serge Lehman (dir.)
– Genèses, Ayerdhal (dir.)
– Le brontësaure https://bronteblog.blogspot.com/2014/11/batman-vs-robotic-emily-bronte-saurus.html

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

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Bonne écoute !

2020-10-19T11:37:39+02:00vendredi 1 février 2019|Procrastination podcast, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Procrastination podcast S03E10 : « Retour des poditeurs 02 (Judgment Day) »
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