Je laisse encore un peu reposer les résultats de la grande consultation publique sur la newsletter (j’y reviendrai la semaine prochaine) mais il apparaît déjà un peu de demande pour un peu plus de log et un peu moins de web dans cet endroit de perdition. Ça tombe bien : voici une question complexe et compliquée pour laquelle je me suis dit, publier une réponse pourrait être utile. Avec donc des vrais bouts de parcours personnel dedans, qui n’ont donc que cette valeur : ils sont personnels.
J’aimerai avoir tes conseils sur ce sujet car mon voeu est de devenir écrivaine professionnelle à plein temps. Ma priorité est l’écriture, tout en payant mes factures. Saurais-tu quel type d’emploi à mi-temps il est possible de postuler dans le monde du livre (ou mieux, de l’imaginaire) ?
Je ne vais pas te mentir : houlà.
C’est un truisme, mais il est vrai : les parcours dans ce domaine (surtout pour l’écriture) sont éminemment individuels et, en plus, mes débuts commencent à dater (20 ans, à la louche), à une époque où le paysage littéraire était très différent. (Il y a dans ces deux / articles des passages où je détaille davantage mon « comment » et tu constateras qu’à chaque fois, j’ai « gravi » des échelons, peu à peu, en me lançant dans des choses de plus en plus complexes et sur la durée). Je ne peux pas te dire : fais ce que j’ai fait – parce que tout le monde a fait différemment.
D’autre part, la culture (même la littérature blanche) est un petit milieu qui n’a pas de sous mais est toujours à la recherche de compétences. La difficulté consiste donc à arriver à se former, à développer son savoir-faire (quel qu’il soit, pour être éditrice, écrivaine ou autre) afin qu’on fasse de plus en plus confiance en face. Et, à force de persistance (et parfois de bénévolat pour se faire la main…), les occasions arrivent. Je reposte cet article – ne prends surtout pas le ton un peu agacé pour toi (il s’adressait à une recrudescence d’étudiants branleurs à l’époque) ; par contre, je pense qu’il peut aider à montrer en filigrane comment ça marche et ce qui est attendu.
Personnellement, il se trouve que j’étais bilingue et que j’avais fait la connaissance des bonnes personnes au bon moment (j’en ai parlé à la convention française, mais je remercie notamment Stéphanie Nicot, Stéphane Manfrédo et Lucie Chenu pour m’avoir repéré), j’ai donc pu faire quelques traductions ici et là (avant de décrocher de plus gros contrats qui m’ont réellement nourri) tout en vivant de soutien scolaire à côté et de cours d’informatique au 3e âge le temps de me faire un petit nom dans l’édition, ce qui m’a mis sur le radar du milieu et ouvert quelques portes.
Pour ma part, je me suis donc jeté à l’eau en 2001, j’ai mis trois ans à publier ma première nouvelle professionnellement (« Tuning Jack » dans Galaxies en 2004 – ce qui est relativement court dans l’absolu), j’ai continué à en placer ici et là, mais j’ai mis sept ans de plus à apprendre la technique du roman et à publier le premier (La Volonté du Dragon chez Critic, 2010), entamant vraiment ma carrière d’écrivain pro. Et dans l’intervalle, je ne faisais que travailler du texte, ou du moins ceux des autres, à travers la traduction et un peu d’édition (parce que je savais déjà ce que je voulais voir ou pas dans des textes, même si je ne savais pas le faire pour moi).
Je ne dis pas ça pour te faire peur ni te décourager, mais pour que tu aies bien conscience que si tu veux gagner ta vie dans ce domaine, il faut beaucoup de temps, de persistance et que cela ne fonctionne pas comme un milieu professionnel habituel où l’on répond à des annonces pour trouver du boulot. Cela se construit par du réseau, sur la durée et le long terme, et encore aujourd’hui, j’ai de la chance que « Les Dieux sauvages » marchent extrêmement bien et me donnent une certaine aisance financière et une réputation qui m’a permis de lâcher la traduction pour me rediriger vers des ateliers et des conférences sur la créativité, mais je le peux parce que, maintenant, j’ai le CV pour montrer ma compétence ; cependant, j’ai puissamment conscience que tout cela reste extrêmement précaire. J’aurai 42 ans cette année, j’ai toujours su que je ne voulais pas d’enfants (j’ai donc peu de charges), « Les Dieux sauvages » tome V sortira en 2022, et, après, je devrai rebâtir quelque chose, pas de zéro quand même, mais je devrai prouver à nouveau ce que je sais faire à avec un nouveau projet. Et ce sera comme ça pour toujours (ou jusqu’à ce que HBO me rachète les droits de « Les Dieux sauvages », bien sûr. Je suis totalement ouvert à la négociation. Je dis ça. Au cas où. Hein.).
On peut y arriver, bien sûr, nous sommes évidemment plusieurs à l’avoir fait, mais je recommanderais quand même, comme le dit Elizabeth Gilbert dans Big Magic, d’éviter de donner à ton écriture la charge de te nourrir, surtout en construction de carrière – c’est un moyen très sûr pour se déprimer (testé et désapprouvé). La meilleure approche pour moi est celle de Cal Newport qui consiste à prendre le problème à l’envers, ce qui est particulièrement juste dans le domaine artistique à mon sens.
Voilà ce que je peux dire. Paradoxalement, je reposte aussi un article que j’ai écrit pour les jeunes férus de baleines souhaitant devenir naturalistes, mais dont beaucoup de points s’appliquent à une carrière littéraire (tout spécialement le côté « inventer sa carrière » et « accumuler les expériences »). (Je pense que l’un m’a préparé à l’autre…)
Encore une fois, je ne vais pas te faire peur, mais j’insiste sur le fait que j’ai eu la chance d’être rapidement au bon endroit au bon moment. (Et puis j’ai quand même eu mon lot de galères, hein.) Quand la chance met du temps à venir… il faut garder la foi. Il faut aimer la pression et le stress. De façon générale, j’adhère beaucoup à l’approche de Cal Newport ; je pense que, quel que soit le désir ou la vocation, il convient de réfléchir, non pas à la carrière, mais au mode de vie qui convient le mieux (et qui permettrait par exemple en l’occurence de ménager l’écriture à côté, le temps de la faire monter en puissance). En revanche… et bien, n’imagine surtout pas qu’elle te donnera la quiétude et un revenu stable.
Sauf si HBO frappe à ta porte, bien entendu…
Quoi qu’il en soit, en tout cas : meilleurs vœux ! Et beaucoup de plaisir – car, malgré ses difficultés, la vie créative est l’une des plus riches qui peut s’offrir à l’esprit.
Bonjour, ici Netflix, nous nous apprêtions à vous contacter au sujet d’une adaptation d’un de vos romans, mais puisque vous n’en avez que pour HBO… allez vous faire fuck. A la place, on fera une saison 3 de « Marseille », finalement.
Ah mais attendez, vous avez d’autant plus besoin de moi pour ça, du coup. Je vous propose d’ajouter de grosses épées et des dragons. Tout est meilleur avec de grosses épées et des dragons. Même Marseille et l’ours Grumly.
Wahou, merci pour cet article, il est très motivant 🙂 !
Hé, merci Marc, j’avais peur que ça ne fasse un peu douche froide, donc ravi que ce ne soit pas le cas ! 😃
Je ne peux qu’approuver l’approche de Cal Newport que je ne connaissais pas mais applique déjà. Après, cela implique de vraiment se questionner profondément… et ça nourrit aussi l’écriture, ça tombe bien (ou l’inverse, j’ai l’impression que l’un ne va pas sans l’autre)
Et sinon, perso, j’aime bien l’option travail en bibliothèque 😉
Tout à fait d’accord avec toi. Je peine à cerner comment on peut vouloir écrire un tant soit peu avec sérieux, sans une mesure d’introspection pour cerner désirs, envies et l’esthétique que l’on désire ! 😃
Profite bien de la bibliothèque ! 😉
Se poser la question de la vie qu’on veut… C’est tout à fait ça ! Et c’est plus facile à dire qu’à faire, surtout quand on change ! J’ai mis un temps fou à comprendre qu’il valait mieux pour moi écrire pour le plaisir que pour la gloire ou la thune (je n’ai pas dormi/voyagé/expérimenté pendant 5 ans je pensais que j’allais devenir la nouvelle J.K. Rowling, hé hé comme j’étais naïve 😀 ) Je travaille à mi-temps depuis six ans maintenant parce que je l’ai choisi, parce que je ne me définis pas qu’à travers mon boulot. Mes proches ont mis longtemps à comprendre que ce n’était pas provisoire et que je préfère avoir du temps que des sous. Bon par contre, ils n’ont pas encore tout à fait compris pourquoi je ne voulais pas d’enfants. Je pense que ce sera seulement quand je serai ménopausée, parce que pour l’instant, dans leur tête j’ai encore le temps de changer d’avis^^ Je préfère créer des bouquins que des bébés 😀
Ah, je crois qu’on est nombreux à passer par la phase de l’ambition débordante (j’ai fait aussi) ! C’est bien, à un stade, l’inconscience, ça permet de se lancer dans des trucs qu’on aurait peut-être pas osé faire 😁 Et une fois dedans, une fois que le monde nous rappelle à l’ordre, c’est là qu’il faut réussir la transition vers une approche plus saine, ce qui n’est pas toujours facile ! Mais paradoxalement, c’est ça qui libère… et qui permet du coup d’arriver dans les territoires vraiment intéressants. Bravo à toi, et ravi que tu aies su faire évoluer les choses dans la direction qui te nourrit !
Je compatis pour l’incompréhension de l’entourage, et encore, je suis un mec… Même à 40 ans passés, la question revient, alors que si j’avais voulu en avoir, j’aurais pu. Mais ça commence à se calmer. Un peu.
Faites des livres, c’est meilleur pour l’empreinte carbone 😁
Les enfants c’est merveilleux…si on les a voulu. Je compatis complètement. La société (et surtout notre entourage, en fait) met une pression énorme et voudrait qu’on ait absolument des enfants sinon on a râté sa vie. Courage, car céder à la pression ne changera rien, pire, quand on en a un premier ça continue : « alors, c’est pour quand le deuxième ». Mon opinion : une secte de reptilien fait du lobbying… c’est pas possible autrement.
C’est à soi-même de donner un sens à sa vie.
S’il y a bien une grosse injustice dans l’égalité homme-femme, elle se trouve là : à moi, on ne peut pas faire d’enfant dans le dos ! C’est d’autant plus cruel que quand ça arrive, la société a tendance à penser : « mais c’est normal qu’il assume sa paternité ! » Non, ce n’est pas normal, c’est une trahison, un non-respect de tes choix ! Dont tout le monde ou presque se fout, vu que les enfants, c’est tellement merveilleux oO
Très bon article qui résonne particuièrement pour moi aussi (je vois que je ne suis pas le seul). Tout est une question d’équilibre à trouver et la solution vient de soi, il n’y a pas d’astuce malheureusement (ou heureusement). Une journée n’ayant que 24h, il faut composer avec ce temps et donc réussir à organiser une discipline. Personnellement j’ai un enfant, un travail stressant à plein temps dans un domaine autre que la littérature, une vie de couple à entretenir et la volonté débordante d’écrire pour partager un soupçon de magie avec les autres. J’ai mis plusieurs années à tatonner pour trouver mon rythme et inclure tous les paramètres dans l’équation ( les conseils de ton blog et d’ailleurs m’ont aider aussi).
Il faut beaucoup de persévérance (pour ne pas dire d’obstination…non de folie !) et travailler encore et encore.
C’est exactement ça – ce n’est clairement pas (malgré ce que les success stories façon Amazon cherchent à vendre comme rêve) un métier de succès immédiat, tout comme on ne connaît pas d’un seul coup le succès quand on se met à la guitare ! 😅 C’est probablement l’art le plus inscrit dans la durée, entre la pratique et la réception.
Bravo à toi d’être conscient de cela, et de travailler sans relâche ! C’est une inspiration pour tout le monde. 😊