Je sais, je vous ai fait le coup avec La Guerre de l’Art, hein ? Eh bien, Comme par magieBig Magic en VO1, c’est fascinant, parce que c’est exactement le même discours, avec des moyens diamétralement opposés.

Elizabeth Gilbert – l’autrice de Eat, Pray, Love – livre dans cet ouvrage une vision de la créativité heureuse, harmonieuse, qui se libère avec amusement de l’image de l’artiste qui porte ses dons artistiques comme une croix. Un peu d’autobiographie, beaucoup d’anecdotes pour certaines vraiment drôles, et pas mal de réflexions entre la philosophie et la spiritualité tracent un discours tendre mais sans complaisance sur la vie créatrice quel que soit le domaine, qu’il s’agisse d’écriture ou (véridique) de patin à glace. Résolument opposée à une vision moderne, post-Lumières, torturée de l’artiste se soumettant à des pressions inhumaines, elle prêche au contraire une démarche presque évanescente qui place le plaisir et le jeu au centre de tout ; de la légèreté, de la disponibilité, mais aussi – et c’est là que Pressfield et elle s’alignent dans une passionnante opposition de contraires – de la persévérance, de la volonté, de la confiance en soi et en l’univers.

Car là où Pressfield a une rhétorique résolument guerrière (c’est dans le titre), parfois à la limite de la culpabilisation, prêchant l’intensité et la persévérance à tout prix, avec une victoire à emporter sur la Résistance, Gilbert se place résolument sur le terrain de la coopération avec la Muse qui nous choisit pour nous murmurer des idées et, surtout, privilégie le principe de joie. Et c’est… vraiment nécessaire aussi.

Le plus beau ? C’est qu’ils disent donc, au final, exactement la même chose, avec des mots radicalement opposés : il existe quelque chose qui nous dépasse (ce que j’appelle personnellement le Mystère) où réside la créativité, qu’on le voie comme la Muse homérique (Pressfield) ou des sortes d’esprits désincarnés (Gilbert) voire des sortes d’anges (les deux auteurs) ; le travail d’un ou une artiste consiste à se mettre en lien avec cette « chose », car la création est une voie formidablement nourrissante pour l’individu et le monde ; la seule voie pour y parvenir est la persévérance et la foi.

Si vous avez détesté La Guerre de l’Art (je sais qu’il y en a), lisez Big Magic. Je suis quasiment certain que c’est le bouquin qu’il vous faut à la place. Si vous avez adoré La Guerre de l’Art, lisez Big Magic quand même, parce que c’est une bouffée d’air frais salutaire dans la tendance à la pesanteur qu’on beaucoup de créatifs, un rappel constant à sourire, rire et travailler avec les obstacles au lieu de forcément les combattre à tout prix. Tout cela n’est qu’un tendre jeu, comme l’est la vie. L’art est à la fois la chose la plus importante et la moins importante du monde. Je trouve réjouissant, fascinant, et vertigineux de voir deux personnalités aussi différentes (d’après ce qui transparaît de leurs ouvrages, du moins) toucher à ce qui me semble être exactement le même phénomène. Personnellement, les deux m’ont nourri autant l’un que l’autre de façon complètement différente, et je sais que je finirai par m’en procurer de belles éditions pour les ranger côte à côte, réunis dans leur union au Mystère et dans ce que leur totalité représente à mes yeux.

Pour découvrir le ton drôle et chaleureux d’Elizabeth Gilbert, son TED Talk le plus court, sur la manière dont elle a repris l’écriture après le succès planétaire et inattendu et Eat, Pray, Love (pour poursuivre, jetez un œil à cette interview beaucoup plus poussée autour, justement, de Big Magic) :

  1. Et d’ailleurs, si vous pouvez, je vous encourage vraiment à préférer la version originale ici. Loin de moi l’idée de dire que la traduction est mauvaise, et les nombreux avis favorables en ligne montrent que le livre a su parler au public ; par contre, à titre personnel, le ton employé n’est pas du tout raccord avec mon ressenti de l’anglais.