Résumé des épisodes précédents : le festival Imaginales, pendant vingt ans le grand rendez-vous d’imaginaire de l’Est, a été tué par sa propre mairie en débarquant brutalement Stéphanie Nicot, sa fondatrice et directrice artistique, artisane du succès de sa manifestation. La mairie a mis en ligne un appel à candidatures pour la remplacer.
À présent, la seule réaction sensée de toute personne disposant des compétences requises devrait être de s’en tenir très, très loin. Pourquoi ? L’implacable logique, mon cher Watson, associée aux contraintes organisationnelles d’une telle machine. Jouons-la Power Point style :
Plus de 300 professionnels de l’imaginaire ont exprimé leur colère, dont dix coups de cœur du festival. Une part importante de la profession française a annoncé ne plus souhaiter s’associer aux Imaginales, or, pour faire un festival littéraire, il faut des auteurs. La réputation de l’événement a été poignardée ; qu’ils soutiennent ouvertement Stéphanie ou non, rares sont les professionnels qui voudront s’associer aux manigances iniques de la mairie…
… ce qui entraînera la désertion des partenaires du festival, dont des éditeurs et des partenaires institutionnels, qui sont beaucoup à soutenir financièrement l’événement. Pour qu’un événement se tienne, il faut de l’argent, des auteurs et du public, les trois se nourrissant mutuellement en un chouette cercle vertueux ; mais cela fonctionne aussi en sens inverse. Quand la réputation d’un événement est dans le caniveau, les auteurs et le public désertent, ce qui entraîne aussi les mécènes, accélérant toujours davantage la plongée. Surtout que…
Le milieu anglophone (et notamment américain) s’émeut à présent de la situation, comme Robin Hobb, Delia Sherman, Ellen Kushner, Cheryl Morgan. Vingt ans de travail patient pour construire la réputation des Imaginales ont été balayées d’un revers de main ; quand on sait la difficulté que l’on a déjà à faire venir des Américains en France (qui, qu’on le veuille ou non, continuent à représenter les « grosses machines » les plus populaires de l’imaginaire), la prudence leur fera privilégier d’autres événements en France.
La plupart des membres de l’équipe historique des modérateurs et des interprètes ont d’ores et déjà annoncé leur démission. Les Imaginales, c’était aussi la réputation de leurs débats et l’accueil des auteurs étrangers ; sans modérateurs ni interprètes, ça va être un peu plus dur. Je me suis retiré de la masterclass. Je ne sais pas ce que donnera le colloque universitaire. Ce qui nous amène au nœud fondamental du problème :
Les délais de l’appel d’offres rendent toute préparation sereine intenable. En effet, la date limite de dépôt des candidatures est fixée au 5 septembre ; supposons une décision rapide, prise en deux semaines (ce qui est très optimiste pour un marché public), puis le temps de reddition des décisions : on arrive à fin septembre. La nouvelle direction va se retrouver à devoir monter de toutes pièces une édition des Imaginales sans auteurs francophones, sans équipe interne, et sans auteurs étrangers car, attention surprise, on ne fait pas venir un auteur de l’étranger sans préparer les choses très en avance, et huit mois de délai, c’est trop tard pour la plupart.
Avec ce calendrier, il faudra presque certainement s’asseoir sur une anthologie officielle en 2023. Les auteurs de renom sont très occupés, il convient de les solliciter pour une nouvelle presque un an à l’avance (je parle d’expérience : j’en ai codirigé trois, des anthologies officielles), et même là, beaucoup doivent décliner. Demander des textes à des pros début octobre ? Bon courage.
Cependant, il existe une possibilité, c’est que la partie soit jouée d’avance, et que le successeur de Stéphanie soit déjà décidé en coulisses… Mais ce serait tout de même l’hypocrisie ultime de la part de la mairie d’Épinal après qu’elle a plaidé une prétendue « professionnalisation » impartiale de l’événement (on appréciera au passage que les vingt ans passés étaient donc manifestement dûs à des incapables). On rappellera que le but d’un appel d’offres et d’un marché public est justement de désigner en toute impartialité les compétences appelées pour le poste, et que commettre un tel truquage serait en directe opposition à la réglementation, sans même parler de l’état d’esprit affiché par la ville d’Épinal pour la succession de Stéphanie.
Ce n’est pas compliqué à lire : à ce stade, la personne qui décrochera l’appel d’offres est idéalement placée pour y laisser sa réputation professionnelle comme sa santé mentale. Elle se retrouva à la barre d’un navire pestiféré, sans équipes, aux financements en berne, sans têtes d’affiche, tout en se trouvant clairement la cible de toutes les critiques, avec des délais amputés de moitié, le tout pour une rémunération qui n’est clairement pas à la hauteur du travail monumental comme du risque encouru. Elle sera le proverbial agneau sacrificiel, s’épuisera à jouer le pompier sur l’incendie allumé par le maire d’Épinal – et une fois les purges accomplies dans le sang et la sueur, allez, je vous lâche un pari comme ça : elle sera débarquée à son tour, afin que quelqu’un à la réputation vierge prenne la suite pour remettre les comptes à zéro en bénéficiant du travail accompli. Visiblement, ça semble le modus operandi.
Le nom des Imaginales est irrémédiablement souillé et sa réputation ne cesse de sombrer de jour en jour – une tendance qui n’ira qu’en s’aggravant, à mesure que personne ne voudra risquer de se trouver associé à l’image désastreuse que le festival vient de prendre, surtout aux USA.
La seule décision sensée que peut à présent prendre Épinal serait de prendre acte du naufrage, de déclarer une année blanche et de remonter quelque chose de nouveau (qui convienne davantage à ses goûts) sous un autre nom, probablement peu en lien avec la littérature (puisque le rapprochement avec le cinéma et le jeu vidéo semble annoncé), probablement plus en lien avec les Imaginales Maçonniques et Ésotériques, tant qu’à faire, histoire de rendre les choses vraiment très claires.
Mais comme il y a eu très peu d’actes sensés dans cette histoire, je ne retiens pas mon souffle.
Pour les personnes intéressées, il y a beaucoup de choses à faire en imaginaire en France et au niveau de l’événementiel. Mais clairement, les Imaginales n’en sont plus le nom. Tenez-vous loin de tout ça, mes chers amis. Sauvez-vous.
Eh bien, en fait, c’est avant tout la fin de cet article qu’il faut retenir et c’est là où on peut diverger un peu avec toi et tes constats pour l’avenir. Oui, les Imaginales vont changer. Oui, ils se fichent de tous les auteurs venus ces vingt dernières années car ce n’est pas important. Le milieu dont ils se coupent n’a aucune importance car ils ne souhaitent pas continuer avec lui. Wieser l’a très bien dit. Si le pôle littéraire perdure, c’est des Le Tellier ou des Werber qu’ils veulent, pas des Faye ou des stars. Quitte à avoir bcp moins d’auteurs. Et des stars, ils en veulent dans d’autres domaines, comme la BD, le jeu vidéo, les youtubeurs, le ciné. Toute cette brochette de stars fera leur prog. Alors ils s’en foutent des remous et des boycotts car les partenaires qu’ils souhaitent sont loin du petit milieu de l’imaginaire. Et si le nom qui a filtré pour reprendre le flambeau de Nicot est réel, eh bien c’est la porte ouverte au showbiz, et il n’aura pas de mal à monter en accord avec la nouvelle forme du festival un festival à cette image.
« Pas des Faye ou des Davoust mais des satrs » il fallait lire
ça me fait bien marrer s’ils essaient de faire venir des gens du JV en fait… parce que les prix pour les bouger c’est pas les mêmes que les auteurs XD
Les pros du jeu vidéo, hors de prix ? Moi je veux bien venir pour le prix du trajet et de l’hébergement… Ah mince, ils ne veulent pas des pros que des stars ! Ah ok, tant pis 😅
Mais que fais-tu là Laurent ? 😉
comme ils en auront moins, ça le fera.
Personne avec un tans soit peu de santé mentale en bonne état n’acceptera de monter à l’échafaud ! C’est vraiment un piège.
Un nom a beaucoup circulé, pour la reprise de la DA des Imas.
Cette personne pretend qu’il n’y a pas eu de tractations avec elle, et qu’au moment où elle m’en a parlé ( il y a moins d’une semaine), elle ne savait toujours pas si elle répondrait à l’appel d’offre.
Il faut dire que la stormshit qu’a soulevé l’éviction de Stéphanie a du sérieusement la faire réfléchir, lol.
Concernant les festivaliers, il ne faut pas oublier qu’à part les visiteurs de la région, les gens venaient pour rencontrer leurs auteurices préféré.e.s.
La désertion de ceux-ci entraînera celle de ceux-là.
Le public de l’imaginaire est un public fidèle à ses auteurices préféré.e.s.
En bref, d’un festival national ( et presque international), les Imas deviendront un festival régional.
Pace que soyons honnêtes : des Letellier, Werber et influenceurs divers et variés, on en voit dans chaque salon généraliste régional.
Quel francilien va payer le trajet et l’hébergement pour rencontrer une vedette qu’il peut croiser à Livre Paris ou St Maur en poche ?
Quel aquitain en fera de même alors qu’il peut aller à Brives à moindre frais ? Pareil à Nancy pour le livre sur la place.
Et on peut répertorier ainsi toutes les régions.
Restent donc deux possibilités :
La création d’un nouveau festival d’envergure
La transformation d’un festival régional existant en festival d’envergure nationale, voire internationale.
Pour cette seconde possibilité, peu de candidats envisageables : Les Aventuriales n’ont pas vocation à s’agrandir.
Qui reste-t-il ? Peut-être l’Ouest Hurlant ?
Personnellement, je ne connais ce dernier que de nom et ignore dans quelles conditions il se déroule.
On va me retorquer qu’il reste les Utopiales. Ce n’est pas faux, cependant, ce festival a, à mes yeux, quelques défauts structurels.
Tout d’abord, c’est d’abord et avant tout un festival de SF. Et les tables rondes et conférences tournent d’abord et avant tout autour de la science pure et dure, et donc peu accessible aux non scientifiques ou passionnés de sciences.
Ensuite, il se déroule dans un lieu fermé. Pour les TSA, la foule et le bruit permanent sont quasi insupportables.
Enfin, les auteurices sont beaucoup moins accessibles qu’ils ne l’étaient à Épinal.
Je rêve d’un festival regroupant toutes les variantes de l’imaginaire, sous des barnums, dans un parc, avec une bulle où l’on pourrait discuter avec les invités sans obligatoirement acheter de livres, où il serait aisé de boire un verre avec eux.
Bon, en gros, je rêve d’Imaginales sauce Nicot, ailleurs qu’à Épinal, puisque pour moi, les Imas à Épinal sont mortes.
Chapeau bas pour cet article, Lionel ! Tu y raconte et confirme, avec style et pédagogie, beaucoup de choses que j’entendais déjà murmurer tous bas par mes amis auteurs.
Je n’ai qu’un mot sur cette affaire : quel gâchis.
Petite mention spéciale au « probablement plus en lien avec les Imaginales Maçonniques et Ésotériques, tant qu’à faire, histoire de rendre les choses vraiment très claires. », qui m’a fait explosé de rire et de tristesse pour ce que sont devenus les Imaginales et le travail de titan de Stéphanie Nicot.
C’est possible que la « professionnalisation » (en fait, c’est long à écrire ce mot !) ce serait surtout un business plan avec l’objectif d’en avoir pour son argent. Une machine rentable. Peut-être gérée à terme par une entreprise style Geekfest ? Et là, à court ou moyen terme, adieu la gratuité de l’entrée.
Je fais aussi le même constat que Lionel : ce sera une transformation complète en poussant la littérature en arrière-plan (avec quand même des « stars »). Ça peut plaire à un très large public, et même devenir un festival très chouette qui sait ? Mais il ne restera rien des Imaginales.
Pensées à Stéphanie et tous ceux qui ont construit les Imaginales.
Et je dois souligner que j’en rien contre Hervé Le Tellier, bien au contraire 🙂
J’avais discuté de tout ça avec Stéphanie à Ouest Hurlant… Ce qui est clair c’est que ça arrange la municipalité de transformer les imaginales en Comicon à l’européenne. Je pense qu’ils s’en foute de l’envergure. Ils auront le public qui va avec et les retombées commerciales qu’ils souhaitent. Ça prendra peut-être trois/quatre ans max pour lancer le truc, mais c’est acté. On aura un événement soit-disant vide politiquement parlant qui surtout ne fera pas de remous en restant dans la frange majoritaire d’une opinion au mieux misogyne et paternaliste, avec des vikings (c’est bien les viking c’est viril).