Je ne joue plus à WoW depuis environ 2009 (j’ai publié mon premier roman en 2010, coïncidence ? je ne crois pas) mais je garde une tendresse spéciale qui ne peut être due qu’à un syndrome de Stockholm avancé en repensant au farm des feux élémentaires pour les potions de résistance nécessaires pour Molten Core, surtout quand je constate que mon cerveau a totalement effacé la géographie d’Azeroth que je connaissais pourtant autrefois mieux que le topologie de ma propre rue, de la même façon que j’ai oublié comment diagonaliser une matrice au lendemain des concours d’école d’ingénieur. Tendresse, donc, et (merci Topa pour l’info), Blizzard prépare la dixième extension de WoW, intitulée The War Within, première d’une trilogie formant une seule et même saga.
Si vous ne suivez pas le lore de WoW, c’est un joyeux foutoir à base de voyages interplanétaires et interplanaires où, dans les dernières additions, on combat même la mort (car même la mort peut mourir, disait l’autre), et d’ailleurs, les orcs ne sont pas des méchants, mais en réalité des extraterrestres (je suis sérieux). Dernièrement, il semble qu’on apprenne que les planètes sont en réalité des titans (ouais, bon, des dieux) en devenir et le dieu méchant (Sargeras) veut tuer la planète, une idée qui me rappelle un peu perso les réacteurs Mako de FF7 mais bon, c’est compliqué d’inventer un grand concept qui puisse se prêter à du loot épique. J’ai l’air chafouin comme ça mais pas du tout : j’ai une sincère affection pour le lore de WoW justement parce qu’il part dans tous les sens et il est réellement difficile de menacer la planète tous les ans pour intéresser les joueurs à la prochaine chasse à l’arme violette. Et puis, allez résumer trente ans de background en un seul paragraphe. Donnez-moi une cassure.
Bref. Sargeras, c’est le grand méchant de l’univers depuis littéralement le début, et on entre comme qui dirait dans l’échelle épique, à ce stade : quand on commence à péter des planètes entières, on s’approche dangereusement d’une inflation des enjeux que j’appelle personnellement le syndrome Dragon Ball Z. Lequel est caractérisé par une démesure tellement exponentielle de la puissance des personnages et/ou des enjeux qu’ils en deviennent paradoxalement abstraits, risquant un dangereux désengagement du lecteur ou spectateur. Pour le dire autrement : quand on commence à dézinguer des planètes, on n’a plus beaucoup de marge de progression à part dézinguer des systèmes solaires, puis des galaxies, puis on entre dans les délires des multivers et là, l’exemple des super-héros nous montre bien qu’on commence à coincer et que, pour le dire poliment, ça devient du gros nawak dont on se bat les gonades.
Pourquoi les films et comics de super-héros reviennent-ils toujours à l’origin story et nous la remixent-ils cent douze fois plutôt que de remixer l’arc où la version Vega-9000 d’Iron Man en ascension céleste a sauvé trois univers parallèles ? Parce qu’en imaginaire, nous avons besoin de deux dimensions potentiellement opposées : les enjeux, que nous tendons à vouloir cosmiques (on écrit de l’univers aussi pour pouvoir péter des planètes, hein) et l’attachement aux personnages, qui s’appuie à l’inverse sur l’intime. Et l’on n’est jamais aussi bon que quand on arrive à relier l’un à l’autre, ce qui passe souvent par l’implication de l’intime dans la destruction desdites planètes, mais ça n’est pas toujours facile à naviguer.
Les développeurs de WoW ont déclaré en toutes lettres que non, ça n’était pas la fin du jeu, qu’ils avaient encore dix extensions en stock, et je veux bien les croire en termes de gameplay, tout comme il leur est bien évidemment impossible de déclarer quoi que ce soit d’autre, que ce soit pour l’implication des joueurs dans le jeu que pour la valeur des actions d’Activision-Blizzard. Mais quand même, je suis forcé de m’interroger : après avoir vaincu littéralement la mort et peut-être flingué Sargeras, la cause première de Tout Ce Qui Déconne™ dans cet univers, où la narration pourra-t-elle bien aller ? Qu’est-ce qu’on peut bien faire après ? Personnellement, je trouverais intéressant de varier les plaisirs et de revenir à quelque chose de plus intime, mais je ne crois pas un seul instant que la fanbase s’intéresse à WoW : Mon Petit Commerce De Proximité™ après avoir probablement tué Sargeras à coup de tétralaser multimagique dans un Goldorak spatial alimenté par trois Naaru, le sacrifice de Sylvanas Coursevent et l’esprit d’Arthas Menethil revenu une énième fois pour un cameo.
Qu’est-ce qu’on retire de ça ? Un bouquin n’est pas un jeu vidéo et dans un jeu, le lore est secondaire au gameplay ; les délires multiplanaires n’ont pas dérangé D&D et Magic: the Gathering supporte visiblement les hybridations les plus invraisemblables.
Un roman ou un série, en revanche, n’ont que leur histoire, duh. Et du coup, on en retient une leçon pour nous : l’importance des enjeux n’est pas directement corrélée à leur envergure. Ce qui compte, c’est leur importance pour les personnages. Et c’est avant tout là que l’on peut mettre à profit narrativement l’une des plus vieilles stratégies de survie du monde animal : l’empathie pour nos semblables, qui véhicule alors le sentiment, laquelle entraîne l’implication.
Super intéressant , ce décalage entre volonté d’enjeux ( forcément cosmique ) et évolution la plus intimes des personnages . Quel est l’œuvre qui reussi au mieux ce décalage d’après toi ? J’irai bien pencher du côté de zelazny et son affection pour les dieux , que ce soit Ambre ou plus caché l’île des morts 💀
Je n’ai pas d’exemple hyper flagrant qui me vient, parce que je pense que c’est quasiment nécessaire pour faire fonctionner une intrigue – et on trouve ça dans quasiment toutes les œuvres qui restent (les autres faisant figure d’exemple à part, comme Dragon Ball Z, justement…). Zelazny est un excellent exemple en effet, le démarrage de la baie de Tokyo dans L’Île des Morts reste une des plus splendides pages de l’imaginaire 😃
J’ai arrêté WOW quand j’ai commencé ma deuxième année d’étude à la fac parce que…fallait faire un choix entre réussir à suivre les cours et s’amuser. Et comme je suis un gars plutôt chiant j’ai choisi de réussir en cours (mais vu la suite de mes études, j’aurais peut-être dû jouer…)
Bref, je suis tellement en phase avec cet article que j’aurais presque pu l’écrire (presque).
C’est un truc que j’ai compris assez tôt par ma pratique de l’écriture et en lisant, en regardant des films et des séries. DBZ bien sûr, mais aussi le MCU (en particulier Avenger). C’est un truc qu’on voit aussi chez les auteurs débutants (et je sais de quoi je parle, j’en suis) les héros/héroïnes ont toujours des pouvoirs de fous et ça amène à la surenchère si on veut que les « méchants » soient crédibles.
Or, quand on regarde dans le détail il y a souvent un truc qui revient dans les oeuvres : le duel. Même John Wick (question surenchère d’effet on est bien), ça finit par un duel. On rapporte toujours les enjeux à quelque chose de plus intime, de plus proche, j’oserai dire de plus incarné. (je pense à un certain duel dans le tome 4 des Dieux Sauvages). On peut faire péter des planètes, c’est cool, mais ce qui nous touche intimement et profondément c’est quand un ou une protagoniste ressent intimement un effort, quand l’humain que nous sommes éprouve ses limites – et les dépasse.
Mais ce n’est que mon avis.
Super intéressant : le coup du duel, je ne l’avais même pas analysé, mais tu as tout à fait raison. (C’est aussi un trope de nos genres ! On attend le face-à-face épique, Iron Man Vs. Thanos, Cloud Vs. Sephiroth, Seiya Vs. Hadès et j’en passe)
En fait, tout cela nous ramène quasiment toujours à la deuxième loi de Sanderson, que je trouve la plus intéressante car la plus contre intuitive : les limitations sont plus intéressantes que les pouvoirs. Ce sont les limitations qui donnent du conflit, donc des histoires ; et c’est, comme tu le dis, cela qui nous ramène à notre humanité et, à terme, à notre empathie.
Je dois me confesser. J’ai repris wow il y a peu. Parceque l’annonce d’une extension titille beaucoup trop la nostalgie de mon adolescence.
Mais je dois dire, justement, que l’annonce pour la suite du lore me plaît.
Après Sargeras, il y a le Vide (contre lequel Sargeras luttait), l’entité cosmique qui veut bouffer l’univers, en gros. Et ça fait du bien, car depuis trois extensions, on avait droit qu’à des histoires « secondaires » franchement fades (Dragonflight étant la pire à ce niveau), avec des méchants dénués de charisme, expédiés dans l’oubli en 2 mois.
Donc revenir à plus intime, je ne suis pas certain que ça colle, au contraire. Par contre ça marche super sur FFXIV, car c’est dans leur ADN !
Et d’ailleurs, les dernières histoires de wow illustrent parfaitement comment NE PAS écrire un antagoniste. Et comment, finalement, malmener des protagonistes avec tout un tas de problèmes et de limitations physiques et psychologiques, ouvre davantage de possibilités. Ce qui est très contre-intuitif.
Tu m’intrigues ! Merci pour le retour, je suis super curieux que tu m’en dises plus la prochaine fois qu’on se voit. En tout cas, oui, l’intime pour limiter l’action est quand même beaucoup plus intéressant… car beaucoup plus humain. Dark Vador prend sa dimension de méchant quand il « devient » le père de Luke et quand on apprend qu’il a chuté. Avant ça, il est classe, mais juste un méchant qui fait peur… c’est limité à long terme.
Cependant, si Sargeras combattait « un truc encore plus gros », surtout si c’est le Vide, à un moment, ne risque-t-on donc pas d’arriver au bout du concept ? Pour faire fonctionner une menace existentielle incommensurable (ce qui atteint, je pense, un plafond), il faut en effet le relier au personnel.
Misère, je voulais poster un commentaire. Pas répondre. Désolé pour la pollution.
Article intéressant, je suis moi même curieux de savoir ce que WoW va devenir, même si ça fait bien 10 ans que je n’y joue plus.
Ce jeu arrive encore quelque fois dans les conversations et c’est un bon moyen de se faire des potes. C’est fou le nombre de gens qui y jouait à l’époque..
C’est clair, je crois que ça culminé vers 11-12 millions de joueurs, soit la population de la Grèce…