Cher Docteur U.,
Je vous écris aujourd’hui pour, je l’espère, apaiser votre conscience – à défaut de celle des patients qui ont défilé dans votre cabinet en vain.
Il y a environ un an de cela, suivant le parcours médical habituel, je vous ai demandé rendez-vous pour une vasectomie. Ce genre de consultation est routinier pour vous, ainsi, sans doute aucun, que le discours que vous m’avez tenu ; aussi replacerai-je les circonstances de notre entrevue pour fixer les événements. Celle-ci faillit en effet être très courte et j’ai envisagé de partir sur l’instant – la première question que vous m’avez posée fut celle-ci :
« Avez-vous des enfants ?
— Non, vous ai-je répondu.
— Alors, je ne peux pas vous la faire », avez-vous immédiatement et catégoriquement rétorqué.
Pour quelle raison ?
« Et si jamais vous changiez d’avis ? »
Cher Docteur U., au cas où vous auriez oublié ma réponse, j’aurai 45 ans cette année. Je vous prie de croire que n’étant plus vraiment un perdreau de l’année à ce stade, si j’avais voulu en avoir, des enfants, j’aurais pu saisir quelques occasions de l’existence. J’ai toujours su, depuis très jeune, que je n’avais aucune fibre parentale, aucune envie d’être père ni de “prolonger ma lignée” ; mettre ma compagne enceinte m’a toujours terrifié ; les enfants ne m’évoquent au mieux pas grand-chose ; je ne sais interagir avec eux que quand il abordent le lycée, c’est-à-dire en réalité quand ils deviennent adultes – CQFD. En outre, ce n’était pas une décision que j’envisageais seul, mais en concertation avec ma compagne.
Quand je vous ai fait valoir ces arguments, vous m’avez renvoyé, je l’avoue, une crainte que je n’attendais pas :
« Mais imaginez de quoi j’aurai l’air auprès du personnel du bloc opératoire ? Opérer ainsi un homme sans enfants ? Comment va-t-on me juger ? »
Je vous répondrai aujourd’hui librement le fond de ma pensée, cher Docteur U. : que si vous n’avez pas le courage d’assumer un geste opératoire réalisé à la demande du patient devant votre personnel, ou que, si vous avez besoin de vous cacher derrière un argument aussi pitoyable pour décliner la demande du patient, dans un cas comme dans l’autre, vous n’avez pas tant un problème de conscience que de courage.
À qui êtes-vous redevable en premier lieu : le patient, ou votre réputation ? Préférez-vous que des gens, convaincus que la parentalité n’était pas pour eux, risquent de semer sur leur route des enfants abandonnés et malheureux ? Ou bien tenez-vous à continuer à faire porter le poids de la contraception sur les femmes ? Ou encore, faites-vous juste preuve de paresse intellectuelle, refusant de vous informer sur l’évolution des techniques médicales et des mœurs de notre siècle ? Vous me sembliez pourtant bien de dix ans mon cadet.
Devant la bêtise d’une telle réponse, je n’ai eu d’autre choix que de recourir à l’argument de la loi, laquelle stipule que la vasectomie peut être réalisée chez tout homme majeur à la demande de celui-ci. Je peine encore à croire à la réponse que vous m’avez faite, laquelle, de la part d’un médecin, est inquiétante :
« Vous êtes probablement mieux renseigné que moi… »
Docteur U., j’espère ne pas vous “renseigner” en outre en vous apprenant qu’il est possible depuis des décennies de congeler des gamètes, de toute façon, et que la vasectomie, dans ce contexte, bien qu’étant un geste qu’il faut considérer définitif, n’est pas non plus une démarche absolument irrévocable ; dans la probabilité infime où je changerais d’avis, le corps médical m’offre néanmoins d’autres possibilités de procréation.
Vous avez lu, je pense, l’agacement et la consternation sur mon visage face à votre entêtement et la bêtise de vos arguments. Néanmoins, ayant décidé de longue date de rester civil et courtois plutôt qu’agressif et vociférant, j’ai contenu ma colère :
« Vous me donnez aujourd’hui une grande leçon, Docteur U., vous ai-je répondu avec toute la contenance dont j’étais capable.
— Quoi donc ? avez-vous répondu d’un air un peu déconcerté.
— C’est très instructif, ce qui m’arrive. En cet instant, je peux entrevoir de l’intérieur, l’espace d’un bref instant, ce que vivent au quotidien les femmes à qui l’on nie le droit de disposer de leur propre corps. »
Ça ne vous a pas plu. Ça n’était pas fait pour.
Ce qui fut instructif également, c’est que vous êtes aussitôt parti sur une diatribe sur l’avortement – dont vous connaissiez là étrangement bien le cadre légal. Toutefois, je sais que je suis un biologiste un peu périmé, mais il m’a peiné d’avoir à vous rappeler la différence entre un embryon et un gamète.
Vous avez fini par capituler à demi en soutenant qu’il vous fallait « demander l’avis de vos mentors » à Paris, pour savoir si vous aviez, en toute bonne foi, le droit d’opérer un homme de mon âge, dans ma situation, à sa demande. Je ne peux là que louer une fois de plus, Docteur U., le courage de votre conscience. Vous avez fini par me laisser un message une semaine plus tard en me signifiant votre consentement. Pour ma part, vous pouviez bien vous brosser.
Le plus triste dans tout cela est que je cherchais avant toute chose à me renseigner sur les procédures dans cette entrevue. Il va sans dire que dès notre premier échange, j’ai su que je ne pouvais vous faire confiance. D’autre part, la France oblige encore, en 2023, quatre mois de délai de réflexion légal dans le cas de cette procédure – je cherchais surtout à lancer ledit délai pour pouvoir être prêt à réaliser la procédure quand la décision finale serait prise et que mon emploi du temps s’y prêterait.
Docteur U., depuis, j’ai fait réaliser ma vasectomie en Australie. Là-bas, personne n’a porté le moindre jugement sur mon choix. Le médecin qui m’a suivi, pourtant un grand nom d’une clinique de fécondité de Melbourne, n’a pas une seule fois questionné ma décision ni cherché à insuffler le moindre doute. Quand je lui ai timidement demandé les délais pour l’opération, il a éclaté de rire en me disant que ce pouvait être fait la semaine prochaine si je le souhaitais.
L’opération elle-même a été réalisée avec une technique de micro-incisions ne nécessitant qu’une anesthésie locale, apparemment inventée dans les années 1970, mais encore largement ignorée du corps médical. Entre le moment où j’ai garé ma voiture et où je l’ai reprise, il s’est passé en tout et pour tout trente minutes, et je suis rentré par mes propres moyens, en gobant juste un anti-inflammatoire. Je suis resté évidemment au calme pendant la semaine qui a suivi, mais tout bien considéré, j’ai connu des opérations dentaires bien plus lourdes.
Pour toute la modernité dont elle se targue, la France est encore outrageusement arriérée pour ce qui concerne le droit à disposer de son corps, comme en témoignent les droits des personnes transgenres ou, pour mon cas, la capacité à disposer de sa fécondité comme je le souhaite. Que vous en ayez conscience ou non, que vous le vouliez ou non, vous faites, Docteur U., partie du problème.
Savez-vous ce que j’ai ressenti sur la table au beau milieu de la procédure ? Une puissante ivresse de liberté : celle d’avoir agi conformément à mes valeurs personnelles, d’avoir pris en main mon destin, mon corps, et de pouvoir enfin contribuer à une charge du couple (la contraception) pour laquelle j’étais traditionnellement impuissant (ha). Pourtant, la solution est simple, et elle existe ; la vasectomie n’est pas dans les mœurs françaises, mais c’est une opération absolument bénigne (j’en témoigne) et tout à fait acceptée dans les pays de tradition anglaise. Que fait la France ?
Docteur U., vous avez voulu me priver de tout cela au nom du regard des autres sur vous et de votre ignorance de la loi, mais contre toute attente, je n’ai pas une si mauvaise opinion de vous que je croie véridiques vos arguments imbéciles. Je pense surtout que vous défendez des convictions tristement surannées sur la natalité et la parentalité, sans comprendre ni accepter que tout le monde ne les partage pas, que des choix différents sont possibles et bienvenus, et surtout qu’il est plus que temps de foutre la paix aux gens qui sont sans enfants par choix quand la planète craque aux entournures et que des millions de mômes crèvent déjà de faim.
Mais donc, Docteur, je vous en prie, dormez tranquille ! Un autre que vous aura porté la responsabilité de mon bonheur.
Pas cordialement,
LD.
Initiale changée pour respecter l’anonymat de l’intéressé.
Bravo ! Je m’incline (de respect).
V.
Merci beaucoup – mais il n’y a pas de quoi ! Je suis têtu et j’ai toujours été clair sur ce que je (ne) voulais (pas) 😉
Salut Lionel,
Ça fait un sacré bail, j’espère que tu vas bien.
Je dois avouer que mon premier réflexe – et il est triste, c’est clair -, c’est d’avoir pensé “yeah, ça n’arrive pas qu’aux femmes” (limite j’ai dit “c’est cool” dans ma tête.)
Merci pour ce billet qui défoule bien, en tout cas 🙂
Merci Kalys ! Espérons que nous puissions collectivement niveler par le haut sur ces questions comme tant d’autres ! 🙂
Quel excellent texte. Bravo et merci de l’avoir écrit.
Je suis très honoré de votre visite, docteur. Merci beaucoup ! En espérant que nous puissions faire connaissance en personne sur un salon ou autre 🙂
Ici en Belgique, à Liège plus précisément, j’ai pu subir cette opération sans contrainte, à 45 ans et sans enfant également. Mais chez nous, on semble quand même bien plus avancé qu’en France sur toute une série de questions liées à la liberté de disposer de son corps et de sa vie (vasectomie, ligature des trompes, avortement, euthanasie…). Tout n’est pas rose et des contre-courants s’expriment parfois mais heureusement, avec bien moins d’importance et de médiatisation qu’en France 🙂
Bon vent en Australie 🙂
Merci beaucoup ! Et ravi que l’opération ait pu se dérouler tranquillement et sans encombre. J’espère que la France va prendre conscience de son retard…
Il est navrant de constater combien le paternalisme médical est encore vivace dans notre pays.
Globalement, c’est la propension de mes confrères à penser à la place de leurs patients et à considérer qu’ils sont immatures par nature qui me laisse pantois.
Notre boulot est d’informer, d’accompagner, pas de juger.
Et si l’on se trouve être en désaccord “philosophique” avec ce que le patient demande, il y a la “clause de conscience” pour cela, mais au moins, on l’annonce d’emblée et on ne fait pas perdre de temps à soi comme au patient.
Bref, merci de ton témoignage, et content de savoir que tu as tout de même pu agir selon ta conviction, même s’il a fallu aller à l’autre bout du monde pour cela.
Merci beaucoup Germain pour ton message et ton soutien ! Ainsi que d’avoir clarifié comment fonctionne la clause de conscience. Effectivement, même si j’aurais grogné, un entretien clos en cinq minutes aurait sans doute rendu l’expérience beaucoup moins pénible pour moi comme pour lui 🙂