Il est à présent bien admis dans les cercles d’écriture que writing is rewriting – « écrire, c’est corriger » – c’est-à-dire que le premier jet d’un manuscrit est très souvent imparfait, et sera (r)affiné par la phase de correction. C’est juste et nécessaire, et nous le répétons souvent dans Procrastination.
Cependant, il ne faut pas sous-estimer la vérité et l’énergie du premier jet. Il y a dans la rédaction une vie et une authenticité, correspondant à la découverte de l’histoire, à son vécu aux côtés des personnages, qui me semble impossible à répliquer une fois ce chemin accompli une première fois. (On ne se baigne pas deux fois dans la même rivière, disait l’autre.) Il est possible, et fréquent, de vouloir corriger tellement son premier jet, d’y chercher tant la perfection (voire, pire : d’espérer se conformer à ce que l’on fantasme des attentes éditoriales) qu’on y lisse toute l’originalité et toute la vie qui s’y trouve. (Testé et désapprouvé : il m’arrive souvent de vouloir corriger une scène en cours d’écriture, parce qu’elle est difficile, et chaque fois que je le fais, je termine avec une v2 invariablement moins vivante, beaucoup plus scolaire. C’est pourquoi je conserve toujours mes v1.) C’est dommageable pour l’œuvre, comme pour l’espoir d’édition (si c’est ce que l’on cherche) : un manuscrit vivant et sincère, même emprunt de défauts, séduira toujours plus qu’une histoire engoncée dans les limites fermes qu’on lui a imposées.
Donc, writing is rewriting, oui, mais uniquement quand il s’agit de porter plus haut cet élan vital initial, ou alors, de réécrire totalement autre chose parce que l’histoire a pris un mauvais virage. La meilleure façon d’éviter de tuer la vie de son manuscrit, je crois, consiste à s’astreindre à corriger le plus tard possible, et surtout pas une scène en cours d’écriture. Il est vital de juger son travail sans être teinté par le découragement lié à la difficulté de la réalisation même, et pour cela, il faut du temps (ou un bon coup sur la tête).
Alors c’est plutôt plaisant de lire ça, mais j’avoue être embêtée. Je vais être honnête, quand je relis mon premier jet, en général, je le trouve très bon. Au point que je me sens en porte à faux avec cette idée que les corrections c’est le plus gros du travail. D’ailleurs, mes corrections restent de surface, à une exception notable je n’ai encore presque jamais eu besoin de toucher au fond, à la structure, c’est surtout des ajouts de description et « d’enlever le gras ».
Résultat, j’ai une sorte de paradoxe de Schrödinger version écrivain : en même temps je me dis que, m’a foi, mon premier jet doit être plutôt bon et puis c’est comme ça (certains on besoins de déblayer en écrivant et réécrivant, là où vraisemblablement je le fait en amont dans mon cerveau), et en même temps je me dis que je dois avoir de la merde dans les yeux pour ne pas voir les défauts de mon texte, d’autant que je suis une autrice débutante. Je me sens donc à la fois super douée et super nulle, et ce n’est pas très agréable ><
Quand je suis corrigée par d’autres, ben c’est plutôt là encore que des corrections de surface, donc je suppose que je devrais prendre confiance en moi, mais c’est très difficile, surtout quand tu es une autrice débutante qui doute de tout IRL (troubles anxieux tout ça).
Donc en résumé, j’ai honte d’avoir le sentiment que mon premier jet est très bon, je me dis que ce n’est pas normal… mais ça l’est peut-être ?!
S’il est bon, il est bon. Ça n’est pas du tout exclu ni impossible.
Mais il est vrai aussi que le jugement s’affine avec l’expérience et l’humilité me paraît une bonne qualité !
En conséquence de quoi, je dirais que ton parcours doit se nourrir des deux – continuer à travailler ta confiance et ton plaisir dans ce que tu fais (n’en aie pas honte, surtout si c’est déjà présent) mais humblement, aussi, lire et recevoir de la narration de tous les horizons pour affiner ton jugement. Les deux se nourrissent en parallèle, et on est appelé à évoluer toute sa vie en tant qu’auteur.rice.
Oui tout à fait. Après pour les grands stressé.e.s comme moi, ça fait du bien quand on a des repères au milieu du lâcher prise que demande l’écriture et la réécriture. Je viens de corriger un premier jet d’il y a quelques années, et ce qui m’a fait beaucoup de bien c’est que je commence à comprendre ce que j’ai besoin de corriger et comment.
Par exemple dans ce texte l’intention n’était pas assez marquée, et le fait de travailler sur l’ambiance et de renforcer les enjeux a poussé mon intention plus loin. Vous aviez beau répéter dans Procrastination l’importance de cette intention, que bien sûr je plussoie, je ne savais pas comment concrètement la renforcer. Alors quand on trouve la solution, qui bien sûr est propre à chacun sinon ça ne serait pas drôle, quel soulagement !
C’est d’autant plus important pour moi que je bloquais sur les corrections de mon roman pour tout un tas de raisons psy mais aussi parce que je ne comprenais pas du tout les corrections amenées par le correcteur que j’ai payé pour. Il a fallu que ça se décante inconsciemment, pour enfin commencer à se préciser par la pensée. Quel drôle de chemin, mais enfin voilà, ça passe par un ressenti, disons, organique, hein ? clin d’oeil avant de passer par le cerveau, alors que j’essayais de faire l’inverse. C’est quoi l’expression consacrée déjà ? L’eau arrive toujours au bout du chemin même en faisant des détours ?
J’aime bien le « nature finds a way » de Jurassic Park, parce que tout est quand même mieux avec des dinosaures 😁
Ravi que les choses se soient décantées, et cela ne cessera jamais, ce qui est une des beautés de la pratique. On trouve toujours à (se) raffiner, ce n’est pas un chemin pour les succès rapides ; et personnellement, je trouve ça merveilleux. Bonnes suites à toi !