Il est à présent bien admis dans les cercles d’écriture que writing is rewriting – « écrire, c’est corriger » – c’est-à-dire que le premier jet d’un manuscrit est très souvent imparfait, et sera (r)affiné par la phase de correction. C’est juste et nécessaire, et nous le répétons souvent dans Procrastination.

Ou l’inverse.

Cependant, il ne faut pas sous-estimer la vérité et l’énergie du premier jet. Il y a dans la rédaction une vie et une authenticité, correspondant à la découverte de l’histoire, à son vécu aux côtés des personnages, qui me semble impossible à répliquer une fois ce chemin accompli une première fois. (On ne se baigne pas deux fois dans la même rivière, disait l’autre.) Il est possible, et fréquent, de vouloir corriger tellement son premier jet, d’y chercher tant la perfection (voire, pire : d’espérer se conformer à ce que l’on fantasme des attentes éditoriales) qu’on y lisse toute l’originalité et toute la vie qui s’y trouve. (Testé et désapprouvé : il m’arrive souvent de vouloir corriger une scène en cours d’écriture, parce qu’elle est difficile, et chaque fois que je le fais, je termine avec une v2 invariablement moins vivante, beaucoup plus scolaire. C’est pourquoi je conserve toujours mes v1.) C’est dommageable pour l’œuvre, comme pour l’espoir d’édition (si c’est ce que l’on cherche) : un manuscrit vivant et sincère, même emprunt de défauts, séduira toujours plus qu’une histoire engoncée dans les limites fermes qu’on lui a imposées.

Donc, writing is rewriting, oui, mais uniquement quand il s’agit de porter plus haut cet élan vital initial, ou alors, de réécrire totalement autre chose parce que l’histoire a pris un mauvais virage. La meilleure façon d’éviter de tuer la vie de son manuscrit, je crois, consiste à s’astreindre à corriger le plus tard possible, et surtout pas une scène en cours d’écriture. Il est vital de juger son travail sans être teinté par le découragement lié à la difficulté de la réalisation même, et pour cela, il faut du temps (ou un bon coup sur la tête).