L’étrange quête d’acheter un CD en ligne en 2025

Les années 1990 de Tangerine Dream sont un peu, disons, controversées. La technologie se développant, le groupe rompt avec ses racines expérimentales (Phaedra, Ricochet, Rubycon, Tangram, Stratosfear, Hyperborea…) pour embrasser les nouveaux sons qui deviennent disponibles notamment à travers la synthèse FM et le sampling, mais le résultat convainc assez peu les fans de la première heure. Melrose, Goblins’ Club font hausser des sourcils dubitatifs ; mais, pour être entièrement juste, ils ne sont pas les seuls à peiner à prendre ce virage – la quasi-totalité des grands pionniers de l’électronique se perd aussi à cette période1. Apple Music fait même apparaître un trou curieusement suspect sur cette période, omettant un paquet d’albums pour un groupe qui a pourtant plus de cent sorties studio :

(Ils auraient aussi pu s’abstenir de laisser Tyger, mais ça reste un album historique, pas forcément pour de bonnes raisons.)

J’ai une copie d’époque de Goblins’ Club numérisée depuis belle lurette, que je me remets parfois pour la nostalgie (même si ça n’a pas bien vieilli non plus) et, me baladant au hasard, je découvre une chronique de l’album mentionnant que le meilleur de cette période un peu difficile serait Mars Polaris. Tiens donc ! Je ne le connais pas (en même temps, à moins d’être un fan très hardcore, c’est difficile de tout connaître de TD, et pour ma part, je suis bien plus Virgin Years), mais qu’à cela ne tienne, on est en 2025, ça se trouve, hein ?

Eh bien : étonnamment pas. Absent des services de streaming, donc2. Pas grave, ça s’achète : activons l’option pour le magasin iTunes et… non plus. Amazon mp3 ? Qobuz ? Rien. Il y a une playlist sur YouTube, constituée de bric et de broc, et même une vidéo complète, mais ça n’est pas une vraie sortie, hein ?

Il se trouve que l’album n’existe pas, officiellement du moins, sous forme numérique, ce qui pose toujours la question de l’archivage et de la disparition des supports. La seule manière d’en trouver une « vraie » version a été de dégoter le CD sur eBay, et c’est rigolo d’acheter un CD sur eBay en 2025, comme si j’avais encore mon modem Netissimo raie manta pour discuter sur ICQ.

L’engin est bien arrivé à Melbourne un mois plus tard. Et tenir une galette neuve entre mes mains, pour aller la classer dans ma colonne de CD physiques, n’est plus un acte que je fais très souvent, disons.

Surtout que la première chose que j’aie faite est de l’archiver en ALAC avec le lecteur externe planqué dans un coin de mon bureau derrière un plateau à fournitures de bureau qui ne sert plus qu’à la numérisation. (L’app Musique fait ça très bien ; le modèle que j’emploie est un lecteur de Blu-Ray Asus BW-16D1H-U PRO qui fonctionne avec macOS.)

Mars Polaris vit dans mes entrailles numériques.

Verdict ? Ah, j’ai quand même surtout fait ça pour l’amusement, hein. Sinon, ça sonne vraiment comme du Tangerine Dream de 1990. J’ai écouté l’album plusieurs fois, et je n’en retiens quasiment rien à chaque écoute (sauf peut-être Tharsis Maneuver, avec sa séquence en fond chouette). Ce qui n’est pas forcément un désavantage ! Et ça ne m’est pas non plus ouvertement désagréable comme peuvent l’être Tyger ou Melrose. On est d’accord que je n’irai pas non plus chercher les quelques 75 albums restants que je n’ai pas et qui ne sont pas disponibles en streaming 3. J’ai des factures d’électricité à payer.

  1. Chronologie de Jean-Michel Jarre conserve des morceaux immortels et d’autres qui ont horriblement mal vieilli ; il fera même demi-tour par la suite, revenant aux machines purement analogiques pour Oxygène 7-13.
  2. Comme d’autres étranges aventures, du groupe, d’ailleurs. Pas trace de Cyclone non plus, dont j’aime le côté délicieusement kitsch, et que j’ai en CD depuis trente ans, heh.
  3. Même si le streaming est désastreux en termes de rémunération des ayant droit – je suis au courant –, en tant que consommateur, quel pied !