Oui, c’est le genre de post qui va dorénavant être autorisé sur Facebook, Instagram et Threads. Ou dire « les gays sont anormaux » ou « les jeunes trans n’existent pas ». Dans un mouvement de trahison opportuniste hélas parfaitement cohérent avec l’absence totale d’éthique de Mark Zuckerberg, Meta vient d’annoncer :
- La fin d’une flopée de restrictions sur les discours haineux, permettant entre autres « toute allégation de maladie mentale ou d’anormalité basée sur le genre ou l’orientation sexuelle »
- La fin de leur programme de vérification des faits, remplacé par des « community notes » façon X.
Exactement ce dont on a besoin en ce moment à l’échelon planétaire.
Meta est un putain de cancer sur la civilisation, un réservoir de négativité dont le fonds de commerce est basé la polarisation avec ces foutus algorithmes. C’est un mensonge de prétendre que l’on peut tenir des conversations équilibrées et posées sur ces machins : le COVID nous a montré, en temps réel et pendant deux ans, le bordel que ça a été alors qu’il y avait des politiques en place. La manière dont l’engagement fonctionne promeut mécaniquement la désinformation et le contenu d’extrême-droite. C’est le paradis du sealioning. Lever les restrictions, ça signifie mécaniquement promouvoir le sensationnalisme, la bêtise, la réaction immédiate. C’est la fin de la tempérance.
Je n’ai jamais fait mystère que je n’ai jamais vraiment aimé ces plate-formes, mais j’en reconnais l’intérêt, en particulier en vivant à l’autre bout du monde, les comparant à un salon littéraire permanent. En revanche, je ne participerais en aucun cas audit salon si l’organisateur cautionnait les discours comme « les femmes transgenres n’existent pas, ce sont des hommes pathétiquement perdus » (chacun de mes exemples sont pris verbatim de la revue de presse en fin d’article), ce qui est le cas ici.
Je suis devenu écrivain pour, entre autres, être libre de mon discours et explorer les complexités du monde. C’est beaucoup trop de boulot pour, proportionnellement, une rémunération beaucoup trop modeste pour, en plus, accepter de compromettre avec ce que je crois et, même, écris.
J’avais bêtement cru, en revenant sur Facebook et en tâtant d’Instagram, que Meta avait évolué et peut-être compris son rôle social. Non, Meta est irrécupérable, c’est une entité fondamentalement toxique, opportuniste et toute hygiène mentale devrait l’exclure, au même titre que TikTok.
Je ne jette la pierre à personne de vouloir rester sur ces plate-formes parce qu’il ou elle y percevrait une nécessité d’existence (« toute ma clientèle est là, si je m’en vais, je me coupe de mes revenus »). Je pointerais cependant quelques faits tirés de ma propre expérience :
- J’ai quitté tous les réseaux en 2020. Le tome 4 de « Les Dieux sauvages », L’Héritage de l’Empire, sorti en plein confinement et sans présence réseau autre que celle de Critic, n’a pas souffert.
- J’ai connu une productivité et un calme sans précédent (rapport à mon métier qui est de, vous savez, écrire).
- La qualité des échanges que j’ai eus (par la newsletter ou ici) a augmenté drastiquement.
Après, certes, j’ai eu moins d’échanges et de liens au quotidien, mais c’était beaucoup plus réfléchi, profond, intéressant. Donc, satisfaisant pour tout le monde. Ne vaut-il pas parler réellement à cent personnes que crier à dix mille que ça n’intéresse pas ?
Je pointerais aussi que ces plate-formes n’ont que le pouvoir qu’on leur donne et nous leur en donnons collectivement beaucoup trop. Elles sont très douées pour nous faire croire qu’elles sont indispensables, mais je crois fermement qu’il y a d’autres moyens de constituer nos communautés et, même, de constituer un réseau social. Bluesky est un excellent exemple de ça ; le seul réseau qui trouve réellement grâce à mes yeux et que j’ai plaisir à utiliser parce qu’il n’y a pas d’algorithme. Et les premiers retours sont que : certes, il y a moins de monde, mais proportionnellement, on trouve bien plus de clients (si c’est des clients qu’on cherche).
Ce qu’on peut faire
Se barrer en masse, comme de X (une des meilleures décisions de ma vie récente en termes de rapport énergie / bien-être).
Réfléchir aux alternatives, retrouver le bonheur d’une vie sans algorithmes, et les refuser.
Pour ma part, toutes ces informations seraient suffisantes pour me faire partir, à jamais, de tout ce que Meta touche de près ou de loin (comme j’ai déjà évacué avec succès Google et Microsoft de ma vie). Cependant, John Gruber de Daring Fireball, un analyste que je respecte, pourtant farouchement anti-Trump, décode différemment la situation – et c’est le seul truc qui retient ma réaction furieuse. Il tend à dire que les règlementations internationales (en gros, européennes) rendront impossibles ces changements et qu’il s’agirait ici de brasser beaucoup d’air pour un simple exercice de génuflexion devant l’orange bouffie. Ce qui n’est pas glorieux, mais me fait retarder ma décision de dynamitage ; non pas parce que j’aime Facebook et Instagram (non, je déteste ces machins qui me donnent l’impression de tuer quelques neurones à chaque ouverture) mais par respect envers vous, qui y êtes et m’accordez votre intention et votre fidélité.
Je vous ai déjà fait un numéro de « je m’en vais » (en 2020) pour « je reviens » et je suis très conscient du temps que vous-mêmes passez sur ces plate-formes (avec plaisir même, je ne juge personne). Je vous suis très reconnaissant de vos suivis divers, de vos commentaires, de nos interactions. Il n’est pas question que je fasse la girouette ou la diva, et si je m’en vais de nouveau, ce sera pour de bon, en assumant toutes les conséquences1.
Une chose est sûre, il me semble vital, dans le monde où nous sommes, d’attirer l’attention sur ces situations. Si je n’utilise pas la mienne, de plate-forme, pour parler de tout ça, pour rappeler qu’on se tue le cerveau collectivement en se rendant malheureux avec ça, et peut-être, suivant les déroulements à venir, d’agir en cohérence avec moi-même, pourquoi je fais ce travail, bon dieu ? Pourquoi je passe tant d’heures, parfois au détriment de ma vie personnelle, à façonner au mieux de ma compétence des histoires, des personnages qui se battent pour leur destin et leur actualisation ? Si elle l’avait devant lui, Mériane collerait une énorme gifle à Zuckerberg (et l’enverrait au tapis tellement il est tout fragile).
Nous devons inventer d’autres modes, reprendre le pouvoir de notre communication, de notre lien social. Meta a réalisé un hold-up planétaire sur une activité humaine fondamentale tout en la vidant de sa substance ; combien de temps allons-nous encore tolérer de nous polluer ainsi l’esprit ?
Références
- Inside Meta’new trans dehumanising policies for trans people
- Calling women ‘household objects’ now permitted on Facebook after Meta updated its guidelines
- Meta surrenders to the right on speech
- MacStories Won’t Stand for Meta’s Dehumanizing and Harmful Moderation Policies
- After Years of Moderation-Heavy Zagging, Zuckerberg Announces That Meta Is Going Back to Moderation-Light Zigging Across Its Platforms
Les réseaux dyssociaux montrent leur véritable visage : ils ne sont là que pour prospérer sur les cadavres mentaux de leurs utilisateurs. Comme tu le dis si bien, ils encouragent une décérébration des gens qui les utilisent.
Depuis plusieurs années, j’essaie de montrer que nous devrions tous les abandonner.
De mon point de vue, même si les réglementations européennes venaient faire fléchir cette dérive, elles ne touchent pas réellement le fond du problème (l’algorithme, la bulle, la complaisance envers les bas instincts, et même l’économie de l’attention, ce qui est aussi le cas des autres réseaux dyssociaux).
Je désespère quand je vois que, malgré tout cela, Twitter (que je me refuse à appeler suivant l’antépénultième lettre de l’alphabet) compte toujours autant d’esclaves volontaires, et que Meta n’est pas encore une relique du passé vide de tout utilisateur. Bien au contraire…
Quand donc nous réveillerons-nous collectivement ?
Il existe d’autres façons de discuter, comme tu le rappelles si justement.
De mon côté, le geste de couper toute présence sur un réseau dyssocial m’a apporté une sérénité bienvenue, et a eu aussi une portée politique, symbolique, d’exemple, qui montre que c’est possible, mais aussi qui incite les autres à agir de même.
Alors, c’est vrai, je n’avais pas une énorme suite de Followers, et mon métier ne dépend pas des réseaux dyssociaux, mais à mon sens, c’est justement quand son métier en dépend le plus que l’on a le plus intérêt à s’en barrer, de ces pièges. Car ils capturent non seulement notre esprit, mais aussi toutes les personnes qui nous font confiance, en nous rendant complices, ou receleurs, voire dealers, de leur lavage de cerveau.
En sortir est difficile, mais pas impossible.
Hélas, le changement est toujours coûteux et l’être humain ne l’aime pas beaucoup en général…
Bref, je suis on ne peut plus d’accord avec toi : ces plateformes n’ont que le pouvoir que nous leur abandonnons.
Et ne vois pas d’offense à mon propos, je respecte complètement la position des personnes qui sont contraintes de rester sur ces plateformes ou qui s’interrogent sur le devenir des interactions qu’ils y ont avec des personnes respectueuses.
Tu mets le doigt dessus avec cette question de complicité, et c’est clairement là où se trouve ma dissonance cognitive. Le fait que MacStories (qui est entièrement financé par ses membres) se barre est pour moi un geste fort et inspirant. Je pense de plus en plus placer ma ligne de conduite à : pas d’algorithme, le choix du flux entre les mains des utilisateurs. Bluesky et autres réseaux qui seraient dans le même esprit, RSS, newsletters, forums, Discord.
Depuis quelques jours, la SFF est en train de réaliser un exode massif vers Bluesky.