Ces gens me fatiguent.

Mikey Shulman, président de Suno, justifie son pillage modèle économique en prétendant la chose suivante :

I think the majority of people don’t enjoy the majority of the time they spend making music. (Je crois que la majorité des gens n’apprécient pas la majorité du temps qu’ils consacrent à créer de la musique)

Peu importe que l’espèce humaine en crée depuis LITTÉRALEMENT LA NUIT DES TEMPS, hein. Peu importe que les enfants chantent à tue-tête et adorent les clairons et les tambours offerts par des amis de la famille aux intentions troubles. Peu importe que l’histoire n’ait pas attendu l’arrivée de Suno pour donner Beethoven et Jean-Michel Jarre.

« Je ne crois pas que les hommes préhistoriques qui dessinaient des déesses de la fertilité sur des cavernes aimaient tellement faire ça, en vrai » – Mikey Shulman aussi, j’imagine

L’intérêt de la création est dans le voyage. L’intérêt de la vie, oserais-je, est dans le voyage ; c’est pour ça qu’on aime prendre cher dans Demon’s Souls. Je doute que Shulman ait jamais joué de quoi que ce soit dans sa vie, parce que même moi, qui suis un claviériste totalement dégueulasse, je m’amuse à tripoter les touches, et si le temps de la création peut être difficile, il est enrichissant.

Il est même probablement enrichissant parce qu’il peut être difficile ; c’est la fondation même de la sensation d’accomplissement (conquérir la difficulté).

On n’aurait jamais dû laisser ces compteurs de haricots s’approcher de près ou de loin de l’art et de leur pratique qu’ils ne comprennent visiblement pas. Notre société, gangrénée par son aspiration à ses quinze secondes de gloire, veut parvenir à des résultats, à des récompenses, en imaginant que produire un banger avec un prompt va a) faire d’eux des artistes, leur donnant une identité dont ils attribuent justement la valeur à l’accomplissement ci-dessus, ce qui génère nécessairement un mensonge intérieur b) leur donner le succès et par voie de conséquence c) valider toute la démarche, sauf que la validation se trouve d’abord dans la réalisation et non dans la reconnaissance d’autrui

Dans l’absolu, les outils facilitant la création (des instruments au sens large, allant dudit clairon au séquenceur aléatoire) sont des aides providentielles pour donner à la vision humaine la capacité de s’exprimer. Mais cette vision, pour être respectée, nécessite un travail incompressible, parce qu’elle est inhérente à la personnalité de l’individu, ce qui n’est pas réplicable ni automatisable. J’ai un copain australien, père de deux enfants, extrêmement occupé dans son quotidien, avec une main en vrac l’empêchant de jouer de quelque chose, qui a utilisé Suno pour construire un album de métal en écrivant ses textes de A à Z puis en générant quelques 200 versions pour parvenir à un résultat qui lui plaisait.

De son propre aveu, ça été un boulot immense pour parvenir à un résultat qu’il a filtré et décidé. (Je m’insurge contre l’absence de régulation des entreprises d’IA, mais je ne le voue pas aux gémonies en tant que personne – il ne se considère de toute façon pas comme compositeur ni star internationale.)

Notez bien. Textes originaux. 200 versions. Pour être content à l’arrivée.

Hmm.

Je verrais bien là une ironie pour Mikey Shulman, mais quoi… 

Pour la peine, je remets ça là, tiens.