Les cinq règles de l’écriture par Robert Heinlein (4) : Soumets ton travail sur le marché

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Rappel : cet article fait partie d’une série programmée sur les règles de l’écriture de Robert Heinlein. Introduction générale et sommaire

« Soumets ton travail sur le marché »

Okay, celle-là paraît un peu évidente, comme la première, non ? Pour écrire, il faut écrire, pour être acheté, il faut soumettre son travail ?

Eh bien, oui. Merci, fin de l’article, à la semaine prochaine.

Ha ha, que je suis plaisantin.

Avant même de parler de ventes, et de droits d’auteur pharaoniques entraînant des retraites dorées aux Seychelles (protip : ça n’arrive jamais), on soulève ici un autre point de blocage classique de l’écriture : montrer son travail à quelqu’un d’autre (a fortiori, quelqu’un qui pourrait le publier). Écrire strictement pour soi n’est aucunement condamnable et c’est un choix parfaitement compréhensible ; mais, dès qu’on parle de la confrontation avec le regard d’un tiers, on entre dans d’autres eaux. 

Il existe des auteurs qui souffrent d’un type de procrastination bien particulier : ils n’envoient jamais leur travail, par crainte du retour, par crainte de découvrir que leur travail ne serait pas vendable. Autant briser le suspense tout de suite : hélas, dans les premiers temps, il risque de ne pas l’être – cela s’appelle faire ses premières armes. Et, en règle très générale, ce n’est pas parce que ledit travail est trop audacieux, navré (ça arrive, mais tout le monde n’est pas Mark Z. Danielewski) – c’est parce qu’il manque des éléments qu’attendent les éditeurs et les lecteurs derrière eux, c’est-à-dire : une histoire, des personnages, du suspense, le tout rédigé sous une forme compréhensible. Il risque fort, à tout le moins, de manquer de « métier » – et cela s’apprend, mais cela ne s’apprend certainement pas en retardant perpétuellement l’envoi de la première soumission pour la rendre « parfaite » (voir les règles 2 et 3). Breaking news : aucune œuvre littéraire n’est parfaite. Pire encore, elles s’améliorent avec la pratique, imaginez un peu ! Alors, autant travailler.

Une fois l’œuvre terminée au mieux de sa compétence, il faut qu’elle parte, qu’elle sorte, il faut lâcher prise dessus, tout en poursuivant l’apprentissage. « Devenir auteur, c’est trouver un éditeur« , explique Jean-Claude Dunyach dans l’excellente présentation qu’il propose lors de la Masterclass que nous donnons ensemble aux Imaginales et dont le diaporama se trouve disponible sur ce même site – comme tout cela est bien fait, dis donc ! Je t’y renvoie céans, auguste lectorat.

Fort bien. Donc, j’envoie tous azimuts ma production ?

À mon humble avis : non, et c’est un sujet que nous avons déjà abordé en deux longues parties (Délais de réponse, de soumission, soumissions simultanées : partie 1, partie 2). D’autre part, par pitié, respectez les règles de soumission à la lettre.

  • Si un éditeur a momentanément fermé ses soumissions, n’insistez pas.
  • Si un éditeur demande trois chapitres plus synopsis et non le livre entier, envoyez trois chapitres plus synopsis : n’insistez pas.
  • Si un éditeur vous refuse un manuscrit, ne le renvoyez pas dans une version améliorée : n’insistez pas.
  • N’envoyez pas de manuscrit en recommandé, jamais.
  • Documentez-vous sur les éditeurs de votre domaine pour cibler vos envois à ceux qui sont susceptibles de prendre votre livre. (En imaginaire, nous avons de la chance, il existe le Grimoire Galactique des Grenouilles qui les recense.)

Vous n’imaginez pas le nombre de livres qu’un éditeur reçoit chaque semaine – et souvent mal ciblés. N’oubliez jamais qu’il est une entreprise, souvent débordé par la quantité de soumissions : facilitez-lui la vie et disposez-le au mieux pour découvrir votre œuvre. Suivez les règles qu’il demande. Elles vous déplaisent ? Allez ailleurs. Et ne vous imaginez jamais, au grand jamais, génial au point de pouvoir vous dispenser des règles qu’il exige. C’est le meilleur moyen d’être refusé d’entrée de jeu.

Comportez-vous en professionnel si vous souhaitez qu’on vous traite comme tel ! C’est l’indispensable point de départ du métier d’écrivain.

2019-06-07T22:43:14+02:00lundi 1 août 2016|Best Of, Technique d'écriture|1 Commentaire

Les cinq règles de l’écriture par Robert Heinlein (3) : Évite de réécrire, sauf si un éditeur te le demande

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Rappel : cet article fait partie d’une série programmée sur les règles de l’écriture de Robert Heinlein. Introduction générale et sommaire

« Évite de réécrire, sauf si un éditeur te le demande »

OK, alors celle-là est en général la plus mal comprise et/ou la plus controversée. Keuwâh ? Qu’est-ce à dire, tonton Heinlein me recommanderait-il de laisser mes premiers jets intouchés, de les lancer sur le marché à l’attaque du monde sans que je n’en aie changé une seule virgule ?

Non. Et l’interpréter comme ça, c’est un peu de la mauvaise foi pour justifier ta flemme de corriger, laisse-moi te le dire, vilain garnement.

Cette règle met en avant un autre blocage fréquent, après le fait de ne pas commencer et celui de ne pas finir, c’est celui de ne jamais déclarer qu’un travail est terminé. Ou, du moins, terminé au mieux de sa compétence. Aucune œuvre n’est achevée, auguste lectorat, aucune, et ce pour une raison très simple : la création de l’œuvre change le créateur. Elle aiguise son regard (ou bien le pousse au désespoir, mais restons dans un cas positif), elle le change. Et elle lui donne des leçons : elle le confronte à ce qu’il ignorait de lui-même, tant sur son inconscient que sur ses compétences et lacunes d’artisan. La réalisation de l’œuvre a peut-être comblé, ou exacerbé certaines de ces lacunes. Peu importe ; il vient un moment où il faut savoir reconnaître que le temps consacré à corriger, polir, améliorer n’entraîne que des altérations extrêmement marginales (voire contreproductives). Et que s’il existe des lacunes à combler sur cette œuvre, peut-être qu’une autre devra les enseigner. C’est là l’essence de la règle d’Heinlein.

La correction et l’amélioration font partie intégrante du processus d’amélioration d’une œuvre, dans le respect de l’enthousiasme d’origine (c’est capital), mais il convient aussi de savoir la lâcher. Et, une fois qu’elle est lâchée, déclarée « terminée au mieux de sa compétence », il faut passer à autre chose (à la suivante). L’éditeur pourra ensuite, peut-être, apporter son regard extérieur et professionnel pour la porter plus haut encore (s’il est compétent, mais c’est ce qu’on espère) ; mais il doit donc, pour ce faire, partir du meilleur effort de l’auteur. Et ce meilleur effort, l’auteur doit le déclarer et le clore en son âme et conscience. 

Rien n’exclut de revenir à une œuvre terminée, plus tard, pour la regarder sous un éclairage nouveau et peut-être la reprendre ; mais il faut avoir conscience, ce jour-là, que l’on va probablement réaliser une œuvre différente, une collaboration entre le présent et le passé, toujours parce que le créateur évolue, alors que l’œuvre demeure toujours un reflet d’un moment ou, en tout cas, d’un cheminement précis.

2019-06-07T22:43:21+02:00lundi 25 juillet 2016|Best Of, Technique d'écriture|9 Commentaires

Les cinq règles de l’écriture par Robert Heinlein (2) : tu dois finir ce que tu as commencé

Rappel : cet article fait partie d’une série programmée sur les règles de l’écriture de Robert Heinlein. Introduction générale et sommaire

« Tu dois finir ce que tu as commencé »

Fichtre, l’article précédent a généré une longue, longue discussion sur la nature exacte du talent et son rapport au travail. Je t’invite à y passer, auguste lectorat, même si ce n’était pas tellement le sujet (sur lequel il va falloir qu’on revienne ultérieurement).

Pour l’heure, la deuxième règle de Heinlein paraît elle aussi relever de l’évidence – comment soumettre quelque chose d’inachevé ? Mais en pratique, elle ne devient plus aussi évidente, et ce pour deux raisons :

  • Nous avons tous mille choses à faire au quotidien, et
  • L’écriture, j’insiste, c’est LONG (surtout dans le cas du roman).

Un projet est toujours fantastique est beau avant qu’on le commence. Il appartient au territoire du rêve, du possible et, par conséquent, il peut tout être à la fois ; il épouse par essence toute l’envergure des ambitions. L’attaquer n’est pas forcément le plus difficile ; l’enthousiasme est présent, un territoire entier à défricher s’étend devant soi, on se sent prêt à écrire son nom en lettres de feu sur le ciel vierge de nos ambitions, t’vois.

Mais « aucun plan de bataille ne survit à la rencontre avec l’ennemi », et le plus difficile est de poursuivre, quand l’enthousiasme perd son élan, quand on s’aperçoit d’un trou béant dans le scénario, qu’un personnage s’avère inutile ou inintéressant, quand on s’aperçoit, plus prosaïquement, que ce projet va prendre des mois et des mois pour être terminé – bref, quand les difficultés surgissent. Et davantage encore quand aucune solution évidente ne se présente, ou que l’on se rend compte qu’il faudra jeter 200 pages qui ne servent à rien. C’est là que la persistance doit prendre le relais. Écrire est un choix volontaire et l’on ne peut espérer que l’enthousiasme porte seul l’auteur (c’est merveilleux quand cela arrive, mais la majorité des écrivains avouent que cela ne suffit pas à mener à bien la majorité des projets – je sais, pour ma part, que je n’ai rien écrit sans me discipliner sévèrement, parce qu’un énorme fainéant rôde au fond de moi). On retombe sur la première règle, mais si clamer vouloir écrire sans jamais le faire est une maladie commune, commencer dix projets sans jamais en finir aucun en est une autre, plus retorse. 

Dans The Art of Fiction (chroniqué ici), John Gardner décrit le processus de construction d’intrigue comme une « rumination ». L’écriture s’inscrit forcément dans la durée (c’est peut-être l’art le plus « lent » à produire comme à recevoir ; sa réception, d’ailleurs, se déplie forcément de façon séquentielle dans l’esprit du lecteur, un mot à la fois, pour composer une image, une atmosphère, une action). Il faut trouver la façon d’apprivoiser cette temporalité, de l’accepter, de réserver les espaces qui permettent d’avancer sur le projet, page après page, vers la fin.

Est-ce à dire qu’il faut toujours finir un projet ? Même si on se retrouve à le haïr ? Non, bien sûr. Mais il convient d’identifier les causes de cette haine ; est-ce la difficulté qui cause l’écœurement, ou bien une prise de conscience sincère que l’envie a définitivement quitté le navire et ne reviendra pas ? Ce qu’il faut éviter à tout prix, ce sont les projets coincés « dans les limbes » sans décision claire à leur sujet, chercher des dérivatifs dans le démarrage de cent romans qui ne vont jamais nulle part, qui s’évaporent comme une rivière dans le désert. Certains auteurs travaillent sur plusieurs projets en parallèle, mais c’est leur méthode – et c’est assez rare, et il y a là une solide volonté d’achèvement (et la bibliographie pour le prouver).

On peut décider de laisser en plan un projet au profit d’un autre, jugeant qu’il faut davantage de maturation, ou qu’on bute contre un mur infranchissable pour l’heure (Port d’Âmes est resté en plan pendant près de huit ans, le temps que je sache comment retravailler cette histoire, écrite à une époque où je savais bien moins de choses sur le métier ; mais c’était une décision consciente de ma part. Quand le livre est sorti l’année dernière, il a fini réécrit à 75%). On peut décider d’abandonner définitivement un projet qu’on juge avorté. Mais il est capital que la décision soit consciente, et de tenir l’énergie, la discipline, la volonté (rayez la mention inutile) de finir quelque chose, à un moment, si possible avant le siècle prochain.

Hélas, je crois que c’est en se confrontant réellement à cette difficulté qu’on apprend une pierre angulaire du métier d’écrivain : finir.

2019-08-28T21:21:18+02:00lundi 18 juillet 2016|Best Of, Technique d'écriture|5 Commentaires

Les cinq règles de l’écriture par Robert Heinlein (1) : « Tu dois écrire »

Rappel : cet article fait partie d’une série programmée sur les règles de l’écriture de Robert Heinlein. Introduction générale et sommaire

« Tu dois écrire »

Celle-là semble évidente, genre, pour avoir fini un roman, tu dois l’avoir écrit, nan ? 100% des gagnants ont tenté leur chance, lawle ? C’est le prolégomène et l’introduction ?

Alors, oui, bien sûr, mais cela ne s’arrête pas là. L’écriture (et toute pratique artistique) n’est pas qu’une activité vague qu’il faut effectuer pour produire un résultat. C’est un muscle – tous les auteurs vous le diront. Et un muscle, tout comme l’exercice physique, nécessite deux choses :

  • Du temps,
  • De la régularité.

De la même façon qu’on ne court pas un marathon sans préparation, et qu’on ne se prépare pas sans y consacrer un minimum de sérieux, on n’écrit pas sans engagement ferme. Cela veut dire réserver du temps pour écrire. Et si le temps n’est pas disponible, cela veut dire tirer avantage de chaque fenêtre qui se présente pour noter une phrase, une idée, une réplique. Entre la personne qui n’écrit rien « parce qu’elle n’a pas le temps » et celle qui note cinq phrases tous les matins dans le bus, au bout d’un mois, la première n’aura toujours rien fait, quand la deuxième aura une courte nouvelle et, mieux encore, elle aura acquis de la discipline.

Car écrire, comme l’exercice physique, est aussi une habitude, qu’il est facile de lâcher et difficile de reprendre. Vouloir se « réserver » de longues plages horaires confortables est un objectif noble, mais n’écrire qu’avec ces plages à disposition est une pente glissante qui peut conduire à l’irrégularité, laquelle rend encore plus ardue la pratique. Il vaut mieux écrire une page par jour que sept pages sur un seul jour. L’écriture profite de la respiration, de l’inactivité, de la réflexion inconsciente, et donc du repos autant que de la production – tant que les deux sont équilibrés. Sans compter que forcer l’esprit à produire un important volume de pages sur une seule session engendre une pression plus ou moins consciente qui nuit à l’état d’esprit ludique qui préside le mieux à la création. Des objectifs plus raisonnables, mais réguliers, sont plus réalisables et donc plus agréables.

Beaucoup de jeunes auteurs (et de moins jeunes) désirent écrire mais ne le font pas, arguant de cent bonnes excuses comme la fatigue, le temps, la préparation. Mais, au bout d’un moment, il est toujours possible d’écrire une ligne. Une seule. Même si l’on ne peut rien faire d’autre lors d’une journée absolument pourrie, une ligne reste toujours accessible. Si vous ne faites rien d’autre, écrivez au moins une ligne. Il en restera toujours quelque chose. Même si c’est une ligne mauvaise au bout du compte – vous n’aurez plus à l’écrire, et cela vous libère pour la prochaine, qui sera peut-être bonne, elle.

Mais comment écrire de bonnes lignes sans la liberté et la régularité d’en écrire de mauvaises ?

Acquérez la discipline et l’habitude de produire. C’est la base avant de se soucier de savoir si la production est bonne.

Et certains arguent même que c’est la seule façon d’apprendre à produire de bonnes choses.

2025-01-15T08:46:43+01:00mardi 12 juillet 2016|Best Of, Technique d'écriture|49 Commentaires

Les cinq règles de l’écriture par Robert Heinlein (0) : introduction

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Auguste lectorat, ça fait longtemps qu’on se connaît (ou peut-être pas, auquel cas, coucou) : tu sais que l’été, j’aime bien faire une petite série d’articles un peu plus poussée que d’habitude, histoire de donner de te donner de la matière à réflexion pendant tes vacances. Nous avons fait deux séries de déclencheurs (ouane, tou), parlé de méthodes de productivité (il faudra que je mette un peu cette série à jour à l’occasion, d’ailleurs) ; pour cet été, du moins pour une partie de celui-ci, cela fait longtemps que j’ai envie de traiter et commenter les célèbres règles de l’écriture édictées par Robert Heinlein.

De toutes les règles, méthodes, dictons sur l’écriture, les cinq préceptes d’Heinlein sont probablement les plus connus, parce que ce sont aussi les plus simplement formulés. Mais cette apparente simplicité ne doit pas tromper : ces règles forment une base extrêmement solide pour l’approche de l’écriture et même de tout art, des observations fondamentales sans lesquelles rien ne peut se faire. Et, justement, cette simplicité appelle quand même aussi un peu de commentaire, histoire de ne pas tout interpréter de travers. Ou de développer.

Voici donc notre programme de l’été et, pour commencer, les cinq règles sont :

  1. Tu dois écrire. 
  2. Tu dois finir ce que tu as commencé. 
  3. Évite de réécrire, sauf si un éditeur te le demande. 
  4. Soumets ton travail sur le marché. 
  5. Maintiens ton travail en circulation jusqu’à réussir à le vendre. 
  6. [Bonus] : Écrire, c’est choisir (règle personnelle). 

Chaque règle liera vers son commentaire au fil de l’été, donc, auguste lectorat, tu peux d’ores et déjà te mettre cet article de côté pour référence ultérieure si telle est ta fantaisie.

  1. Traduction : Je suis libre et ce qu’importent les règles qui m’entourent. Si je les trouve tolérables, je les tolère ; si je les trouve trop détestable, je les enfreins. Je suis libre parce que je sais que je porte seul l’entière responsabilité de mes actes.
2019-06-07T22:43:41+02:00lundi 4 juillet 2016|Best Of, Technique d'écriture|11 Commentaires

La boîte à outils de l’écrivain : Scapple, un outil unique pour les réflexions libres et le mind-mapping

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La cartographie mentale ou heuristique (le mind-mapping), c’est très tendance. À en croire ses plus fervents partisans, c’est la solution ultime pour mettre ses idées en ordre ; c’est même la seule manière d’ordonner ses idées, pour et même, pour prendre des notes, donner une conférence, apprendre un cours, obtenir la paix au Proche-Orient. Je disconviens respectueusement. C’est une technique utile pour regrouper des concepts voisins, pour détailler un sujet épineux, mais j’ai toujours préféré les plans hiérarchiques (je fonctionne par plans, c’est probablement le résultat de décennies d’apprentissage et de prise de notes selon cette méthode). Du coup, j’étais fort dépourvu quand la question fut venue : qu’utilises-tu pour cette technique ? Je reconnais son aspect fondamental pour beaucoup de monde, mais, n’étant que moyennement concerné (elle ne me sert que dans des cas très précis), je n’ai pas ressenti le besoin de creuser le sujet, et, dès lors : comment faire une recommandation ? XMind, Inspiration, yEd, Curio, Freemind, Mindnode, et leurs quelque quarante douze mille concurrents ?

Et puis il y avait Scapple. Scapple est un petit outil conçu par Literature and Latte, les sublimes auteurs de Scrivener, dont je ne peux cesser de dire suffisamment de bien. À première vue, Scapple me semblait trop simple, ou trop bancal : pas beaucoup de styles, encore moins de types de relations, une étrange façon de créer des liens entre bulles (glisser – déposer)… Mais Scrivener fait souvent le même effet à la première ouverture : sous-estimé, voire un peu abscons.

Scapple, c’est un peu la même chose : il cache un outil extrêmement flexible, très bien conçu, dont les limites sont justement étudiées intelligemment pour pousser l’auteur, non pas à tripoter des styles pendant des heures, mais à réfléchir. Scapple est un peu austère, et c’est le but : on n’est pas là pour coller des dessins et de jolies icônes, on est là pour jeter ses idées sur la feuille, dégager les relations entre concepts, voire établir une référence pour son histoire. Sur le projet actuel (la trilogie « Les Dieux sauvages »), j’ai au moins cinq ou six documents Scapple ouverts en permanence : les personnages, leurs relations, et même le plan des trois livres, annotés, de façon bien plus visuelle (surtout avec une foule de fils narratifs concurrents) et relationnelle qu’une bête liste de scènes.

Et surtout, c’est plus libre.Voici par exemple un petit morceau des relations politiques dans La Messagère du Ciel (livre I des « Dieux sauvages »), spoiler-free, teaser-full :

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Scapple propose un canevas vierge, sans limites, où il suffit de double-cliquer pour placer une bulle. Le logiciel se prête bien à une entrée rapide des idées, et ne les relie pas par défaut les unes aux autres (sauf si l’utilisateur le souhaite, avec un raccourci clavier). Pour créer et identifier des liens, comme dit précédemment, il suffit de déposer les bulles les unes sur les autres. En d’autres termes, contrairement à tous les autres logiciels de mind-mapping que j’ai testés, Scapple ne part pas du principe que l’on souhaite forcément relier les concepts les uns aux autres ; en d’autres termes, que l’on « épuise » un fil de réflexion avant de passer au suivant. Parce que, je ne sais pas vous, mais mon pauvre cerveau bordélique ne fonctionne pas de la sorte : un personnage me fait penser à son passé qui me fait penser à un événement historique qui m’amène à un fil narratif puis un autre personnage… De façon purement analogique et non ordonnée (sinon, je passe directement au plan hiérarchique). Scapple permet donc d’empiler réellement tout un tas d’idées sans lien les unes avec les autres, permettant de déduire les liens a posteriori – et c’est justement là, à mon sens, que se trouve l’essence de la cartographie mentale. 

La fonction qui tue, pour moi, dans Scapple, c’est la facilité avec laquelle on peut rassembler les notes sous une même bannière : il suffit de dessiner un cadre autour, et hop, toutes les bulles à l’intérieur sont considérées associées et bougeront ensemble dès qu’on déplacera ce cadre. Je n’ai sérieusement jamais vu de logiciel qui rende cette opération aussi simple et naturelle, alors que cela me semble pourtant fondamental, dès que l’on étoffe ses données et qu’on les ordonne. Mais aussi, le logiciel ne se limite pas à la cartographie mentale, et c’est agréable : un organigramme, voire un brouillon de chronologie, tout cela se fait très bien dedans aussi.

Scapple ne regorge pas de styles – quatre types de bulles, une poignée de relations (en gros, pointillé ou continu, flèche ou pas flèche), des couleurs basiques et le minimum en manière de formatage de texte – mais, encore une fois, il s’agit de jeter des idées sur la page virtuelle et de les classer de façon claire et fonctionnelle, pas esthétique. Il me semble qu’il fournit le bon équilibre entre fonctionnalités et simplicité. J’apprécie assez, dans ce genre d’outil, le confort qui consiste à me dire qu’il est inutile de chercher dix minutes comment faire un truc donné qui me servira une fois toutes les pleines lunes : Scapple ne le fait pas, point barre, et je peux assez facilement l’émuler de toute façon en trois secondes avec les outils qu’il me donne. Pour finir, Scapple se synchronise avec Scrivener : il suffit de cliquer-déplacer ses notes pour les voir magiquement transcrites dans le classeur de Scrivener.

Un avertissement important toutefois : pour utiliser Scapple avec profit, il est impératif d’apprendre deux raccourcis clavier qui sauvent, surtout quand on a l’habitude des logiciels de mind-mapping classiques et qu’on est perdu :

  • Pour relier deux bulles avec une flèche et non une ligne simple, maintenez Option sous Mac, Alt sous Windows, au moment du glisser – déposer (pour une relation bidirectionnelle, glissez – déposez une seconde fois en sens inverse) ;
  • Pour créer une bulle directement reliée avec une flèche à la précédente, le raccourci est Contrôle-Option-Commande + une flèche dans la direction où vous voulez créer la note (Contrôle-Option-Commande-flèche bas pour une bulle située en-dessous de la précédente, par exemple) sous Mac, Alt-Majuscule + flèche sous Windows.

En résumé, Scapple n’est pas tant un logiciel de mind-mapping que de mind-mining. On retrouve la philosophie de Scrivener qui consiste à ne pas contraindre l’auteur dans un mode de pensée prédéfini, mais à lui fournir des outils aussi flous, ou précis, qu’il le souhaite selon son mode de pensée. Et, quand un logiciel se targue de m’aider à réfléchir, c’est justement ce que j’attends : qu’il s’adapte à moi, et non l’inverse.

Scapple est disponible ici sous Windows et ici dans le Mac App Store (liens affiliés, n’oubliez pas de commander par la boutique pour soutenir le blog).

2019-06-07T22:44:01+02:00jeudi 30 juin 2016|Best Of, Technique d'écriture|11 Commentaires

Les sept causes de la procrastination (et des pistes pour y remédier)

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Meilleure image d’illustration de ce blog, ever.

L’auteur Chris Bailey citait récemment dans un podcast le chercheur Tim Pychyl, de l’université de Carleton, sur les raisons poussant à la procrastination, et il s’avère(rait) que les causes soient en fait très simples – au nombre de sept (forcément, c’est toujours sept, ou cinq, ou trois, mais bizarrement jamais dix-neuf, un nombre beaucoup moins sexy) : une vraie petite check-list de la lose, les cases à cocher de la démoralisation, le parcours du non-combattant.

Toujours selon Bailey citant Pychyl, l’étude de l’activité neurologique d’un sujet en état flagrant de procrastination révèle une activation prononcée des zones responsables de l’émotion, prenant le pas sur les processus intellectuels plus construits. Oui, ça veut dire que la procrastination est un processus parfaitement irrationnel, on s’en doutait, mais cela permet de concevoir des tactiques pour la combattre. En un mot, pour combattre efficacement la procrastination, il convient d’aider la raison à reprendre l’ascendant ; et c’est justement ce que permettent ces sept causes fondamentales. Une fois les blocages identifiés rationnellement, il devient possible d’y remédier, en intervenant sur chacune des facettes.

Alors, quelles sont ces causes ?

Une tâche pousserait à la procrastination si elle présente un certain nombre des inconvénients ci-dessous :

  • Ennuyeuse
  • Frustrante
  • Difficile
  • Vide de sens personnel
  • Manque de récompenses intrinsèques
  • Ambiguë
  • Manque de structure

(Je trouve que 1 et 2, comme 6 et 7, se recoupent pas mal – les rassembler aurait fait cinq, ce qui est aussi un nombre cool, donc l’honneur aurait été sauf.)

On peut remarquer que nombre de tâches d’écriture peuvent rentrer dans ces cases. Écrire est souvent difficile, et peut être frustrant ; et même, parfois, manque de récompenses intrinsèques. C’est un travail au long cours dont on ne perçoit le résultat qu’au bout de plusieurs jours, voire semaines, pour détenir un ensemble de chapitres cohérents, sans parler de les partager avec des proches. Mais les plus criantes sont certainement les deux dernières, un sujet déjà abordé par la bande ici. On procrastine souvent par angoisse ou découragement face à une tâche ; si celle-ci s’intitule « écrire nouveau roman », il y a de fortes chances qu’elle suscite les deux. Par où commencer ? Que développer en premier ? Ensuite ? Où partir ? Même un auteur qui préfère se laisser guider par sa plume tendra à cerner la direction qu’il préférera creuser, réduisant l’ambiguïté de son travail à accomplir, lui conférant une structure. Le conseil vaut encore davantage pour les auteurs qui planifient et structurent à l’avance – où il devient presque tautologique (aucun rapport avec les blagues du même nom1).

Comment les combattre ?

Gilbert Stuart a procrastiné quinze ans pour remettre ce tableau. J'espère qu'Abigail Adams n'a pas posé aussi longtemps.
Gilbert Stuart a procrastiné quinze ans pour remettre ce tableau. J’espère qu’Abigail Adams n’a pas posé aussi longtemps.

Eh bien, en parant à chaque point par son contraire, en le désamorçant précisément. Une fois une cause identifiée, il devient bien plus facile de la combattre, car on sait ce qu’on affronte.

Écriture ennuyeuse. Si l’auteur s’ennuie, il y a de fortes chances que le lecteur aussi. Arrêtez-vous tout de suite. Pourquoi vous ennuyez-vous ? Cette scène est-elle vraiment indispensable ? Ne peut-elle pas simplement disparaître ? Et si elle est indispensable, comment la rendre intéressante, tendue, drôle, imaginative – selon vos préférences ?

Écriture frustrante. Plus difficile – ça s’appelle, dans le langage secret des écrivains professionnels de haute tenue intellectuelle, « ramer sa race ». Souvent, la frustration découle d’un manque de clarification des enjeux, de la scène, des personnages, du récit. « Pourquoi » est la question la plus utile qu’un auteur peut se poser ; pourquoi êtes-vous frustré.e ? J’aurais tendance à parier que cela entraînera une autre question, plus féconde : que vous manque-t-il pour avancer ? Ce qui entraîne alors une ou des actions pour résoudre le problème.

Ecriture difficile. Malheureusement, pas cent mille détours. Inspirez à fond, bouchez-vous le nez, plongez, ménagez-vous des pauses, des récompenses en fonction de vos goûts (bonbons Haribo, heavy metal à fond les watts, verre de champ’). Mais il faut surtout reconnaître cette difficulté. Ce passage n’est pas comme les autres. Il vous faut l’accepter et vous féliciter pour tout progrès accompli. Ne pas vous astreindre au même rythme de progression que sur le reste. Considérer chaque paragraphe / phrase / mot comme une petite victoire qui rapproche du but. Courage.

Ecriture vide de sens personnel. Mêmes conseils que pour l’ennui, en plus prononcés. Si ce que vous écrivez n’a aucun sens pour vous, à quoi bon ? Il existe des métiers tout aussi malhonnêtes mais largement plus lucratifs qu’écrivain, comme trader ou avocat d’assurances. Il convient de traquer le sens originel du projet, et l’en réinvestir. Cela peut impliquer de jeter des dizaines, des centaines de pages qui se sont fourvoyées ; c’est un crève-coeur, mais cela ne vaut-il pas le coup pour retrouver la foi et l’envie ? Plutôt que de se crever le cœur à écrire des pages que l’on n’aime de toute façon pas ? (En revanche, si ce travail est un travail de commande, c’est que vous êtes déjà pro et que vous l’avez accepté en connaissance de cause ; en conséquence, vous n’avez de toute façon pas besoin de moi, débrouillez-vous.)

Manque de récompenses intrinsèques. Celui-là est difficile et j’ignore si l’on peut vraiment le résoudre ; le manque de récompenses intrinsèques provient typiquement de la lenteur du travail d’écriture. On peut arguer que l’écriture est un fin en soi, que le plaisir de découvrir son histoire constitue une récompense suffisante – c’est vrai, mais ce genre de raisonnement fonctionne surtout quand on avance bien, justement ; quand on est coincé, les récompenses et le plaisir se font évasifs. Peut-être faut-il revenir, là aussi, à l’envie, au sens personnel mentionné au point précédent, pour retrouver cette sensation d’accomplissement qui pousse à avancer. En revanche, je déconseillerais de lire les pages déjà écrites – c’est le meilleur moyen de se rendre compte de tout ce qu’il y a à corriger dessus (c’est inévitable, pour un premier jet), et de se décourager davantage. Peut-être vaut-il mieux les fantasmer. Rêver à toute la distance parcourue dans l’histoire. On corrigera plus tard, une fois le manuscrit terminé. Et si vous avez la chance d’avoir déjà terminé une ou plusieurs histoires, rappelez-vous que vous avez déjà réussi. Vous réussirez encore. Il faut juste être patient, travailler un peu tous les jours, pour avancer, peu à peu, voir les pages s’amonceler, et que la sensation de progression se fasse tangible.

Ambiguïté et manque de structure. Beaucoup plus facile : si vous ne savez pas où vous allez, mais que vous en avez besoin, interrompez la rédaction. Peut-être avez-vous besoin de faire le point sur la situation de votre récit, l’état d’esprit de vos personnages, le prochain mauvais coup du grand méchant, etc. Peut-être avez-vous besoin de beaucoup de structure pour vous tranquilliser. Nul ne reprocherait à un randonneur de « perdre » un quart d’heure pour s’orienter sur sa carte. Prenez ce temps, vous aussi, pour vous recharger l’esprit et les batteries narratives. Ne vous perdez juste pas dans la contemplation des jolies fleurs de montagne ; n’oubliez pas qu’il faut poursuivre.

procrastination-flowchart

En cas d’attaque sévère de procrastination, Bailey recommande d’établir une liste de ses causes (et celle ici proposée peut servir d’amorce). Dès lors, on peut envisager de l’attaquer et de la résoudre avec des actions ciblées. L’essentiel, conseille-t-il, est de réintégrer la raison dans le processus, afin de vaincre le cerveau reptilien paralysé par l’ampleur d’un projet trop amorphe.

  1. Oui, là, sérieux, j’ai quand même un peu honte.
2019-06-07T22:47:35+02:00jeudi 19 mai 2016|Best Of, Technique d'écriture|9 Commentaires

Pour avancer simplement sur son écriture

Ha, ha. Business. (Source)
Ha, ha. Business. (Source)

Un des commentaires les plus courants qu’on entend sur l’écriture, c’est : « J’aimerais bien, mais je n’ai pas le temps. »

Cela ne sous-entend pas forcément qu’il faut plus de temps, mais, en général, cela cache le problème suivant : j’aimerais des plages de temps plus longues – pour me plonger dans mon histoire, pour éventuellement me remettre en route après un long arrêt, et, évidemment, pour combattre la procrastination.

L’écriture, probablement plus que toute autre pratique artistique, est un travail de longue haleine, avec une visibilité sur les résultats quasi inexistante. Consommer un texte prend du temps : chaque phrase se lit une à une, chaque paragraphe contribue à former dans l’esprit davantage de sens, de mise en scène, d’action. Par comparaison, la musique est presque immédiate – une phrase musicale, une atmosphère s’assimilent en quelques secondes – et l’image pour ainsi dire instantanée.

Par conséquent, la récompense que l’on peut espérer de la création – c’est-à-dire, voir une partie au moins de son travail accompli – est très faible, là où le musicien entend rapidement si ce qu’il compose sonne, où le peintre voit tout de suite si son œuvre prend un chemin intéressant. On peut écrire un long moment sans tâter de résultat – il manque un retour, ou une boucle de rétrocontrôle positive, si l’on veut lorgner vers les neurosciences. C’est potentiellement décourageant ; c’est pourquoi tant de manuels et d’auteurs (dont ton serviteur, auguste lectorat) insistent sur la notion de discipline.

Je me faisais la réflexion, en composant la bande-originale de Psycho Starship Ramage, que je rencontrais moins de difficultés à me mettre dans l’état d’esprit conduisant à créer, à atteindre l’état mystique de flow. Pourtant, c’est un travail tout aussi complexe, ardu. Pour quelle raison la barrière paraît-elle moins haute ? Parce que la musique envoie un retour bien plus immédiat à son créateur : cela sonne, ou pas. C’est efficace, ou pas. Il faut tel effet en plus. Il faut altérer les basses. Il faut un renversement d’accords à tel endroit. Il faut une nouvelle ligne mélodique. Etc. La liste de choses à faire s’allonge sans cesse, une foule de petits problèmes à fouiller, triturer, que l’esprit a envie de résoudre.

Le lien avec l’écriture ? Hé, on peut hacker la discipline.

On conseille fréquemment, en productivité, de diviser une grande tâche ou un vaste projet en étapes élémentaires de moindre envergure afin de faciliter le progrès. Genre : au lieu de se dire « je dois lire ce livre », faire une liste comme suit : « Lire le chapitre 1. » « Lire le chapitre 2. » « Lire le chapitre 3. » etc.

Ça paraît débile. Ça l’est peut-être, même si l’expérience (et les neurosciences) tend à montrer qu’une tâche qu’on peut finir en un laps de temps modéré rebute moins l’esprit qu’une masse mal définie sur une liste. 

Pour quelle raison la majorité des auteurs tendent-ils à se précipiter pour laver la pelouse / étendre le chien / tondre le linge plutôt qu’à faire leurs pages ? Parce que ces tâches sont immédiatement accessibles et clairement délimitées avec un résultat très clair et identifiable : la pelouse brille, le chien est allongé, le linge est imberbe. Alors qu’écrire… Quand des pages sont-elles bonnes ? À quel point un personnage est-il suffisamment défini ? Quand sait-on qu’on est prêt à écrire ?

« Réfléchir à mon super roman » n’est pas une tâche clairement délimitée. « Composer une super ouverture » ne l’est pas non plus, mais le retour, le feedback sonore est immédiat, ce qui identifie mieux le point de départ, et soulève une foule de problèmes à résoudre ; la boucle de rétrocontrôle positif, ce feedback si difficile à obtenir en cours d’écriture, font avancer le projet.

Pour faire avancer un projet d’écriture qui rame, ou tout simplement pour se donner de l’allant, je crois qu’il suffit de se donner des problèmes à résoudre, tout particulièrement en phase de recherche et de construction. Plutôt que « réfléchir à mon intrigue », se prévoir de « réfléchir à mon héros » ; plutôt que « réfléchir à mon héros », se prévoir « décrire mon héros », « prévoir les qualités et défauts de mon héros », « réfléchir au passé de mon héros » ; plutôt que « réfléchir au passé de mon héros », se prévoir « quelle est la famille de mon héros ? », « d’où lui vient sa cicatrice cool au menton ? », « pourquoi a-t-il peur des iguanes ? »

N’importe quoi pour arriver à des tâches clairement définies et immédiatement accessibles, autant que décoller les bibelots et épousseter la moquette. L’esprit est naturellement attiré par des problèmes clairs qu’il peut résoudre. À chaque fin de session d’écriture, on tirera probablement profit de se choisir une nouvelle sélection de petits problèmes à résoudre la fois d’après. Cela réduit grandement la barrière d’entrée au travail d’écriture, et donc, la procrastination.

2019-06-07T22:48:03+02:00mardi 3 mai 2016|Best Of, Lifehacking, Technique d'écriture|13 Commentaires

Quelle est la meilleure tablette pour prendre des notes ?

paper-fail

Okay, alors je déclare : je suis une autorité sur la question, et celui ou celle qui me contredira périra dans les flammes d’un écran bleu (dénotant par là-même une combustion complète des gaz).

Plus sérieusement. Comme j’en ai parlé un peu ici ou là, j’ai un besoin d’utilisation très précis : écrire à la main. Pas par coquetterie ni par handicap dactylographique, mais parce que je ne réfléchis bien, en phase de création, que par l’écriture manuscrite. C’est un sujet qu’on a vaguement soulevé ici, et appuyé par des études récentes : la frappe au clavier est plus rapide et favorise la rétention mémorielle de détails, quand l’écriture manuscrite aide davantage à synthétiser des notions. Quand je réfléchis à une histoire, j’ai drôlement besoin de synthétiser pour mettre de l’ordre dans mes idées, pour plaquer un sens sur le monde (même s’il ne m’a rien demandé). J’ai besoin de mon stylo et de mon papier. Et, comme je me déplace fréquemment, transporter des kilos (réellement) de notes n’est pas envisageable. Il me faut donc du virtuel.

J’ai testé à peu près toutes les technologies principales en matière de tablette prétendant offrir une expérience comparable au papier, avec les bénéfices du numérique (transport, archivage, multimédia). Les principaux concurrents dans ce domaine sont :

  • La ligne de produits Galaxy Note chez Samsung
  • La ligne de produits Surface chez Microsoft
  • La ligne de produits iPad Pro chez Apple.

Si vous suivez un tant soit peu ce lieu de perdition, vous savez déjà qui gagne, mais il est maintenant question d’étayer un peu tout ça.

Un mot d’avertissement : l’usage dont il est question concerne la prise de notes manuscrites sur un objet qui émule au plus près l’expérience du papier. Il ne s’agit pas de reconnaissance de caractères, mais simplement de récupérer des PDF ou des images avec les précieux gribouillis. (Mon organisation consiste à retaper par la suite – et donc à choisir – ce qui a de l’importance dans Scrivener ; les notes papier sont ensuite plus ou moins « mortes », à moins de chercher une information écartée par erreur.)

La Surface Pro

Matériel testé : Surface Pro 3 de milieu de gamme avec Surface Pen 3, puis 4 (avec tout son kit de mines).

Bon sang, que j’ai aimé le concept de la Surface Pro. Sur le papier (olol), c’était tout ce dont je rêvais : portable, légère, avec un vrai Windows dessus, et pourtant un stylet. J’allais pouvoir compiler toutes mes idées dans OneNote et en disposer partout ! Écrire dessus avec la facilité d’un iPad ! Passer de l’écriture à une petite partie de Race for the Galaxy solo pour me détendre…

Ultime déception.

J’ai très bien travaillé avec la Surface Pro, qu’on ne s’y méprenne pas : Windows en mobilité dans le poids d’un iPad, avec un super clavier, c’est extrêmement agréable. Mais j’ai très bien travaillé dessus comme je l’aurais fait sur un joli portable un peu hors de prix.

Pour la prise de notes manuscrites, c’est complètement raté. Alors, peut-être ai-je une drôle de façon d’écrire (c’est fortement possible) ou ne suis-je pas doué, mais incapable d’obtenir un résultat correct sur une Surface Pro. Le stylet est soit trop mou, soit trop dur avec les pointes optionnelles ; l’appareil chauffe très vite à un point inconfortable (juste sous la paume, en plus) ; il est trop haut pour que ce soit pratique ; la paume interfère toujours un peu avec le défilement de la page ; l’ergonomie de OneNote est hautement perfectible (notamment au niveau de la cohérence entre applications) ; et surtout, on a l’impression d’écrire avec un Bic sur une plaque de verre.

En un mot, c’est absolument dégueulasse.

La Surface Pro est un très bel ultraportable, ça ne fait pas de doute. Mais l’aspect manuscrit est totalement raté.

La série Galaxy Note

Matériel testé : Samsung Galaxy Note Pro 12.2.

Chronologiquement, c’est en la Galaxy Note Pro que j’avais fondé mes premiers espoirs, et force était de constater qu’ils ne l’étaient pas mal (fondés). L’appareil est grand, agréable à prendre en main (si l’on pardonne à Samsung sa foutue surcouche d’Android mal fichue et l’ergonomie incohérente de ses applications), puissant. Moyennant une bonne application de prise de notes (S Note ou Squid, à mon humble avis et selon les préférences), on la prend bien en main.

Le stylet offre l’énorme avantage de fonctionner sans piles (il est alimenté en fait à travers l’écran par induction) ; la sensation est agréable (la pointe « s’écrase » gentiment et accroche un peu, donnant la sensation d’écrire avec un feutre fin), en revanche, il est vraiment petit, en plastoc très cheap. D’autre part, on constate quand même une latence perceptible, qui dérangera un dessinateur sans doute, mais pas quelqu’un qui cherche juste à écrire à la main.

Une solution tout à fait acceptable et qui m’a duré longtemps, à condition de remplacer le S Pen de base par un joli stylet Wacom compatible (c’est la même technologie), lourd et agréable à manier. À noter quand même que ma tablette m’a lâché moins d’un an après l’achat et que j’ai dû faire jouer la garantie ; également, qu’aucun remplaçant du modèle (ni du plus petit en 10.1 pouces) n’est annoncé. On peut fortement craindre que Samsung, conformément à ses habitudes, ne soutienne pas son produit et ne prévoie aucun renouvellement de la gamme. Ce qui peut être fort problématique si l’on s’est engagé dans une technologie qu’on souhaite poursuivre à utiliser.

L’iPad Pro

Matériel testé : iPad Pro 12 pouces

Le voilà, le Graal, le messie que j’attendais et que j’invoquais de mes voeux depuis des années. Ce qui est rigolo, c’est qu’étant jadis farouchement anti-Apple (les choses ont bien changé), j’ai bien failli ne jamais l’essayer, et j’ai mis des mois avant de m’y résoudre.

Cinq minutes de test en Apple Store (grâce à un gentil vendeur) et j’étais tombé amoureux.

Comme beaucoup de produits Apple1, on l’a attendu, le stylet, mais une fois sorti, c’était parfait, léché – cela se sentait.

Le crayon – car il porte le nom de pencil – tient parfaitement en main, lourd mais pas trop : satisfaisant. L’iPad Pro est un bijou à regarder, à tenir en main, plus fin qu’un bloc-notes classique, avec une chauffe très modérée (et nullement gênante ici). La technologie est simplement parfaite : la réactivité est exemplaire, la précision est au rendez-vous, pas de latence réellement sensible. Pour preuve, les technologies Wacom (Galaxy Note) et N-Trig (Surface) marquent d’un point sur l’écran l’endroit où vise le stylet. Pas chez Apple. Pas besoin, parce que ça écrit pile où on le pose, pas besoin d’une mire.

Et le confort d’écriture est juste splendide. C’est, faute de meilleur terme, « doux » – comme un feutre sur du papier glacé, mais qui, évidemment, ne bave pas. Je me suis surpris à trop réduire l’interligne de mes pages virtuelles juste pour m’émerveiller de la précision que pouvait adopter mon écriture sur cet engin. On s’est moqué de la présence d’une batterie dans le pencil par rapport aux piles du Surface Pen, mais c’est en fait un choix intelligent : l’autonomie du Surface Pen est réellement longue – ce qui augmente les chances de tomber en panne de piles sans en avoir prévu sur soi. Alors que le pencil se recharge directement sur la machine si besoin. En fait, c’est une sécurité confortable à l’usage : juste besoin de trimballer des câbles de recharge standard.

Évidemment, cela ouvre toute la robustesse d’iOS et de l’écosystème Apple (on peut dire son côté fermé, aussi – mais on parle ici de machines de travail, pas de bricolage ni d’optimisation). De plus, quantité d’utilisateurs avancent se passer de plus en plus de leurs MacBooks depuis qu’ils possèdent des iPad de belle taille avec un clavier annexe. Je reste attaché aux systèmes d’exploitation desktop mais je comprends sans mal cet usage, et je le crois tout à fait possible.

L’iPad Pro a été le doigt dans l’engrenage qui m’a ramené, vingt-cinq ans plus tard, à Apple. 

En conclusion

Il est clair que ce besoin est vraiment très spécifique et que beaucoup d’utilisateurs sont plus que ravis de se dispenser enfin de toute sorte d’écriture manuscrite. Mais il convient de ne pas l’enterrer trop vite – si j’étais étudiant aujourd’hui, plutôt que prendre des notes sur un portable, je le ferais sur un de ces engins, si je pouvais.

Quelle machine pour prendre des notes manuscrites ? iPad Pro > Galaxy Note, mais jamais, jamais de Surface Pro. (Autant utiliser du papier.)

Quel est le meilleur ordinateur portable ? Ça dépend de l’écosystème. Je pense aujourd’hui qu’un professionnel devrait sérieusement se pencher sur les produits Apple en raison du gain de temps et d’énergie qu’on en retire (je constate en ce moment qu’entre mon petit MacBook Air tout pourri et ma machine de bureau qui est une bête de course, j’utilise davantage le MacBook, parce que tout fonctionne tellement mieux dessus), mais, si l’on tient à conserver ses habitudes, iPad Pro et Surface Pro se valent probablement, en fonction de ce qu’on possède déjà. (La Galaxy Note Pro est, en revanche, hors course.)

Et maintenant, j’ai deux appareils à revendre.

  1. Et contrairement à beaucoup d’autres produits Apple aussi, nous sommes d’accord.
2019-08-28T21:25:47+02:00jeudi 21 avril 2016|Best Of, Technique d'écriture|12 Commentaires

Sept anglicismes à bannir du langage geek et de l’imaginaire

thank-you-fistingQuoi ? Quoi, j’ai dit « sus aux anglicismes » et « geek » dans la même phrase ? Alors d’une, je l’ai mis en italiques, ce qui explique bien que c’est un emprunt, et de deux, geek n’a pas de réel équivalent en français, vu que ça signifie en gros « mec chelou » ou « débile » en langue anglaise.

Donc bon.

Nous, peuple de l’imaginaire et par extension peuple du jeu vidéo, de la contre-culture, embrassons les nouveautés pour lesquelles il n’y a pas encore de réel vocabulaire (ce qui est beau), un mode de pensée et de construction venu d’ailleurs dans le cas des mécaniques ludiques (ce qui est intéressant) mais oublions au passage que nous avons une langue avec laquelle nous pouvons faire autre chose que manger des glaces, c’est-à-dire parler correctement quand il existe des termes parfaitement valides, a fortiori quand les anglicismes que nous importons sans réfléchir se heurtent à des mots existant déjà, concourant à des phrases qui, franchement, ne veulent plus fucking rien dire. (Là encore, les italiques, vous avez vu ?)

Alors maintenant, ça suffa comme ci, voici sept anglicismes qu’il faut cesser d’utiliser, parce que sérieux, ils vous donnent l’air tarte : les mots que vous employez ne signifient pas ce que vous croyez.

1. Franchise

« J’adore toute la franchise Star Wars. »

Star Wars ne vous fait pas de secrets ! Star Wars vous dit tout ! La franchise, c’est la somme que vous devez payer avant que l’assurance ne couvre les frais, ou bien l’honnêteté dont vous faites preuve pour dire à votre coloc que ses chaussettes puent, mais cela ne désigne en aucun cas une propriété intellectuelle dont on dérive des oeuvres. Une franchise, à la rigueur, c’est le droit d’exercer pour un artisan passé maître (ce qui explique qu’on puisse être franchisé Subway de nos jours, quand il est plus civilisé de servir des poulet teriyaki que des parpaings), mais cela ne s’applique pas à une oeuvre de l’esprit – dans ce cas, on parle de licence, c’est-à-dire une licence d’exploitation pour créer une oeuvre secondaire, ou pour continuer à explorer un univers existant.

2. Achèvement

« J’ai tous les achèvements héroïques de World of Warcraft. »

Les achèvements sont donc une fin en soi ? En même temps… Ahem. Les trophées / exploits / hauts faits / réussites que l’on obtient dans les jeux (les petits défis sans autre récompense qu’un score à la clé) dérivent de l’anglais achievement, mais to achieve signifie réussir, parvenir à. En français, achever, ça veut dire terminer, pas réussir (une réussite est terminée, mais toute terminaison n’est pas réussie, comme, peut-être, celles des neurones des locuteurs qui intervertissent les termes sans distinction). Sinon, quoi, vous avez obtenu des terminaisons dans World of Warcraft ? Ça a l’air tarte, hein ? Bah voilà. Utilisez ce que vous voulez, mais pas achèvement.

3. Disposer de ses ennemis

octopus1« J’ai disposé de toute l’équipe ennemie, je roxxe ! »

Alors un truc, les gens, disposer de, c’est avoir à son service, ou bien donner congé. Comme dans : « Alfred, vous pouvez disposer. » Si j’ai vaincu Sauron, je dis quoi : « Sauron, tu peux disposer ? » RLY ? Et sinon, si je dispose de Sauron, c’est mon majordome. Donc vous avez Sauron comme majordome ? (Oui ? Oh d’accord je ne voulais pas vous agacer excusez-moi de vous demander pardon.) Cet horrible anglicisme vient de dispose of, ce qui signifie se débarrasser de. On poutre, assassine, détruit, se débarrasse de, que sais-je encore, mais disposer, non. Sauf si vous vous débarrassez de vos ennemis au sein du service public via des mises à disposition, mais là, c’est retors.

4. Tiers

« J’ai débloqué le quatrième tiers de l’évolution de ma colonie spatiale. »

Combien y a-t-il de tiers dans un quatre-quarts ? Hein ? Hein ? Trois, bon dieu ! Un tiers, c’est une fraction. Mettre quatre tiers dans un verre, à moins qu’on soit chez Pagnol (et que ça dépende de la grandeur des tiers), ça veut dire remplir le verre et en fiche un tiers de plus sur le comptoir. Celui-là vient de tier qui signifie palier. Cessez d’être grotesque, je vous en prie, quand votre paladin de WoW vient de débloquer son ensemble de raid T27 – tiers vingt-septième ? Sérieusement ? What is this I don’t even. Palier. Palier. Ça me rend fou palier. LOL.

5. Expertise

« J’ai appelé un spécialiste qui nous fera bénéficier de son expertise. »

Expérience, fichtrefoutre, pas expertise ! L’expertise, c’est réservé aux comptables ou aux assurances, c’est une forme d’audit, si l’on veut. Dans tous les autres cas, il s’agit d’expérience. De savoir-faire. Non, dire expertise ne donne pas de cachet à l’expérience. Sinon les moines bouddhistes feraient preuve de patise au lieu de patience, l’équipe de Charlie Hebdo très irrévérencieuse montrerait de l’irrévertise et les méduses qui brillent fort dans l’obscurité illustreraient la bioluminestise.

6. Digital

« J’aimerais vous proposer mes compétences en marketing digital. »

Digital, c’est un doigt brandi bien haut. Oui, je sais, l’usage de digital (traduction directe de digital) a été entériné par l’Académie Française (la même qui nous a offert cédérom et mél, rappelons-nous, hein), mais les dictionnaires recommandent plutôt, et explicitement, numérique. C’est du binaire, ce sont des nombres. Je veux bien qu’on interagisse avec des doigts, mais quand on aura des interfaces neuronales, nos doigts seront au repos, quand les nombres défileront toujours dans la matrice. Soyez dans le coup, prenez une longueur d’avance. Parce que quelqu’un qui a des compétences digitales, ça s’appelle un empoisonneur.

7. Habiletés

« J’ai maximisé toutes les habiletés de mon personnage. »

L’habileté, c’est le caractère de celui qui est habile, adroit ; les habiletés, ce sont les maîtrises de techniques et de savoir-faire. Or, ability en anglais recouvre plutôt les facultés, les capacités, à la rigueur les compétences. Et non, « abilité » n’est pas un mot. Débilité, en revanche, si.

8. Bonus : Âge

slip_carefully« Nous entrons dans un âge digital » (double combo)

Celle-là est plus subtile (d’où le fait qu’elle soit en bonus).

Ce n’est pas parce que le titre du film Ice Age a été traduit bêtement par L’Âge de Glace qu’il faut croire tout ce qu’on raconte au cinéma (d’ailleurs, breaking news, les mammouths ne parlent pas). Age en anglais, c’est une période, voire une ère (mais cela engendrait des confusions avec l’échelle géologique du même nom). On peut parler d’âge mais, dans ce cas, on ajoute plutôt un adjectif, comme pour le « petit âge glaciaire » géologique qui n’était pas tant une « période » à proprement parler, mais un refroidissement.

Alors je veux bien que Période glaciaire, ça n’aurait pas fait un titre très sexy, mais j’ose avancer que L’Âge de Glace, c’est à peine mieux. Ce qui fait l’équilibre d’une formulation ne se trouve pas seulement dans les termes employés mais dans leur conjonction. Ici, la solution était simplement : Âges glaciairesL’âge des glaces, ou autres ; parce que L’Âge de glace, ça évoque un peu « les noces de diamant » de ta grand-mère (récit à rebondissement s’il en est, avec dégel, glaciation, mammouths et tigres à dents de sabre maison).

Bref, sur « âge », se méfier comme l’oiseau qui vient de naître au risque de savonner la pente de la branche sur laquelle on est assis.

Circulez et portez la bonne parole !

2019-09-19T10:37:01+02:00lundi 28 mars 2016|Best Of, Humeurs aqueuses|52 Commentaires
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