Expériences en temps réel, bilan 2012

Ça y est ? Y a pas eu la grosse météorite, l’alignement des planètes du système solaire n’a pas produit le tsunami du millénaire, le calendrier maya ne s’est pas terminé ? (Sérieux, s’ils avaien su prédire l’avenir, vous ne croyez pas qu’ils auraient deviné que les Espagnols allaient débarquer ?) J’ai cherché « Maya shame » et autres mots-clés connexes pour voir s’il y avait des reportages gras jetant des pierres aux peureux qui se sont planqués dans des abri anti-atomiques le 21 décembre avec des gros plans sur leurs mines contrites mais, à ma grande insatisfaction, l’Internet multimédia n’a pas donné réponse. Alors qu’on sait tous comment ça s’est passé :

doctor_maya

Hein.

Bon, c’est le 31, et tous les ans, c’est l’heure du bilan, plus particulièrement sur le bar. Déjà, 2012, ça a été le lancement de la version 5 du site, une version qui remplit toutes mes attentes au niveau maniabilité et facilité d’administration pour moi, ce qui m’a permis de tenter de revenir au blogging quotidien (ce que je tiens depuis six mois). Il n’y a pas d’article de fond tous les jours – ce n’est pas tenable pour moi, et ça fait trop à suivre pour vous – mais cela me permet, entre les plats de résistance, de proposer une mise à jour plus légère, une vidéo, un lien vers une chronique. Je crois que c’est – enfin – une formule qui marche et, l’un dans l’autre, cette mouture du site va probablement subsister pendant encore un bon moment (ce qui n’empêche pas les améliorations).

Comme c’est maintenant la tradition depuis quelques années, un tour des articles qui t’ont le plus intéressé, auguste lectorat, et de ceux que je voudrais sauver au rattrapage (envoie un SMS avec le chiffre 1 au 8 23 23).

Les stars

  1. Bon, si vous avez suivi l’affaire (et c’est probable vu les lectures), sans surprise, c’est « Le racket de Facebook : pourquoi vous ne verrez plus le contenu qui vous intéresse » qui a avoir été promu sur le réseau à simple titre d’expérience et qui termine dans la stratosphère à presque 50 000 lectures (enfin 47 989, zbam), ce qui me laisse encore baba, vu que c’est (en moyenne) 10 fois mon trafic mensuel.
  2. Le second, sur le même sujet, est « Le racket de Facebook (suite) : j’ai payé pour un article et multiplié mon trafic par… 100 » qui est à 1019.
  3. Ensuite, et ça me fait très plaisir, « Il faut cesser d’amalgamer droit d’auteur et copyright » (711), je tenais à que le message passe, on dirait que c’est le cas (et sans promotion).
  4. « Une liseuse ? Mais pourquoi, en fait ? » (564)
  5. « Des déclencheurs pour écrire » (497)

Qu’est-ce qu’il en ressort ? Qu’à part l’effet de distorsion causé par les articles Facebook, ce qui reste le plus visité – donc probablement ce qu’on s’attend à trouver le plus ici – ce sont les articles sur le monde du livre et la technique d’écriture. Je comptais en parler davantage cette année, ce fut chose faite, et j’en suis content, mais je n’en ferai pas encore davantage, en principe. Je tiens à rester ouvert sur une multiplicité d’autres sujets, en particulier le volontariat, et tant pis si c’est moins lu, ce sont des choses qui me tiennent à coeur. Je note aussi que les articles didactiques, courts et clairs sur le métier suscitent de l’intérêt. J’en ferai d’autres, puisque c’est comme ça !

Le rattrapage et le FAIL

Eh bien, d’habitude, j’ai des articles qui sont totalement passés inaperçus, mais cette année, globalement, je ne me plains pas. Ça veut probablement dire que j’ai appris à les signaler… ou que nous apprenons ensemble à mieux utiliser les outils pour interagir. Néanmoins, s’il fallait attirer l’attention sur d’autres articles cette année, voici sur quoi je proposerais de revenir :

  1. Un que j’aime particulièrement sur le fait d’accorder, ou non, une conscience aux autres espèces que la nôtre. C’est simple : je pense que ce doit être, avant tout, un choix.
  2. La Quadrature du Net perd sa crédibilité à mes yeux (histoire de troller un poil).
  3. 5 règles pour ne pas démarcher quelqu’un – je suis ravi d’avoir écrit cet article, qui me permet enfin de faire des réponses brèves quand je suis à nouveau confronté à cette situation.
  4. Les déclencheurs étaient trop durs ? Un aimable coup de pied au cul (valable dans bien des situations d’écriture).
  5. Difficile de parler de cette funeste année sans commémorer notre camarade.

Que prévoir pour 2013 ?

madame_soleil J’en parle depuis, pfouuu, un an et demi au moins, les portails sur les univers. Eh ben, ça se précise ! Pour de vrai. J’ai des notes, et tout. Et du matos. It’s coming (comme le winter).

Plus en détail, de petites améliorations à prévoir ici et là, bien sûr ; finir de consolider la revue de presse, ouvrir la section entetiens et ainsi de suite, le but étant de rendre les infos plus faciles à trouver pour tout le monde (et donc de gagner du temps). Dans le même ordre d’idée, je vais continuer à clarifier ce que je peux ou pas faire ; ce à quoi je peux répondre de manière réaliste, et ce que je dois hélas décliner. Le but étant d’éviter de décevoir et, en contrepartie, de mieux promettre, comme de mieux me concentrer sur ce que je dois faire mais n’arrive qu’à grand-peine à réaliser (genre, ahem, répondre à mes mails).

Enfin, je crois qu’il faut que j’annonce, suite à un effet ras-le-bol des réseaux sociaux, que je tolère de moins en moins les raisonnements par catégorie, les gens qui savent,  les juges de paix qui veulent lisser les opinions au titre de non mais tu vois tu penses ça mais lui il pense ça aussi et il a le droit alors vous devriez penser autre chose tous les deux et autres ayatollah du consensus mou. Non. Je pense des trucs, parfois à tort ; quand je me plante, je le dis. Quand il s’agit d’opinions, j’ai la mienne, je le partage, j’en change si je veux, tu en as une différente, c’est cool, on discute, mais tu as le droit de penser autre chose et moi aussi. Je deviens de plus en plus taquin à cause de ça et je crois que c’est pas parti pour s’arranger. J’ai toujours été plus cinglé que toi.

Et maintenant, tuons 2012 avec des planches à clous rouillés et avançons-nous ivres et légèrement malades vers 2013 ! Amusez-vous bien ce soir, et surtout conduisez prudemment.

2012-12-31T09:01:04+01:00lundi 31 décembre 2012|Expériences en temps réel|10 Commentaires

Stupeur et absurdité : de l’influence et son inutilité

Alors voilà. Je suis à la fois stupéfait et mort de lolz. Vous vous rappelez l’article sur Facebook qui est devenu viral ?

Un mois après, voilà où on en est.

(Pris sur eBuzzing, ex-Wikio.) Je vous passe le « 1e du top blogs littérature » « 1e du top blogs culture » etc.

HA HA HA.

« HA HA HA » non pas par morgue ou par fausse humilité, mais HA HA HA parce que mes stats, je les vois, je les connais. Me trouver sandwiché entre Korben et Gizmodo est absolument surréaliste et je sais parfaitement que tout cela n’est qu’un effet de distorsion dû au fait que j’ai un article devenu viral (mais qui, c’est heureux et sympathique, m’a permis de rencontrer de nouveaux lecteurs et abonnés, et c’est bien tout ce qui compte). Je dis HA HA HA parce que, dans tout cet eldorado mal compris qu’est le ouèbe 2.0, on essaie à tout prix de vendre de l’influence, du référencement, et surtout les outils numériques qui permettent de quantifier si tu es un Mec Qui Sait, donc un mec qu’on écoute, donc un mec qui vend. 

HA HA HA.

Me concernant, de deux choses l’une :

  • Je suis ainsi au sommet du classement à cause d’un effet de distorsion ponctuel dû à un article viral. Je vais très certainement retomber très vite à la place qui m’est due, c’est-à-dire la 652423 ème (ou peu s’en faut, au bout d’un moment on ne compte plus les dizaines).
  • Tout le monde est dans un mouchoir de poche. C’est-à-dire que 500 blogs reçoivent en moyenne cent visites par entrée et que ces classements ne bougent pas parce qu’on est 500 ex-aequo. Corollaire : vu que mes chiffres, je les ai, je les donne, ils ne sont pas faramineux (mais quand même pas dégueulasses), ça veut donc dire qu’on est tous avec des chiffres pas faramineux et que les visites annoncées par les grands sites, c’est comme les chiffres de vente en littérature : tout le monde ment. Ça veut dire qu’on blogue tous pour cent personnes en moyenne. Ça veut dire que tout cela est d’une vaste inutilité dans la quête du mythique « buzz » qui est censé faire de nous des influencers, des trend-setters, des mecs qui créent de la valeur.

HA HA HA.

Une chance que je ne blogue pas pour être un de ces affreux anglicismes, mais pour tenir mon bar, encore et comme toujours (et la preuve que je n’en ai rien à carrer de ces chiffres : je fais ce genre d’entrée). Parce que la vérité, l’important, ce n’est pas d’être un type qui influence, c’est de construire une communauté, du lien, une maison où les visiteurs se sentent bien. J’ai un aveu à te faire, auguste lectorat : je sais pertinemment que tu ne viens pas ici pour mon actualité. Les articles où je parle de mes infos sont, de très loin, les moins visités. Tu t’en fous, mais ça me va. Je ne blogue pas pour te vendre des livres ; si ça arrive, c’est cool, et j’aime quand même bien ça, mais je me suis toujours promis de bannir le gavage publicitaire. Non, tu viens là parce que tu as envie, et c’est bien la seule raison qui vaille. 

Alors, d’après eBuzzing, je suis un influent, maintenant. Je comprends pourquoi la fin du monde arrive, tiens. Scoop : ça ne fait absolument pas vendre de livres. Mais pas du tout. L’influence est un miroir aux alouettes. Ce n’est pas parce qu’on vous écoute qu’on vous achète, qu’on agit, que vous avez subitement un succès éditorial. Tout ça, c’est des conneries, et dans ces temps où l’on ne jure que par la page Facebook, l’auto-promotion, le Klout et autres métriques d’influence, il me semble important de coller un bon gros coup de masse dans le magasin de porcelaine. C’est. Des. Conneries. 

Soyez sur Internet parce que ça vous éclate, bordel de merde, et parlez avec les gens qui vous correspondent. Disséminez votre message, mais n’espérez pas les fifteen seconds of fame. Vous serez très, très déçu. Alors arrêtez d’acheter du SEO, des rêves de succès, du community management orienté sur la vente finale. Parce que ça ne sert à rien – du moins, pas à grand-chose, question retour sur investissement en termes de temps et d’énergie. Pire : c’est un gros mensonge spéculatif, semblable à celui qui a conduit à l’éclatement de la bulle Internet dans les années 2000. Sauf que ce n’est pas un krach boursier qu’on risque, mais un krach nerveux.

Les seuls à vraiment faire fortune, ce sont les mecs qui font les plate-formes, les outils d’analyse à la Klout, les consultants SEO, Zuckerberg et autres, parce qu’ils ont réussi à vous faire croire qu’ils étaient indispensables. C’est comme la vente pyramidale ou les méthodes miracle pour gagner beaucoup d’argent sans bouger de chez soi. C’est un système auto-alimenté, c’est tout. Et c’est marrant, parce que c’était le sujet de l’une de mes toutes premières entrées de blog, il y a plus de six ans. Mutatis mutandis, feta salakis. 

Moi ? Hey, moi, je suis mort de rire et tout sauf déçu, comme l’est un barman avec ses habitués et ses nouveaux visiteurs occasionnels et pour qui, d’un coup, c’est Noël parce qu’il y a les TransMusicales qui passent dans sa rue. La communauté existe, elle est cool et ouverte : ça, ça me semble réussi, et c’est ce qui compte.

Alors, rock on, auguste lectorat ! 

2018-12-19T07:11:02+01:00mardi 11 décembre 2012|Expériences en temps réel|16 Commentaires

Des sables à la nage

C’était ma seconde chance de faire une bonne première impression. Le maelstrom de couleurs, de mouvements et de sons s’est redéployé à la façon d’un tapis déployé d’un coup sec autour de moi et j’ai chancelé, brusquement assourdi par le vacarme de la circulation, étouffé par les gaz d’échappement. Le soleil de midi cognait sur mes bras nus comme une massue, mais ce n’était pas la chaleur qui rendait ma gorge sèche. J’avais dans le ventre un étau qui me donnait envie de fuir, de réactiver mon transpondeur pour fuir à nouveau vers l’époque qui était devenue la mienne après mon initiation dans le programme : la fin des temps. Mais c’était ma seconde chance, et l’univers mourant ne m’en offrirait pas de troisième.

J’avais programmé mes coordonnées à la hâte, mais j’ai soufflé de soulagement en constatant que je m’étais effectivement rematérialisé dans une ruelle, loin des regards indiscrets. L’habitude du XXIe siècle, de Paris, ma ville natale, tant d’années plus tôt pour moi – et, pour le reste du monde, des milliards d’années plus tôt. La Compagnie employait des explorateurs de toutes les époques par mesure de praticité. Ils étaient les plus à même de cataloguer, trier et archiver les contenus les plus signifiants de leur propre époque, comprimés, séchés et stockés des sabliers de Klein où ils tournaient sans cesse sur eux-mêmes. J’avais été contacté à seulement vingt ans, tandis que je vivais sous la coupe d’une mère tyrannique qui m’obligeait à suivre des études d’expert comptable, moi à qui la seule vue d’une compte de résultat provoque des vertiges et des sueurs froides. J’avais préféré fuir. Comme toujours.

J’ai voulu lever les pieds et le bitume a adhéré à mes semelles comme de la mélasse. Les ondes de choc de la Grande Fin se faisaient déjà sentir ici aussi. J’ai réprimé à grand-peine un cri d’angoisse. Le temps pressait, même pour moi, voyageur affranchi des règles relativistes de l’univers. Mais la Grande Fin n’avait pas lieu qu’à l’extrémité du fil du temps. Elle contaminait toutes les époques, tous les endroits, et ne laisserait rien que le néant, sans même un souvenir des pauvres êtres qui avaient peuplé notre univers. J’ai serré les dents.

Je me suis élancé en courant vers les Champs Elysées. Le souffle déjà coupé par la peur, j’ai failli m’appuyer contre un immeuble, mais je me suis retenu au dernier moment, par peur de passer au travers. Un gémissement étouffé a franchi ma gorge et je me suis mordu le poing. Je contemplais les touristes japonais, les voitures klaxonnant aux feux rouges, le célèbre Arc de Triomphe, comme à travers un miroir brisé, symptômes de la Grande Fin. Nul n’en avait conscience; seul le transpondeur me permettait de voir la réalité telle qu’elle était – agonisante, mourante, se contractant peu à peu en un seul point, espace et temps mêlés. Des milliards et des milliards d’âmes s’éteindraient ensemble quand le moment viendrait – et nul, à part les agents de la Compagnie, n’en aurait même conscience. Peut-être était-ce préférable. Mais cela ne faisait rien pour étouffer la peur qui me mordait les entrailles.

Soudain, je l’ai vue, de l’autre côté de l’avenue – aussi resplendissante que ce jour, des dizaines d’années plus tôt; semblant attendre quelque chose – je n’ai jamais su quoi. Elle portait une petite robe d’été à fleurs qui laissait entrevoir ses jambes bronzées et souriait dans le vide, ses cheveux bruns volant dans une douce brise. Vision champêtre en décor urbain. Autrefois, j’avais voulu lui parler. Mais les mots s’étaient bloqués dans ma gorge, mes mains s’étaient mises à trembler. Elle m’avait souri gentiment, mais la seule réaction que j’avais pu avoir, c’était de prendre mes jambes à mon cou. Le même soir, mon mentor de la Compagnie m’enrôlait, et je m’engageais pour une fuite plus longue encore.

Un tremblement de temps a fait vaciller le sol sous mes pieds et je me suis enfoncé d’une bonne dizaine de centimètres à travers la vase même de la réalité. Un début de panique m’a jeté à travers la circulation – et un conducteur a écrasé son avertisseur, tenté un coup de frein desépéré – pour passer à travers moi. La réalité s’était suffisamment délitée pour que les frontières de la matière ne soient plus fermes. J’ai continué à sombrer à travers le goudron; je n’avais plus le choix, il fallait se lancer. J’ai semi-couru, semi-nagé à travers un pêle-mêle de carrosseries poussiéreuses, de Japonais avec appareil photo, avant d’arriver de l’autre côté, essoufflé et tremblant. Je reprends pied sur l’autre rive – difficile de l’appeler autrement vu l’avancée de la Grande Fin.

C’est amusant, comme les épreuves ne prennent leur sens qu’après coup. Je me demande pourquoi il a fallu traverser la rue à la nage, mais quand je croise son regard, illuminé comme un lagon à midi, la peur me quitte. La fin de l’univers ne me semble plus très grave. C’est d’une voix claire et assurée que je lui dis : « Bonjour? »

Contraintes : 35 minutes d’écriture, déclencheurs multiples :

  • Angoissé perpétuel
  • La réalité se délite
  • Sablier
  • Pourquoi a-t-il fallu traverser à la nage ?

(Avec un clin d’oeil à Elisabeth Vonarburg pour la première phrase !)

2012-07-01T22:39:58+02:00mercredi 11 juillet 2012|Expériences en temps réel|3 Commentaires

Et maintenant, commencer par la fin

Son estomac décrivait des sinusoïdes façon montagnes russes comme s’il voulait se vomir par ses oreilles. Elle se sentait glacée et brûlante, blanche et noire, yin et yang ; dureté froide sous son dos nu, tiédeur caressante de l’air sur son visage et son ventre.

« La dormeuse doit se réveiller », lui murmura le tapis de bain.

Elle répondit un râle inarticulé qui avait pour elle la signification d’un millier de mots et, à la manière d’un faux raccord au cinéma, se retrouva à s’agripper au lavabo sans se rappeler s’être levée. Une touffe de cheveux blonds pâle surmontant des yeux cernés et injectés de sang parut dans le miroir.

Elle se baissa vivement pour esquiver la rafale de kalachnikov que lui balança son reflet.

« Paix ! hurla-t-elle d’une voix éraillée. Paix ! »

Ses doigts serraient douloureusement la faïence blanche tandis que, sous elle, s’ouvrait le vertigineux précipice de sa propre hauteur, et qu’en contrebas la houle déchaînée des carreaux de la salle de bain battaient furieusement les uns contre les autres, prêts à disloquer sa frêle silhouette au terme d’une chute fatale.

D’une voix prise du nez, le robinet intercéda en sa faveur:

« Donne-lui donc à boire, disait toujours mon père.

— Clémence ne mérite pas sa propre clémence, ni la mienne », rétorqua le reflet de Clémence. Clémence eut l’impression que c’était sa gorge qui avait prononcé ces mots, et pourtant ils ne venaient pas d’elle.

Elle balaya les alentours du regard, en quête d’une liane en rideau de douche qui pourrait lui permettre d’atteindre l’abri de la baignoire, loin de la fureur de son ego. La sueur perlait à son front et son œsophage révulsé lui brûlait. Elle n’était pas sûre que, dans son état, elle pourrait avaler quoi que ce soit, de toute façon.

Elle passa le coude par-dessus le rebord, assura sa prise et tendit l’autre main vers le rideau, faisant appel à des réserves de concentration qu’elle s’ignorait détenir. Les portes de son esprit s’entrouvrirent et, l’espace d’une fugace seconde, tous les secrets de l’univers lui apparurent dans leur beauté virginale ; le mouvement des planètes et les mystères des particules ; les tourbillons de l’âme humaine et la contemplation coite des rochers ; la mathématique et l’art, tout s’unit en sa conscience en un tout d’une beauté insoutenable.

En réponse à son appel muet, une brise fit ondoyer le rideau de douche. Elle ne connaîtrait pas d’autre épiphanie que celle-là ; il fallait tenter le tout pour le tout. Elle s’élança désespérément vers la baignoire tandis qu’en-dessous, le carrelage entamait sa funeste métamorphose en crocodiles à motifs à fleurs.

Des ailes lui poussèrent dans le dos et le vent de son bond prodigieux sécha la sueur sur son visage pendant de longues minutes.

Mais c’était sans compter avec les armées démultipliées de son surmoi qui, embusquées dans le jardin, relancèrent l’offensive en la voyant passer devant la fenêtre. Les artilleries de la culpabilité, des choix malavisés et de l’autodestruction ébranlèrent la salle de bains juste alors que Clémence se mettait à couvert dans la baignoire.

Elle eut juste le temps de relever la tête pour voir le bouton d’eau chaude se tourner vers la gauche, indiquant une grave perte d’altitude d’équilibre dans sa vie.

« Mayday ! Mayday ! cria-t-elle dans le pommeau de douche. Jeune fille à la dérive ! »

Elle tira sur le robinet pour tenter de redresser sa trajectoire. Hélas… Si c’était un manche à balai, alors elle était une théière.

Contrainte : Terminer par la phrase « Si c’était un manche à balai, alors elle était une théière », trente minutes d’écriture.

2012-06-23T23:18:38+02:00mardi 26 juin 2012|Expériences en temps réel|5 Commentaires

« Cette nappe cirée me rappellera Marie-Amélie. »

Cette nappe cirée me rappellera Marie-Amélie. Cette table que nous achèterons dans un magasin d’ameublement en kit, quand nous penserons que cela suffit bien assez pour renouveler le vieux mobilier de la maison. Cette cuisine toute entière sera hantée par le parfum de ses pâtisseries et des dîners, qu’elle préparera d’abord pour les amis que nous recevrons, puis pour sa famille et la mienne, puis pour les enfants que nous aurons, un, puis deux. Cette porte vitrée, qui donne sur la cour de la ferme héritée de mon père, qui la tenait lui-même du sien, me rappellera les matins où je partirai à la traite des vaches, quand elle restera s’occuper des comptes; car tenir une exploitation est plus qu’une affaire de couple ; c’est un partenariat, une aventure d’équipe. De là où je me tiens, à observer les premier rayons de l’aube raccourcir les ombres de la prairie, j’aperçois l’angle de la grange, et je me souviendrai d’escapades, plus tard, avec elle parmi les bottes de foin, au milieu de la nuit ou dans la chaleur de l’été, juste avant les moissons. Je m’en souviendrai d’abord, quelques mois plus tard, quand des promesses d’avenir arrondiront son ventre, et puis plus tard, bien plus tard, quand ces mêmes yeux se poseront sur ce même panorama immuable, probablement plus fatigués, certainement plus embués, quand la cotte d’agriculteur aura fait du costume précieux que je porte aujourd’hui un lointain souvenir, quand le petit bouquet que je porte à la boutonnière, en symbole de ce jour particulier, aura depuis longtemps fané et disparu.

Tout ici me rappellera Marie-Amélie, cette demeure qui était la mienne, sera la nôtre, puis la mienne à nouveau, lourde de son absence, de ses silences, de la moue qui tracera, avec le fil acéré des années, des lignes malheureuses aux commissures de ses lèvres. Un moteur de voiture résonne déjà dans l’air du matin ; j’ai un dernier regard pour cet environnement muet pour l’instant, porteur de changements en devenir, et qui est sur le point de basculer. Elle viendra, puis elle repartira, fatiguée par l’isolement et la vie de la campagne, comme ma mère avant elle, trop éloignée de l’aisance des villes, du bruit et des lumières. Je me console en me disant qu’au moins, elle ne sera au moins pas brisée comme ma grand-mère et toutes les femmes qui l’ont précédées, dont des photos austères ornent les couloirs de la ferme. Je sais cette maison sera hantée par les souvenirs de ses rires et de sa présence, et pourtant, il faut que j’essaie. Il faut que j’y croie. Même si c’est pour apprendre, comme mon père, le sien et ceux qui nous ont précédé, ce que c’est que d’aimer pour perdre.

Contrainte : Démarrer par la phrase « Cette nappe cirée me rappellera Marie-Amélie » ; vingt minutes d’écriture.

Si ce genre d’exercice vous plaît ou vous intrigue, je vous ai concocté de quoi vous affairer pendant l’été. Restez à l’écoute !

2012-06-23T23:18:48+02:00mercredi 20 juin 2012|Expériences en temps réel|15 Commentaires

Quittage de loyer

Ho ? Elle est vieille, celle-là, et je ne l’avais jamais postée, apparemment (en tout cas, les archives ne semblent pas en porter la trace). Retrouvé cette lettre envoyée à mon ancienne agence immobilière dans mes archives administratives, et cette leçon vaut bien qu’on en fasse un fromage, sans doute.

[LD]

[Ancienne adresse d’un logement co-loué, dont il s’agit de résilier le bail]

[Rennes, Univers, c/o Malkuth]

[Agence immobilière concernée, dont l’amabilité était hautement discutable]

Messieurs,

Je vous informe par la présente que je quitte le logement que j’occupais avec [quelqu’un] et louais auprès de vos soins [quelque part]. Conformément aux trois mois de préavis, il sera donc libre [à un moment], mais je l’aurai effectivement quitté plus tôt ; je vous tiendrai informés afin que vous puissiez le remettre en location dès le début de l’année [prochaine], ce qui nous arrangerait tous, et pour que nous calions une date pour l’état des lieux de sortie.

C’est avec une larme à l’œil que je déserte ce logement bien agréable où j’ai découvert les joies du chauffage par le sol. Pour connaître le même plaisir, j’étais auparavant forcé de faire cuire mes charentaises au micro-ondes, une pratique à la fois fort peu commode et peu répandue. Dire qu’hélas je n’ai même pas l’excuse de Baudelaire qui affirmait « Les vrais voyageurs sont ceux-là qui partent pour partir ». Alors, oui ; je l’admets, vous me percez à jour, cela n’a qu’un lointain rapport avec ce qui précède, mais il est des choses qu’un homme doit faire dans sa vie, et il me semble que caser Baudelaire dans une lettre à une agence immobilière y figure.

Je vous en laisse juge, telle la postérité. Après tout, nous sommes tous les passagers du grand navire de l’existence et si l’on ne peut même pas égayer un peu la correspondance administrative de quelques saillies chaleureuses, à quoi bon se saluer cordialement en fin de lettre ? Je m’oppose contre l’hypocrisie épistolaire.

Restant à votre disposition pour tous renseignements complémentaires et pour vous tenir au courant de mon départ, je vous prie d’agréer, Messieurs, l’expression de mes salutations cordiales, enjouées et respectueuses.

LD

2014-08-30T18:40:07+02:00vendredi 15 juin 2012|Best Of, Expériences en temps réel|5 Commentaires

The times, they are a’changing

En fouillant dans mes scans et mes photos improbables, je retombe là-dessus, récupéré il y a peut-être un an (oui, pas mal de mes articles tournent autour de la SNCF, mais le train est mon deuxième bureau) :

Vous avez vu ?

Je veux dire, vous avez vraiment vu ?

Quand je tombe sur ce genre de choses, je me dis que le combat pour la reconnaissance de l’imaginaire est déjà gagné dans les esprits, et que seuls de vieux barbons ne s’en rendent pas compte. Parce que, pour que la SNCF, consensuelle et lisse dans sa communication s’il en est, propage ce genre d’image, cela veut bien dire quelque chose. Le mécano / ingénieur de droite est non seulement en train de construire un origami de l’Entreprise – icône geek et SF par excellence – mais que lit l’homme d’affaires à sa gauche ? Un journal économique sur les jeux vidéos, par tous les diables. Lesquels sont donc plus que définins comme un loisir digne, mais comme un secteur d’activité de pointe, obligeant un costume-gris qui voyage en espace Pro 1ère à se tenir au jus.

Peu importe la reconnaissance apportée par la SNCF, en vérité, ou même par les pouvoirs publics, ou encore Christine Boutin. Ne pas en bénéficier n’a jamais empêché la contre-culture des trente dernières années de pleurer à la mort d’Aerith dans Final Fantasy VII, de pouiller du beholder à coups de D20 ni d’apprendre l’elfique. Mais c’est l’assurance d’un peu plus de sérénité, de faire taire les empêcheurs de tourner en rond, de respirer toujours mieux économiquement, d’élargir le public et de partager davantage. Et ça, c’est toujours agréable. (Pas comme Christine Boutin.)

2012-05-22T10:22:40+02:00mardi 22 mai 2012|Expériences en temps réel|7 Commentaires
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