L’échec de la to-do list pour créer (Geekriture 02)

Maintenant que nous nous sommes mis d’accord sur le fait que la création artistique peut bénéficier d’une forme de structure, la logique dicte que l’on parle de ladite structure.

Sauf que toute personne s’étant attelée à essayer de créer quoi que ce soit s’est très vite rendu compte que le processus ne ressemblait pas du tout à une structure merveilleusement linéaire du type :
1. J’ai une vague idée
2. ???
3. Richesse, célébrité, flûtes de champagne, hordes de fans en voulant à ma vertu
(Même si nous sommes bien d’accord que la richesse, la célébrité et les attentats à la vertu ne sont pas, en réalité, les vrais objectifs de la création. La création elle-même devrait être sa propre récompense.)

➡️ L’article Geekriture du mois traite de l’échec des approches de productivité classiques dans le cadre créatif, à lire sur ActuSF.

2021-02-20T11:04:55+01:00lundi 22 février 2021|Technique d'écriture|Commentaires fermés sur L’échec de la to-do list pour créer (Geekriture 02)

Comment j’organise mes notes d’écriture (Zettelkasten + Linking Your Thinking)

Avec Geekriture, l’idée est de partager explorations et propositions concernant la productivité (qui est, rappelons-le, arriver plus vite et avec plaisir à ses buts) dans le cadre de l’écriture, parce qu’au-delà de l’organisation personnelle, il se tient en ce moment environ une véritable révolution (encore confidentielle) concernant la gestion de la connaissance. Ce qui est parfait en ce qui me concerne, parce que mener des projets pharaoniques comme « Les Dieux sauvages » et même l’univers d’Évanégyre tout entier implique des exigences proprement industrielles de traçage des détails, des intentions, jusqu’aux schémas d’ensemble, et je suis, eh bien, toujours à l’affût de meilleures méthodes.

Je me suis plongé depuis deux ans ce territoire, à la fois d’avant-garde (parce que les outils numériques, notamment l’hypertexte, transforment le savoir à l’échelon individuel) et ancestral (parce que gérer du savoir, ça remonte au bas mot à la bibliothèque d’Alexandrie, et le principe du Zettelkasten a été inventé par un sociologue dans les années 1960, soit avant l’informatique). Je parlerai de toutes ces méthodes dans Geekriture au fil des mois et surtout en quoi et comment on peut les adapter pour la fiction romanesque. Cependant, dans ce cadre, j’ai cassé ma tirelire cochon rose et suivi la formation Linking Your Thinking de Nick Milo (juste avant que le prix n’augmente cette année) dans l’espoir d’apprendre toujours plus de trucs.

Cela paraît peut-être encore un peu abscons, il y a pas mal de théorie derrière tout ce mouvement qui rappelle le lifehacking et l’essor de GTD dans les années 2000 (les principes sont très simples, mais nécessitent une pratique assidue pour en faire des réflexes). Ce qui est important ici est : à la fin de la formation, comme tous les stagiaires, j’ai proposé un exposé sur les systèmes qu’elle m’a permis de bâtir. Mon but d’origine était très clair : arriver à organiser mes idées avec plus d’aisance pour maintenir autant que possible l’état de flow.

Dans cette vidéo, je vous propose donc un tour d’horizon de mon organisation interne de notes de narration, que ce soit pour Évanégyre ou La Succession des Âges (« Les Dieux sauvages » V). (En anglais.) Le concept du “problème du tesseract” que j’aborde rapidement sera développé en détail dans Comment écrire de la fiction ?, tout comme le spectre de l’idée, de l’hypothèse et de la certitude en fiction, qui a été exposé ici avec le système d’émojis correspondant.

2021-01-23T12:27:08+01:00mardi 26 janvier 2021|Best Of, Technique d'écriture|2 Commentaires

Le gribouillis du processus créatif

Tombé sur ce dessin extrêmement simple et parlant résumant le processus créatif (et ses errements qui sont, insistons fort, normaux). « My father told me that the design process started with the abstract, moved to the concept and then finally the design. »

https://shrtm.nu/ybrA

2020-06-21T21:12:42+02:00jeudi 25 juin 2020|Best Of, Brèves, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Le gribouillis du processus créatif

On n’écrit (et ne traduit) que du sous-texte

Auteur scriptural, dit également jardinier (allégorie). Photo Eduardo Prim.

EDIT : Comme me l’a fort justement signalé mon camarade Laurent Genefort au moment d’enregistrer la saison 3 de Procrastination, la notion dont il est question dans cet article n’est pas le hors-texte, mais le sous-texte. L’article a été corrigé par rapport à sa version d’origine.  

On l’a abordé en filigrane dans Procrastination, j’en ai parlé par ici de temps en temps, mais plus le temps passe et plus cela m’apparaît avec limpidité : on n’écrit pas des mots, ils n’ont aucune importance. On n’écrit que ce que les mots disent.

OK, dit comme ça, on dirait que j’ai inventé l’eau chaude, mais bougez pas, je m’explique.

La définition la plus claire du métier d’écrivain – en tout cas, celle avec laquelle je me sens le plus en accord – m’a été donnée par Bruce Holland Rogers dans une interview que je lui proposais (et qui sera publiée un jour) :

Mon art réside dans le choix de mots qui engendreront un effet attentivement étudié.

Ce que j’interprète comme : écrire consiste à gouverner les émotions du lecteur (éventuellement avant qu’il ne s’en rende compte). Soit : il ne s’agit pas tant de prêter à voir que de donner à rêver ; il ne s’agit pas de raconter simplement ce que les mots disent, que d’évoquer et déployer sensations et images dans l’esprit du lecteur en n’employant que l’outil du vocabulaire, un peu comme un espace “plus grand à l’intérieur”, une sorte de TARDIS tel que le décrit aux Imaginales par Mélanie Fazi dans le cas de la nouvelle. Ce sont, évidemment, les rôles fondamentaux de la comparaison, de la métaphore… Mais cela va plus loin : cela porte avant tout au travers de ce que l’on ne dit pas. Roger Zelazny, grand maître de l’épure, raconte qu’il a commencé à vendre des textes professionnellement quand il a cessé d’expliquer les choses à son lecteur mais les a laissées émerger du contexte du récit (l’émergence, un mot dont on parle décidément beaucoup dans Procrastination). Tous les auteurs ou presque disent que le lecteur fait la moitié du travail, car il construit ses images, ses représentations et son univers au fil de sa découverte ; l’une des difficultés, et peut-être des marques de l’expérience, consiste pour l’auteur à lui en laisser la place. En d’autres termes, l’auteur apprend d’abord à dire, puis, surtout, il apprendrait à en dire le moins possible, et au contraire à laisser habiter.

J’en suis convaincu depuis des années, mais ça m’est récemment apparu avec une lucidité inédite à mesure que je prends de la distance avec l’enseignement en fac de traduction (où je n’ai jamais été qu’intervenant extérieur une quarantaine d’heures dans l’année, hein – une belle aventure, mais que je dois clore peu à peu en raison du temps à ma disposition) et suis donc à même de lâcher des sentences. Comme dit l’autre, on ne travaille vraiment quelque chose que quand on devient capable de l’enseigner à quelqu’un. Or doncques, l’autre jour, il m’est apparu avec une absolue clarté que traduire, ça n’est que traduire le sous-texte. Celui qui traduit seulement les mots, comme celui qui écrit seulement les mots, n’a rien compris à l’exercice. Il s’agit de traduire les fonctions du langage qui créent les atmosphères, les sons, les ressentis, les émotions – et c’est cela, par le biais des outils stylistiques, syntaxiques et de civilisation, qui doit rester identique autant que faire se peut. C’est là que l’on sait si la distance est adéquate avec l’original ; quand il faut s’approcher, quand il faut s’éloigner, pour rester paradoxalement fidèle à l’esprit. Mais les mots peuvent changer, du tout au tout si c’est parfois nécessaire. Ils ne sont pas importants par eux-mêmes. C’est pourquoi la traduction littéraire restera toujours une affaire d’êtres humains, car c’est une affaire de sensibilité ; du moins, le jour où les IA seront capables de faire la même chose, la société aura muté d’une telle manière que l’humanité affrontera des bouleversements probablement bien plus fondamentaux que la survie de la profession.

Les mots sont comme une onde porteuse. Ils ne sont pas la finalité, ils ne sont que le support de l’écriture, du message, de la communication. Ce qui est une imperfection fréquemment fustigée dans des domaines nécessitant la plus grande rigueur comme le juridique, la diplomatie ou la communication au sein du couple (qui a dit “tout ça s’apparentant à la même chose” ?) devient, dans le cadre de la poésie et de la littérature, l’espace pour chacun d’habiter le récit de se l’approprier dans son espace intérieur – le silence ou la pudeur sémantiques, quel que soit le terme qu’on plaque dessus, est là une force.

Ouvrir ces espaces dans lesquels l’on peut se projeter marque à mon sens le plus haut degré de maîtrise de l’écriture, et savoir ajuster leur dosage (afin de proposer une onde assez forte pour transmettre du sens, mais pas trop pour ne pas l’assécher) relève certainement de l’œuvre d’une vie : cerner le contour du silence, une pratique presque zen s’apparentant à l’entretien de jardins de sable et de pierre. Davantage que du lâcher-prise, c’est du lâcher-prose. (Voir ici pour la vidéo virale convenant à la réaction à cette formule)

J’ai peut-être inventé l’eau chaude, mais après tout, c’est un blog, alors le cas échéant, je fais me faire cuire un bain.

2019-06-04T20:35:20+02:00jeudi 19 octobre 2017|Best Of, Technique d'écriture|9 Commentaires

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