La conscience de l’ambiguïté

Je continue à rattraper vos questions… encore mes excuses pour la lenteur de réponse (… mais si vous m’avez envoyé un jour un mail, vous savez que… enfin… bref. J’essaie de faire mieux, cependant !)

Je viens de réécouter l’épisode 4 de la saison de Procrastination en cours et une de tes phrases m’a interpellé.
Tu dis à un moment que tu cherches toujours à faire véhiculer des choses qui fassent progresser le monde dans un sens positif.

Je trouve pourtant que ton Empire d’Asreth véhicule quelque chose de beaucoup moins consensuel que ça. La façon dont il croît permet des évaluations multiples en positif et négatif, comme l’empire romain qui, je le vois sur Babelio, continue à générer des commentaires parfois admiratifs et parfois dédaigneux et critiques. Et je trouve que cela participe à la richesse et à la vraisemblance de ton univers.

Comment considères-tu cet Empire d’un point de vue “portage de valeurs”?

Déjà, merci beaucoup pour ces compliments sur la richesse d’Évanégyre !

L’histoire est un sujet complexe et rares sont les questions qui connaissent des réponses uniques. Il y en a, bien sûr ; il existe certains cas où le jugement des siècles est (heureusement) sans appel. Mais l’humanité échappe dans nombre de cas à des jugements binaires ; bien ou mal ; positif ou négatif. Dans les faits, bien de longues périodes ont amené les deux (à mesure que les forces de l’histoire prenaient leur propre vie).

Tu parles d’Asreth, qui renvoie aux impérialismes de l’histoire (à commencer effectivement par Rome). Est-ce que Rome est positif ou négatif ? En Europe, nous héritons, au sens large, de Rome ; nous utilisons son alphabet ; la Renaissance, sur laquelle se fonde notre modernité, remonte directement aux classiques. Pour Rome, il fait bon être romain, et en plus, on t’installe des aqueducs.

Alors, Rome, positif ou négatif ?

Pose maintenant la question à Vercingétorix.

De mémoire, je ne crois pas avoir dit dans Procrastination qu’il fallait “toujours” être “positif”, ou si je l’ai exprimé en ces termes, je m’y suis mal pris. Je pense cependant résolument que, quand on a la chance de disposer d’une parole publique (y compris dans le cadre de la fiction), il convient d’en faire un usage responsable ; c’est-à-dire qu’il faut avoir conscience des valeurs qu’on véhicule, et qu’il faut s’efforcer de faire progresser la conversation littéraire de manière constructive.

Pour moi, cela commence par prendre garde à toute forme de complaisance envers ce que l’univers relate. Il ne s’agit pas de se censurer ; il ne s’agit pas non plus de nier l’aspect potentiellement fantasmatique, pour reprendre l’exemple dans le cas d’Asreth d’un soldat mécanisé disposant d’une puissance considérable – après tout, la fiction est aussi le domaine de l’exploration du fantasme, et le fantasme, par définition, est un jeu qui n’est pas destiné à la concrétisation.

En revanche, il s’agit de prendre spécialement garde à ce que la narration, derrière cela, cautionne. Tu dis qu’Asreth entraîne des conséquences à la fois positives et négatives : c’est donc que mon but est atteint. Tu ne verras pas de jugement de valeur de ma part t’expliquant ce que tu dois penser parce que ce serait trop simple et l’humanité ne fonctionne pas de la sorte (… et que cela ne m’intéresse pas à écrire. Même à mes propres idées, j’aime trouver des contradictions.). Ce qui est fondamental, c’est que tu ne peux pas adhérer à Asreth sans réserve. Ce sont pour moi ces réserves qui, justement, font qu’Asreth est, d’une part une force historique crédible (merci encore !), d’autre part une invitation à s’interroger sur les faillibilités humaines dans le cadre relativement inoffensif de la fiction (et on peut le faire avec des dragons et des robots géants, au passage).

Pour aller plus loin, voir Compassion, mais prison et Pourquoi la fantasy est un genre moderne.

2020-06-21T22:48:25+02:00lundi 22 juin 2020|Best Of, Entretiens|Commentaires fermés sur La conscience de l’ambiguïté

Assistez à la table ronde virtuelle “Game of Thrones, modèle ou inspiration ?” [Colloque virtuel Imaginales]

Table ronde is coming :

Dans le cadre du colloque universitaire « Game of Thrones : nouveau modèle pour la fantasy ? », organisé par les Imaginales, une table ronde se déroulera sous forme d’une session Zoom, le jeudi 11 juin à 18h30, et sera animée par Stéphanie Nicot, avec Emmanuel Chastellière, Silène Edgar, Estelle Faye, Aurélie Wellenstein et moi-même, sur le sujet de l’influence que la célèbre saga peut avoir sur le genre, notamment en France. Très honoré (et hâte) d’y participer en direct de mes rideaux Twin Peaks !

Il est possible d’y assister en direct, jusqu’à concurrence de 100 personnes : suivez ce lien pour vous inscrire !

2020-06-10T18:54:28+02:00jeudi 4 juin 2020|À ne pas manquer, Entretiens|Commentaires fermés sur Assistez à la table ronde virtuelle “Game of Thrones, modèle ou inspiration ?” [Colloque virtuel Imaginales]

Un jeu de personnages (merci à Rozenn Illiano)

Rozenn Illiano (Le Phare au corbeau chez Critic, et plein d’autres histoires et des bijoux splendides) a fait un beaucoup trop beau cadeau à la tweetsphère littéraire en ressortant ce mème, parce qu’on aime tous beaucoup trop parler de nos personnages, en effet. Donc, amusons-nous (fil Twitter d’origine).

1. On prenant les publiés, probablement Dwayne de Heldadt dans Léviathan. Qui… apparaît finalement assez peu. A la base, j’étais censé revenir dessus (un jour, peut-être !)

2. Bruz dans « Les Dieux sauvages » (L’Héritage de l’Empire). Un personnage d’arrière-plan, mais qui s’est un petit peu posé quand même. Quand c’est comme ça, faut laisser faire.

3. Dur, ça change souvent. Mais je pense que… Chunsène (« Les Dieux sauvages »). Sa façon de n’avoir failli jamais exister et de s’être imposée comme jamais un personnage auparavant me dit qu’il se passe quand même des trucs étranges dans l’écriture. (Et puis elle n’en a rien à foutre des conventions, est tragiquement sombre et solaire à la fois, elle est très futée et voit clair sur le monde, bref… et elle s’écrit toute seule.)

4. Hmmm difficile à dire aussi parce que je pense les personnages en mots plus qu’en images, mais Ganner, probablement.

5. Parce que y a une histoire derrière, ou parce qu’il y a une occasion narrative qui mérite quelqu’un pour la porter et lui donner de la chair et du sang (et s’en emparer et partir avec la caisse en courant)

6. “D’où viens-tu, et où veux-tu aller ?”

7. Pas du tout, j’avoue. Ce sont les personnages qui me disent qui les attire, et ça reste toujours dans leur propre environnement, nécessairement.

8. Peux pas dire. C’est dans le tome 4 de « Les Dieux sauvages ».

9. Darén, sans aucun doute.

10. Voui, plein. Même chez les gentils, des fois.

11. Absolument pas. Je les passe à l’essoreuse et parfois ils ne sont sauvés de la mort que pour pouvoir être essorés davantage et lâcher tout ce qu’ils ont à dire. (Je crains que Chunsène ne l’ait compris, d’ailleurs.)

12. Hu, j’en ai tué plein, surtout dans « Les Dieux sauvages ». Difficile d’en mentionner un sans spoil, mais l’assassinat sordide dans la ruelle de La Messagère du Ciel reste pour moi aussi vain que juste.

13. Yep, le personnage principal se mangeant le plus dans la face la difficulté de la chose étant Izara de Rhovelle.

14. Au premier jet, ça arrive toujours. Mais j’essaie de comprendre pourquoi, et si c’est parce que le personnage en question n’a finalement rien de spécial à faire ce moment-là, je l’intègre dans l’histoire. Ça arrive, dans la vie.

15. Guil Redel, j’en parlais récemment. C’est un véritable monstre et il faut que j’aille très, très loin pour aller puiser de quoi il est fait.

16. Alors, on enlève les exosquelettes, on est d’accord ? Le plus grand : peut-être bien Darén ? Le plus petit (adulte) : peut-être bien Andrew León dans Léviathan. Avec exosquelette : Jared Valne, mais il triche, il pilote une mekana grande comme un immeuble.

17. Le plus vieux : Mordranth (l’oracle-dragon de l’Empire d’Asreth/ia). Le plus jeune : la princesse Carila de Rhovelle dans « Les Dieux sauvages ».

18. Ça dépend de quelle manière : les limites de l’humanité me fascinent et c’est pour ça que j’écris des monstres, ils sont souvent douloureux à écrire (Guil Redel, aussi Ganner et Daphn).

19. Au sens classique du “self-insert / Mary Sue”, jamais, en tout cas pas que je sache. De façon plus vaste : toujours, parce que c’est moi qui écris, forcément.

20. Je regrette de ne pas avoir davantage montré les aventures de Chunsène et Nehyr dans Le Verrou du Fleuve. C’était un choix volontaire et assumé à l’époque, mais avec le recul, je pense que j’aurais dû.

21. Leopol. Je n’aurais jamais imaginé qu’il soit aussi populaire, et certainement pas auprès des lectrices.

22. Leopol. Je n’aurais jamais imaginé qu’il se révèle aussi tragiquement et humainement riche.

2020-05-17T20:22:18+02:00lundi 18 mai 2020|Entretiens, Journal|2 Commentaires

Du processus de construction de « Les Dieux sauvages »

Il m’arrive de recevoir des questions, tant sur l’écriture qu’en réaction à ce que je peux dire ici ou là, et c’est un plaisir, et je me dis souvent : “ah, ça nécessite une réponse un peu fouillée, pour rendre à la personne de la substance, afin de la remercier de l’attention qu’elle a prêté à ce que je peux écrire ou dire” – et puis, life happens, genre une main temporairement invalide, et je termine comme un gros naze à ne pas l’avoir fait.

Qu’il soit donc pris ici une résolution de nouvelle année en mai (ben quoi ? Si on n’avait pas introduit les années bissextiles, je suis sûr qu’on serait le 31 décembre quelque part, en tout cas ça l’est dans l’univers) : m’efforcer d’être bien meilleur là-dessus et donner à tes questions, auguste lectorat, la plus haute priorité ici. (Ceci ressemble dangereusement à une promesse électorale, mais comme vous n’avez pas à voter pour moi, on est en sécurité)

Couv. Alain Brion

Avanti. Pour commencer, un retour et des interrogations sur le processus de construction de « Les Dieux sauvages »1. Le tout garanti sans divulgâchage (donc en restant plutôt autour du tome 1).

Merci pour cette lecture et ces questions.

Dans quelle mesure tu avais prévu quels personnages seraient des personnages points de vue à l’avance et quels personnage le sont devenu au fil de l’écriture?

En gros, dans la manière dont j’approche les choses, il y a d’une part la trame de l’histoire (les événements) et de l’autre la manière de la raconter (le découpage scénique et les points de vue). La première concerne plutôt ce qui se passe, la seconde la façon de le faire vivre au lecteur de la façon la plus intéressante et efficace possible (et amusante à écrire, aussi !).

Du coup, il y a globalement dans « Les Dieux sauvages » deux types de personnages à la construction : ceux dont il était évident qu’ils ou elles seraient point de vue (Mériane, Erwel, Luhac, Ganner, plus tard Maragal…) parce qu’ils se trouvent au centre du maelström, et ceux qui se sont présentés sur la scène en disant “je figure dans cette histoire, et ça serait vachement plus intéressant que tu la racontes à travers moi” (Juhel, Izara, même Leopol…). C’est sans lien aucun avec la densité de chaque fil scénaristique, d’ailleurs. La preuve en est le cas de Chunsène, qui a failli ne jamais apparaître dans la série du tout. Mais elle m’a tiré la manche, tellement fort que j’ai dit “okay, on va faire un bout d’essai” et… elle s’est révélée l’un des personnages les plus importants et les plus intéressants de la saga.

La morale de ça ? La pensée consciente, c’est bien, mais toujours faire très, très attention à ses tripes et aux personnages qui s’imposent à vous.

Quand tu as écrit La Messagère du Ciel, dans quelle mesure ton histoire était proche des personnages, par rapport a une approche par événements ? En gros est ce que t’as travaillé l’histoire de Mériane, puis entremêlé celle de Juhel puis celle de Chunsène… ou alors tu as défini les événements majeurs de l’histoire (et l’implication des personnages dans ceux-ci) puis ajouté le liant pour que les personnages aient chacun des arcs intéressants ?

Un peu des deux. Comme je disais plus haut, il y a les grands événements, les grands temps de l’histoire (sachant que je sais très exactement où je vais et quel est le fin mot de tout ça). J’ai donc une vision “macro” de l’histoire, mais cela revient à préparer une rando pour un groupe en étudiant une carte. Tu te dis que tu vas passer par là, que tu vas t’arrêter pour la nuit ici, que tu vas montrer tel paysage à ton groupe, etc.

Et puis tu pars sur le terrain, et là y a un de tes touristes qui finalement n’a pas pu venir, remplacé par un autre ; le chemin que tu voulais prendre s’avère beaucoup plus escarpé parce que tu as mal lu les courbes de niveau ; tel camp a été ravagé par une inondation et tu ne peux pas t’arrêter là ; le paysage que tu voulais montrer à ton groupe (tes personnages) est finalement naze parce qu’il y a de la brume par contre tel autre champ de fleurs s’avère magnifique par total hasard et tu décides de rester plutôt là pour la journée… 

Il y a les intentions, la direction, le cap, l’impulsion, et il y a la réalité de ce que vivent les personnages et ce qu’ils vont vivre, désirer, accomplir dans la réalité de l’écriture, d’une phrase à l’autre. Et à un moment, quelle que soit ta préparation, tu dois descendre sur le terrain aux côtés des personnages et découvrir le voyage. Il est vital, à mon sens, de savoir les accompagner là dans ce qu’ils te servent, parce que c’est là que se trouve la vie, l’inconscient, le mystère créatif. (C’est comme ça qu’une trilogie devient une pentalogie, aussi…)

Donc : dans la grande trame, j’avais forcément l’histoire de Mériane autour de qui tout tourne, celle de Ganner, les coulisses politiques donc Juhel, Luhac, Izara, mais chacun.e m’a aussi apporté sa vision, en particulier Juhel. Chunsène a fait son truc, rencontré des gens intéressants (ahem), et m’a montré tout ce qu’elle était. Dans pas mal de cas, dans ma vision macro, j’ai le “quoi” (il se passe tel événement, par exemple le premier chapitre de La Fureur de la Terre a toujours été prévu de très longue date) mais pas forcément le “comment”. Mon boulot consiste beaucoup à voir ce que l’inconscient / la Muse / le mystère m’a “servi” comme images, comme visions, comme impulsions, et à comprendre consciemment comment les pièces sont déjà en place et comment elles s’emboîtent vraiment (Chunsène et tout ce qu’elle vit s’est avéré absolument fondamental à l’équilibre de la série – je ne sais pas comment j’aurais fait sans elle – mais il se serait peut-être passé autre chose). Tout Évanégyre est comme ça, d’ailleurs : une recherche archéologique pour révéler ce qui veut exister.

Alors parfois, effectivement, il faut creuser un peu plus un arc narratif pour comprendre comment le personnage se rattache individuellement à la grande histoire, et cela veut dire l’étudier, mais souvent, cela revient toujours à la question “okay, où en es-tu, et qu’est-ce que tu veux maintenant et comment vas-tu t’y prendre ?”

Et après, mais c’est plus une discussion qu’une question, je conseille souvent « Les Dieux sauvages » avec beaucoup d’entrain, et les gens sont heurtés par le premier chapitre de La Messagère du Ciel. Moi j’ai trouvé ça très cohérent avec ce qu’il s’y passe, mais ya des gens que ça rebute assez fortement et je les pousse à lire la suite parce que c’est génial. Moi dans ce premier chapitre j’ai vu un parlé divin, qui était du coup onirique et supérieur dans le ton, parce que c’est des dieux et que c’est normal, ça me parait opportun et juste comme style pour ce chapitre. Je suppose que des gens ont déjà dû te parler de ce premier chapitre, et je me demandais comment tu les a reçu, ce que tu a pu en tirer comme conclusions, et quelle avait été ton intention réelle sur ce départ.

Aha.

D’abord, merci beaucoup pour ta recommandation et ton enthousiasme pour la série. Et content que tu aies marché.

On a un peu discuté de ce premier chapitre (pour mémoire : deux pages et demi un peu ésotériques et conceptuelles de débat entre deux divinités) avec Critic, et la question m’a été posée : “tu es sûr que tu veux commencer comme ça ?” J’ai dit “oui” – et le débat s’est arrêté là, parce que chez Critic, ils sont super, ils me font confiance.

Sur le moment : je le sentais absolument comme ça. Parce que je voulais que dès la toute première page de cette saga, les réponses soient déjà présentes, dissimulées, mais capables de prendre tout leur sens quand tu as enfin trouvé les clés en faisant le voyage avec les personnages. C’est pour moi un plaisir de lecteur de voir tout ce qu’un auteur a semé sur son chemin et de voir la signification me sauter au visage quand je sais enfin, alors forcément, c’est une chose que j’aime faire aussi.

Après, oui, ce passage est un peu nébuleux – mais c’est le jeu. Je suis toujours le premier à dire que notre travail doit être accessible – qu’il doit emporter le lecteur dans l’histoire. Je suis aussi le premier à critiquer l’interminable prologue de Tolkien dans Le Seigneur des anneaux. Mais “le lecteur” n’est pas un absolu. « Les Dieux sauvages » est une saga complexe, avec beaucoup de personnages (six à huit points de vue par tome), de la stratégie militaire, de la politique, des alliances, dans un univers sombre et dur. (Et beaucoup de révolte contre celui-ci, du coup.) Il y a de l’humour, mais c’est un humour plutôt noir, celui avec lequel on se défend face à une opposition qui semble irrépressible à première vue.

Et donc ce que je vais dire est une analyse a posteriori, mais : ces premières pages forment aussi une sorte de promesse narrative, d’avertissement. En gros, ça dit : ça va être complexe, il va falloir faire un peu gaffe, et surtout, je vous invite à faire gaffe, justement, parce qu’il y a des miettes dans tous les coins, et si vous voulez jouer à essayer de piger le fin mot de l’histoire, ça promet d’être rigolo, parce que je vais quelque part. Voilà peut-être la promesse narrative importante des chapitres “Ailleurs” dans La Messagère du Ciel : accrochez-vous à votre siège, parce qu’on va quelque part. Il y a une vraie fin qui viendra justifier tout le voyage (et qui est, pour moi, la raison d’être de cette saga). Je pense que le pari était le bon, parce que par la suite, aucun lecteur n’a critiqué ces pages en me disant qu’elles étaient superfétatoires ; on les a trouvé parfois complexes, c’est vrai, mais toujours intrigantes, ce qui est le but.

Maintenant, note bien que quand on m’a proposé de publier le premier chapitre en ligne pour donner envie, j’ai expressément dit de ne pas commencer par les premières pages mais de démarrer directement sur le “vrai” chapitre 1, où l’on découvre Mériane dans la forêt relevant ses collets et se confrontant aux dangers de la zone instable – la narration plus classique. Les premières pages n’ont de sens que si tu as acheté le livre et donc décidé, au moins pour un temps, de faire l’effort de t’investir dans la saga. Donc, s’il s’agit de donner envie rapidement entre deux portes, ignorer ces premières pages n’est pas une mauvaise idée. Par contre, si l’on fait le choix de faire ce voyage, de s’y investir, alors elles prennent tout leur sens.

Et puis, franchement, ce n’est que deux pages et demie. Je sais que nous vivons dans une époque d’immédiateté absolue, mais justement, j’ai envie d’espérer qu’on peut encore survivre à seulement deux pages et demi un peu nébuleuses, qui suscitent le mystère, sans avoir la moindre réponse servie prémâchée tout de suite, surtout si elles servent une finalité narrative !

Merci pour tes questions et ta lecture !

  1. Par défaut, je conserve l’anonymat de ceux et celles qui s’interrogent, ce n’est pas un oubli
2020-05-08T10:56:19+02:00jeudi 7 mai 2020|Best Of, Entretiens, Technique d'écriture|2 Commentaires

Intentions derrière « Les Dieux sauvages » et leur place en fantasy [entretien]

Couv. Alain Brion

Marc : Pourquoi avoir choisi de raconter l’histoire de cet univers sur plusieurs siècles ? Comment est né l’univers d’Évanégyre ? Avais-tu prévu de le développer à ce point dès La Volonté du dragon ? 

LD : Alors, déjà, autorise-moi un petit aparté à présent que nous entamons les questions sur la fiction. Quand j’ai reçu tes questions, dans le domaine des romans, j’ai constaté qu’elles commençaient beaucoup par « pourquoi ». Je voudrais en profiter – en toute amitié, hein ! – pour peut-être désamorcer une idée qui me semble assez fréquente dans l’analyse littéraire : « pourquoi » suppose une raison, un calcul, un discours. Mais le travail créatif est beaucoup plus chaotique que cela, et la raison, pour ma part, est souvent « parce que j’avais envie » ou, plus profondément, « parce que ça me semblait juste pour cet univers / personnages / histoire ». 

Lire l’entretien complet

Les Chroniques du Chroniqueur me proposent une LONGUE interview autour de « Les Dieux sauvages », la fantasy, l’évolution du genre. Merci à Marc de faire de La Fureur de la Terre une des œuvres de son programme de recherche littéraire !

Lire l’entretien sur Les Chroniques du Chroniqueur.

2020-03-15T10:46:05+01:00mardi 17 mars 2020|Best Of, Entretiens|6 Commentaires

Les projets 2020 [Entretien]

Le site de référence ActuSF propose une table ronde d’entretiens de début d’année, notamment sur les projets 2020 : je suis soumis à la question ici. (Pas de prodigieuse surprise si vous avez suivi le blog ces dernières semaines : il est évidemment question en premier lieu de L’Héritage de l’Empire, ainsi que de L’Impassible armada redux.)

2020-03-10T17:32:12+01:00jeudi 12 mars 2020|Entretiens|Commentaires fermés sur Les projets 2020 [Entretien]

La fantasy : un site événement chez la Bibliothèque nationale de France

Attention, énorme travail : la Bibliothèque nationale de France vient de mettre en ligne un site splendide, à la fois jeu, exposition virtuelle et essai sur le genre de la fantasy, depuis ses sources jusqu’à son essor contemporain. Avec une immense équipe où l’on retrouve bien sûr Anne Besson (autorité en France, directrice du Dictionnaire de la Fantasy), un splendide habillage graphique et un contenu à la fois fouillé et accessible, c’est une magnifique célébration du genre (et l’idéal pour une entrée en matière, et expliquer à ta grand-mère en quoi, oui “Harry Potter” c’est de la vraie littérature).

Et notons également une belle place réservée à la fantasy française (qui des choses à faire valoir !), un retour sur son historique et des entretiens brefs avec des auteurs, traducteurs, membres du milieu associatif (comme Elbakin.net) (dont j’ai eu l’honneur de faire partie).

Merci à la BnF pour cette splendide réalisation et à toute l’équipe, et pour le focus effectué sur notre genre depuis plusieurs mois (rappelons le dossier de la revue, l’année dernière, portant sur la construction de mondes imaginaires). Une saison entière réservée à la fantasy est en cours, avec expositions et conférences.

2020-02-10T01:09:11+01:00mardi 21 janvier 2020|Entretiens, Le monde du livre|1 Commentaire

Critic a 10 ans, le parcours de 4 auteurs [entretien]

Critic a dix ans, donc ! C’est toujours l’occasion de revenir sur le parcours de la maison depuis sa création, et le blog Au Pays des Cave Trolls propose un entretien avec quatre auteurs et notre parcours personnel tant éditorial que créatif :

  • Clément Bouhélier
  • Emmanuel Chastellière
  • Thomas Geha
  • Et moi-même.

Genèse des projets, élaboration et travail en commun, c’est à lire ici. Merci à Célindanaé de fêter cet anniversaire très spécial avec nous tous !

2019-11-11T23:55:41+01:00lundi 11 novembre 2019|Entretiens|2 Commentaires

Tolkien est-il indépassable ?

La semaine dernière, une enquête de Lloyd Chéry et Phalène de La Valette à signaler dans Le Point Pop sur ce sujet, à lire gratuitement en ligne : Tolkien est-il indépassable ?

Star d’une formidable exposition qui ouvre ce mardi à la BNF, l’auteur du « Seigneur des Anneaux » est-il encore l’alpha et l’oméga de la fantasy ?

Avec nombre de points de vue de critiques, universitaires, et auteurs de fantasy contemporains dont ton serviteur, auguste lectorat : c’est à découvrir ici.

Merci à Lloyd Chéry de m’avoir invité à donner mon avis sur le sujet ! Comme j’ai une opinion du Maître qui n’est pas exclusivement laudative, “dans l’intérêt de la raison” et pour futur archivage, voici l’intégralité de nos échanges sur la question de Tolkien comme référent(ce) :

Je voulais en savoir plus sur ta vision critique de Tolkien, et comment tu te positionnais en tant qu’auteur face à ce monstre sacré ? 

Les monstres sacrés, pour moi, sont là pour être questionnés, interrogés, malmenés même – toujours avec respect, et en les remerciant de la voie qu’ils ont ouverte, mais dans le but d’aller au-delà. C’est la dynamique même de la création. Et Tolkien a ouvert d’un seul coup tout un domaine qu’on entrevoyait à peine avant lui, ce genre qu’on a baptisé fantasy, et sans lui, très clairement, je ne serais pas là – voilà pour la dette, immense ! Cependant, la vénération qu’on lui porte, comme s’il était l’alpha mais aussi l’omega du genre, une sorte d’idéal indépassable, me semble erronée, et même dommageable. 

L’influence de Tolkien a été si vaste et son approche si novatrice que son œuvre a eu aussi pour moi deux influences délétères (même s’il n’y est pour rien !). D’une part, Le Seigneur des Anneaux a été un succès si fracassant que, pendant des décennies, l’édition américaine cherchait à s’inscrire dans son sillage, parfois à la limite de la redite, éclipsant des usages plus novateurs du merveilleux et du mythe dans les littératures de l’imaginaire (je pense à Roger Zelazny, qui pendant très longtemps, n’était même pas identifié comme écrivant de la fantasy – alors que « Les Princes d’Ambre »…). D’autre part, son travail de création de monde était si impressionnant que la majorité des exégèses et des études mettent l’accent sur cet aspect-là ; c’est passionnant, mais à mon sens, c’est un peu fallacieux. Je pense résolument qu’il faut une bonne histoire pour amener le public à un univers fouillé, ce que Bilbo et Le Seigneur des Anneaux ont apporté, mais que sans cela, un monde, aussi détaillé soit-il, reste lettre morte. Mettre un tel accent sur le travail de création de monde (prodigieux, je le répète) contribue à créer l’impression (y compris chez quantité de jeunes auteurs) qu’une histoire de fantasy, c’est avant tout un monde. Or, je suis fermement en désaccord, et l’histoire de la publication du Silmarillion elle-même le montre : c’est avant tout une histoire… dans un monde intéressant. Mais on vient au monde à travers l’histoire – jamais l’inverse. 

J’ai eu l’honneur il y a quelques années de partager une table ronde aux Utopiales avec Brandon Sanderson, et il avait eu cette phrase qui me semble éminemment juste, je cite de mémoire : « Ce qui est intéressant avec la fantasy d’aujourd’hui, c’est que les auteurs actuels se sont nourris d’auteurs qui, à leur époque, s’étaient eux-mêmes nourris de Tolkien. » En d’autres termes : nous sommes à une troisième, peut-être une quatrième génération d’auteurs de fantasy. Par conséquent, le genre s’est développé, ramifié, diversifié, ses codes ont été critiqués, remis en cause, bref : il s’est libéré de l’influence écrasante de Tolkien et a évolué très au-delà. Toute œuvre, surtout si elle est fondatrice, est faite pour être prolongée, et au bout du compte, dépassée. En résumé, Tolkien, pour moi, est Victor Hugo : un classique que je respecte et remercie pour son influence et son héritage. Mais le genre, et la littérature elle-même, sont allés, depuis, beaucoup plus loin. Et c’est tant mieux. 

2019-10-28T01:26:23+01:00lundi 28 octobre 2019|Entretiens|3 Commentaires

La Revue de la BnF n°59 : Dossier création de mondes imaginaires [entretien]

Anne Besson et Frédéric Manfrin ont dirigé le dossier du numéro 59 de la prestigieuse Revue de la Bibliothèque nationale de France, et ce mois-ci, elle ouvre ses portes à la notion de worldbuilding, la création de mondes imaginaires contemporains, avec un prodigieux Cthulhu de François Baranger (si je ne me trompe pas) en couverture :

À l’heure où la fantasy séduit de plus en plus (Le Seigneur des Anneaux, Game of Thrones…), plaçant les « mondes inventés » au cœur de la culture populaire, ce dossier s’interroge sur leurs formes et leurs usages en confrontant le regard des historiens du genre à celui des spécialistes des médias et des créateurs, qu’ils soient écrivains ou concepteurs de jeux.

Bravo, et un immense merci à Anne Besson (professeure agrégée de littérature générale et comparée, spécialiste de la fantasy, directrice du Dictionnaire de la fantasy chez Vendémiaire, prix Imaginales 2019) et Frédéric Manfrin (chef du service Histoire au département Philosophie, Histoire, Sciences de l’homme de la BnF) pour ce numéro événement qui invite en grand l’imaginaire, les genres et tout particulièrement la fantasy dans ses pages, et pour cette exploration de tout ce processus créatif.

Il y sera question de Tolkien, bien sûr, de cartes, mais aussi de fantasy française, de jeu de rôle, de films et séries, de jouets… Au sommaire :

C’est pour moi un merveilleux honneur de faire partie des trois entretiens du dossier (avec Karoline Georges et Jean-Philippe Jaworski). Nous parlons d’Évanégyre avec Anne Besson, la genèse de l’univers, son évolution et surtout comment ménager cohérence et fraîcheur dans une narration au (très) long cours.

La revue est disponible en librairie, sur commande éventuellement, ou bien directement sur le site des éditions de la BnF.

2019-11-14T23:36:37+01:00mercredi 16 octobre 2019|À ne pas manquer, Entretiens|5 Commentaires

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