Les finalistes du prix Imaginales 2017 sont annoncés (avec Le Bibliomancien, de Jim C. Hines)

Couv. Nicolas Fructus

Honneurs et trompettes, auguste lectorat : les finalistes du prix Imaginales – qui récompense depuis plus de dix ans les meilleures œuvres de l’année en fantasy – ont été annoncés.

Je suis ravi de voir cité Le Bibliomancien, de Jim C. Hines, dont je me suis occupé de la traduction (le deuxième tome ne devrait pas tarder à sortir). J’ai déjà dit tout le bien que j’en pensais – pas de mon travail, on est d’accord, mais du fait que je suis très heureux d’avoir pu servir de passeur à cette œuvre positive et fun qui constitue une déclaration d’amour à la lecture, à la SF et à la fantasy. Hines sera présent au festival, qui a lieu cette année du 18 au 21 mai – dois-je encore répéter qu’il faut absolument venir à cette grande fête chaleureuse de l’imaginaire ?

Félicitations à toutes et tous !

Catégorie roman francophone :

Christophe ARLESTON, Le Souper des maléfices (Actusf)
Anthelme HAUCHECORNE, Journal d’un marchand de rêves (L’Atelier Mosésu)
Romain D’HUISSIER, La Résurrection du dragon – Les Chroniques de l’étrange (Critic)
Emmanuel CHASTELLIÈRE, Le Village (Les éditions de l’instant)
Olivier GAY, La Main de l’empereur (Bragelonne)
Damien SNYERS, La Stratégie des as (Actusf)

Catégorie roman étranger traduit :

Anna STAROBINETS, Refuge 3/9 (Agullo), traduction de Raphaëlle Pache
China MIÉVILLE, Merfer (Outrefleuve), traduction Nathalie Mège
Brandon SANDERSON, Les Légions de poussière (Outrefleuve), traduction de Mélanie Fazi
Jim C.HINES, Le Bibliomancien – Magie ex-libris t.1 (L’Atalante), traduction de Lionel Davoust
Guy Gavriel KAY, Le Fleuve céleste (L’Atalante), traduction de Mikael Cabon
Marie BRENNAN, Le Tropique des serpents – Mémoire par Lady Trent t.2 (L’Atalante), traduction de Sylvie Denis

Catégorie jeunesse :

Aurélie WELLENSTEIN, Les Loups chantants (Scrineo)
Lucie PIERRAT-PAJOT, Les Mystères de Larispem (Gallimard)
Fabien CLAVEL, Panique dans la mythologie : l’Odyssée d’Hugo (Rageot)
Roxanne DAMBRE, Ceux qui marchent dans les ombres – Scorpi t.1 (Calmann-Lévy)

Catégorie illustration :

Aurélie POLICE, pour les couvertures de la trilogie La Voie des oracles, d’Estelle FAYE (Scrineo)
Carnets de croquis, (Armada)
Nicolas FRUCTUS, pour les illustrations de Gotland, (Le Bélial)
Marc SIMONETTI, pour la couverture de Le Village, d’Emmanuel CHASTELLIÈRE (Les éditions de l’instant)
Richard HENRY, pour la couverture de L’Héritage des sombres, de Pascal LOVIS (Société jurassienne d’émulation)

Catégorie nouvelle :

Jean-Claude DUNYACH, Le Clin d’œil du héron (L’Atalante)
Karim BERROUKA, Le Truc qui ressemble à une machine – in Anthologie officielle des Utopiales 2016 (Actusf)

Catégorie prix spécial du Jury :

Tome SHIPPEY, J.R.R Tolkien, auteur du siècle (Bragelonne), traduction d’Aurélie Brémont
Marianne CHAILLAND, Game of Thrones, une métaphysique des meurtres (Le passeur)
Le numéro n°1044 d’Europe, avril 2016, consacré à Lovecraft et Tolkien

Source

2017-04-06T08:38:47+02:00jeudi 6 avril 2017|Le monde du livre|2 Commentaires

Les littératures de l’imaginaire font front commun

Un événement d’importance pour notre domaine s’est déroulé ce week-end pendant le Salon du Livre de Paris : huit maisons d’édition indépendantes ont rédigé et consigné l’Appel de l’Imaginaire (nom poétique s’il en est). Ces huit éditeurs : L’Atalante, Actu SF, Au diable Vauvert, Le Bélial’, Mnémos, La Volte, Les Moutons Électriques et Critic.

Il s’agit de faire front pour promouvoir ces littératures et ces genres qui sont pourtant rois de l’expérimentation créative… et des ventes (je me rappelle de ces classements Fnac où les intégrales du Trône de Fer occupaient allègrement les premières places). Nul n’ignore aujourd’hui qui est Luke Skywalker, Harry Potter, Frodon, ni même Dracula ou Frankenstein. La déconsidération dont l’imaginaire fait encore trop souvent l’objet n’est ni plus ni moins la marque d’un snobisme intellectuel allié à une ignorance paresseuse. (Ça, c’est moi qui le dis, pas les maisons sus-citées, hein.)

Comme le résume Simon Pinel de Critic : « J’aimerais que nous soyons plus représentés et qu’on arrête cette indifférence ou ce mépris. C’est une spécificité de la France. Au cinéma et dans les jeux vidéo, l’Imaginaire est un genre dominant. Le polar a trouvé sa place mais, pour nous, le constat est général, nous ne sommes pas considérés. »

Le Point propose un article complet sur les ambitions du projet, les déclarations des premiers participants et le premier point d’étape qui aura lieu aux Utopiales, à l’automne ; voir aussi ici sur Actualitté.

2017-03-28T19:09:58+02:00mercredi 29 mars 2017|Le monde du livre|6 Commentaires

Les Humanoïdes Associés et Critic entrent en partenariat !

Voici une très belle nouvelle à annoncer qui touche les éditions Critic – et que j’ai grand plaisir à partager : les Humanoïdes Associés et les éditions Critic entrent en partenariat pour la réalisation d’adaptations en BD de romans du catalogue. Dans les faits, Éric Marcelin, responsable de Critic, devient directeur de collection chez les Humanoïdes Associés.

Le communiqué de presse :

Les Humanoïdes Associés et Critic s’associent pour adapter des romans en bande dessinée sous leur double label, au service d’une science-fiction toujours plus innovante !
Critic et Les Humanoïdes Associés ont souhaité unir leurs savoir-faire pour offrir de nouvelles histoires, ambitieuses, modernes, ravivant l’esprit de Métal Hurlant. Si elles se différencient par leurs domaines de publication, bande dessinée pour Les Humanoïdes Associés et littérature pour Les Éditions Critic, les deux maisons se retrouvent dans leurs univers, portés sur l’imaginaire et l’aventure. Le partenariat apportera donc de nouveaux projets où les romanciers s’essayeront au jeu du découpage et où les scénaristes de bande dessinée plongeront dans les univers romanesques des auteurs français contemporains.
Pour Bruno Lecigne, éditeur chez Les Humanoïdes Associés : « Outre ceux du catalogue des Humanoïdes Associés, les meilleurs dessinateurs du moment seront, on l’espère, attirés par cette aventure à la fois ludique et expérimentale, deux points communs aux politiques éditoriales de Critic et des Humanoïdes. »
Éric Marcelin, responsable des éditions Critic, prend la direction de la collection du même nom au sein des Humanoïdes Associés. Trois projets d’adaptation sont déjà annoncés :

  • Point Zéro, un thriller d’Antoine Tracqui.
  • Arca, un voyage interstellaire de Romain Benassayas.
  • Les Peaux-Épaisses, de Laurent Genefort, maintes fois primé. Ce titre, adapté par Serge Le Tendre et prévu pour 2018, sera le premier dyptique à aboutir à travers ce partenariat.
2017-03-29T14:14:09+02:00lundi 27 mars 2017|Le monde du livre|7 Commentaires

Là où la critique s’arrête

La critique (littéraire ou autre) a toujours visé plusieurs finalités : la plus fondamentale, elle permet de partager simplement son enthousiasme (ou manque d’icelui), ce qui peut la faire déborder sur un potentiel outil de recommandation. Plus développée et érudite, elle peut servir d’outil d’analyse pointu (les chroniques de la Faquinade, par exemple, viennent aussitôt à l’esprit). Mais son histoire est également jalonnée de conflits de personnalités homériques, de diatribes acerbes voire amères, parfois alimentées par des intérêts ultérieurs (l’auteur qu’on éreinte travaille pour un éditeur adverse, par exemple, ce qui incite à le démolir).

Internet a libéré la parole, ce qui est très bien. Internet a également libéré la critique littéraire, ce qui est excellent aussi, et elle s’est, dans une large mesure, déplacée sur les blogs (surtout pour les niches de genre, comme la nôtre, l’imaginaire, ou d’autres tout aussi structurées en communautés passionnées, comme le métal). Par nature, les diverses facettes ci-dessus s’y retrouvent aussi.

La différence, la bénédiction de la libération de la parole, c’est que n’importe qui peut offrir sa voix au monde ; la malédiction, c’est que n’importe qui peut se poser comme autorité. Loin de moi de souhaiter le retour à une parole centralisée par les organes de communication traditionnels (presse, TV) – mais ceux-ci présentaient toutefois un avantage : celui d’une parole sanctionnée. Le locuteur présenté comme autorité avait une  chance raisonnable de l’être – il était difficile à s’arroger la parole autrement. Il existe de nombreux contre-exemples, bien sûr – et la farce tragicomique du gouvernement Trump avec ses « alternative facts » en offre un exemple tristement saillant. Néanmoins, sur Internet, pour reprendre l’adage, « personne ne sait que vous êtes un chien ».

Le rapport avec la critique littéraire ?

Il est motivé par une réflexion de fond, que, visiblement, je ne suis pas le seul à conduire. La semaine dernière, deux statuts / articles parus sur Facebook, par Estelle Faye et Megan Lindholm, mettent la question en avant :

Capture réalisée avec l’accord de l’autrice. Post d’origine

« C’était une excellente salade de patates, mais ç’aurait dû être une salade de fruits. Ne serait-ce pas un avis étrange sur un plat ? Mais je vois constamment des messages Facebook et Twitter, ainsi que des chroniques sur Goodreads et Amazon, qui déplorent ce qu’un livre ou un film ‘aurait dû être’ ou sur ce qu’ils ‘n’incluaient pas’. Dites-moi ce que c’était, pas ce que ça n’était pas ! Parlez de ce que fait l’œuvre : l’a-t-elle bien accompli ? Voilà ce que je veux savoir. »

J’aime les blogueurs et les critiques, je crois (et j’espère) qu’ils le savent, je relaie un maximum d’articles, parce qu’à la base, nous sommes tous sur Internet, et que j’ai connu autrefois l’utopie libertaire qu’était cet endroit ; que je blogue autant que mon voisin, et que ma parole ne vaut que ce qu’elle vaut, ni plus, ni moins. J’ai rencontré des tas de gens merveilleux parmi la grande famille des blogueurs de l’imaginaire, qui sont devenus pour certains des copains ; d’autres m’impressionnent par leur érudition ; certains encore par leur finesse d’analyse – ils me font parfois sortir en entretien des choses que je n’ai dites nulle part et dont, peut-être, je n’avais qu’à moitié conscience. Je pense donc (et j’espère) qu’ils comprendront que ce qui suit ne représente pas une charge contre eux, mais plutôt un état des lieux à mesure que la sphère se « professionnalise » et se pérennise (ce qui est, je le répète, une excellente chose). 

Les remerciements de Port d’Âmes.

Je crois qu’il est fondamental, pour un chroniqueur, de savoir humblement se placer sur le spectre du goût Vs. l’analyse, qui sont les deux grandes tendances de l’exercice. Spectre qui n’est pas, d’ailleurs, une échelle hiérarchique : l’un n’a pas davantage de valeur que l’autre. En revanche, il s’agit, probablement, d’un spectre de conscience de soi et, surtout, de sa compétence.

L’extrémité du goût, du jugement de valeur personnel, est la plus valide de tous. Chacun a des opinions, des goûts ; chacun a le droit de les exprimer comme il lui sied, et publiquement si ça lui chante. « J’aurais aimé voir x ou y dans cette œuvre » est un jugement éminemment valide, puisqu’il met en avant la personnalité du locuteur. « Je + aimer. » Ce qui me plaît, me sied, est absent de cette œuvre, et elle m’a déplu à cause de ça / m’a plu malgré ça ; j’ai aimé un peu / beaucoup / pas du tout à cause de ça. Chaque créateur sait (ou apprend à la dure) qu’il ne peut pas plaire à tout le monde ; plus tard, il s’en réjouit (du moins, c’est mon cas) car ne pas plaire à tout le monde signifie qu’on a eu un discours signifiant avec lequel il peut valoir la peine d’être en désaccord. On a pris des risques, on a pris position avec ses personnages, son histoire ; et n’est-ce pas là l’essence de toute création ? Dieu abhorre les tièdes.

Au milieu, on trouve l’analyse descriptive. Situer une œuvre dans un courant, juger de ses apports à celui-ci, de son degré d’accessibilité, par exemple ; ce qui permet de cerner le public à qui l’ensemble peut s’adresser, en fonction, mettons, de sa connaissance d’un genre et de ses codes, voire de la qualité d’exécution. (C’est souvent ce qui définit un classique – innovant et accessible, voire universel, à la fois ; et bien exécuté.) À mon humble avis, c’est là que la critique fait le travail le plus utile : elle guide le lecteur putatif vers les œuvres qui peuvent lui correspondre, tout en lui proposant des découvertes, en l’ouvrant à d’autres courants, contribuant à la grande discussion de la littérature.

L’autre extrémité, celle de l’analyse critique, est autrement plus périlleuse. Parce que pouvoir analyser un projet intelligemment signifie avant toute chose de comprendre le projet dont il est question afin de le juger sur ses mérites intrinsèques et sur l’adéquation entre l’intention et l’exécution (sinon, on retombe dans le travers pointé par Megan Lindholm : regrette-t-on qu’un roman classique manque de zombies, en dehors de celui-ci ?) Là-dessus, auguste lectorat, je te ramène à ces deux articles ici publiés. Cela implique donc trois choses : a) une hauteur de vision, b) une culture dépassant l’œuvre seule, c) une certaine science opérante de la création.

Or, se prononcer sur ce que « devrait être une œuvre » (et qu’elle n’est donc pas) désigne en général deux métiers, et ce n’est pas celui de critique littéraire. Ce sont celui d’auteur (qui décide) et d’éditeur (qui propulse). Quand je lis d’une œuvre qu’ « il aurait fallu faire x ou y« , d’autant plus quand on n’en a pas identifié les enjeux, le projet dont il est question, je vais emprunter les mots d’Estelle hors contexte : « ça me gave ». Ces phrases lancées ne posent en rien leur auteur comme une autorité ; ou alors, il faut s’attendre à ce qu’on soit jugé sur les mêmes modalités, c’est-à-dire celles d’un critique professionnel, d’un éditeur, d’un auteur – et, dans ce cas, il convient de pouvoir argumenter de sa compétence. Sinon, il ne s’agit que de gesticulations destinées à se donner de l’importance ; et qui peuvent même être carrément nuisibles, car ce manque d’humilité, cette posture d’autorité, peut influencer à son tour, et sans fondement, un lectorat de bonne foi en quête d’opinions avisées. (Et puis ça peut miner le moral d’un auteur, aussi, qui se dit bien qu’il devrait être au-dessus de tout ça – mais devinez quoi, secret professionnel : après six mois, un ou dix ans passés à plancher sur une œuvre, la voir défoncée par le premier pisse-froid venu qui se prétend le fils spirituel de D’Alembert, eh bah, ça le fait quand même un tout petit peu chier. Même s’il ne l’avouera jamais.)

Auguste lectorat, à titre de démonstration par l’exemple, je vais te raconter une petite histoire qui m’accompagnera à jamais (on pourra dire que c’est ce genre d’anecdote qui forge le caractère d’un auteur). Quand j’étais beaucoup plus jeune (j’avais encore des cheveux, c’est dire) et que je venais de sortir mon premier roman, La Volonté du Dragon, quelqu’un est venu me voir à ma table de dédicaces et m’a dit : « Je l’ai lu. Mouais. Je me suis dit, j’aurais pu l’écrire. »

J’étais jeune, plus tendre qu’aujourd’hui, et je suis resté – vraiment – comme un con. J’ai dû vaguement faire « ah ».

Ce que j’aurais dû répondre, et cela se rattache au sujet qui nous intéresse, c’est : « Très bien. Vas-y, montre-moi, je te regarde. » ou bien : « D’accord, et toi, tu écris quoi ? » La Volonté du Dragon peut avoir des défauts, ne pas convenir à des lecteurs (certains l’ont aimé pour l’absence de manichéisme, d’autres non pour exactement la même raison – ce qui ramène à l’aspect jugement de la chronique) ; mais il a quand même terminé finaliste de trois prix (je ne veux pas dire par là que c’est forcément un grand livre – ce n’est pas à moi d’en juger – mais simplement que quelques personnes extérieures, en réelle position d’autorité, là, ont jugé qu’il pouvait être au moins un tantinet recommandable).

Quand un chroniqueur dit « j’ai détesté », on le regrette toujours, mais ce sont les risques du métier. Quand Gromovar – dont j’estime beaucoup le travail par ailleurs – explique pourquoi il n’a pas aimé La Volonté du Dragon, je l’en remercie, parce que son article est circonstancié, argumenté, en lien clair avec ses présupposés : en un mot, son article est intelligent, et recevoir une chronique négative comme celle-là, c’est un honneur. Mais quand des chroniques se transforment en prétendus cours d’écriture sur ce qu’une œuvre « doit » ou « ne doit pas » être, en pamphlets paternalistes (car ce sont souvent des hommes qui sont coupables de ce travers, curieusement), il faut s’attendre à se voir jugé en retour sur le même plan : « Qu’as-tu fait, toi, pour asseoir cette position ? As-tu sué comme nous, au long cours, avec ce curieux mélange de foi et d’angoisse au ventre, pour proposer ce que tu avais de meilleur au monde ? Ou bien es-tu juste venu t’acheter un peu d’ego à moindres frais ? »

SI la réponse est non, pour ma part, face à de tels propos et en l’absence de réalisations permettant d’asseoir ce point de vue, ma réponse penchera dorénavant toujours, ouvertement, vers l’expectative. Vas-y, fais. Montre-moi. Je te regarde. Et peut-être y parviendras-tu ; peut-être as-tu bel et bien des leçons à donner ! Mais pour l’instant – et c’est bien toute la question – tu n’as rien fait qui te permette de parler sur ce ton-là. Donne ton avis personnel : bien sûr ! Décris, situe si tu le souhaites. Mais dire ce qu’il « faut » faire, te poser comme une autorité… Non. S’il te plaît, remets – simplement – ta propre importance à sa place.

2020-02-20T00:25:38+01:00mercredi 22 mars 2017|Le monde du livre|17 Commentaires

ReLIRE aux oubliettes

Les dirigeants de ReLIRE, incapables de comprendre le problème.

Les dirigeants de ReLIRE, incapables de comprendre le problème.

Yatta ! Comme j’en ai parlé à plusieurs reprises, auguste lectorat, impossible de ne pas réjouir – enfin – de la décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne qui vient, purement et simplement, de coller une balle dans la nuque du projet léonin ReLIRE, dont se gargarisaient scandaleusement les pouvoirs publics et qui a coûté une somme honteuse au contribuable.

Rappel rapide des faits : il s’agissait avec ReLIRE d’autoriser – sans l’accord préalable de l’auteur – la réédition de livres indisponibles au bénéfice, pour moitié, des éditeurs qui les avaient laissés s’épuiser. L’auteur touchait certes 50% des bénéfices, mais devait s’opposer volontairement à l’exploitation de son travail s’il ne désirait pas entrer dans le dispositif (principe de l’opt-out), par ailleurs entaché d’un nombre d’erreurs dans sa base de données qui défonçait carrément toutes les limites de l’incompétence. En gros, s’il ne surveillait pas attentivement le registre chaque année, son travail se trouvait exploité sans son accord explicite – et prouver qu’il était bien l’auteur tenait du parcours du combattant. (Résumé plus détaillé ici.)

Grâce au combat mené par Sara Doke et notre immensément regretté camarade Yal Ayerdhal, avec la compétence pointue de Me Franck Macrez, la CJUE a statué : le droit moral est souverain, et l’auteur seul peut entendre disposer de son travail – qui lui appartient ; ce siècle exige-t-il tant qu’on le rappelle ?

À titre personnel, je me réjouis avec une joie carrément sauvage de cette victoire et n’adresse que mépris à toutes les huiles guidées par la paresse qui crurent un jour bon d’exproprier les auteurs de leur propre travail. Et, comme le signale Sara dans cet excellent entretien donné à Actualitté, on peut s’interroger que les sociétés d’auteurs ne s’en réjouissent pas davantage, à l’exception du SELF.

Plus d’informations sur la décision et le dossier, voir cet article qui récapitule l’ensemble des décisions.

Merci à tous les combattants qui ont défendu ces droits pourtant fondamentaux et inscrits de longue date dans les conventions internationales.

2016-11-21T18:08:50+01:00mardi 22 novembre 2016|Le monde du livre|Commentaires fermés sur ReLIRE aux oubliettes

Joanne Harris sur le piratage (en français)

lolcat-planning-demiseJoanne Harris, en plus d’être une romancière reconnue, est extrêmement active et fort intéressante sur Twitter. Elle propose régulièrement des séries de tweets sur l’écriture, l’édition, et, vendredi dernier, décortiquait l’argument fallacieux que le piratage n’est pas du vol, c’est de la copie. Histoire de varier les interlocuteurs, et comme j’ai déjà parlé du sujet suffisamment récemment, je lui ai demandé si elle accepterait que je traduise une sélection de ses tweets (vu que nous sommes visiblement d’accord). Accord obtenu, les voici. 

  • L’argument sur le piratage douteux du jour : « Ce n’est pas du vol, c’est de la copie. » *se cogne la tête contre le bureau*
  • « Je vois que tu achètes une Rolex. Et si je te donnais cette copie gratuitement ? » « Vous embauchez quelqu’un ? Et si je faisais ce boulot gratuitement ? »
  • « Vous avez mis vos identifiants bancaires en ligne ? Et si je les copiais, juste pour les envoyer à toutes mes connaissances ? Ce ne serait pas du vol, juste de la COPIE. »
  • « Je sais que j’ai dîné dans votre restaurant, puis que je suis parti sans payer, mais cela vous fera de la BONNE PUBLICITÉ. Cela vous aidera à VENDRE davantage de places. »
  • « Je sais, j’ai volé cette bouteille de vin, mais, bon sang, elle était BIEN TROP CHÈRE pour que je l’achète. »
  • « Ouais, alors ce que je vais faire, c’est manger ce steak, et si je le trouve vraiment bon, je le paierai. Sinon, je l’effacerai, tout simplement. Ça va, non ? »
  • « Tout ce que j’ai fait, c’est copier votre travail et le donner gratuitement. Ce n’est quand même pas ma faute si vous avez mis la clé sous la porte. »
  • Peut-être y a-t-il une idée ici. Voler nécessite une once de réflexion. Les pirates ne sont pas des voleurs. Ce sont des PARASITES.
  • « Je sais que c’est votre boulot, tout ça, mais avez-vous lu ce site web ? Il explique pourquoi je m’y connais TELLEMENT mieux que vous sur le sujet. »
  • Pirater des livres, c’est comme fabriquer de la fausse monnaie. Au bout d’un moment, la valeur se perd. On finit par travailler pour rien. Tout s’effondre.
  • Ici, un troll sur Twitter accuse une diplômée de Cambridge d’ « anti-intellectualisme » PARCE QU’ELLE ESSAIE DE PROTÉGER LES AUTEURS du piratage…
  • « Les Kindles sont chers, alors les livres électroniques devraient être gratuits » revient à dire « j’ai acheté ma maison, alors je peux voler les plantes de mon voisin. »

… Et comme il est difficile (et un peu inutile) de vouloir rester hors de la discussion sur un réseau social, j’ai dévié avec l’utilisateur @adrianshort sur le rôle de l’économie. Je retranscris cette discussion, car elle permet de couper court à un autre argument fallacieux : celui que l’économie doit changer pour légitimer la pratique (ça ne choque personne qu’on s’attaque pour cela à l’un des plus faibles secteurs).

LD : Si seulement les gens mettaient autant d’énergie à justifier le piratage qu’à, mettons, combattre la faim dans le monde. […]

A. S. : Peut-on jamais justifier de voler à manger ou bien NE VOLE PAS À MANGER représente un principe applicable quelles que soient les circonstances ?

LD : Tu ne mourras pas de ne pas voler un livre, mais si tu le fais, l’auteur en mourra peut-être, lui. C’est si difficile à comprendre ?

A. S. : Bien sûr, parce que c’est absurde. Une vente de livre ne transforme pas un auteur affamé en auteur viable.

LD : Le manque massif de ventes nuit à l’économie. C’est aussi pour ça qu’on paie pour se nourrir. Il faut que les gens gagnent leur vie.

A. S. : D’un point de vue économique plus vaste, ces dépenses se sont décalées ailleurs, comme l’équipement informatique et l’accès à Internet. L’économie ne va pas plus mal si les gens achètent de la bière plutôt que des livres, en tout cas pas dans le sens que tu entends.

LD : Alors construis-nous une façon de gagner nos vies avec ta science économique. Pour l’instant, le modèle ne satisfait personne. Je suis tout à fait pour une économie idéale, sincèrement. Mais les gens ont besoin de gagner leur vie AUJOURD’HUI, pas dans une économie idéale.

A. S. : Un revenu de base universel créerait une énorme différence pour les créatifs aux revenus modestes. Je suis pour.

LD : Moi aussi ! Mais on n’y est pas encore, et le monde doit fonctionner dans l’intervalle. Donc, pas de piratage.

A. S. : Les éléments montrant que le piratage empêche quoi que ce soit de fonctionner, d’un point de vue économique ou autre, sont rares.

LD : C’est certainement pour cela que 90% des créatifs martèlent le contraire. Pourquoi seraient-ils au courant ; ce n’est que leur gagne-pain. D’innombrables articles le montrent. Mais je vois que je t’en convaincrai pas.

Depuis le dernier article sur le piratage, qui a soulevé beaucoup d’ire (pour un article plutôt écrit sur un ton chaleureux), il est apparu quelque chose de très net : les maisons d’édition indépendantes, qui proposent des livres électroniques à prix plancher, sans protection, avec un travail de qualité, se font pirater comme les autres. Donc, l’argument pseudo-éthique « je ne pirate que les maisons trop chères / qui verrouillent leurs fichiers / les grands groupes » ne tient absolument pas. Qu’on n’essaie donc pas de justifier le piratage avec une espèce de vague attitude de chevalier blanc ; c’est la démonstration par l’exemple que ce n’est que de la poudre aux yeux, et une malhonnêteté de plus. On pirate parce qu’on pirate, et dès qu’on consomme une œuvre de la sorte, on triche, point.

Si vous souhaitez la source de l’ensemble des échanges :

2016-09-19T23:24:37+02:00mercredi 21 septembre 2016|Le monde du livre|Commentaires fermés sur Joanne Harris sur le piratage (en français)

Fred Guichen lauréat du prix Exégète 2016 !

Et voilà, les résultats sont tombés : le prix Exégète 2016, organisé par le chouette blog la Faquinade et que je parraine cette année, est décerné à Fred Guichen, pour Pigeon, Canard et Patinette, au éditions du Passager clandestin !

prix-exegete-laureat-2016

Félicitations, ainsi qu’aux finalistes – pour rappel :

  • Eschatôn / Alex Nikolavitch / Les Moutons Electriques
  • La Fenêtre de Diane / Dominique Douay / Les Moutons Electriques
  • La Voix Brisée de Madharva / Mathieu Rivero / Rivière Blanche
  • Pigeon, Canard et Patinette / Fred Guichen / Le Passager Clandestin
  • Vostok / Laurent Kloetzer / Denoël

Le compte-rendu complet et le détail des opinions du jury sont à lire sur cette page de La Faquinade ! 

2016-09-04T16:48:07+02:00mercredi 7 septembre 2016|Le monde du livre|1 Commentaire

Fictions adaptatives et interactives : un échange

Funny-interactivity

La 2, tous les samedis.

Auguste lectorat, mon attitude dubitative sur le livre enrichi ne date pas d’hier, je reste pas mal sur les positions que j’avais il y a cinq ans (sur le sujet : partie 1, partie 2), mais je dois reconnaître la naissance aux franges d’un continuum de plus en plus net d’œuvres narratives réellement novatrices, ce qui m’intéresse beaucoup, mais que je rechigne encore à définir comme des formes ancrées – voire futuristes – de narration.

Je dis cela tout en ayant parfaitement conscience que je suis peut-être à côté de la plaque ou que cela découle peut-être d’un esprit tragiquement vieillissant, qui sombrera peu à peu vers un vote conservateur et le mépris des jeunes à cheveux longs, mais le fait est que je peine encore à voir l’avenir et la réelle implantation de ces formes. Comme quand de fins analystes (Canard PC) avancent que la réalité virtuelle ne supplantera pas le jeu vidéo classique sur écran, ce à quoi je tends à concourir. L’interactivité implique un média différent, une grammaire narrative différente, dont des outils différents : c’est peut-être une nouvelle forme d’art, mais je doute que ce soit une « nouvelle forme de littérature » qui ringardisera le livre de poche de la plage. Mais, encore une fois, ce n’est que mon avis et je le partage, et je reconnais qu’il me manque ici une réelle expérience dans le domaine.

Entre ici Bruno Marchesson. Il dirige Via Fabula, une toute jeune entreprise qui, justement, expérimente en la matière avec des applications mobiles qui mêlent environnement, interaction et narration écrite. (Ils étaient présents aux Imaginales, si vous êtes passés les voir.) Ils viennent de publier Chronique(s) d’Abîme sur plate-formes mobiles, et nous avons échangé un moment sur la notion d’interactivité, d’enrichissement de la narration, son essence et son rapport avec la subjectivité comme avec la linéarité (sujet cher à mon cœur).

Je n’ai pas d’opinion très tranchée sur la question, juste beaucoup d’interrogations et quelques a priori. Avec l’autorisation de Bruno Marchesson, je livre ici au vaste monde le cœur de notre discussion sur le sujet, sous forme condensée. À chacun.e de forger son opinion en espérant que tout cela contribue au schmli… schimilib… débat.

Bruno Marchesson : Nous sommes une toute jeune startup/maison d’édition ayant pour ambition d’explorer ce que le média numérique peut apporter à la narration, et notamment la narration littéraire. Nous venons d’ailleurs de publier notre premier livre numérique nommé Chronique(s) d’Abîme (une histoire multilinéaire qui change en fonction du lecteur et de son environnement), disponible sur smartphone et tablette.

LD : Je suis intrigué par votre concept, j’ai téléchargé l’application et vais découvrir cela, mais pourriez-vous juste me dire techniquement en quoi la construction narrative consiste ? À ce que j’ai pu voir, il y a plusieurs embranchements influençables par le lecteur, plus des constantes influencées par le statut de l’utilisateur (géolocalisation, etc?) En gros : il s’agit d’une version plus variable (avec des composantes cachées) d’un jeu type Lifeline, c’est cela ?

B.M. : Chronique(s) d’Abîme est une histoire multi-linéaire (avec 6 variations complètement différentes : notre auteur est parti de la même introduction et s’est amusé à raconter 6 histoires complètement différentes, ayant au final comme points communs les personnages et les lieux, mais des intrigues très différentes), couplée avec des éléments dynamiques (par exemple, les textes de description en extérieur changent en fonction de la météo, ou les titres des infos devant lesquels passent les personnages changent dynamiquement en fonction de l’actualité du moment). Pour cette dernière partie, Jean-Claude Dunyach parle d’une «  fenêtre dans l’histoire vers l’univers du lecteur ».

Pour l’interactivité, c’est un grand sujet de débat en interne : on était parti en janvier sur une histoire avec des choix complètement implicites (entièrement résolus par l’application), mais les premiers retours de tests nous ont montré dans ce cas que les lecteurs ne se rendaient pas compte de la dynamicité de l’histoire. On a donc réintroduit un peu d’interactivité afin que les lecteurs ne perdent pas de vue ce coté changeant de l’histoire.

Après, Chronique(s) n’est que notre première incursion dans le domaine de la narration numérique. On travaille sur de nouveaux textes afin d’explorer de nouveaux concepts (changement de points de vue, synchronisation des effets avec la lecture de l’utilisateur, etc…).

LD : Je m’interroge pas mal sur le concept de narration à embranchements quand il ne s’agit pas d’une expérience présentée clairement comme un jeu vidéo. Mes lecteurs me disent beaucoup vouloir rechercher justement la voix précise d’un auteur avec une histoire sur laquelle ils n’ont pas d’influence, pour recevoir un parti-pris clair, celui d’une histoire voulue telle quelle par son créateur et qui, le cas échéant, les dépaysera en les emmenant loin de chez eux et de leurs circonstances immédiates. C’est aussi ce que j’ai tendance à rechercher – sinon, je joue à un jeu vidéo – mais mon ego d’auteur me rend prudent… Je me méfie du rapport que je peux avoir avec la chose écrite qui peut tendre au fétichisme (forcément) ! Et les variations sur la forme m’intéressent d’autant plus, ce qui se passe aux frontières, pour élargir mes horizons, et justement sortir de ma zone de confort.

Du coup, je suis très curieux de vos expériences à venir !

smartphone

B. M. : Le niveau d’interactivité (de 0 à total) dans ce type d’histoire à embranchements est un débat permanent entre nous. En fait, en interne, nous avons développé 3 modes de lectures :

  • sans interactivité (c’est l’application qui fait tous les choix pour le lecteur, d’où la nécessité de le connaître et de créer un compte),
  • entièrement interactif (et là, on se rapproche des jeux narratifs type livres dont vous êtes le héros)
  • mixte (quelques choix par le lecteur, les autres par l’application : c’est ce mode qui est actuellement utilisé dans l’application).

Par contre, je suis plus réservé sur les oppositions entre histoire et jeu video/interactivité : il existe de nombreux jeux video qui racontent une histoire, l’interactivité en fait partie et participe à l’immersion du joueur dans l’histoire. Idem sur l’opposition entre « la » voix de l’auteur et la multiplicité des intrigues / points de vue. Pour moi, l’un n’exclut pas l’autre et toutes les variations d’une même histoire sont la voix d’un auteur, différentes facettes de sa personnalité et de son talent.

Un narratologue avec qui je discutais m’expliquait que la plupart des auteurs font des choix dans leurs histoires, généralement par habitude et « zone de confort », et qu’il rationalise ces choix à posteriori en arguant qu’il s’agit du meilleur choix possible.

Justement, pour Chronique(s) d’Abîme, Marc Jallier (l’auteur) est parti d’une nouvelle existante et a pris de nouveaux chemins.

LD : Concernant l’interactivité, je n’ai pas d’idée arrêtée et [le besoin d’une réelle expérience en la matière s’imposerait] ne serait-ce que pour me frotter à la forme et me faire un réel avis. Ce que j’avance sur le jeu vidéo et l’interactivité découle toutefois de mon expérience dans le domaine, et il ressort que si l’interactivité aide le joueur à s’approprier l’histoire par l’action, le cours de celle-ci, en revanche, demeure plus ou moins figé (les fins multiples sont généralement assez artificielles et, surtout, perçues comme telles par les joueurs). Plus étonnant encore (pour moi, en tout cas), les joueurs demandent une histoire (c’est, de mémoire, le second facteur principal d’achat d’un jeu), mais surtout, ils demandent une histoire à recevoir, avec un parti-pris clair et un discours imposé par l’auteur qui donne les limites de la narration. Il s’agit plutôt d’une appropriation d’une narration que d’une réelle création collaborative ou imaginative du lecteur. Celle-ci s’inscrit généralement plutôt en creux, dans les zones d’ombre laissées par la narration, et l’on revient alors aux formes classiques.

Après, je vous dis ça, c’est une réflexion en cours sans a priori. J’étais très surpris de ce rapport sur la relation des joueurs à la narration, laquelle est, contrairement aux apparences, beaucoup plus « enfermante » qu’il n’y paraît – et c’est plutôt vu comme une qualité.

C’est bien pour cela qu’il faut tenter des expériences 🙂

B. M. : Justement, on a essayé avec Chronique(s) d’Abîme (et avec les écrits à venir sur lesquels nous travaillons en ce moment) de faire en sorte que le court de l’action ne soit pas figée, ni les fins artificielles.

Ainsi, Chroniques dispose de 6 histoires réellement différentes : le début, les personnages et les lieux sont les mêmes, mais les événements qui en découlent n’ont vraiment rien à voir, ce qui permet d’aborder de multiples genres dans une même histoire (sans trop spoiler, sur les 6 histoires, l’une emprunte à la SF, une à deux autres au fantastique, et les autres au thriller).

Marc Jallier nous a donné une bonne image de cela à représenté comme travail pour lui : celui de travailler sur les épisodes d’une série. Les personnages et le cadre sont le même, mais pas l’intrigue. Ce qui à mon sens n’est pas antinomique avec « la voix » de l’auteur : toutes les histoires sont écrites par le même auteur, et offre une facette différente de son message. Mais tout le texte reste de lui, et dans les limites de narrations qu’il s’est imposées. Elles sont juste un peu plus larges (et plus riches) que dans le cas d’une histoire linéaire « standard ».

Coté lecteur, les retours que nous avons sur Chronique(s) d’Abîme sont assez différents : le coté personnalisation / géolocalisation leur plait beaucoup.

Le coté multi-linéaire vient en second. Dès que les lecteurs savent qu’il y a plusieurs histoires en une (et que celle qu’ils ont lu leur a plu, bien entendu), ils n’ont généralement qu’une envie : découvrir les autres. D’où l’intérêt d’avoir des histoires réellement différentes.

De temps en temps en effet, quelques lecteurs nous parlent de « la voix » de l’écrivain. Généralement, il s’agit d’une mauvaise interprétation de ce que fait notre application (ils pensent qu’elle génère de nouveaux textes aléatoirement ou dynamiquement). Nous leur expliquons alors que tous les textes ont été écrits par l’auteur, et que celui-ci a bien défini les différentes histoires et fins qu’ils vont lire.

A noter que toutes ces explications seront caduques le jour où l’on aura plusieurs écrivains qui collaboreront sur une même histoire ! Mais ceci est une autre expérience 😉

LD : Vous soulevez effectivement d’excellents points très justes et qui permettent à la voix de l’auteur de transparaître néanmoins. Il faut que je lise Chroniques en entier pour me faire un réel avis informé, quoi qu’il en soit.

2016-08-26T12:19:10+02:00lundi 29 août 2016|Le monde du livre|9 Commentaires

L’Europe considère le registre ReLIRE (livres indisponibles) comme illégal

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Le ministère de la Culture après les décisions de l’avocat général (allégorie)

Okay, on est lundi et normalement c’était la suite du commentaire des règles de Robert Heinlein, mais la nouvelle n’attend pas (l’article d’aujourd’hui passera demain). Le registre ReLIRE, une monstruosité soviétique telle que seul l’État français sait encore en inventer, a été déclaré illégal par l’avocat général à l’échelon européen. Il reste que la Cour de Justice de l’Union Européenne doit encore rendre son jugement, mais elle suit très souvent les conclusions de son avocat.

Rappel : qu’est-ce que ReLIRE ? Un pillage en règle organisé par l’État et lancé avec l’argent du contribuable malgré les avertissements lancés par quelques collectifs, dont le Syndicat des Écrivains de Langue Française, ce qui a conduit à une initiative principalement lancée par Ayerdhal et Sara Doke. Avec le dispositif ReLIRE, les livres épuisés au XXe siècle pouvaient être réédités sans l’accord de leur auteur, lequel devait, pour s’y opposer, surveiller un registre tous les ans et signifier son refus (système d’opt-out). Ce qui va bafouer les droits des auteurs les plus élémentaires, à savoir : leur travail leur appartient et eux seuls peuvent décider ce qu’on en fait. (Voir cet article pour plus de détails.)

Le dispositif ReLIRE n’est donc pas mort et enterré, mais il a subi une blessure mortelle, et, si ce n’est pas encore fini, je danse sauvagement sur son corps. (Le verdict final de la Cour sera connu cet automne, et ensuite notre Conseil d’État devra statuer.)

Il est terrible et exaspérant qu’il ait fallu tant de procédures pour qu’une notion simple et inscrite dans la loi, le droit de l’auteur sur son propre travail, soit reconnue. Et prodigieusement scandaleux que des millions d’euros aient déjà été engagés, avec une incompétence proprement ahurissante (livres étrangers ou du XXIe siècle entrés dans la base, erreurs de couvertures, formalités humiliantes pour se retirer du dispositif, etc.).

Merci à tou.te.s les combattant.e.s (SELF, ADA(LR), Nitchevo Factory et Léa Silhol, Christian Vilá, Franck Macrez, j’en oublie tant…), à M. l’avocat général Melchior Watelet pour son intelligence et sa raison, avec une pensée émue et toute particulière pour Ayerdhal et ses combats continuels pour défendre les droits des auteurs.

Pour aller plus loin : deux articles d’Actualitté, l’excellent (et bien plus détaillé) debriefing de Léa Silhol, et les conclusions de l’avocat général, dans le texte.

2016-07-11T10:14:52+02:00lundi 11 juillet 2016|Le monde du livre|7 Commentaires

Vous montez une plate-forme et voulez attirer des créateurs pros ? Ayez conscience de ce qui suit

Sérieusement, cette photo, quoi. (Source)

Sérieusement, cette photo, quoi. (Source)

Synchronicité ou signe des temps (ce qui signifie potentiellement la même chose), je vis à peu près trois expériences convergentes en ce moment : des plate-formes logicielles à composante sociale se montent avec l’espoir de devenir, peut-être, un point d’eau d’importance voire de référence, souvent centré autour de la création. Deux d’entre elles m’ont invité à leur bêta, la troisième m’a demandé mon avis, et, synchronicité ou signe des temps (yadda yadda), je constate que toutes, à peu près, présentent des défauts de réflexion voisins et plus ou moins prononcés qui me semblent, hélas, dangereux.

Okay. Vous montez un SaaS (software as a service) / plate-forme sociale autour de la création – et vous avez envie d’attirer des pros intéressés par la technologie, voire qui emploient celle-ci de manière régulière, afin d’amorcer votre communauté. Voici, en toute humilité et dans l’espoir que cela puisse servir au plus grand nombre, les questions que je me pose aussitôt quand je découvre ce genre de projet, et certains impératifs qui gouvernent ma réflexion quand il s’agit d’adopter ce genre d’outil ou pas. Vue la quantité de contenu que je m’enfile en terme de lifehacking, de productivité et de technicité des knowledge workers, je vous fiche mon billet (de blog) que je suis loin d’être le seul à penser comme ça.

Ça promet d’être un peu rude, mais c’est pour votre bien.

Mon attention et mon temps sont comptés

C’est une réalité des choses, je suis seul et mon travail, aussi étonnant que cela paraisse, ne consiste pas prioritairement à faire le zigue sur Facebook (même si je le fais avec plaisir et que maintenir le lien avec la communauté est important à mes yeux), mais à produire des choses nouvelles, du contenu, livres, musique, etc. Les plate-formes que je vois se créer proposent tout un tas de fonctionnalités, ce qui est très bien, mais oublient un aspect fondamental du public qu’elles visent souvent : le temps et l’attention d’un créateur solo – a fortiori professionnel – sont diablement comptés. Dans un monde idéal, on pourrait maintenir une présence sur Facebook, Twitter, Google+, LinkedIn, Viadeo, Diaspora, WordPress et Tumblr, pour ne citer que des réseaux / moteurs de (micro)blogging généralistes (et sans même parler du courriel), et construire une chouette communauté sur tous. C’est parfaitement impossible (et c’est bien pour cela que le métier de community manager existe pour les entreprises).

Créer une nouvelle plate-forme suscite automatiquement la réaction : « Pff, encore un autre endroit ». Ce qui signifie : encore d’autres notifications, encore un éclatement communautaire, encore un outil dont il faut apprendre les idiosyncrasies. Sans compter que ces nouvelles plate-formes ne s’interfacent généralement avec rien (on ne peut pas rapatrier / rediffuser le contenu sur les réseaux classiques où se situent la communauté préexistante, sans parler d’une présence dans des outils de veille type HootSuite).

Il y a deux raisons pour laquelle Facebook et Twitter sont les leaders de facto des réseaux sociaux : 1. Tout le monde est déjà là et 2. Tout le monde est déjà là.

1. Tout le monde est déjà là : la communauté préexistante est là. Pour parler aux gens qui nous suivent, nous leur parlons là où nous les avons déjà retrouvés. Fragmenter la communauté implique des messages croisés (« J’ai publié une nouvelle photo sur Flickr / un nouveau morceau sur Soundcloud ») – chaque nouveau réseau augmente l’effectif de la combinatoire entre tous les messages croisés. Sans automatisation, ça devient parfaitement ingérable (et c’est pour ça que j’ai déserté Google+ qui ne propose pas d’automatisation agnostique).

2. Tout le monde est déjà là : c’est là que se trouve le public potentiel le plus large, car non trié sur les biais de la plate-forme. Sur Flickr, il n’y a que des gens qui s’intéressent à la photo et sont photographes eux-mêmes. Sur Facebook, il y a ta soeur et ma grand-mère. Tout créateur aspire à une certaine forme d’universalité (tout en ayant conscience de la futilité de l’idéal) – plus prosaïquement, si je veux toucher le plus grand nombre, je vais aller là où le plus grand nombre se trouve déjà, dans l’espoir de faire connaître mon travail (ou mes jeux de mots laids) à de nouvelles personnes.

Je vais être très honnête, pour ces raisons, la réponse qui suit fréquemment l’annonce d’un projet de plate-forme est un « non, je n’irai pas » quasi-automatique.

À moins de prendre ce qui précède en compte. Et donc que vous sachiez accrocher vos prospects avec la réflexion suivante :

Que faites-vous que personne ne fait ?

having-businessSi c’est pour proposer un réseau de portfolios d’images au sens large, j’ai une mauvaise nouvelle, vous êtes déjà en compétition avec Flickr, 500px, Behance et DeviantArt, au bas mot. La tactique pour attirer un professionnel (je parle bien d’un pro, hein, pas du lycéen qui ne terminera jamais sa fanfic furry Ken le Survivant sur Wattpad – là, je ne suis pas compétent en la matière – ni en lycéens, ni en furry, quoique en Ken le Survivant, on peut peut-être discuter) devient donc :

Pour quelle raison un professionnel délaisserait-il les réseaux et outils qu’il a déjà réfléchis, construits, pour dégager une part du temps incompressible qu’il peut dégager à la communication et aller chez vous ? 

Ce qui implique un certain nombre de points-clés :

En quoi êtes-vous différent ? Quelle est LA (ou, si vous avez de la chance, LES) vraie bonne idée de votre projet que personne ne réalise avant vous ? Vous voulez mettre des gens en contact ? Facebook et LinkedIn le font déjà. Vous voulez permettre aux gens de vendre leurs oeuvres ? DeviantArt, Behance, Zenfolio… le font déjà. Si vous ne comptez rien offrir de plus, ou, du moins, si vous ne le faites pas 2×10^15 fois mieux (et attention à ne pas vous bercer d’illusions dans ce domaine, vous êtes selon toute logique une start-up quand vous affrontez des entreprises brassant jusqu’à des milliards de dollars en R&D et développement), vous allez, je crois dans le mur. Donc : quelles sont vos killer features Vous n’y avez pas réfléchi ? Uh-oh.

Que m’apportez-vous que je ne sache pas faire seul ? De la visibilité ? Non, vous vous leurrez. Surtout dans le cas d’un pro, qui par définition a déjà construit un bout de carrière, vous ne pouvez par définition pas apporter une visibilité qu’il n’a pas déjà avec une plate-forme qui se lance tout juste. La visibilité se construit sur le temps, et par le créateur lui-même – vous lui fournissez peut-être un meilleur canal pour ce faire, mais rien n’est fait encore, ni par vous ni par lui – ne gobez pas la rhétorique des marketeux 2.0 à deux balles, la bulle Internet a éclaté depuis quinze ans. Pourquoi prendre un compte supplémentaire, voire payer des fonctionnalités, quand tout le monde peut construire en trois clics un site WordPress dont il est maître sans rien demander à personne ? Donc : en quoi promettez-vous de réellement faciliter la vie et faire réellement gagner du temps ? 

Comment vous insérez-vous dans les écosystèmes existants ? Vous m’offrez encore un tableau de bord, encore un espace à gérer ? Trop de boulot. Ouais mais le vôtre il est plus mieux ? Rappelez-vous que les cassettes Betamax ont perdu la guerre commerciale face aux VHS. À moins d’avoir une vraie solution incroyablement performante (et voir la remarque précédente sur les milliards de dollars), vous êtes plus probablement en version bêta avec un truc mal fini (ce qui est normal). Grands dieux, ne forcez pas les gens, à l’heure actuelle, à vous insérer dans votre mode de pensée, soyez humbles, considérez que Facebook et Twitter vous dominent et intégrez-les dans votre solution sans broncher (et idéalement, intégrez deux ou trois fois plus de réseaux en réfléchissant à votre cible). Ma théorie personnelle sur le naufrage de Google+ est l’obstination du réseau à garder son API fermée sur les profils personnels, empêchant les utilisateurs un peu démerdards (notamment les influenceurs) d’employer leurs outils de veille préférés et à la communauté de développer des extensions tierces. À tout vouloir centraliser et à se la jouer fermé, Google s’est tiré un coup de shotgun dans le peton, parce que : pourquoi quitter Facebook, où j’ai Candy Crush ? Facebook se permet d’imposer Messenger, oui, mais c’est Facebook ! Donc : pensez au minimum à une API ouverte, facilitez au maximum l’intégration de votre produit aux écosystèmes préexistants.

Quand on construit une plate-forme sociale, un SaaS, je crois qu’une bonne perspective consiste à se considérer entre le fabricant d’outils et l’assistant de direction. Ce n’est absolument pas le même mode de pensée qu’un informaticien qui se concentre en général sur les fonctionnalités – mais un vrai entrepreneur, tels que les Américains les forment, se demande : en quoi ceci est utile ? En quoi cela améliore la vie des gens en leur faisant gagner du temps et de l’argent (pour qu’ils aient envie d’investir dans un abonnement) ? Et surtout – et c’est là le talent d’un bon assistant – en quoi puis-je devancer leurs désirs avant même qu’ils ne s’aperçoivent qu’ils ont envie de mon produit ?

C’est comme ça qu’Apple révolutionna le marché de l’assistant numérique en inventant l’iPhone. Le reste appartient à l’histoire.

2016-02-24T11:45:03+01:00jeudi 25 février 2016|Le monde du livre|3 Commentaires
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