Victor Hugo a passé plus de deux ans à faire du spiritisme. Les messages qui, disait-il, lui étaient transmis étaient inspirés et grandioses ; il n’était guère difficile de les imaginer dictés par l’esprit de Shakespeare ou de Châteaubriand… à moins que ce ne soit Hugo lui-même qui les ait écrits sous le feu d’une connexion directe avec son inconscient, les pensant, de bonne foi, venus d’ailleurs.

Un type avec une tête très très lourde. Est-ce à lui que l’on doit la pose de l’auteur pensif en photo de presse ?

J’en parle un peu dans Comment écrire de la fiction ?, mais tous les auteurs avec qui j’en discute – à commencer par moi – parce que je discute avec moi – arrêtez de me regarder bizarrement – ont une relation fascinante, curieuse, avec leur imaginaire, leur inconscient ; c’est un objet vécu comme extérieur, qu’il faut cajoler pour qu’il amène à la conscience ou du moins à la possibilité de l’exécution la réalité d’une œuvre en devenir. Les anciens parlaient évidemment de Muse, mais Steven Pressfield aussi ; pour Elizabeth Gilbert, les idées sont une forme de vie qui cherchent à s’incarner. On a parlé dans ces articles de l’auteur (ou du créateur au sens large) vu comme un ou une chaman·e, et j’ai livré une histoire extrêmement troublante où mon inconscient avait inexplicablement préparé le terrain pour une histoire contenue dans une autre, alors que j’étais persuadé de ne jamais revenir à cet événement (et que j’avais même tout écrit pour que ce soit impossible).

Personnellement, j’appelle cela le Mystère. Je ne sais pas ce que c’est : la Muse ? Mon inconscient ? Une réalité parallèle ? La voix des anges ? L’esprit de Shakespeare ? (yeah, baby) Tout ce que je sais, c’est que je ne peux y accéder directement, que cela m’est donc extérieur (et ma relation avec la chose m’intéresse beaucoup plus que la nature d’icelle ; si le Mystère veut rester mystérieux, je le respecte). Je dois réussir à collaborer avec, en mettant en ordre « l’île de mon tonal » (comme dirait Castaneda), soit le plateau de ma volonté consciente. En revanche, je suis le seul capable à canaliser ce que le Mystère me murmure, de la même manière que tous les autres auteurs et autrices sont seul·es capables de canaliser ce que le Mystère leur murmure à eux et elles. Nous sommes des prismes, chacun et chacune réglé·es différemment, et surtout, c’est d’abord notre travail assidu et délibéré qui distille la lumière. (Sans ça, il n’y a rien.)

Or, en écrivant « Les Dieux sauvages », je suis tombé sur deux nouvelles coïncidences incroyables, imprévisibles, dont je promets qu’elles sont entièrement inconscientes.

Il se trouve que « messagère du Ciel » était un titre plus rare et moins connu de Jeanne d’Arc. Je n’en savais fichtre rien, et je ne crois pas avoir jamais croisé cette appellation, d’autant plus que le titre d’origine prévu pour le roman était « La Messagère de Wer » (puis « La Fureur d’Aska » et « L’Héritage d’Asrethia », à l’époque où c’était prévu comme une trilogie, et que j’ai décidé de supprimer de mes titres ces noms propres qui ne diraient de toute façon rien à personne. Évitez les noms propres dans les titres. Personne ne sait de qui vous parlez).

Et je viens de découvrir que Nehyr signifie « lumière divine » en araméen. Spoiler : je cause pas araméen. Au cas où vous vous poseriez la question, hein.

La part rationnelle en moi dit : si l’on évolue dans le domaine d’une élue divine venue changer les temps, il n’est pas complètement absurde de retomber sur un titre identique de par les voisinages symboliques. La part rationnelle en moi dit : si l’on prend un ensemble de phonèmes facilement prononçables par la bouche humaine (comme un nom) et qu’on balance ça dans un moteur de recherche, la probabilité de tomber sur une signification éloquente est loin d’être nulle.

La part non-rationnelle en moi dit : wooooooh c’est cool (et un peu flippant aussi). Okay, Mystère. Je vais faire mon possible pour écouter. Avec mes tripes. Parce que les tripes sont l’oreille du Mystère.

Et je dis : je pose ça là, à vous de voir.