Les vrais mecs sont féministes

feminism-women-are-peopleOK, avec tous les remous qui agitent la question du genre, du mariage pour tous à l’article de Mar_Lard sur le sexisme dans le milieu geek en passant par les innommables lois anti-avortement dans les États fondamentalistes du sud des USA, on voit surgir un nouveau machisme en réaction aux progrès acquis par les droits des femmes et sur les rôles en général. Une espèce de patriarcat bon teint, qui ressemble un peu au racisme bon teint, c’est-à-dire la profération d’âneries (voire d’horreurs) comme des évidences bénignes.

Je crois qu’il est temps de dire une bonne fois pour toutes que les vrais mecs sont féministes

Caveat : C’est un peu difficile, quand on appartient à la population dominante comme moi (mâle blanc hétéro), de parler de ce genre de sujet ; on y fait promptement, mais involontairement, preuve de condescendance envers la population qu’on s’efforce de défendre, ce qui est une forme insidieuse de domination. Qu’il soit donc déclaré tout de suite, ô, mes soeurs humaines, que j’ai conscience de la place (chanceuse) que j’occupe, et que toute possible imprécision de ma part n’est pas de la condescendance, mais de l’ignorance – le débat est ouvert en commentaires. Je n’ai volontairement pas fait relire ce article par une femme pour qu’il soit brut de décoffrage, dans son (possible) aveuglement comme sa (réelle) sincérité : ainsi, espérons-le, parlera-t-il aux autres mâles blancs hétéros (auquel il s’adresse surtout, puisque les femmes, en principe, seront convaincues). Je remercie aussi toutes les nanas que j’ai croisées (et espère bien croiser encore !) pour les discussions riches d’enseignements.

Nous prendrons également pour acquis que la domination masculine est un fait indéniable. S’il y en a ici pour en douter, juste deux données françaises piochées sans forcer : droit de vote accordé aux femmes en 1944 en France ; 20% d’écart de salaire à l’heure actuelle1 Enfin les commentaires sont bienvenus, mais, les mecs, merci d’éviter le second degré lourdingue. Vous n’êtes pas drôles. Pour le reste, je rappelle que je modère sans pitié.

Ceci étant dit : dans une formule provoc’ comme celle du titre de l’article, il convient de définir les termes, pour montrer en quoi, finalement, elle n’est pas provoc’ du tout.

Le féminisme

Loin de moi l’idée de me prétendre expert ni même de faire un panorama de la question. J’avoue volontiers une certaine ignorance, et les mouvances sont, par ailleurs, multiples. Voir le caveat. Cependant, il me semble qu’il n’est pas nécessaire de faire un doctorat de sciences sociales pour faire de ce mot une notion opérante au quotidien (ce qui est plus immédiat que des thèses), quand on essaie de se comporter en être humain décent (ce qui est un processus constant semé d’embûches).

xkcd-girls and mathLe féminisme, c’est défendre les droits des femmes, c’est tout. Et les droits des femmes, ce sont les droits de l’homme (en tant qu’espèce biologique). Genre, les mêmes. Traiter les femmes comme des êtres humains (ça semble basique, mais ça échappe à beaucoup). Ça représente, sans se limiter à :

  • Respect et dignité de la personne en tant qu’être humain (tu t’habilles comme tu veux sans avoir peur, par exemple)
  • Liberté, en particulier de disposer de soi (c’est ton corps, tu en disposes comme tu l’entends)
  • Pleine reconnaissance de la différence (eu égard, en premier lieu, aux fonctions biologiques qui sont asymétriques dans notre espèce – je le dis pour ceux qui ont séché les cours de SVT)
  • Égalité des droits

Ha, la fameuse égalité des droits, l’argument de discorde, en général. Promouvoir l’égalité des droits pour les femmes conduit le sexiste de base à redouter une restriction des siens. On se demande comment (comme on se demande comment les chrétiens traditionalistes peuvent se sentir menacés par le mariage pour tous : en quoi donner aux uns des droits relatifs à la personne en priverait les autres ?) – sauf si ces fameux droits sont fondés sur une exploitation ou une domination d’autrui.

Tiens donc.

Je me tiens le plus loin possible de Freud et Lacan, mais je connais un peu mes corréligionnaires masculins, et je crois que la résistance à l’égalité prend principalement racine dans la frustration sexuelle et, inconsciemment, d’une ambiguïté envers la féminité, vécue comme un mystère, et donc anxiogène. (Ce n’est probablement pas la seule cause, mais celle-ci me semble profonde, et quasi-suffisante, en tout cas pour un article de blog crypto-subjectif comme celui-ci.) L’être humain redoute ce qu’il ignore, et tend à dominer ce qu’il redoute.

feminist-damned-ifyoudoPar conséquent, je crois qu’il y a, au coeur de la domination masculine, une angoisse de la frustration sexuelle, voire, au-delà, d’une frustration esthétique (qui englobe tout le reste au sens large, si l’on postule un noyau hédoniste à l’être humain). Sinon, pourquoi la notion de dissimulation du corps féminin serait-il tant répandue à travers le monde et érigée comme principe ? Pourquoi la première forme d’oppression masculine sur les femmes est-elle sexuelle ? Pourquoi les femmes sont-elles tant présentées comme des “tentatrices », en particulier dans le vocabulaire religieux (… où le célibat, d’ailleurs, est la norme) ? (Les mecs sont-ils donc si fragiles qu’ils ne savent résister à la tentation ? Bah alors, mes bichons ?)

C’est bien qu’il existe une population masculine tragiquement dominée par des pulsions dont elle ne sait que faire, et qu’elle ne sait assouvir que par la violence, trop mal équipée pour imaginer qu’il existe d’autres registres d’interaction2. Comme un enfant frustré et gâté réagit par le caprice. Je m’arrête là, ça nous entraînerait trop loin, mais vous voyez l’idée (j’espère).

Ce que ne voient pas les sexistes de base (en partie, soyons un peu magnanimes, à cause de siècles de façonnement social, ce qui ne se change pas en un an, mais évolue heureusement peu à peu), c’est que les droits ne sont pas une quantité finie, que si on en donne aux uns, on en enlève aux autres. Il faut ici mentionner le rôle qu’ont joué certaines mouvances extrêmistes du féminisme qui ont donné l’impression, par l’emploi d’une rhétorique guerrière, qu’il s’agissait de destituer les hommes de leur situation. On peut tout à fait comprendre la révolte féministe qui conduit à de tels extrêmes, mais non, les gars, détendez-vous, contrairement à ce qu’on entend ici et là, le féminisme ne vise pas à vous dominer. Et vous êtes un peu couillons si vous le croyez, excusez-moi. Si on vous l’affirme froidement et avec le plus grand sérieux, vous avez parfaitement le droit de répondre posément à votre interlocueur ou trice que c’est un(e) idiot(e), et d’aller discuter avec quelqu’un d’un peu plus intéressant.

En revanche, la révolte est, elle, parfaitement compréhensible, et elle n’est pas à minimiser, ni à prendre de haut. Une révolte est un signal qu’il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark. Know the difference, it can save your life.

Il y a une façon positive de répondre à l’inégalité (de salaire, de traitement, etc.), et c’est en réfléchissant à la façon dont on peut améliorer le sort de tous, et/ou travailler (quand c’est pertinent) à la symétrie.

Case in point

feminaziPour être plus clair, et parce que, comme je l’ai dit, je n’ai pas de définition ni de principe, seulement des questions et une quête de réponses que j’espère opérantes dans l’existence, prenons le cas – pour revenir à la frustration sexuelle et esthétique née de la crainte du mystère féminin – du corps de la femme considéré comme objet. Exemple : une fille nue dans une pub sert à vendre du yaourt. Un groupe féministe s’énerve en râlant qu’on n’a pas besoin de foutre une meuf à poil pour vendre du yaourt. Le sexiste de base répond : “C’est du fascisme ! On ne peut plus rien dire, on est en pays libre, et si on a envie de voir des meufs à poil, merde ? Rentrez à la cuisine, lol, etc.”

Sens-tu, ô auguste lectorat, sous-jacente à cette protestation, la frustration sexuelle et esthétique ? Sens-tu aussi la parfaite incompréhension entre deux discours placés sur des plans qui n’ont rien à voir ?

Ce qu’il faut voir, c’est que si les femmes protestent contre le fait que leur corps soit utilisé comme objet, je crois, il me semble, que c’est avant tout parce qu’il est au service (quasi-)exclusif des hommes et l’héritage de siècles de domination masculine. Une forme de symbole. Ce qui entraîne une protestation que je trouve légitime.

OK, on est là. Que fait-on ?

Soit l’on arrête de montrer le corps féminin, point. C’est illusoire (étant donné les lois du marketing moderne), c’est problématique (parce que la frustration risque certainement de ressortir avec violence, comme en témoigne tristement l’histoire humaine), et bon, c’est esthétiquement dommage, parce que nu et élégance ne sont pas mutuellement exclusifs, comme le prouve le nu dans l’art à travers les âges (l’usage qu’on en fait est plus tangent, mais restons simples).

Mais le problème, éthiquement, vient-il de 1) l’usage du nu féminin en soi, ou de 2) la dissymétrie dans la représentation entre genres ?

Les moralistes répondront 1). Je pense et préfère 2) (et je pense que combattre 1) est un épouvantail rhétorique).

Avant de prôner toute dissimulation, on peut s’interroger sur les notions d’usage en soi du nu et d’égalité. Solution (défendue, presque quotidiennement dirais-je, par Maia Mazaurette) : que diable, faisons du corps masculin un objet aussi, permettons-lui d’acquérir un potentiel érotique qui soit le pendant du féminin ! Hey, du coup, tout le monde peut mater, personne n’est frustré, chacun ses codes, c’est cool, et personne ne se sent plus instrumentalisé que l’autre. On déplace la question de “Faut-il montrer le corps de la femme ?” à “Faut-il montrer le corps ?” ce qui me semble une question plus intéressante et, surtout, dénuée de sexisme et des dérives qui l’accompagnent, parce qu’il n’y a pas lieu d’avoir deux poids, deux mesures. Ce qui est le fond de la question ici.

Évidemment, on n’y est pas. Mais ça progresse un peu, me semble-t-il. Le plus important, c’est qu’on donne à tous le choix d’être instrumentalisé ou pas, comme il le souhaite, si c’est son désir ; le fond du problème, c’est la réciprocité.

Les vrais mecs

voiceless-royDonc, si, au coeur de la domination masculine, il y a une peur née de la frustration, il vient que le sexisme prend racine dans une vision infantile du soi et de l’autre.

Les sexistes de base ne sont rien de plus, psychologiquement que des petits garçons. Des petits garçons, car ils ont peur des femmes ; parce qu’ils n’ont pas conquis et réalisé leurs pulsions ; parce qu’au lieu de mener des combats constructifs (c’est-à-dire en réfléchissant à ce qu’ils sont et en réalisant leur potentiel), ils se défaussent par la bêtise, la discrimination et l’oppression et appellent ça être un “vrai mec” (ce qui colle la honte à tout le reste de la compagnie, pas merci, les gars). Psychologiquement, seul un enfant, un petit garçon, est impressionné par une femme, soit l’archétype à la fois tout-puissant et protecteur de la mère, envers qui il est placé en position de dépendance affective3.

Alors, si la notion – absurde et bancale, c’est clair – de vrai mec définit, disons, une situation mûre et adulte dans l’existence, indépendance et liberté, alors il vient que le “vrai mec » n’est pas gouverné par la peur, mais par la réalisation. Un vrai mec, selon cette acception, n’est autre qu’un vrai être humain, en définitive. En particulier, il n’est pas gouverné par la peur de perdre des prérogatives dominatrices, parce qu’elles ne le définissent pas ; il ne domine pas autrui, il se domine lui-même, et c’est de là que viennent ses accomplissements ; s’il peut bien sûr éprouver la peur, il la reconnaît, l’affronte et s’efforce de la conquérir.

Un vrai mec – un vrai être humain – est féministe parce qu’il a une identité suffisamment robuste pour ne pas se sentir menacé dans sa psyché infantile, parce qu’il accueille au contraire l’égalité des droits comme un progrès pour tous. Ce qui aligne le féminisme à l’intérêt de la personne, quel que soit sa situation.

En définitive

need-feminist-menÀ mon sens, et de mon point de vue de mâle blanc hétéro :

Être féministe, c’est choisir un employé ou un collaborateur sur la compétence du boulot qu’il/elle sera amené(e) à faire, homme ou femme.

Être féministe, c’est considérer que quand on refuse aux femmes le droit de disposer d’elles-mêmes, c’est un peu de l’épanouissement de tous qui s’évanouit.

Être féministe, c’est avoir le droit de penser d’une femme qu’elle est idiote, non pas parce que c’est une femme, mais parce que c’est un être humain idiot.

Être féministe, c’est trouver que tenir la porte à une fille, c’est cool, tout simplement parce que c’est sympa d’être sympa. Et oui, peut-être que la fille est jolie. Et alors ? C’est sympa d’être sympa avec une jolie fille. Moi aussi j’apprécie qu’on soit sympa avec moi. Faut-il que les choses soient plus compliquées que ça ? Être féministe, c’est aussi trouver qu’une jolie fille court vêtue qui se promène dans la rue est magnifique – point barre. Et que c’est cool. Merci d’avoir illuminé ma journée. (Pour être clair : non, ce n’est pas une s*****, elle fait ce qu’elle veut.)

Être féministe, c’est considérer que quand on force les femmes à se taire, c’est une diversité de parole et d’opinion, salutaire et nécessaire, dont on se retrouve tragiquement privé.

Diminuer les droits des femmes, c’est restreindre les droits de tous ; c’est infantiliser, ultimement, une population masculine qui ne sait comment résoudre son insécurité. Si tout cela n’est pas une raison amplement suffisante4 de défendre ces droits, je ne sais pas ce qu’il faut. Il n’est pas besoin d’aller jusqu’à la manifestation publique pour se dire féministe. Simplement, déjà, agir soi-même, soit surveiller ses actes et son langage, les questionner en particulier quand on est un mâle blanc hétéro, pour se demander si actes et langage ne viennent pas de présupposés ataviques et non de la vérité de soi, il me semble que c’est un bon début quand il est sincère5.

J’entends d’ici, encore, les petits garçons qui hurleront à la censure. En ce qui vous concerne, on va être clairs, il s’agit juste 1) d’arrêter d’être con 2) de piger qu’en vous remettant en cause et en cherchant sincèrement comment contribuer à la communauté, vous contribuez à améliorer votre propre condition et 3) de consacrer votre énergie à devenir ce que vous voulez être au lieu d’empêcher les autres de le faire par misère intellectuelle et affective. Vous êtes capables ne serait-ce que d’essayer, ou bien vous êtes trop faibles et peureux pour ça ?

  1. En revanche, contrairement à la légende, il n’y a jamais eu de Concile pour déterminer si les femmes avaient une âme. Mëme si j’avoue que l’anecdote est savoureuse.
  2. Sur la violence comme principe, je ne la fustige pas en soi. Nietzsche affirmait que “tout ce qui est important vient en surmontant quelque chose ». La violence est potentiellement créatrice, tant qu’elle est orientée de façon juste, tout comme l’atome ou le marteau, c’est-à-dire par sur le(a) voisin(e).
  3. Je ne parle pas de l’OEdipe freudien, lequel est – à ma connaissance – fondamentalement sexuel.
  4. Car qui relève de l’intérêt personnel et immédiat de l’individu ; bien qu’égocentré, c’est toujours le motivateur à la fois le plus simple et le plus efficace.
  5. Je ne prétends d’ailleurs pas y arriver, et ce n’est pas à moi de le déclarer de toute manière ; je ne peux que m’y efforcer, l’opinion et le ressenti sont, par définition, l’affaire des autres, qui – truc de dingue – communiquent alors
2018-07-17T14:17:49+02:00mercredi 31 juillet 2013|Humeurs aqueuses|56 Commentaires

Le Google Glass

Quelques idées en vrac en passant sur les Google Glass, qui incarnent le dernier symbole en date de craintes et d’interrogations concernant la vie privée. Il me semble que, justement, en se focalisant sur ces questions importantes mais très (trop) précises, attachées à l’objet lui-même, on passe à côté de la grille de lecture qui nous aiderait à décoder l’envergure du phénomène qui se profile, et donc, par richochet, de mieux répondre à ces questions immédiates : les Glass ne sont pas un périphérique, elles sont un concept, et c’est ce qui se trouve au centre de ce qu’elles ouvrent, et des polémiques associées. Peu importent leurs fonctionnalités détaillées, elles poussent encore plus loin le tout-connecté et automatisent la prise d’images. C’est comme si l’on s’interrogeait sur le concept de smartphone aujourd’hui. Peu importe qu’on ait Dropbox, un appareil photo ou son mail dessus, ce qui compte dans l’idée même de smartphone, c’est que c’est un terminal connecté entièrement configurable. Soit : un mini-ordinateur connecté dans la poche. Les Glass, ça veut dire qu’on a Internet et des périphériques de capture devant les yeux et portés en permanence ; elles suppriment toujours davantage l’interface entre l’homme et la machine. Il est là, le centre de la question, pas le fait que je puisse prendre des photos avec et le mettre directement sur Facebook. C’est étriqué. Tout comme le fait de consulter Facebook sur un smartphone est un épiphénomène étriqué du concept d’avoir un ordinateur connecté sur soi en permanence, et ne nous aide pas à cerner les usages et les conséquences de ces appareils sur nos vies.

Comme toujours, la SF s’est posé ses questions il y a vingt, trente ans, et, à défaut d’apporter des réponses, présente des visions réfléchies du transhumanisme, a médité ces questions bien avant l’heure – à moins qu’il ne s’agisse de prophéties auto-accomplies. Car 2029 est drôlement parti pour ressembler à Ghost in the Shell.

2013-07-10T10:11:25+02:00mercredi 10 juillet 2013|Humeurs aqueuses|Commentaires fermés sur Le Google Glass

Faire des articles littéraires en ignorant ce qu’est la littérature

jfailOooh, Slate. Eh bien alors ? Qu’est-ce qui t’arrive ? Toi qui, d’habitude, régale les Internets multimédias par tes traductions d’articles de haute volée, par la portée de tes billets originaux que tu prends le temps de faire rédiger au lieu de céder au sensationnalisme du moment, voilà que tu cours dans le salon, te prends les pieds dans le tapis, et t’éclates les dents contre la table basse.

Dans ce billet, Catherine Bernard répercute une étude conduite par l’OCDE (étude PISA) sur les niveaux des élèves à travers différents pays en lettres et en sciences, attirant l’attention sur le fait qu’à niveau égal, les filles montrent une meilleure compréhension de l’écrit. Parce que les garçons “négligent la littérature », selon les mots de Gunilla Molloy, professeur à l’université de Stockholm, dont la source est probablement cet article, si mes recherches sont efficaces (et que la traduction de Google est à peu près valable – je ne parle pas encore suédois). Jusqu’ici, pourquoi pas. Sauf que l’article continue :

Car, précise-t-elle, les garçons ne sont pas totalement allergiques aux textes: ils lisent des BD, dévorent la science-fiction, apprécient généralement les livres d’histoire, sans même parler des manuels techniques et des brochures de jeux vidéo où ils sont tout simplement imbattables.

J’ai beau n’être qu’un garçon et donc statistiquement en retard d’un an sur la compréhension de l’écrit par rapport à Catherine Bernard, il me semble clair dans l’énoncé précédent que, donc, la science-fiction n’est pas de la littérature. C’est sûr, c’est de la fiction écrite en prose continue, ça n’a rien à voir avec le roman, c’est l’évidence même. Comme l’ont prouvé 1984, Le Meilleur des mondes, Fahrenheit 451, Frankenstein, toute l’oeuvre de Jules Verne, cela n’a aucun rapport avec la littérature, c’est… on ne sait pas quoi, mais, horreur ! Aucun rapport avec les lettres.

Je ne vais pas oser prétendre que madame Bernard n’a pas fait son boulot de journaliste en allant vérifier les sources ou même en tenant une réflexion de base sur les propos tenus par mme Molloy. Après tout, d’après sa bio sur Slate, madame Bernard était journaliste aux Échos. Un cursus dans un canard économique vous place assurément comme autorité pour parler de littérature.

Moi, je suis un peu con, puisque j’ai le malheur d’écrire de l’imaginaire, alors, n’étant pas capable de comprendre le contenu d’un rapport rien qu’en en lisant la couverture, je retourne aux sources. J’avoue ne pas m’être payé les 286 pages du bousin, mon abnégation a des limites, mais un suvol rapide des protocoles employés m’a appris deux choses :

  • Il n’est pas question de littérature mais de compréhension de textes continus (prose) et non-continus (mêlés de graphisme). 
  • Une recherche sur le mot “science-fiction” dans le rapport ne retourne aucun résultat.

D’où vient un pareil saut quantique entre le contenu même du rapport (scientifique, et donc avant tout descriptif) et des conclusions aussi farfelues ? La journaliste aurait cité comme autorité, non pas sa lecture du matériel d’origine, mais repris à son compte la lecture d’un tiers tout en lui transférant l’aura de respectabilité de l’étude ? Ils font ça, ces gens ? Non ! Non, arrêtez, je refuse d’y croire ! Monsanto sont des gens bons et Patrick Le Lay se dévoue à l’édification de son public !

Mme Molloy, dans la bouche de mme Bernard, ajoute :

Or la littérature a un grand avantage: elle apprend à changer de perspective, à se mettre à la place des personnages et tenter de comprendre leurs points de vue, leurs sentiments, leurs problématiques, leurs valeurs.

Et donc que c’est dommage que les compétences des garçons soient inférieures.

Je n’en disconviens pas.

Toutefois, il va falloir que mme Bernard et mme Molloy apprennent elles aussi à lire du texte continu. Toute fiction n’est pas littéraire. La BD, le théâtre, le jeu vidéo, le cinéma portent tous ce processus de sympathisation à un tiers, cette empathie. (Si j’étais un gros guedin, je parlerais même de composante performative de la fiction, mais je ne voudrais pas perdre les garçons fans de SF dans la salle, à commencer par moi.) La littérature a “un grand avantage », oui, et il est lié à son média : c’est celui de travailler la compréhension de l’écrit, lequel forme l’esprit à la critique raisonnée et à la dialectique, deux atouts fondamentaux dans nos sociétés complexes. Mais on s’y forme très bien aussi en lisant des manuels de droit.

En revanche, visiblement, pour les manuels d’économie, c’est moins sûr. Cela n’évite pas à mme Bernard deux amalgames stupides (la SF comme littérature et la valeur perfomative de la fiction), difficilement pardonnables à une revue aux ambitions de Slate et – théoriquement – un peu immergée dans la culture geek, quand même. Il est une vérité solide dans le cas de l’apprentissage de la littérature et de l’écrit, que connaissent tous ceux qui ont un jour approché un livre à moins de trente mètres : peu importe ce qu’on lit, l’essentiel, c’est de lire avec plaisir, car c’est là que l’étincelle s’allume, et que l’on passe, un jour, des novelisations de Doom à Friedrich Nietzsche. Et State, qui se targue de réfléchir aux évolutions de la société, pourrait fortement bénéficier d’une bibliothèque bien fournie en SF plutôt que de laisser publier des indigences intellectuelles pareilles.

2013-06-11T09:42:20+02:00lundi 3 juin 2013|Humeurs aqueuses|26 Commentaires

Le genre de l’orque

Orca_size-2.svg

Par Chris huh, licence CC-By-SA

Un petit sujet pas polémique, tiens (enfin, je ne crois pas), mais qui revient assez régulièrement sur les réseaux sociaux, du coup, comme pour toute question récurrente, je m’efforce d’en faire un article pour placer toutes les informations au même endroit.

Ce dont il est question :

orque_genre_discussion

Si vous avez lu Léviathan, je parle des orques au masculin. Résolument. Pas les orcs à la Tolkien, hein, les trucs noirs et blancs qui figurent là (/^ – |^ – rhaa zut, en haut à droite, quoi).

Ce mot a toujours représenté une des savoureuses “difficultés” de la langue française. (Il figure d’ailleurs dans le Jouette, outil tellement indispensable que les vieilles versions montent à 200 euros en occasion.) Si l’on consulte la bible du français, le Trésor de la Langue Française Informatisé, on lit que

orque_tlf

… orque est un substantif féminin. (Ce que confirment tous les dictionnaires modernes). Sauf que. Piquons un vieux Robert1 :

 orque_robert

Le genre du mot a toujours été un peu flou. J’avais un vieux Larousse (si ma mémoire est bonne) qui, d’ailleurs, ne se mouillait pas et donnait les deux genres. Or, récemment (il y a quelques années), l’Académie Française a tranché : comme le reflète le TLF, orque est féminin.

Sans vouloir être mauvaise langue (tout en l’étant complètement quand même), quand on voit les récentes néologisations absurdes de l’Académie (mél, cédérom), on peut songer que la décision prise était forcément la mauvaise.

Toutes les années où j’ai travaillé au contact des orques, en captivité puis en biologie marine, tout le monde parlait des orques au masculin. Les rares à employer le féminin suscitaient un moment d’arrêt autour d’eux, comme s’ils venaient de dire “un voiture” ou “une pain ». Je ne prétends pas que nous avions raison dans notre usage, mais c’était notre usage et, de ce que j’en ai vu, il était répandu.

Je le conserve donc résolument à l’oral comme à l’écrit, parce que je considère qu’à travailler près d’eux, à les étudier (je fais ici référence aux scientifiques que je côtoie), on décide mieux du genre d’un terme qui représente une réalité quotidienne et tangible, que reclus à décider qu’« e-mail » deviendra “mél” alors que le parfait “courriel” québécois existe. Les écrivains ne subissent pas leur langue, ils l’utilisent, contribuent à la façonner, la recréent même parfois, et chez moi, les orques seront toujours de genre masculin. Tant pis si, depuis, les dictionnaires ont décidé que c’était un barbarisme.

  1. Ce scan est piqué à ce site, qui propose des compléments d’information sur la question.
2013-05-13T10:17:16+02:00lundi 13 mai 2013|Humeurs aqueuses|25 Commentaires

Un type peu recommandable

Il va falloir expliquer aux dirigeants de Pizza Del Arte que si l’on veut faire honneur au patrimoine italien, même si ça sent le factice, il faut se rencarder un brin :

SAMSUNG

Italo Calvino, okay, bien évidemment, écrivain, oulipien, respect. Erri de Luca, bien sûr aussi.

Mais Savonarole ? Savonarole, le fanatique ravi par le Bûcher des Vanités, qui condamnait Pétrarque, Botticelli, Boccace ? Je serais l’un des deux géants précités, je l’aurais sévèrement mauvaise d’être cité à côté. Je veux bien qu’une pizza avant un film ne soit pas le lieu pour un débat philosophique ni même une dissertation historique sur les intentions du gugusse en question (… dont la théocratie florentine se voulait démocratique – si l’on veut…), mais quand même, ce n’est pas comme si l’Italie manquait tant de grands noms pour cette fresque débile et moche qu’il faille absolument citer celui-là. Tant qu’à faire.

Demain, chez Buffalo Grill, le nom du général Custer à côté de celui de Mark Twain.

2013-03-05T22:11:45+01:00mercredi 6 mars 2013|Humeurs aqueuses|4 Commentaires

La cour des petits

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Par contre, ça c’est un bon mot d’ordre

Donc Stéphane Hessel est décédé hier, à l’âge de 95 ans. Son petit manifeste, Indignez-vous, est devenu le succès d’édition que l’on sait ; son livre se trouve en bonne place sur ma pile où figurent entre autres Getting Things Done, un an de retard de Courrier International et The Four-Hour Workweek au titre d’ouvrages sérieux à lire à la place du coupable Canard PC… J’avoue que je l’ai à peine entamé, je suis dans Le Japonais pour les Nuls. (Peux pas avoir l’air intelligent partout.)

Comme toujours à la disparition d’une personnalité devenue médiatique, si l’on excepte bien entendu les hommages plus ou moins vibrants, plus ou moins bien formulés, Internet et les réseaux sociaux se sont transformés en cour de récré ; qui pour des petites phrases plus ou moins bien trouvées (mais admettons : l’humour, quand il se conjugue au talent, justifie presque tout), qui pour proclamer haut et fort qu’il n’en a rien à foutre. Indépendamment du fait que, BREAKING NEWS, le monde entier se fout que vous vous en foutiez, cet homme avait probablement une famille très attristée par la disparition d’un proche et que proclamer que ça en touche une sans remuer l’autre lol-que-je-suis-marrant, en plus d’une absence de sensibilité, me semble montrer d’un certain manque de discernement quant aux occasions de se taire. Sans compter que la plupart des morveux qui lolent aujourd’hui de la mort d’Hessel n’auraient pas eu le premier gramme de courage qu’il fallait pour résister pendant la guerre. Alors je ne sais pas, je n’y étais pas, hein, mais je sais aussi que, malgré tout ce que je peux me raconter sur ma bravoure, je ne saurais affirmer en mon âme et conscience que je l’aurais assurément eue, cette bravoure, justement parce que, grâce à des gens comme lui, les types comme moi n’ont heureusement pas à se poser la question.

Mais passons. Internet as usual. 

Par contre, que sa mort génère une telle vague de détestation primaire me rend particulièrement perplexe. Qu’on désapprouve son essai, sa glorification médiatique, qu’on s’interroge sur cet immense succès en librairie, qu’on évite de canoniser l’homme pour replacer plutôt son propos dans un contexte, eh bien, pourquoi pas. C’est faire preuve d’esprit critique. En revanche, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur la haine purement gratuite à son encontre. Comme si, après qu’un succès s’est construit sur son bref livre, il devenait nécessaire de dénigrer la personne, peut-être par jalousie, mais je pense surtout, si je connais bien mon Internet, que c’est par simple espoir de se donner l’air malin, franc-tireur, intellectuel – en bref, pour exister. “Ah ah, je ne suis pas un suiveur, moi, je suis contre, je provoque.” Fifteen seconds of fame. Sauf qu’il ne s’agit pas là de débattre, il s’agit juste de créer du vent, de privilégier l’effet immédiat, le bon mot, le créneau d’opinion arraché au sprint, avec bonus pour contradiction primaire. Prendre le contrepied de l’opinion générale, et même de la décence, jusque parce que c’est le contrepied, ne suffit pas à rendre intelligent, ni même à en donner les apparences. C’est simplement privilégier, comme le connaissent les vieux aficionados de Cyberpunk, le style à la substance – et cela n’a évidemment pas de quoi réjouir.

Comme me l’a confié avec bienveillance un animateur d’atelier d’éloquence au collège – conseil qui m’a sauvé la vie à plusieurs reprises -, n’est pas Pierre Desproges qui veut.

2013-02-28T01:57:47+01:00jeudi 28 février 2013|Humeurs aqueuses|22 Commentaires

Douceur et volupté

D’habitude, je les ignore. Là, j’en ai trop reçu d’un coup. Donc ça m’a énervé, et j’assume.

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Je nourris même le fol et déraisonnable espoir que ça puisse servir d’avertissement – fol et déraisonnable, oui, voilà, je sais. Bref. Circulons.

2013-01-27T09:53:04+01:00lundi 28 janvier 2013|Humeurs aqueuses|9 Commentaires

La guerre aux OGM est déjà terminée

Ce n’est pas parce qu’on est halieute qu’on ne ne s’intéresse jamais à ce qui se passe sur la terre (l’endroit d’où ils bennent des nitrates dans les cours d’eau, ce qui suscite des marées vertes dans NOS baies et NOS estuaires, et des produits chimiques qui créent des poissons à trois testicules et font des trous dans la couche d’eau zone). L’halieutique, c’est aussi de l’agronomie, et savoir différencier un cabillaud d’une morue (il y a un piège dans cette phrase) ne suffit pas, je suis également tenu par la Charte Secrète des Ingénieurs Agronomes de savoir différencier le ray-grass anglais de l’italien sous peine d’être lapidé à coups de figues bio par une foule de stagiaires en génie de l’environnement.

Bref, tout ça pour dire qu’on se tient au courant, quoi.

Alors, les OGM défrayent la chronique depuis une quinzaine d’années (souvenirs, souvenirs, ma première nouvelle “sérieuse », mais non publiée car pas au niveau, parlait du sujet). Défendus comme une solution de production optimale par les uns, critiqués pour leur potentielle toxicité, l’opacité entourant les études et leurs financements, les impacts génétiques et économiques par les autres, ils ont vite appartenus à ces dossiers où il est très difficile d’obtenir une information sûre, encore plus quand on n’est pas du milieu (c’est-à-dire avec l’accès aux journaux scientifiques et les nerfs assez solides pour supporter des lignes telles que CI 2.64 1 sans décéder aussitôt d’ennui profond).

Et là, le Nouvel Obs tient un scoop. La réponse tombe en gros titres : “Oui, les OGM sont des poisons ». Tous les rats nourris au maïs OGM développent des tumeurs grosses comme le poing : c’est avéré, cela lève l’indétermination. Point. Que dit exactement l’article ? Je n’en sais rien, je ne l’ai pas, et je n’ai pas de raison de douter de la rigueur des journalistes du support, comme des scientifiques derrière cette étude. Ayant toujours des contacts dans le milieu agronomique, je voudrais essayer de remonter à l’article source, tant qu’à faire. Le problème dans le cas des études de toxicité, me rappelait un ami et chercheur pas plus tard qu’hier, c’est l’exposition à des doses vraisemblables. La charcuterie provoque le cancer du côlon ! … si vous ne bouffez que ça pendant un an et la laissez approcher de sa date de péremption à chaque fois. Je suis donc curieux du protocole et de l’étude pour savoir exactement ce dont il retourne.

Alors, je ne défends pas les OGM. Monsanto est une entreprise dont, pourrions-nous dire, l’éthique pourrait être critiquable (hop, esquive des avocats, merci). Je n’ai pas d’opinion sur les impacts environnementaux et la santé car c’est toujours resté très flou – jusqu’à cette étude, manifestement. Je sais en revanche une chose, c’est que les OGM rendent les agriculteurs esclaves d’une entreprise et soulèvent les questions de brevets sur le vivant, deux questions auxquelles je suis fortement hostile, ce qui suffit à me placer dans le camp des “contre” – mais plus par question de choix de société que de santé. À la limite, ce qui me choque le plus dans cette étude n’est pas tant ses résultats, que le secret paranoïaque dont elle a dû s’entourer par craintes de sabotages. Cela nous entraînerait trop loin pour un article pareil et je vois le compteur de mots de WordPress s’affoler alors on va en rester là, mais s’il est bien un symptôme des dangers de notre monde, c’est celui-là.

Mais je vais te dire, auguste lectorat : en fin de compte, les cas particuliers, on s’en fout. L’opinion, aujourd’hui, a toujours plus raison que la vérité. Car, avec un tel article, un tel résultat, la boîte de Pandore est ouverte. Je n’oublierai jamais une des paroles de mes maîtres en halieutique (en halieutique on dit maître et pas prof, comme chez les Jedi, oui madame) : “les opinions publiques ne comprennent pas ce qui est complexe ». C’est une parole dure, mais hélas très vraie.

Le problème en sciences, et surtout dans de tels dossiers où se mêlent de colossaux intérêts privés et des questions de santé publique, c’est qu’il est très difficile d’atteindre un semblant de rigueur. L’environnement, le développement, font jouer des problématiques qu’il est impossible de résumer en une ligne de statut sur Twitter, un micro-trottoir de 2’30 pour le journal de TF1 ou la chronique d’Éric Zemmour, ce qui conduit forcément à des généralisations abusives qui, dans ces domaines, tiennent de la contre-vérité. La presse s’en tire un peu mieux, surtout quand elle a le loisir de produire des dossiers longs, mais elle est tout aussi tributaire de l’érosion de l’attention et du goût pour le sensationnel qui caractérise une large partie du public au XXIe siècle.

Alors, l’étude ? Rigoureuse ? Critiquable ? Cela n’a plus aucune importance.

À supposer que l’étude et l’article tempèrent les résultats et exposent, même de façon didactique et claire, quelques réserves, elles tomberont aux oubliettes, auguste lectorat. Je te le prédis. La guerre aux OGM est déjà terminée, de la même façon que la vache folle a fait exploser l’industrie de la viande bovine pendant des années. Je voyais déjà ce matin l’info devenir virale sur Facebook. Peu importent d’éventuelles réserves de principe sur les résultats, les cas particuliers, la complexité. Ce n’est pas un regret, c’est un constat : après un tel pavé dans la mare, impossible et inutile d’apporter une contradiction raisonnée (non pas qu’elle soit forcément nécessaire, les pro-OGM ont eu largement leur voix au chapitre et l’oreille des dirigeants). L’opinion publique sera ralliée à une seule et même cause : les OGM, c’est dangereux. Et les théoriciens de la conspiration – qu’ils aient raison ou pas – résumeront toute tentative de contradiction à un simple “oui, c’est parce que vous êtes avec eux ». Plus personne n’en voudra, n’en achètera. Et, à tort ou à raison, c’est aujourd’hui ce qui sonne le glas des produits.

Coïncidence ? Le 30 août, un cadre de chez Nestlé arguait que les OGM n’étaient pas nécessaires pour nourrir la planète (tandis que la branche américaine combat l’étiquetage de ceux-ci sur les emballages, mais tout va bien). “Nous écoutons ce que veut le consommateur. S’il n’en veut pas dans les produits, nous n’en mettons pas.” (source).

J’extrapole peut-être un peu, mais y en a qui commencent déjà à sentir le vent des boulets.

  1. 12, 3.5, p < 0.01
2012-09-20T17:06:04+02:00jeudi 20 septembre 2012|Humeurs aqueuses|24 Commentaires

Des solutions de 1990 pour des défis de 2010

L’idée n’est pas nouvelle, mais sa généralisation l’est : la société Open Garden – qui propose déjà son application au téléchargement – se propose d’ouvrir à tous un accès Internet gratuit où que l’on se trouve dans le monde. Il s’agit simplement pour chaque particulier d’offrir un point d’accès à son réseau, en échange de ceux que lui offriront les autres abonnés à Open Garden, à la manière des accès sans fil dont bénéficient les abonnés à Free en échange de l’ouverture de leur propre Wi-Fi. La différence, c’est qu’ici, la solution est indépendante de l’opérateur.

Pour que cela marche, évidemment, il faut qu’assez d’utilisateurs installent Open Garden pour constituer un réseau suffisamment dense – en d’autres termes, que l’idée décolle et atteigne une masse critique qui la rende véritablement intéressante.

Indépendamment de sa viabilité, difficile de s’empêcher un rapprochement avec la verrue qui orne notre code de la propriété intellectuelle depuis juin 2009 : la loi Hadopi, bien sûr, pour laquelle j’ai un amour sans bornes. À travers une pirouette rhétorique digne du Cirque Pinder cette funeste et ubuesque loi crée le délit de non-sécurisation de l’accès à Internet, afin de s’assurer qu’il n’en soit fait que des usages conformes aux bonnes moeurs.

Mais quid si, en bon hippie aux cheveux gras, j’ouvre volontairement mon réseau aux gens qui passent, parce que – scandale – je suis un mec qui partage ce que je paie, à travers une application comme Open Garden par exemple ? Les données se délocalisent de plus en plus à travers les services du cloud. Si, demain, Internet ne devient qu’une vaste toile sans point d’accès précis, qui doit sécuriser sa ligne ? Contre quoi, comment ?

Encore une fois, la technique devance l’incompréhension du législateur face à une technique qu’il ne comprend que très partiellement, et dont il ignore les vrais usages : la loi du tomahawk et de la bombe atomique. Pendant ce temps, création et édition essaient désespérément de s’en sortir face à l’exploitation non autorisée des oeuvres, le manque à gagner démoralisant qu’il représente et l’inefficacité démagogique d’un arsenal législatif souvent aux antipodes de ses désirs (rappelons par exemple que la SACEM, souvent désignée comme grande méchante par ignorance, réclamait l’interopérabilité des mesures de protection dès la loi DADVSI et préférait que soit tout simplement prélevée une compensation financière sur les abonnements Internet plutôt que le délire psychotique Hadopi). Le consommateur voit ses droits bafoués avec des DRM abusifs. Et le contribuable verse des sommes astronomiques dans des gouffres ineptes et inefficaces.

Alors oui, je critique, mais je n’ai pas d’idée géniale, non, hélas. En revanche, je sais reconnaître une idée idiote – Hadopi – quand j’en vois une, et je sais au moins dire pourquoi. Preuve supplémentaire à l’appui.

2012-09-07T10:09:22+02:00vendredi 7 septembre 2012|Humeurs aqueuses|Commentaires fermés sur Des solutions de 1990 pour des défis de 2010

Peut-être de dernières secondes de paix

La réalité est bien entendu plus complexe. Mais cela donne à réfléchir.

Julien Assange, le très poursuivi et controversé rédacteur en chef de Wikileaks est actuellement au centre d’un conflit diplomatique opposant l’Équateur et la Grande-Bretagne. Les premiers lui accordent l’asile politique, ce qui n’est pas du tout du goût des seconds, qui menacent de répliquer par une intervention armée.

Évidemment, ça fâche.

Nous souhaitons être très clairs, nous ne sommes pas une colonie britannique. Le temps des colonies est terminé […] Si l’intervention mentionnée dans le communiqué officiel britannique se produit, elle sera considérée par l’Equateur comme un acte inamical, hostile et intolérable, ainsi que comme une agression contre notre souveraineté, ce qui nous obligerait à répliquer par les moyens diplomatiques les plus fermes. – Source

C’est dans l’air que les inégalités sociales, les disparités de rémunération, les répercussions de la crise économique, les horreurs générées par le capitalisme sans contrôle, la haine envers l’Occident née de la misère forment un très dangereux cocktail qui monte doucement vers l’ébullition et des paroles de “révolution” ou de “guerre” ne se trouvent plus seulement prononcées par les alarmistes.

Quand je vois Assange détenu par un État souverain et qu’un autre menace ni plus ni moins d’une violation de celle-ci pour récupérer un homme qui – à tort ou à raison, c’est un autre débat – a poussé à l’extrême l’idéal de libre circulation de l’information, je frémis. Je me rappelle qu’un autre type est mort assassiné il y a presque un siècle et que, par le jeu des alliances, cet événement tragique mais relativement isolé a plongé l’Europe dans une guerre atroce. Assange symbolise un enjeu majeur du début du XXIe siècle, celui du contrôle de l’information. Car, selon les mots d’Orwell, “qui contrôle le présent contrôle le passé ; qui contrôle le passé contrôle l’avenir ». Cela va bien au-delà des questions de propriété intellectuelle ou du fantasme de geek ; il y a les colossaux enjeux économiques liés au contrôle de l’information personnelle du citoyen (qu’on constate le succès de Google et Facebook, deux régies publicitaires, pour mesurer leur poids), la tentation du contrôle et du fichage des citoyens par les États, même démocratiques, sous couvert d’épouvantails rhétoriques. Assange ne peut pas rester impuni. Sans même parler d’éthique et en constatant les faits seuls, il est la faille dans le système, l’épine dans le pied, une faille qu’il faut écraser, effacer, au risque de saper l’ensemble des édifices politiques actuels.

C’est trop gros, et pourtant. Une part de moi-même ne peut s’empêcher de souhaiter ne pas assister à un fragment d’histoire en train de s’écrire. Que le symbole controversé qu’est Assange et les actions irréfléchies des États ne forment pas le prétexte à l’explosion tant prophétisée du cocktail et déclenchent une cascade de dominos comme en 1914 avec l’assassinat du pauvre archiduc Ferdinand qui ne se serait probablement jamais douté que sa mort conduise des États prétendus civilisés à la guerre. Qu’en 2090, un gosse comme moi cent ans avant ne s’interroge sur la cause incroyablement stupide d’une boucherie, preuve de la sottise humaine – une espèce qui a manifestement besoin de se baigner dans son propre sang pour apprendre des leçons.

Des leçons pour lesquelles sa mémoire semble toujours tristement courte.

2012-08-18T19:13:12+02:00mardi 21 août 2012|Humeurs aqueuses|26 Commentaires
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